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    Tommaso Di Carpegna Falconieri, Il se voyait déjà Empereur. Cola Di Rienzo, un Romain au Moyen-Age

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Tommaso Di Carpegna Falconieri, Il se voyait déjà Empereur. Cola Di Rienzo, un Romain au Moyen-Age Empty Tommaso Di Carpegna Falconieri, Il se voyait déjà Empereur. Cola Di Rienzo, un Romain au Moyen-Age

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 28 Mai - 20:52

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Cola_di_Rienzo#Bibliographie

    "Cola di Rienzo (1313-1354) est le citoyen de Rome le plus célèbre du Moyen Age." (p.7)

    " [Chapitre I. Rome sans le pape (1305-1377).]
    La nuit du 6 mai 1308, un violent incendie dévasta Saint-Jean-De-Latran, réduisant en cendres le toit et les poutres démesurées provenant de la Massa Trabaria, brisant et calcinant les colonnes antiques et détruisant totalement l'intérieur de la basilique. L'événement intervenait quelques années seulement après le transfert de la curie à Avignon. Certains crurent que la ruine de la cathédrale de Rome était un signe divin, un avertissement envoyé au pontife: l'Urbs, lieu du martyre et du repos des apôtres Pierre et Paul, siège de l'Empire, centre et tête du monde, ne pouvait pas être échangée avec une cité quelconque comme Avignon. [...]
    Dès la fin du XIIe siècle, le pape et sa suite avaient pris l'habitude de séjourner, y compris pour des périodes prolongées, dans d'autres villes que Rome, appartenant à l'Etat de l'Eglise alors tout juste naissant. Cela avait été au début un objectif politique, puisque la présence in loco du souverain se traduisait par une capacité concrète d'imposer ou de récupérer les droits de l'Eglise. Avec le temps, l'itinérance pontificale était devenue une véritable habitude, et aux raisons politiques s'en étaient ajoutées d'autres, parmi lesquelles perçait surtout le désir de résider dans des lieux agréables et salubres. Dans le courant du XIIIe siècle, Viterbe et Pérouse, Rieti et Anagni, Assise et Orvieto surent ce que signifiait la présence continue d'une cour et d'une appareil bureaucratique complexe tel que celui du pontife: se soumettre à un contrôle plus serré et à une relative perte d'autonomie, mais également bénéficier de la magnificence des constructions, de la richesse des commandes artistiques et, en général, du développement économique provoqué par la présence de tant de prélats et de riches fonctionnaires. Certains lieux, ayant une reçu une empreinte plus marquée, se virent assigner le titre de "cité papale"
    ." (pp.11-12)

    "Clément V (mort en 1314), qui était français de naissance, ne s'était pas comporté, pour ses contemporains, de manière très différente de son proche prédécesseur Boniface VIII (vers 1215-1303), qui avait l'habitude de passer plusieurs mois de l'année à Anagni. Le Pape Clément V était en revanche très lié à la couronne de France et à celle de Naples qui, depuis des décennies déjà, avait pris la tête de la ligue guelfe des cités italiennes, jouant le rôle de protectrice de l'orthodoxie et de la papauté. Rien d'étrange, donc, à ce que le pontife ait choisi les confins de la France méridionale, et surtout la fertile Provence -comté de la maison d'Anjou, et, pour cette raison, des rois de Naples." (p.13)

    "Les papes avignonnais mirent sur pied un appareil bureaucratique tel qu'on n'en avait jamais vu auparavant, capable de garantir un contrôle minutieux des rentes et des bénéfices ecclésiastiques dans toutes les régions d'Europe. Mais en Italie, où existait pourtant une ligue guelfe entre les cités, où le roi de Naples avait un grand pouvoir et où, après le déclin de l'astre impérial, le parti gibelin n'avait pratiquement plus de visage, le pouvoir concret du pontife avait rapidement diminué, miné et compromis par les nombreuses seigneuries et par les gouvernements des communautés citadines qui, même formellement déférents envers le pape et garants de la liberté ecclésiastique, exerçaient un pouvoir largement autonome. D'où la tentative répétée, et longtemps manquée, de certains cardinaux-légats bien connus, de ramener dans l'obédience de l'Eglise les cités de l'Italie centrale.
    Au beau milieu de ces péripéties, le cas de Rome était particulier, et son exceptionnalité le rendit encore plus remarquable. La chute du toit du Latran et le départ du pape mirent à nu les conditions matérielles et culturelles de la cité. Dans le vide ouvert par l'absence du pontife et le départ de la curie, se nicha un sentiment de désolation. La
    Roma christiana n'existait quasiment plus: on dit et on écrivit que l'Urbs n'était autre qu'un tas de décombres qui recelaient un souvenir déformé de gloire et de puissance. Dans les pleurs versés sur cette ruine allait germer, au cours du XIVe siècle, le premier humanisme. C'est en revanche dans la tentative de rendre à l'Urbs son antique grandeur que se situe l'aventure humaine de Cola di Rienzo.
    Le séjour du pape en Avignon avait une signification terrible pour Rome, qui avait la sensation de toucher un des points les plus bas de son histoire: abandonné de l'empereur, le navire sans nocher était maintenant également privé de son second astre lumineux. [...] On connaissait [...] dans la ville le sort commun aux autres populations occidentales qui commençaient à être frappées par des épidémies répétées, qui accusaient après des siècles de croissance une baisse sensible de leur démographie, qui vivaient dans le cauchemar de longues guerres et d'une famine désormais récurrente. A cela s'ajoutait l'éloignement du pontife et de sa cour, un fait qui, non seulement avait une influence négative sur une économie plutôt faible, mais qui provoquait, comme une projection agrandie, une telle sensation de dépaysement qu'il allait jusqu'à signifier, pour beaucoup, la raison essentielle de la désolation de l'
    Urbs." (p.14)

    "Le départ du pape entraînait aussi un sentiment religieux d'un caractère nouveau, qui empruntait des arguments et des images aux courants spirituels les plus radicaux [...] On reprenait dans ces cris de protestations un vieux motif traditionnel de rébellion contre les habitudes mondaines de l'Eglise, mais ces plaintes étaient amplifiées par le sinistre pressentiment de fin du monde que l'Occident avait appris à connaître et qu'il diffusait avec virulence depuis les dernières décennies du XIIIe siècle. En ce fatidique an 1300, d'immenses foules, imprégnées d'une religiosité naïve, étaient accourues à Rome pour obtenir l'indulgence plénière pour leurs péchés. Cette année là, les basiliques des apôtres Pierre et Paul avaient été prises d'assaut par les pèlerins ; les Romains, beaucoup plus que la curie, avaient appris ce que pouvait signifier, pour l'économie de la ville, une année de pèlerinage extraordinaires. C'est seulement cinq ans après que le pape abandonnait l'Italie et ce n'est que neuf ans plus tard que l'on réalisait que, désormais, cette absence allait vraiment se prolonger. Ce même peuple qui considérait les corps saints comme des objets doués d'un indiscutable pouvoir thaumaturgique, qui pensait Rome comme une cité édifiée par le sang des martyrs, qui pour cela accomplissait des pèlerinages exténuants, poussé par une religion concrète faite de choses et de lieux, se trouvait dans l'obligation de comprendre (et certainement ne comprenait pas) que "là où est le pape, là est Rome".
    D'un point de vue politique, le fait que le pape soit absent de la cité eut une signification considération, parce qu'il raffermit et vivifia ce sentiment, jamais assoupi, que l'
    Urbs devait recevoir un rôle autonome et de premier plan, et être considérée comme une entité différente tant du pape que de l'empereur. Au milieu du XIe siècle, trois cents ans avant les faits qui nous occupent, les citoyens de Rome avaient pris conscience pour la première fois de leur altérité face au pontife et à l'appareil de la curie. Alors, en correspondance avec le rôle toujours plus universaliste et toujours moins romain joué par le successeur de Pierre, on s'était attaché à consolider une ligne d'action politique qui avait conduit, après quelques décennies, à la formation d'une institution autonome, la commune romaine. Au milieu du XIVe siècle, bien que la commune ait été formellement soumise à l'autorité pontificale, la tentation de gouverner librement était forte. L'absence du pape permettait à ceux qui détenaient concrètement le pouvoir d'exercer une domination presque incontestée." (pp.14-15)

    "Quand Louis IV de Bavière (1287-1347), le dernier "empereur gibelin", parvint à Rome en 1328, il reçut la couronne des mains de Sciarra Colonna [1270-1329]. On déclara alors la commune de Rome dépositaire du droit de conférer l'Empire. [...] Après avoir été jusqu'à condamner à mort par coutumace le pape régnant pour avoir abandonné son siège, Louis fit élire l'antipape Nicolas V, en réservant aux Romains la ratification [...]
    On parle de crise des valeurs culturelles parce que ce siècle signa le déclin de l'idéologie médiévale de l'unité de l'empire chrétien ; on dénonce la crise démographique, puisque la population, après l'augmentation massive du siècle précédent, allait en diminuant, aggravant l'état de dépression économique qui s'annonçait déjà au début du siècle. [...] Des mots comme famine et épidémie entrèrent dans le vocabulaire et l'imagination de tous. [...]
    La phase de récession, qui s'était transformée avec le temps en véritable crise, avait perduré bien au-delà du milieu du XIVe siècle. La rente foncière s'était réduite, un dépeuplement massif des campagnes environnant la cité avait commencé et la tentative de maintenir à un haut niveau le prix du grain avait entraîné la diminution des espaces ensemencés. Il s'était amorcé dans ces conditions un cycle susceptible de conduire à une situation de disette. Ce n'est que dans les dernières décennies du XIVe siècle (et ensuite pendant tout le XVe siècle) que la stagnation du prix du grain et la relance des activités commerciales proprement dites, surtout celles liées à l'élevage, allaient permettre la reprise. [...]
    La population se nourrissait essentiellement de céréales.
    " (p.16-15)

    "Cette absence si perceptible faisait fonction de bouc émissaire pour glisser sur les autres raisons de la crise. [...]
    La résidence du pape en Avignon fut la condition première et nécessaire de l'existence politique de Cola di Rienzo et constitue un élément dont il faut tenir compte en permanence. [...] L'éloignement papal de Rome allait conduire Cola à accomplir sa première ambassade pour réclamer qu'un jubilé soit déclaré en 1350 ; il allait lui permettre d'instaurer par deux fois un régime populaire dont il serait le seigneur incontesté ; cet éloignement lui permettrait d'élaborer sa propre théorie politique de la souveraineté absolue du peuple romain vis-à-vis de l'empereur et peut-être même du pape. Clément VI, de son côté, estimerait que Cola di Rienzo n'était pas sain d'esprit, qu'il était dangereux et hérétique
    ." (pp.18-19)

    "L'homme médiéval [...] possède une culture qui privilégie une compréhension cyclique, liturgique du temps, avec sa répétition incessante des saisons et des jours du calendrier. La distance historique ne fait pas partie du bagage de l'homme de cette époque, qui n'a pas une conscience claire de l'éloignement inéluctable des âges [...] Un homme du Moyen Age croit sans difficulté que la Rome des Césars est au coin de la rue, que le sang des apôtres est encore frais." (p.19)

    "Statues parlantes, la tombe de César, la source qui secrète de l'huile, la statue de Constantin, avec, sur la tête du cheval, la chouette qui prendrait son envol pour annoncer la fin du monde, et les reliques de la Passion du Christ. On considérait Rome comme un lieu magique où il était possible de trouver rassemblées les merveilles du monde antique: le phare d'Alexandrie, le colosse de Rhodes et la statue de fer de Bellérophon qui restait suspendue dans les airs, soutenue par d'énormes aimants. Les cinq basiliques majeures de la cité symbolisaient les cinq patriarcats d'Orient et d'Occident: Saint-Pierre représentait Constantinople, Saint-Jean, Rome, Saint-Paul, Alexandrie, Sainte-Marie, Antioche et Saint-Laurent, Jérusalem ; à travers ces basiliques, c'était le monde chrétien tout entier qui trouvait place à Rome." (p.20)

    "Les représentations proposées dans le milieu impérial figuraient souvent Rome comme une femme couronnée de tours ; on mettait ainsi en relief son caractère royal et son droit d'exercer sa domination sur toutes les autres cités. Dans d'autres cas, pour mettre en évidence l'exact contraire, c'est-à-dire son état d'abandon par l'empereur lui-même ou le pape, on attribuait à l'Urbs les traits d'une femme en pleurs et échevelée, portant le deuil comme il sied à une veuve. Sur les sceaux impériaux enfin se trouvait la célèbre devise "Roma caput mundi regit orbis frena rotundi" [Rome, chef souveraine du monde, tient les rênes du globe]." (p.21)

    "Les jeux de l'Agone et du Testaccio, qui se déroulaient pendant le carnaval, au pied de l'Aventin et aussi à l'intérieur du Colisée, sont entre autres, particulièrement remarquables. Après les parades militaires, les courses de chevaux, les mâts de cocagne, les représentations des comédiens ambulants et les épreuves de force et de dextérité des cavaliers et des fantassins romains, la tradition la plus enthousiasmante était celle de la chasse aux taureaux." (p.22)

    "Cola di Rienzo, citoyen romain, était amoureux de l'Urbs et de son image. [...] Ami de Pétrarque (1304-1374) et admirateur de Dante (1265-1321) [...] [Il] devint "l'homme à la tête en bas", la carte du Tarot qui représente le monde inversé, l'ultime acte d'un macabre carnaval." (p.24-25)

    "[Les] habitations s'entassent les unes sur les autres, ne laissant d'espace que pour des ruelles étroites et de petites places que l'on peut facilement "barricader et fortifier" en cas d'émeute." (p.25)

    "En cas d'émeute ou de guerre [...] les tours jouent efficacement un rôle aussi bien offensif que défensif, qui se révèle particulièrement utile pendant les fréquentes querelles des factions. En même temps, posséder une construction de ce type est un symbole de puissance: ce n'est pas pour rien que parmi les premières mesures prises par les régimes populaires figure souvent celle d' "étêter" les tours. En en réduisant la hauteur, on limite la capacité militaire de l'édifice, et, au niveau symbolique, on "rabat le caquet" de son propriétaire. [...]
    L'habitat se répartissait en fonction du poids et du rapport réciproque de certains "pôles d'attraction" constitués par les églises et les habitations aristocratiques. La totalité de la cité léonine, par exemple, était un agrégat, une sorte de village qui s'était formé à proximité de la basilique Saint-Pierre. Les basiliques romaines étaient bien protégées par des fortifications, tandis que les grandes familles baronniales possédaient de véritables circuits défensifs, placés sur les hauteurs modes de l'habitat et sur les ruines imposantes ; de tels circuits pouvaient atteindre une taille considérable et étaient dotés de forteresse presque imprenables : le château Saint-Ange, l'Austa, la tour des Conti, l'Arpacasa, la tour des Milices, la Rocca Savella.
    Les Orsini maîtrisaient l'accès nord-oriental de Rome: du château Saint-Ange et du pont qui lui faisait face, leur contrôle s'étendait jusqu'à Monte Giordano et au théâtre de Pompée. Entre cette forteresse, que l'on appelait alors l'Arpacasa, et les autres édifices appartenant au lignage, avait été construite une courtine de maçonnerie de plusieurs centaines de mètres, pourvues de tours. La zone d'influence des Colonna, en revanche, était comprise entre la via Flaminia, la forteresse de l'Augusteum (Austa), le Champ de Mars et Montecitorio pour rejoindre enfin les pentes du Pincio et du Quirinal. Les Caetani surveillaient la cité des hauteurs du Capitole à celles du Viminal jusqu'aux "boutiques obscures" de l'antique crypte Balbi. Les Savelli enfin, étaient solidement installés sur les ruines du théâtre de Marcellus et contrôlaient les rioni Ripa, Campitelli et Sant'Angelo.
    A l'intérieur de ces zones, quelques membres d'une même famille possédaient en commun des biens et des droits en quantité considérable et, comme on l'a dit, étaient généralement propriétaires d'une bonne partie des terrains sur lesquels les emphytéotes avaient construit des habitations à leurs frais. Ils fournissaient en outre quelques services essentiels tels que le four et la citerne. En somme, les habitants prêtaient obédience aux membres du lignage éminent, ou parce qu'ils y étaient tenus par un véritable lien de vassalité, ou parce qu'ils étaient locataires, ou simplement parce que l'hégémonie politique, économique et militaire de la famille noble conduisait à l'effacement des discriminations qualitatives entre ceux qui se trouvaient à l'intérieur d'une zone d'influence. La demeure principale du lignage était considérée comme une zone franche ; on pouvait y rendre librement une justice différente de celle de la commune et même s'ils avaient voulu le faire, les magistrats municipaux auraient difficilement pu y mettre les pieds
    ." (pp.26-28)

    "Cette organisation urbanistique [clientéliste], dans laquelle public et privé, ouvert et fermé se fondaient et se confondaient, prenait le nom caractéristique d'accasamentum, c'est-à-dire, dans le vocabulaire contemporain, "complexe urbain". [...]
    Bien qu'il n'y eût pas de séparation physique entre chaque
    rione, ces subdivisions avaient leur importance aux yeux des contemporains, car chacune de ces divisions territoriales possédait ses symboles, sa magistrature et ses forces militaires autonomes. Les caporioni, c'est-à-dire les chefs des rioni, avaient, surtout pendant les périodes de régime populaires, une grande influence sur le gouvernement de l'Urbs." (pp.28-29)

    "Une subdivision topographique supplémentaire, ecclésiastique celle-là, avait été instituée par l'association du clergé urbain dite Romana fraternitas. La totalité de la cité y apparaissait divisée en trois parties articulées en circonscriptions paroissiales. Les églises étaient très nombreuses ; selon un catalogue dressé dans les premières décennies du XIVe siècle, leur nombre s'élevait à quatre cent huit. On comptait parmi elles de nombreux petits édifices desservis par un seul prêtre, dont certains étaient délabrés, mais également de très grandes basiliques, comme Saint-Jean et Saint-Pierre, qui avaient un nombre élevé de chanoines et de serviteurs et possédaient une part considérable du patrimoine immobilier de la cité." (p.29)

    "L'institution qui dirigeait l'Urbs était le Sénat. Sur les hauteurs du Capitole, jadis symbole de la république et lieu de marché durant le haut Moyen Age, avait été édifié en 1151 un palais qui prit avec le temps la forme imposante d'une forteresse et devint siège du gouvernement. La commune romaine n'était pas très différente de celle des autres villes italiennes et ne s'en distinguait guère que par les souvenirs de grandeur et de triomphe que son nom même évoquait. Dans le courant du XIVe siècle, l'institution possédait déjà une longue histoire puisque ses origines remontaient à la fin du XIe siècle. Depuis le milieu du XIIIe siècle, la commune était gouvernée par un ou deux sénateurs qui changeaient tous les six mois. Ces derniers, à la différence des consuls et des podestats des autres cités, n'étaient pas choisis parmi des étrangers, mais bien parmi les citoyens les plus en vue Les sénateurs étaient entourés d'un conseil, alors que le parlement général était convoqué à chaque occasion solennelle et comprenait tous les citoyens jouissant de l'intégralité de leurs droits. Dans les périodes de gouvernement populaire, le gouvernement du capitano del popolo [capitaine du peuple] et des treize buoni uomini [bons hommes] correspond aux rioni, ou à d'autres occasions aux Arts, avait un poids considérable. Les régimes populaires essayèrent avant tout de conférer la magistrature suprême à des seigneurs qui ne soient pas citoyens de Rome. [...] Dans l'absolu, cependant, l'hégémonie exercée par les barons romains fut pratiquement incontestée. Formellement, à l'exception de quelques cas exceptionnels, ils gouvernèrent au nom du pape, qui était souvent nommé sénateur à vie et choisissait les magistrats comme délégués. Mais il restait de larges marges d'autonomie.
    Le Capitole était le siège d'une bureaucratie plutôt complexe, sur laquelle nous ne disposons que de peu d'informations, la totalité des archives ayant été perdue. Les tâches des bureaux se superposaient au moins en partie, comme c'était le cas pour tous les organes de gouvernements médiévaux qui, par exemple, avaient chacun leur propre tribunal indépendant. Non seulement le sénateur gouvernait la totalité de la cité, mais il était aussi à la tête de la justice, utilisant pour cela les services de juges et de notaires. La Chambre capitoline ou
    Camera Urbis, gérait les finances, l'économie et l'administration générale ; elle était dirigée par un ou deux camerlingues, qui avaient sous leurs ordres deux notaires et quelques juges. La chancellerie, dirigée par le chancelier et pourvue de deux scribasenatus, était le bureau préposé à la rédaction et à la conservation de la documentation communale. L'armée, dont le sénéchal, qui était le magistrat de la cavalerie, assurait la direction politique, pouvait aligner rapidement un nombre assez élevé de soldats, tandis que la préfecture urbaine s'occupait surtout de la justice criminelle. La commune de Rome revendiquait une autorité étendue et une grande autonomie par rapport au pouvoir pontifical: elle contrôlait les voies de transit (fleuves et routes), elle imposait et encaissait la gabelle et des contributions de toutes sortes, elle avait le droit de battre monnaie, elle rendait directement la justice civile et criminelle, elle avait sa propre armée et pouvait s'en servir librement, elle disposait de sa propre circonscription territoriale. Celle-ci s'étendait sur une distance de cent milles (cent soixante dix kilomètres) de Terracina à Civitavecchia sur la côte et, à l'intérieure, de Ceprano à Radicofani. Elle était divisée en trois provinces principales: le Patrimoine de Saint-Pierre au nord de Rome, la Campagna et la Marritima au sud.
    Du haut du Capitole, on pouvait voir toute la partie de Rome comprise dans la boucle du fleuve, qui grouillait de vie. Mais en tournant le regard de l'autre côté, vers le
    rioni Monti et ce qui restait des forums, le scénario changeait brutalement et les ruines prenaient le dessus sur l'habitat. Le Capitole, érigé à la frontière de la ville nouvelle et la cité antique, les dominait toutes deux." (p.29-31)

    "L'expansion de l'activité de construction due à l'augmentation de la population [...] au XIIIe siècle, avait conduit Rome au seuil des quarante milles habitants [...]
    Après la peste de 1348, le tremblement de terre de l'année suivante et la seconde épidémie de 1363, la cité ne comptait sans doute plus que la moitié des habitants qu'elle avait un siècle auparavant
    ." (p.31)

    "Trois [ponts] seulement sont en état d'être utilisés ; mais les bacs qui relient les rives sont nombreux, et puis il y a les ports, les barques, et des files et des files de moulins qui broient le grain jour et nuit. [...] Le port de Ripa Grande, situé en dehors de la ville en direction de l'embouchure, permet la liaison avec la mer, alors que les petits débarcadères situés au nord, parmi lesquels se détache l'escale de Ripetta, mettent l'Urbs en contact avec l'arrière-pays, surtout avec la Sabine.
    C'est là que commence la vie de Cola di Rienzo. Entre les moulins et les bas-fonds argileux d'Arenula, au milieu des patrons de bistrots, des passeurs, des
    acquarenari [porteurs d'eau], des marchands de poisson, des tanneurs, il naît dans les environs de l'Eglise S. Tommaso in capo alle [Saint-Thomas devant les meules], d'une femme qui, pour subsister, lave le linge et porte sur la tête des jarres pleine de l'eau du fleuve. La nuit précédant sa prise de pouvoir, Cola aurait veillé en écoutant trente messes dans l'église Sant'Angelo, située sur le marché aux poissons, pour ensuite se rendre sur la colline du Capitole, où il avait travaillé pendant trois ans en qualité de notaire." (p.33)

    "L'Urbs, qui avait pourtant tant de traits en commun avec le reste de l'Italie, s'en distinguait par certaines spécificités. En effet, elle possédait, depuis des siècles, deux groupes d'ecclésiastiques au lieu d'un seul, et ses habitants se divisaient en trois classes sociales au lieu de deux.
    Traditionnellement, le clergé romain, unique en cela, regroupait aussi bien les ecclésiastiques de la cité (curés, chanoines, moines, chapelains et, depuis le XIIIe siècle, les frères des ordres mendiants) que les clercs appartenant à la sphère papale, c'est-à-dire les cardinaux et le nombreux personnel administratif de la curie. En effet, si le pape était le chef de l'Eglise, il était en même temps l'évêque de Rome: son clergé était donc soit diocésain, soit universel.
    Ainsi composé, le clergé de Rome comptait, au XIIIe siècle, au moins trois mille individus et représentait donc un pourcentage très élevé de la population masculine résidant dans la cité. C'était un clergé riche, formé de prêtres diocésains, de frères, de moines et de chanoines appartenant aux familles nobles de la ville et de membres de la curie choisis principalement dans les cités du Latium. Le départ de la curie pour Avignon provoqua une forte régression. Le clergé resté dans la ville, toujours plus éloigné du pape, entra dans un état de crise tel que ses représentants ne semblent pas avoir joué, pendant tout le XIVe siècle, de rôle politique autonome ou de premier plan. De la même façon, le niveau culturel connut une baisse, et même les édifices sacrés et certains patrimoines déclinèrent rapidement. Si quelques grandes familles romaines surent maintenir leurs accointances avec la curie, le rôle des clercs romains devint généralement provincial. C'est seulement pendant le passage de Louis de Bavière (1328) qu'une flamme allumée par Marsile de Padoue (vers 1275-1343) avait, pendant quelques jours, exalté les clercs de Rome appelés à élire leur pasteur comme dans les temps très anciens. Mais la réaction pontificale fut sévère, et d'Avignon on fit le nécessaire pour que le peu de traces d'autonomie que le clergé de Rome conservait, grâce à l'institution qui le caractérisait dite
    Romana fraternitas, soit réduit à néant. Le clergé "resté à Rome", c'est à-dire le Clerus Urbis, joua toutefois un rôle important dans l'aventure politique de Cola, dans laquelle il fut fortement impliqué.
    En dehors du groupe du clergé, dans lequel on comptait des personnes d'extractions diverses, la société romaine se divisait en trois classes, assez strictement définies. Il s'agissait des grands seigneurs, appelés
    barones ou magnates ; du groupe intermédiaire des entrepreneurs et de la noblesse municipale, c'est-à-dire les cavallarocti ou milites et du popolo, les pedites ou populares. Selon les statuts de 1360, les membres de la première classe, celle des barons romains, étaient ceux qui possédaient des biens d'une valeur supérieure à 30 000 livres provinoises. Il s'agissait d'un nombre restreint de grandes familles, qui formaient un groupe fermé et soudé ; on y trouvait au XIVe siècle les Orsini, Colonna, Annibaldi, Boccamazza, Normanni ou Alberteschi, Stefaneshi, Malabranca, Capocci, Caetani, Savelli, Romani-Bonaventura, Sain'Eutachio, Anguillara, Conti, Prefetti di Vico. Les Frangipane aussi, bien qu'en plein déclin, pouvaient être considérés comme partie intégrante de ce groupe tandis que les Orsini, Annibaldi, Colonna, Conti et Savelli étaient si éminents qu'ils formaient une élite à l'intérieur de l'élite.
    Les barons s'étaient imposés en tant que groupe pendant les trente premières années du XIIIe siècle et avaient supplanté rapidement l'aristocratie plus ancienne. Leur fortune reposait sur quatre piliers bien identifiés d'où dérivait une puissance inébranlable. Il s'agissait en effet de seigneurs possédant de vastes propriétés urbaines et à la tête de grandes juridictions castrales, qui entretenaient des rapports étroits avec le royaume de Naples et avec la curie. Ils possédaient dans l'
    Urbs, en leur qualité de seigneurs, des tours et des forteresses, chargées d'une valeur stratégique et symbolique: ils étaient en outre propriétaires de biens immobiliers importants et contrôlaient des zones entières de la cité. A l'exception des périodes de gouvernement plus franchement marquées d'une empreinte populaire, les barons détenaient de façon habituelle la plus haute charge publique, celle de sénateur. [...] S'ajoutait à cela que les barons étaient des membres influents des chapitres des basiliques romaines majeures et commandants des milices communales.
    Le fait de posséder une juridiction castrale était le second élément qui caractérisait la classe baronniale, tant et si bien que l'Anonyme en parle comme de
    baroni de castella [seigneurs de villages fortifiés]. A la fin du XIIIe siècle, les familles appartenant à ce milieu social possédaient environ deux cent agglomérations, dont une quarantaine se trouvait dans le royaume de Naples et les autres dans le Latium pontifical. Les cinq lignages les plus importants possédaient à eux seuls les deux tiers de tous les castelli. La seigneurie qu'ils y exerçaient était dure ; de plus, la propriété privée du seigneur et les limites de sa juridiction avaient tendance à se superposer presque totalement. Contrairement à ce qui se passait dans le reste de l'Italie, au XIIIe siècle, ces seigneuries étaient florissantes et se portaient encore bien au XIVe siècle. Dominer le territoire signifiait, pour les barons, avoir la possibilité de surveiller toutes les voies d'accès à Rome, de produire les denrées et d'en fixer le prix, et enfin de garder le contrôle des hommes et des chevaux, c'est-à-dire des instruments pour conduire une guerre.
    Mais cela ne suffisait pas. Se trouvant en possession de vastes territoires et partageant avec les souverains angevins la sensibilité guelfe qui en faisait de fidèles alliés du pape, et habituellement des ennemis de l'empereur, de nombreux barons romains avaient réussi à créer un lien personnel et familial avec les rois de Naples, dont ils étaient vassaux pour certains
    castelli. Ils pouvaient de cette façon compter sur l'appui d'un des souverains les importants de l'époque et partager avec lui et de ses fonctionnaires aussi bien l'hégémonie du parti guelfe que la conception aristocratique du pouvoir. Non seulement les barons romains étaient maîtres de la cité et de considérables entités territoriales, mais ils faisaient partie, par leur classe sociale, leur patrimoine, leurs convictions idéologiques et leurs initiatives politiques, de la haute noblesse d'un royaume de première importance.
    Le dernier élément de la puissance des barons était leur rapport avec les sphère dirigeantes de la curie et avec le pape. Grâce à une politique adroitement conduite, les membres des grandes familles baronniales tissèrent des liens solides et profonds avec le milieu pontifical. Les plus habiles furent capables de faire entrer à la curie, de façon presque continue, un cardinal ou un prélat de leur propre famille ; certains lignages, comme les Conti, les Orsini et les Caetani, eurent la chance de voir un proche parent élu pape ; deux cardinaux puissants suffirent à d'autres, comme les Capocci, pour rejoindre les cimes du pouvoir. On peut dire que, pendant tout le XIIIe siècle, le pape fut romain et favorable aux barons. Le lien avec la curie signifiait une autorité étendue à l'échelle européenne. La pénurie d'argent liquide, un problème presque insurmontable pour les autres seigneurs féodaux riches d'hommes et de terres, mais pauvres en or, se métamorphosait pour eux en une florissante disponibilité ; l'autorité d'un cardinal et ses possibilités d'action étaient quasiment sans limites dans la chrétienté.
    Cette dernière composante du pouvoir baronnial était la plus significative, et de fait, pendant la période où le pape résida en Avignon, certaines des familles les moins en vue déclinèrent, et seules celles qui avaient réussi à maintenir le contact conservèrent leur puissance intacte. Ce sont surtout les Orsini, les Savelli et les Colonna qui restèrent puissants: ils possédaient encore, à la fin du XIVe siècle, de nombreux
    castelli [villages] dans la campagne dépeuplée et prendront le commandement de l'armée pontificale pendant le Grand Schisme. [...]
    Les barons, qui se prétendaient de lignées romaines antiques, étaient demandés comme magistrats dans les villes autour de l'
    Urbs. Ils acceptaient ces charges pour la gloire et la renommée et les communes recherchaient les faveurs de ces puissants seigneurs et représentants de l'aristocratie du gouvernement angevin et papal qui, par leur influence, se révélaient très utiles aux entreprises politiques.
    La puissance de ce groupe social de premier plan relégua dans des espaces plus restreints les membres des classes sociales qui, au XIIe siècle et encore au début du siècle suivant, avaient dominé l'
    Urbs et sa commune. Il s'agissait d'une aristocratie urbaine de culture différente, aux intérêts financiers et mercantiles: la bourgeoisie ou le patriciat, comme l'appelleraient les historiens du XIXe siècle. Au XIVe siècle encore, les membres de cette seconde classe sociale -souvent floue et se distinguant mal de la troisième classe, celle du popolo- constituaient le nerf de l'administration en leur qualité de juges, notaires et magistrats de la commune, et étaient souvent détenteurs de la dignité canoniale dans les plus grandes églises romaines. Les hommes nobles de familles comme les Cerroni, les Porcari, les Curtabraca, les Papazzurri ou les Foschi de Berta se différenciaient de la haute aristocratie aussi bien par leur moindre puissance économique, qui ne soutenait pas la comparaison (en 1360, appartenaient à ce groupe ceux dont les biens pouvaient être évalués à plus de 2000 livres), que par l'absence ou la très petite dimension de seigneuries banales. Ils partageaient cependant certaines valeurs culturelles de l'aristocratie, comme l'importance de la cavalerie, si bien que les cavallerotti [...] étaient, par définition, ceux qui avaient fait partie de l'armée communale en qualité de cavalier pendant les jeux du Testaccio. Ils possédaient en outre des complexes bâtis et des tours dans la cité. Les membres de la noblesse municipale étaient souvent de fidèles alliés des barons, avec lesquels ils entretenaient un lien de type clientéliste (les mariages entre les deux groupes, en fait, étaient relativement rares). En assurant leur fidélité au lignage hégémonique, ils recevaient principalement en échange la sécurité et l'accès à la curie. La famille Colonna avait autour d'elle un réseau d'au moins quatre-vingts familles, qui résidaient pratiquement toutes dans les rioni Monti, Trevi et Colonna, ceux où se concentraient également les résidences de la lignée baronniale.
    La classe de la "petite noblesse", dotée d'un fort sens civique, était caractérisée par un consistant et continuel renouvellement social qui voyait de nouvelles familles émerger sans cesse du
    popolo pour se fondre avec elle. Bien que les cavallerotti soient souvent liés à une des deux factions romaines, leurs intérêts économiques pouvaient, en diverses occasions, être diamétralement opposés à ceux des barons. Au milieu du XIVe siècle, ces nobles, qui avaient conscience d'incarner profondément l'esprit de la commune, se mêlèrent aux franges les élevées et les entreprenantes du popolo, et donnèrent naissance, dans le seconde moitié du siècle, à une nouvelle aristocratie caractérisée par son efficacité dans la production des céréales et l'élevage des bêtes et regroupée dans l'Art prestigieux des bovattieri [éleveurs de boeufs et par extension entrepreneurs agricoles], comme le seront par exemple les Massimo et les Cenci.
    La troisième classe sociale de Rome, le
    popolo, a été relativement moins étudiée et ses contours sont moins faciles à saisir. L'histoire des populares, en effet, se confond, par la force des choses, avec celle des riches marchands que l'on vient d'évoquer -car ils forment très souvent un tout avec eux- et leur physionomie n'émerge avec clarté qu'en de rares occasions, principalement pendant les régimes ouvertement démocratiques. Les popolari étaient, essentiellement, les couches sociales qui participaient à la vie publique et à l'armée en qualité de propriétaires. Certains groupes professionnels ont fait l'objet de recherches poussées ; pour d'autres, cependant, on ne connaît rien ou peu. Le peuple romain se distingue des classes analogues des autres cités du Centre-nord de l'Italie par deux caractéristiques. La première de ses particularités est un fort sentiment d'appartenance à une zone de la cité. Depuis le début du XIVe siècle au moins, les rioni étaient déjà au nombre de treize (Borgo n'allait devenir un rione qu'en 1586): il s'agissait des circonscriptions de base du système administratif, politique et militaire. Chaque rione avait son chef (un bonus vir ou caporione), un conseil et son propre personnel. Il jouissait en outre de prérogatives particulières : par exemple, Regola détenait certains droits de pêche sur le littoral. Le fait que la population soit répartie dans ces circonscriptions et qu'elle se sente citoyenne de son rione avant même d'être romaine allait perdurer, tant et si bien qu'encore au XIXe siècle on enregistrait des luttes sanglantes entre Trasteverini et Monticiani. Au XIVe siècle, cette division provoquait essentiellement deux effets politiques. En premier lieu, elle favoriserait le contrôle du territoire par les barons. Les deux systèmes, en effet, s'interpénétraient et se soutenaient réciproquement, parce qu'ils étaient tous les deux fondés sur le territoire. C'est pour cette raison que l'on peut dire, par exemple, que les Colonna étaient maître du rione Colonna, ou que le rione Campitelli était soumis à l'hégémonie des Savelli. Étant donné que l'armée même de la commune romaine était recrutée selon des critères territoriaux, il arrivait souvent que le commandant militaire du contingent fourni par le rione soit un membre de la famille baronniale la plus importante de ce quartier. Cet ordre institutionnel avait pour conséquence, et c'est son second effet politique, que la division en rioni et leur représentation au sein des organes de la commune empêchaient toute autre forme d'organisation populaire. Les Arts, c'est-à-dire les corporations de métiers, qui dans toutes les autres cités du centre de l'Italie septentrionale s'étaient imposés à la tête des régimes populaires, n'eurent donc pas à Rome une puissance politique effective. Alors que dans n'importe quelle autre ville le gouvernement populaire des Arts empêchait en fait et en droit la participation des nobles (ils ne pouvaient pas s'inscrire à un Art), à Rome les gouvernements populaires étaient fondés sur la cession du pouvoir aux treize représentants des rioni. Mais puisqu'à l'intérieur de ces mêmes rioni les barons continuaient à affirmer leur puissance, il arrivait que les représentants de la très haute noblesse participent activement à des gouvernements populaires.
    [...] Le pouvoir dont [les barons] jouissent et l'idéologie militaire qui était la leur en faisaient par-dessus tout des combattants imbus d'eux-mêmes, éloignés du monde du commerce et des affaires. Cette distance idéologique avait pour résultat de freiner l'économie urbaine, les énormes capitaux dont ils disposaient n'étant pas investis dans des opérations commerciales ou financières. Mais la véritable raison du conflit avec les autres groupes résidait dans le fait qu'ils étaient les seigneurs incontestés du territoire situé autour de la cité. Comme tels, les barons contrôlaient sans difficultés les accès à Rome et le marché du blé, c'est-à-dire l'approvisionnement de la ville. Dans les périodes de disette, qui furent nombreuses au XIVe siècle, les barons stockaient les céréales et fixaient ensuite le prix de vente, en mettant sur le marché les quantités qu'ils jugeaient opportunes. D'autre part, la commune romaine ne disposait pas dans le district de possessions suffisantes pour garantir une politique efficace de ravitaillement. Accusés d'être des affameurs et des spéculateurs, les seigneurs des
    castelli tenaient entre leurs mains le sort de la cité.
    Tous les régimes populaires jusqu'à celui de Cola (pendant la première moitié du XIVe siècle, on en compte au moins cinq à Rome) avaient eu les mêmes intentions: élargir la base sociale du gouvernement et mettre en œuvre une politique correspondant aux intérêts des marchands et des
    popolari. Pour ce faire, leurs actions avaient principalement été tournées vers l'expansion du district et le contrôle des routes, des approvisionnements et de la sécurité. Mais la noblesse baronniale qui, de fait, leur était contraire et rebelle, n'était cependant pas exclue de ces gouvernements qui, pour cela même, étaient très fragiles.
    Quelques épisodes saillants de l'action politique de Cola correspondent, et ce n'est pas un hasard, à des moments de disette: en 1347, il réussit à s'installer au gouvernement juste avant la récolte, alors que le prix du blé était au plus haut et que le peuple grondait. Son action fut profondément tournée contre les barons et orientée en faveur des autres classes urbaines, qu'il tenta de coaliser en cherchant principalement l'appui des groupes émergents comme les marchands et les
    bovattieri. Selon le tribun, le gouvernement des barons et leur présence même dans la cité et le district étaient porteurs de désastres.
    Nonobstant tout cela, les schémas sociaux du XIVe siècle n'étaient pas ceux du XIXe siècle et il serait anachronique de voir en Cola un révolutionnaire capable d'opposer une classe sociale à une autre. La lutte entre groupes antagonistes avait pour caractéristique fondamentale d'être transversale aux classes sociales. C'était particulièrement évident à Rome, où les conflits étaient provoqués par des heurts entre factions qui, au niveau idéologique et par la composition sociale, pouvaient se ressembler beaucoup, et qui malgré tout divergeaient pour d'autres raisons pratiques. A partir de la fin du XIIIe siècle, les deux familles les plus puissantes, les Orsini et les Colonna, sont l'incarnation de ces factions. Contrairement à ce qui se produit dans les autres cités, à Rome, les parties en cause ne se structurèrent jamais et n'eurent pas d'organes fixes ; elles restèrent à l'état d'alliances personnes et de familles, et ne donnèrent pas non plus naissance à des phénomènes d'exclusion politique. Cependant, les gouvernements populaires ne réussirent jamais à agréger la totalité du
    popolo. Au contraire, les deux sénateurs, bien qu'aristocrates, continuaient à être considérés comme des éléments d'équilibre, et le régime bicéphale assurait un sénateur à chacune des deux factions. Le pape, enfin, restait pour tous le seigneur au-dessus des parties. Cola tenta de combattre les barons, mais celui qui le suivait dans sa politique entrait facilement en conflit avec la faction baronniale à laquelle il appartenait pour des raisons immédiates et concrètes, comme la simple localisation de sa maison. De plus, le riche marchand n'avait pas nécessairement conscience du fait que ses intérêts personnels étaient opposés à ceux des barons, parce qu'il admirait ces derniers, de beaux chevaliers qui menaient un style de vie que, si ses deniers le lui avaient permis, il aurait voulu garantir à sa propre descendance. Ultime paradoxe, les commandants de l'armée étaient tous des barons, parce que les autres groupes sociaux n'étaient pas habitués à porter les armes, alors qu'on leur reconnaissait une indiscutable maestria et une suprématie très nette dans le rione, circonscription de recrutement militaire. C'est parmi les seigneurs dont il voulait détruire la puissance que Cola dut choisir les chefs de son armée. Lui aussi, en agissant de cette manière, se trouva pris dans le jeu des factions, ce qui allait le conduire à l'échec.
    Cola, fier de ses origines populaires, avait pris le titre de tribun, qui avait été, dans la Rome antique, celui des magistrats de la plèbe. Mais deux mois étaient à peine passés que déjà l'homme du peuple s'était fait adouber chevalier, comme les notables romains. Le très noble seigneur Nicola di Rienzo rêvait, en ces jours, de devenir prince et empereur.
    " (pp.33-42)
    -Tommaso Di Carpegna Falconieri, Il se voyait déjà Empereur. Cola Di Rienzo, un Romain au Moyen-Age, Grenoble, UGA Éditions, 2019, 330 pages.




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