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    Jean Baudrillard et « La question du pouvoir » en 1977

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Jean Baudrillard et « La question du pouvoir » en 1977 Empty Jean Baudrillard et « La question du pouvoir » en 1977

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 30 Nov - 20:38

    http://www.larevuedesressources.org/jean-baudrillard-et-la-question-du-pouvoir-en-1977,1739.html

    "En effet, peut-on encore appeler pouvoir quelque chose qui est diffracté à ce point ? On peut dire que la notion de pouvoir est la dernière fable qui se raconte chez Foucault. C’est un terme qui reste transcendant à son champ d’analyse, il reste malgré tout une structure fondamentale. Et cette structure, elle a beau être micro, ça veut toujours dire qu’il y a des manipulés et des manipulants, des dominés et des dominants, etc. La structure du pouvoir comme définition demeure belle et bien. Simplement elle est passée dans un pointillé extraordinaire au lieu d’être centralisée quelque part. Il y a certainement là un progrès de l’analyse marxiste, mais l’analyse au sens radical du terme, c’est-à-dire analyser, dissoudre le concept de pouvoir, n’est pas faite chez Foucault. Le concept de pouvoir n’est pas soumis à la même généalogie que tout le reste. C’est la dernière parade, mais qui reproduit quand même la structure, ou la mythologie du pouvoir, même sous sa forme subtile, moléculaire. Et ici, on pourrait faire à Deleuze ou Lyotard le même procès sur le plan du Désir. L’idéologie-désir qui prend ses attaches dans la psychanalyse sous une forme cadrée, massive, même si elle en est dérivée, mûrit dans l’antipsychanalyse deleuzienne sous forme de désir diffracté, schizé, nomade, en ballade… Le désir reste toujours une acception pleine. Et le pouvoir, chez Foucault, c’est la même opération. Ce qui était analysé, massif, axial chez les autres, devient complètement disséminé, éclaté,mais reste tout de même cette conception structurelle du pouvoir ! Bon, c’est vrai qu’il est pulvérisé le pouvoir mais, à mon avis, Foucault ne mesure pas ce qu’il peut y avoir, pas seulement de pulvérisé, mais encore de pulvérulent, de foutu. Ou il n’y a plus, ou il se passe quelque chose entre la mort et le pouvoir qu’il ne peut plus alors analyser en ces termes."

    "Chez Foucault, on n’est jamais très loin d’une instance déterminante, il n’y a pas de pièges puisqu’on vient de voir qu’il ne pose pas la question de l’origine ni de la finalité du pouvoir. Mais le Pouvoir est là, toujours en tant que structure donnée. On se demande : qu’est-ce qu’il fait encore là, ce truc ? Bon, cette structure, on ne peut pas la prendre à revers puisqu’elle a été centralisée, puis diffractée. Et puis, demeure toujours l’idée que ce Pouvoir devrait quand même disparaître. Je dirais que ça fait partie de la connotation même de Pouvoir. Toutefois, il n’y a rien chez Foucault qui te permette de penser à une quelconque réversion du Pouvoir. Cette structure reste et elle ne peut que rester structurelle. De même, si tu veux, chez Deleuze il reste le désir comme idée-force. Ca se pose en termes d’intensité et d’énergétique. Foucault , lui, fait au moins l’économie du Désir. Il n’en a pas besoin mais, encore une fois, le Pouvoir persiste comme secteur structurel."

    "Selon moi, du pouvoir, il n’y en a pas. Que serait de l’impouvoir qui s’opposerait à du pouvoir ? Là où il y a structure de pouvoir, réversiblement et dans le même instant, elle se détruit elle-même. Toute accumulation est reprise aussitôt par une désaccumulation, toute structure de pouvoir est minée d’emblée. Au fond, toute structure cherche sa propre mort, y compris celle du pouvoir. Partout, et pas seulement dans des groupes, particuliers, des minorités. Autrement dit, le pouvoir n’est jamais une structure unilatérale, comme ce qui peut se dégager encore de chez Foucault. Le pouvoir, ça s’échange. Il parcourt un cycle où il peut se « réversibiliser », c’est-à-dire passer par tout un dispositif incroyable et un processus complexe de séduction qui fait qu’il n’y a pas, en fait, de dominés d’un côté, de dominants de l’autre. Un peu comme la victime et son bourreau. Il y a toujours une circularité de pouvoir qui s’échange. Et ça n’existe que comme ça. Aussi, quand il n’y a plus de circularité minimum, on ne suppose même pas le pouvoir. Et aujourd’hui, dans cette absence de circularité symbolique minimum, le pouvoir disparaît. Y’en a plus ! Le pouvoir, c’est aussi — mais dans une représentation parfaitement rationnelle en tant que structure polaire — quelque chose qui s’échange symboliquement, c’est-à-dire qui parcourt un cycle où tout le monde est pris et où la séduction est beaucoup plus puissante que les rapports de force."

    "On fait toujours du pouvoir quelque chose d’irréversible ! En principe, il est immortel (comme la production) ; il est structurel, monolithique, il se reproduit, il s’accumule… On ne manque jamais de relier l’irréversible au pouvoir : la production, la croissance, etc. Mais injecte la moindre dose de réversibilité dans toutes nos institutions et tout devient intenable."

    "Il y a tellement de définitions possibles de la séduction ! Disons que, dans le sens commun, la séduction passe dans l’idéologie et qu’elle est envisagée, au fond, comme un principe idéologique de camouflage des rapports de force. C’est-à-dire que le pouvoir se reproduirait à travers de la séduction. On ne peut pas, en tout cas, en donner une explication psychanalytique car elle ne fait rien de la séduction, elle l’explique en termes d’économie, d’investissement, de libido, de rapports énergétiques. A mon sens, elle est ce lieu où il serait impossible de repérer un objet et un sujet, un pôle actif et un pôle passif. C’est donc une force oui, mais qui exclut toute manipulation unilatérale."

    "Voilà peut-être, en effet, le secret : savoir que le pouvoir n’existe pas ! Ca confère une immoralité et une efficacité extraordinaires. On l’avait dit pour les Papes qui savaient que Dieu n’existait pas au contraire de toute la poulaille chrétienne. On l’a dit aussi pour les banquiers qui savent eux que l’argent n’existe pas, que l’argent ça ne se possède pas. Le piège serait de s’identifier à un élément, d’en avoir le monopole et de croire que le pouvoir est fondé là-dessus. Pas du tout ! Les vrais politiques doivent savoir que c’est l’inverse. C’est sur le vide, le creux central, que s’organise le pouvoir ! Le politique, quand il a une vraie valeur, c’est sur le mode symbolique : l’existence du vide. Alors que tous les autres naviguent sur du plein, du rapport de forces… Ca, c’est naïf !"
    -Jean Baudrillard, "La question du pouvoir", Dérive n°5/6, 1er mai 1977.


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