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    Colleen McCullough, Les Lauriers de Marius et La Revanche de Sylla

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Colleen McCullough, Les Lauriers de Marius et La Revanche de Sylla Empty Colleen McCullough, Les Lauriers de Marius et La Revanche de Sylla

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 9 Aoû - 19:30

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Colleen_McCullough

    https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Amour_et_le_Pouvoir

    https://fr.1lib.fr/book/12096768/3e8f05

    "À la fin du IIe siècle av. J.-C., les membres de la noblesse romaine ont le plus souvent trois noms. Dans l’ordre : le prénom (praenomen), le nom de famille (nomen gentilicium) et le surnom (cognomen). Dès cette époque, l’usage du surnom (cognomen) se généralise dans toutes les classes. Il devient même héréditaire et permet de distinguer les multiples branches d’une lignée (gens). À l’origine, le cognomen souligne une particularité, souvent physique, d’un des représentants de cette lignée (par exemple, Ahenobarbus signifie « barbe de bronze »). Caius Marius, qui n’était pas de naissance noble, ne se vit jamais accorder de cognomen. Toutefois, il était possible d’ajouter à un premier cognomen, commun à une branche, un second qui rappelait une action d’éclat (militaire ou politique, le plus souvent) : ainsi Quintus Caecilius Metellus se fait-il appeler Numidicus après sa campagne contre Jugurtha en Numidie.

    Les femmes, d’une manière générale, n’ont pas de praenomen à proprement parler : elles portent le nomen de leur père au féminin (par exemple : Julia, fille de Caius Julius César ou Aurelia, fille de Lucius Aurelius Cotta)."

    "Exception faite de ce frère avisé, les César avaient une fâcheuse tendance à avoir plusieurs fils et, surtout, à refuser de faire adopter quelques-uns de leurs rejetons mâles, ou à veiller à ce qu’ils fassent de riches mariages. Pour cette raison leurs vastes domaines s’étaient réduits, au fil des siècles et des partages successifs, en parcelles de plus en plus petites, pour garantir l’avenir de deux et trois fils. Sans parler des ventes afin d’assurer la dot des filles.

    De ce point de vue, l’époux de Marcia était un César typique – un père trop fier de ses fils, trop esclave de ses filles, pour se montrer raisonnable au sens romain du mot. Très tôt, l’aîné aurait dû être adopté, les deux Julia promises chacune en mariage à un homme riche, le cadet fiancé à une héritière. Seul l’argent rendait possible une carrière politique. Depuis longtemps déjà, avoir du sang patricien représentait un handicap."

    "Les auspices étaient mauvais. Quatre éclairs sur la droite, et un hibou qui poussait des cris comme si on l’égorgeait. Et maintenant, la pluie ! Ce sera une mauvaise année, ou de mauvais consuls."

    "Caius Marius. Ancien préteur, il portait la toge bordée de pourpre et, sur ses chaussures rouge sombre, la boucle en forme de croissant. Il avait occupé sa charge cinq ans auparavant, et aurait dû être consul deux ans après. Mais il savait que jamais on ne lui permettrait de poser sa candidature. À cela, une seule raison – on l’en jugeait indigne. Qui avait jamais entendu parler de la famille des Marius ? Personne.

    Caius Marius était un parvenu sorti de la campagne, c’est-à-dire du néant, un militaire, dont on disait qu’il ignorait le grec ! Quant à son latin, sa langue natale, il était chargé d’inflexions rurales. Peu importait qu’il pût acheter ou vendre la moitié du Sénat ; peu importait que, sur le champ de bataille, il les surpassât tous. Seul le sang comptait. Et le sien ne valait rien.
    Caius Marius venait d’Arpinum. Cette ville, assez proche de Rome, certes, était dangereusement située près de la frontière entre le Latium et le Samnium, et par conséquent toujours un peu suspecte : de tous les peuples italiques, les Samnites avaient été les ennemis les plus acharnés des Romains. Les habitants de la ville n’avaient donc reçu que tardivement – soixante-dix-huit ans plus tôt – la pleine citoyenneté romaine.
    Et pourtant, elle était si belle ! Blottie dans les collines au pied de l’Apennin, dans une vallée prospère où coulaient à la fois le Liris et la Melfa, où poussait la vigne, où les récoltes étaient abondantes, les moutons bien gras et la laine étonnamment fine. Paisible. Verte. Endormie. Les cours d’eau regorgeaient de poissons ; les épaisses forêts des montagnes alentour donnaient à profusion du bois de construction pour les maisons et les bateaux. Il y avait des pins, des chênes qui en automne couvraient le sol de glands pour les porcs, qui donneraient ces jambons et ce lard servis sur les tables aristocratiques de Rome.
    La famille de Caius Marius était établie à Arpinum depuis des siècles, et se flattait d’être authentiquement latine. Était-ce un nom volsque ? Samnite ? Non. Lui, Caius Marius, valait n’importe lequel de ces aristocrates trop fiers, qui se plaisaient à le rabaisser. En fait, il leur était supérieur : quelque chose en lui le lui disait. Et cela le faisait souffrir.
    Comment chasser un tel sentiment ? Il y avait très, très longtemps que cette certitude lui était venue. Le temps, les événements lui en avaient montré la futilité. Et pourtant, elle vivait en lui, aussi forte, aussi indomptable qu’au début.
    La moitié d’une vie, déjà."

    "Lors des élections, cinq ans auparavant, il avait été élu en sixième et dernière position comme préteur. Il était désormais trop vieux pour tenter de parvenir au consulat sans s’être fait un nom et une clientèle. Son temps avait passé."

    "Sylla et les deux femmes adoraient le théâtre, mais pas la tragédie grecque, tout en masques, voix grondantes et poésie absconse. Non, ils aimaient la comédie latine, celle de Plaute ou de Térence, et par-dessus tout la niaiserie sans prétention des spectacles de mimes, avec ses catins dévêtues, ses idiots balourds, ses pets sonores, ses mauvais tours, ses intrigues absurdes tirées d’un répertoire traditionnel exploité au gré de l’inspiration du moment. Des croupes frétillantes s’ornaient de grandes marguerites ; un simple mouvement du doigt était plus éloquent que tous les discours ; des beaux-pères à qui on avait bandé les yeux prenaient des seins pour des melons mûrs ; les adultères étaient ridicules et les dieux pris de boisson : rien n’était sacré pour Mimus.
    Le trio s’était lié d’amitié avec tous les comédiens et les dramaturges de Rome, et ne jugeait satisfaisante aucune de ses soirées si aucune célébrité n’était là. À leurs yeux, le théâtre tragique n’existait pas. En cela, ils étaient bien des Romains, pour qui rien ne valait un bon éclat de rire."

    "Sylla ne détestait pas se travestir.
    Il avait choisi d’incarner Méduse la Gorgone, allant jusqu’à se coiffer d’une perruque de petits serpents bien vivants, ce qui faisait hurler de terreur l’assistance chaque fois qu’il agitait la tête. Sa belle-mère s’était déguisée en singe, et faisait des entrechats dans un costume velu, les fesses peintes en bleu."

    "La vérité était pourtant que Lucius Cornelius Sylla, que les censeurs, au vu de ses revenus, avaient classé dans les capite censi – tous ceux qui, à Rome, ne possédaient rien – était patricien, fils de patricien, petit-fils de patricien, en un mot sa lignée remontait aux temps de la fondation de Rome. Sa naissance lui permettait d’accéder à tous les échelons du cursus honorum, et même au consulat.

    Sa tragédie, c’était le manque d’argent, la totale incapacité de son père de lui assurer les revenus nécessaires pour être enrôlé ne serait-ce que dans la dernière des cinq classes économiques ; il ne lui avait légué que la simple citoyenneté. Aussi la bande pourpre ornant la tunique des sénateurs lui était-elle interdite, comme celle, moins large, des chevaliers. Ceux qui le connaissaient avaient bien ri en l’entendant affirmer que sa tribu était celle des Cornelius : car c’était l’une des plus anciennes, parmi les trente-cinq que comptait Rome, et elle ne comprenait aucun membre appartenant aux capite censi. À l’occasion de son trentième anniversaire, Sylla aurait dû entrer au Sénat, soit comme questeur élu, approuvé par les censeurs, soit de par sa naissance. Et voilà qu’il servait de jouet à deux femmes vulgaires, sans aucun espoir de faire reconnaître jamais ses droits. Ah, pouvoir se présenter devant le tribunal des censeurs, sur le Forum, et leur montrer les preuves établissant qu’il avait un revenu d’un million de sesterces par an ! Car tel était le minimum nécessaire pour être sénateur. Ou même, quatre cent mille sesterces, de quoi être reconnu chevalier ! En réalité, il ne possédait rien, et ses revenus n’avaient jamais dépassé dix mille sesterces, même depuis qu’il était entretenu par Clitumna et Nicopolis. À Rome, on était pauvre quand on n’avait pas de quoi s’acheter un esclave, ce qui lui était déjà arrivé plus d’une fois. Lui, un patricien de la famille des Cornelius."

    "Sylla ne pouvait même pas s’enrôler comme soldat : il fallait pour cela être propriétaire. Sa naissance lui aurait donné le droit de commander une armée ; et pourtant Sylla n’était jamais monté à cheval, n’avait jamais tenu d’épée, jamais manié la lance, même sur les terrains d’exercice entourant la Villa Publica sur le Champ de Mars. Lui, un patricien de la famille des Cornelius.

    Peut-être, s’il était allé supplier un lointain parent, aurait-il pu arranger les choses grâce à un prêt. Mais son orgueil, s’il ne l’empêchait pas de se soumettre à deux femmes vulgaires, lui interdisait une telle démarche. Car il n’y avait plus de Cornelius de la lignée des Sylla. Mieux vaut n’être rien, ne rien posséder, que d’être quelqu’un et de geindre sous le poids des obligations imposées par un emprunt. Lui, un patricien de la famille des Cornelius."

    "L’argent. Il gouvernait le monde. Sans lui, on n’était rien. Comment s’étonner dès lors qu’un homme saisisse la moindre occasion de se hisser jusqu’à une position où il aurait une chance de s’enrichir ? Pour y parvenir en entrant dans la course politique, il fallait d’abord se faire élire préteur ; dès lors, la fortune était au rendez-vous, et les années de débours finissaient par payer. S’en aller gouverner une province, où l’on a tout pouvoir, était tout à fait recommandé. Mieux encore : mener une petite guerre contre une tribu barbare installée aux frontières permettait de s’emparer de son or et de ses trésors sacrés, de vendre les captifs en esclavage, et d’empocher ainsi un joli magot. Si toutefois les perspectives militaires étaient bloquées, il restait bien d’autres moyens : le trafic des grains et autres marchandises de base, le prêt à des taux usuraires (quitte à envoyer des hommes de troupe récupérer l’argent), la falsification des livres de comptes relatifs aux impôts, la vente de la citoyenneté romaine, les pots-de-vin à propos de tout et de rien, des contrats d’État aux exemptions de tribut.

    L’argent. Comment en trouver ? Comment en avoir assez pour entrer au Sénat ? Des rêves, Lucius Cornelius Sylla ! Des rêves !"

    "Les censeurs ne disposaient pas de l’imperium, pas plus que les édiles plébéiens, les questeurs ou – ce qui était très important pour Jugurtha – les tribuns de la plèbe. Ceux-ci étaient les représentants élus des plébéiens, c’est-à-dire de tous ceux qui, à Rome, ne pouvaient se prévaloir du titre de patricien auquel seul pouvaient prétendre les anciens aristocrates dont les familles comptaient parmi les fondatrices de la cité. Quatre siècles auparavant, lors de la création de la République, seuls les patriciens avaient eu un rôle à jouer. Mais, à mesure que certains plébéiens acquirent argent et pouvoir, et se frayèrent un chemin vers le Sénat, ils voulurent, eux aussi, être considérés comme des aristocrates. Le nobilis, le noble, en était le résultat. Il venait se confondre avec le patricien au sein d’une double aristocratie. Pour être noble, il suffisait d’appartenir à une famille qui avait compté au moins un consul – et rien ne pouvait empêcher un plébéien de parvenir au consulat. La plèbe avait sa propre assemblée : aucun patricien ne pouvait y prendre part, ni voter. Et elle était devenue si puissante que presque toutes les lois sortaient de ses délibérations.

    Dix tribuns de la plèbe, élus, étaient chargés de défendre ses intérêts. Ils étaient renouvelés tous les ans. C’était là le pire défaut du système de représentation romain : les magistrats ne servaient que pour une année, on ne pouvait en acheter un qui durât assez longtemps pour rendre vraiment service. Chaque année, il fallait recommencer, et ordinairement en soudoyer plusieurs.

    Non, un tribun de la plèbe ne disposait pas de l’imperium, ce n’était pas un magistrat de haut rang et, en apparence, il ne semblait pas avoir beaucoup d’importance. Et pourtant, c’est entre ses mains que reposait le véritable pouvoir, car lui seul avait droit de veto. Un tel privilège touchait tout le monde ; personne n’en était exempt, à la seule exception d’un dictateur – et il n’y avait plus eu de dictateur depuis un siècle. Un tribun de la plèbe pouvait exercer ce droit contre un censeur, un consul, un préteur, le Sénat, ses neuf collègues, les assemblées, les élections, tout ce qu’on voulait. Sa personne était par ailleurs considérée comme sacrée, c’est-à-dire qu’on ne pouvait physiquement l’empêcher de remplir ses fonctions. De surcroît, il rédigeait les lois, ce que même le Sénat n’était pas en mesure de faire ; il ne pouvait cependant qu’en recommander le vote."

    "Jugurtha s’acheta donc un tribun de la plèbe. Un homme sans importance, à vrai dire, ni membre des Grandes Familles, ni même riche. Toutefois, Caius Baebius avait été élu régulièrement, et quand on versa, sur la table devant lui, un flot de deniers d’argent, il les entassa en silence dans de grands sacs et devint la chose du roi de Numidie."

    "S’il ne devenait pas préteur, jamais il ne pourrait commander une armée romaine.

    Marius se présenta donc à l’élection du tribun des soldats, qu’il remporta aisément, puis à celle de questeur, fut approuvé par les censeurs et se retrouva membre du Sénat de Rome, lui, le rustaud italique qui ne parlait même pas le grec ! Assez bizarrement, c’était l’appui de Caecilius Metellus qui lui avait ensuite permis d’être élu tribun de la plèbe lors de la terrible période de réaction qui suivit la mort de Caius Gracchus. Puis Lucius Caecilius Metellus Dalmaticus tenta de faire passer une loi limitant le droit de l’Assemblée plébéienne à légiférer, et Caius Marius y opposa son veto. Et rien ne put le décider à le retirer.

    Mais cela lui avait coûté très cher. Après avoir achevé son mandat annuel de tribun de la Plèbe, il voulut se porter candidat aux deux postes d’édiles plébéiens, mais se heurta aux partisans des Metellus. Ensuite, il avait fait campagne pour la préture et s’était de nouveau affronté à eux. Toujours dirigés par Metellus Dalmaticus, ils avaient eu recours aux procédés diffamatoires habituels – il était impuissant, il violait des petits garçons, il se nourrissait d’excréments, il appartenait à des sociétés secrètes d’inspiration bachique ou orphique, il acceptait tous les pots-de-vin, il couchait avec sa mère et sa sœur. Ils avaient toutefois, de façon plus efficace, fait vibrer une corde sensible : ils affirmèrent que Caius Marius n’était pas romain, qu’il était un paysan parvenu, que Rome avait assez de fils pour ne pas avoir à voter pour lui.

    Paradoxalement, ce qui l’exaspérait le plus, c’étaient les calomnies selon lesquelles il était inculte au point de ne pas savoir le grec. C’était faux. Il est vrai que ses précepteurs en ce domaine avaient été des Grecs d’Asie qui parlaient avec un fort accent. C’est pourquoi Caius Marius avait appris l’idiome avec des inflexions qui accréditaient la thèse de son ignorance. S’avouant vaincu, il refusa désormais de parler la langue qui désignait un homme ayant reçu une bonne éducation.

    Qu’importe. Il était arrivé dernier des préteurs, mais il y était arrivé. Et il avait survécu, par la même occasion, à une accusation de corruption portée contre lui juste après les élections. Corruption ! Comme s’il en avait eu les moyens ! Non, à cette époque il n’avait pas encore l’argent nécessaire. Mais, fort heureusement, il y avait parmi les électeurs assez de gens qui connaissaient ses talents militaires, ou qui en avaient entendu parler.

    Le Sénat l’avait éloigné en le désignant comme gouverneur d’Ibérie Ultérieure. Mais, étant militaire jusqu’à la moelle des os, il sut en tirer parti."

    "Quand il revint d’Ibérie, il venait de se voir proclamé imperator par ses troupes, ce qui lui permettait de demander au Sénat le droit au triomphe : eu égard à tout ce qu’il avait versé à l’État, les sénateurs ne purent qu’accepter de satisfaire les vœux de la troupe. Il monta donc à bord de l’antique char de cérémonie et suivit le trajet traditionnel des défilés de triomphe. Il se prit à rêver d’être élu consul dans les deux ans. Lui, Caius Marius, d’Arpinum, méprisable rustaud qui ne savait pas le grec, serait magistrat suprême de la plus grande ville du monde. Et il retournerait en Ibérie y achever sa conquête, dont il ferait, pour de bon, une province romaine, paisible et prospère. Mais c’était cinq ans plus tôt. Cinq ans ! La faction de Caecilius Metellus l’avait finalement emporté : jamais il ne serait consul."

    "Caius a dit qu’il ne voulait qu’une chose au monde, bien qu’à proprement parler ce ne soit pas un luxe : le droit de choisir son épouse.
    — Grands dieux ! Et tu le lui as accordé ?
    — Mais oui.
    — Et si, comme tous les jeunes gens, il tombe amoureux d’une catin ou d’une vieille truie !
    — Il l’épousera, si tel est son désir. Mais je ne pense pas que Caius soit sot à ce point. Il a la tête sur les épaules.
    — T’es-tu marié comme les patriciens autrefois, confarreatio – pour la vie ?
    — Oui.
    — Grands dieux !
    — Ma fille aînée, Julia, a elle aussi la tête sur les épaules, poursuivit César. Elle a choisi de devenir membre de la bibliothèque de Fannius. J’avais pensé demander la même chose, mais comme il paraissait inutile que nous y soyons inscrits tous les deux, je lui en ai cédé le droit. La plus jeune, Julilla, est hélas ! loin d’être aussi sage, mais sans doute les papillons n’ont-ils pas besoin de sagesse : il leur suffit d’embellir le monde.
    — Qu’a-t-elle demandé ?
    — Oh, ce à quoi nous nous attendions. Gâteries et vêtements.
    — Et toi, privé que tu étais de ton inscription à la bibliothèque ?
    — J’ai choisi la meilleure huile de lampe et les meilleures mèches, et conclu un marché avec Julia. Si je pouvais lire les livres qu’elle empruntait, alors elle pourrait se servir de mes lampes.

    Marius sourit. Ce petit conte moral l’amusait fort, et l’homme qui venait de le lui narrer lui plaisait. Comme il menait une existence heureuse, simple et dépourvue d’envie ! Entouré d’une femme et d’enfants auxquels il cherchait à faire plaisir, qu’il traitait en individus libres d’être eux-mêmes."

    "Caius Marius a besoin d’une épouse de souche patricienne, d’une famille dont l’intégrité et la dignitas soient aussi irréprochables que le rang, dit-il. Il aurait dû être élu consul il y a trois ans, mais les Caecilii Metellii l’en ont empêché, et un Homme Nouveau, marié à une Campanienne, n’avait pas les relations familiales nécessaires pour se dresser contre eux. Notre Julia contraindra Rome à le prendre au sérieux. En retour, Caius Marius remédiera à nos difficultés financières."

    "Tout le monde l’affirmait, la Subura était l’égout de Rome. Aussi Bomilcar s’y rendit-il, sobrement vêtu et sans le moindre esclave pour l’accompagner. Comme tout visiteur de marque venu à Rome, il avait été prévenu de ne jamais s’aventurer dans la petite vallée au nord-est du Forum, et maintenant il comprenait pourquoi.

    Ce qui distinguait avant tout la Subura, c’était la foule – plus de gens que Bomilcar n’en avait jamais vu. Ils se penchaient à des millions de fenêtres pour se hurler des injures, se frayaient un chemin à coups de coude dans une telle cohue que tout déplacement prenait une allure d’escargot, se comportaient de toutes les manières brutales et agressives connues de l’humanité, crachaient, pissaient, vidaient leurs pots de chambre là où l’envie leur en prenait, et se montraient prêts à se battre avec quiconque osait les regarder de travers.

    La seconde impression était celle d’une saleté universelle, d’une puanteur insupportable. Les murs des bâtiments, pelés et décrépis, suintaient, comme si briques et poutres regorgeaient de crasse. Pourquoi donc, se demanda Bomilcar, ne pas avoir laissé le quartier brûler l’année précédente ? Rien, ni personne, dans la Subura, ne valait la peine d’être sauvé ! Puis, à mesure qu’il avançait, en prenant soin de ne pas quitter la Subura Major – tel était le nom de la rue principale –, le dégoût céda la place à l’étonnement. Car il commençait à percevoir la vitalité et la vigueur des habitants et à faire l’expérience d’une allégresse qui dépassait sa compréhension.

    Les gens parlaient un argot sans doute incompréhensible à quiconque n’était pas de la Subura, mélange bizarre de latin, de grec, parfois d’araméen. Il n’avait jamais rien entendu de tel. Il y avait des boutiques partout, de petites gargotes fétides qui, apparemment, ne désemplissaient pas, des boulangeries, des charcuteries, des débits de boisson, et de minuscules échoppes où l’on vendait tout et n’importe quoi, du fil aux marmites, aux lampes et aux chandelles de suif. Deux tiers de ces boutiques, cependant, étaient consacrées à l’alimentation. Il y avait aussi des entreprises : il entendait le bruit sourd des presses, le ronflement des meules, ou le claquement des métiers à tisser, mais ces bruits venaient de couloirs étroits et de ruelles voisines. Comment survivait-on ici ?"

    "Il mourut pour avoir pris froid, et chacun put voir alors combien il était aimé. Quintus Gavius Myrto ne connut pas l’infamie des puits de chaux au-delà de l’Agger, sort réservé aux pauvres : il eut droit à une procession digne de ce nom, à des pleureuses professionnelles, à un éloge, à un bûcher parfumé de myrrhe, d’encens, de baume de Jéricho, et à une superbe pierre tombale pour abriter ses cendres. Les gardiens des registres des décès du temple de Vénus Libitina reçurent leur obole."

    "Pourquoi crois-tu que ses banquiers boivent toutes ses paroles, comme si elle était Cornelia, la mère des Gracques ?"

    "Il eut un pressentiment d’une terrible intensité, comme un spasme ; l’avenir s’ouvrit pour lui montrer quelque chose, mais se referma trop vite pour qu’il puisse voir quoi."

    "Ils étaient dans l’enceinte du temple de Tellus, sur les Carinae, qui se trouvait à côté de la demeure de Rutilius Rufus et, en cette venteuse journée d’automne, offrait un peu de soleil. Ce sera parfait, avait-il expliqué en guidant son visiteur vers un banc de bois.

    Le temple lui-même était vaste, mais en assez triste état.
    — On néglige trop nos vieilles divinités, de nos jours, et surtout Tellus, avait-il poursuivi tandis qu’ils s’asseyaient. Tout le monde est bien trop occupé à se prosterner devant cette Magna Mater venue d’Asie, pour se souvenir que Rome est mieux servie par sa propre déesse de la Terre !

    C’était pour dissiper le malaise que faisait naître la plus vieille et la plus mystérieuse des déesses du panthéon romain que Caius Marius avait choisi de faire allusion à sa rencontre avec le jeune homme."

    "Si, malgré une expérience très limitée des jeunes personnes de seize ans, je suis capable d’envisager toutes ces possibilités, tu devrais le pouvoir aussi !"

    "Trouver des troupes se révéla beaucoup plus difficile. Les recruteurs n’épargnèrent aucun effort. On oublia plus d’une fois que, pour être soldat, il fallait être propriétaire : des hommes qui n’avaient pas les ressources nécessaires, mais voulaient servir, furent précipitamment enrôlés. Des vétérans furent tirés de leur retraite – ce qui ne fut pas très difficile, car souvent cet état ne convenait guère à des hommes qui avaient passé dix saisons sous les aigles, même si, au regard de la loi, ils ne pouvaient plus être rappelés.

    Finalement, Marcus Junius Silanus partit pour la Gaule Transalpine à la tête d’une véritable armée, forte de sept légions complètes, ainsi que d’une puissante cavalerie, composée de Thraces mêlés à des Celtes venus des régions les plus sûres de la province romaine de Gaule. On était fin mai. En huit semaines, Rome avait recruté, armé, et commencé d’entraîner une armée de cinquante mille hommes, cavaliers et non-combattants compris. Seul un adversaire aussi terrifiant que les Germains avait pu stimuler un effort aussi héroïque."

    "Je n’ai pas à rendre compte de mes actions. Je peux dire ou faire ce que bon me semble dans les limites de ce foyer. Aucune loi du Sénat, du Peuple de Rome, ne se dresse entre moi et mon autorité sur ma maisonnée, ma famille. Car les Romains ont conçu leurs lois de telle façon que la lignée soit au-dessus de toutes, exception faite de celle du pater familias. Si mon épouse est adultère, Julilla, je peux la tuer ou la faire tuer. Si mon fils se rend coupable de turpitude morale, de lâcheté, de tout acte infamant, je peux le tuer ou le faire tuer. Si ma fille attente à la chasteté, Julilla, je peux la tuer ou la faire tuer. Si l’un quelconque des membres de ma maison – de mon épouse à mes enfants en passant par ma mère et mes domestiques – transgresse les limites de ce qui me paraît être une conduite décente, je peux le tuer ou le faire tuer."

    "Son humeur s’en ressentit, et il fut bientôt à bout de patience."

    "Quand elle entra, elle était vêtue de pourpre, honneur rarement accordé à ceux qui n’étaient pas membres de la famille royale. Une vieille femme toute menue, desséchée, qui empestait l’urine, et dont la chevelure n’avait pas dû être lavée depuis des années. Elle avait un grand nez mince et crochu, dominant un visage sillonné de mille rides, des yeux noirs aussi farouches que ceux d’un aigle. Ses seins s’étaient effondrés sur sa poitrine, et oscillaient sous le mince caraco tyrien qu’elle portait au-dessus de la taille. Un châle était noué autour de ses hanches, ses mains et ses pieds étaient presque noirs de henné, et elle faisait sonner en marchant une myriade de clochettes, de bracelets, d’anneaux, tous d’or massif. Un voile de mousseline tyrienne, maintenu en place par un gros peigne d’or, lui tombait sur la nuque comme un drapeau un jour sans vent."

    "Autre rouleau brandi devant Marius :

    — Le Sénat me notifie qu’il vient d’annuler la lex Sempronia de Caius Gracchus limitant le nombre de campagnes qu’un homme doit accomplir au service de Rome. Excellent ! Nous pourrons rappeler des milliers de vétérans si nécessaire !

    — C’est une très mauvaise idée, rétorqua Marius. Si un vétéran, à l’issue de dix années ou six campagnes, désire se retirer, il doit pouvoir le faire sans craindre d’être encore appelé. Quintus Caecilius, nous portons tort aux petits propriétaires ! Comment quelqu’un pourrait-il quitter sa ferme, pour ce qui peut être maintenant vingt ans de service actif, et espérer qu’elle prospérera en son absence ? Comment aura-t-il des fils pour prendre sa place, sur ses terres ou à l’armée ? C’est de plus en plus son épouse qui doit veiller sur ses biens, et les femmes n’en ont ni la force, ni la capacité. Nous devrions chercher des soldats ailleurs – et leur épargner les mauvais généraux !

    — Caius Marius, il ne te revient pas de critiquer la sagesse des plus illustres de nos gouvernants, répondit Metellus, lèvres pincées. Pour qui te prends-tu ?

    — Je crois que tu me l’as dit il y a longtemps, Quintus Caecilius. Un rustaud italique qui ne parle même pas le grec, si je me souviens bien. C’est peut-être vrai. Cela ne m’empêche pas pour autant d’émettre des commentaires sur ce qui me paraît être une très mauvaise idée. Nous – et quand je dis « nous », je veux parler du Sénat, dont je ne fais pas moins partie que toi ! –, provoquons la disparition de toute une classe de citoyens parce que nous n’avons ni le courage ni la présence d’esprit de nous débarrasser des prétendus généraux dont nous sommes accablés depuis un certain temps ! Il ne faut pas gaspiller le sang des soldats romains, Quintus Caecilius !

    Marius se leva, et vint se pencher par-dessus le bureau du consul, avant de poursuivre :

    — Quand nous avons mis sur pied une armée, à l’origine, c’était pour des campagnes en Italie même ; les hommes pouvaient rentrer chaque hiver, s’occuper de leurs fermes, avoir des fils. Mais aujourd’hui, quand ils s’enrôlent ou sont appelés, on les envoie outre-mer, et la campagne, au lieu de se limiter à l’été, dure des années, pendant lesquelles il leur est impossible de rentrer, si bien que pour en accomplir six, il leur faut passer douze ou quinze ans dans l’armée, loin de chez eux ! Caius Gracchus avait fait voter une loi pour essayer d’empêcher cela, et pour que les petits domaines ne soient pas la proie des spéculateurs !

    Il jeta à Metellus un regard ironique :

    — Mais, Quintus Caecilius, j’oublie que tu es l’un de ces spéculateurs ! Et que tu adores voir ces terres tomber dans ton escarcelle pendant que des hommes qui devraient rester chez eux périssent au loin par suite de l’avidité et de l’insouciance des aristocrates !"

    "Et les gens se demandaient : serait-ce vraiment une bonne chose pour Rome que Caius Marius, Homme Nouveau, fût élu consul ? C’était un risque… Certes, sa femme était une Julia. Certes, ses états de service faisaient honneur à la cité. Certes, il était assez riche pour rester insensible à la corruption. Mais qui l’avait déjà vu dans un prétoire ? Qui l’avait entendu parler des lois et de leur rédaction ? N’avait-il pas semé le trouble, longtemps auparavant, au sein du collège des tribuns de la plèbe, quand il s’était opposé à tous ceux qui savaient mieux que lui ce qui convenait à Rome ? Et son âge ! Il aurait la cinquantaine en devenant consul, charge qui n’est guère faite pour les vieillards."

    "Et un client ne restait pas au lit avec sa femme aux petites heures du jour ; il s’en venait, dès potron-minet, offrir ses services à son protecteur. Celui-ci pouvait le congédier courtoisement, lui demander de l’accompagner au Forum pour traiter d’affaires publiques ou privées, ou le charger d’une tâche quelconque."

    "Les dix nouveaux tribuns de la plèbe entrèrent en fonction le troisième jour avant les ides de décembre, et Titus Manlius ne perdit pas de temps : il présenta aussitôt à l’Assemblée de la Plèbe un projet de loi visant à ôter à Quintus Caecilius Metellus le commandement des opérations militaires en Afrique, pour le confier à Caius Marius.

    — Le Peuple est souverain ! déclara-t-il devant la foule. Le Sénat est son serviteur, et non son maître ! S’il entend accomplir ses devoirs en témoignant au Peuple de Rome du respect qui lui est dû, qu’il continue ! Mais, quand il veut protéger ses chefs aux dépens du Peuple, qu’on l’en empêche ! Quintus Caecilius Metellus a fait la preuve de son incapacité. Pourquoi diable le Sénat a-t-il prorogé son commandement pour l’année qui vient ? Avec Caius Marius, régulièrement élu consul, le Peuple de Rome a enfin un dirigeant digne de ce nom. Mais ceux qui dominent le Sénat diront : Caius Marius est un Homme Nouveau, un parvenu, un rien du tout ! Même pas un noble !

    La foule approuva avec enthousiasme ; Mancinus était bon orateur. En outre, cela faisait un certain temps que la Plèbe n’avait pas croisé le fer avec le Sénat, et nombre de ses dirigeants craignaient de perdre de leur influence. Ce jour-là, tout joua en faveur de Caius Marius : l’opinion générale, le mécontentement des chevaliers, l’humeur des tribuns de la plèbe, tous résolus à en découdre, sans qu’aucun d’eux se range au côté des sénateurs.

    Ceux-ci ne restèrent pas sans réagir, et envoyèrent à l’Assemblée leurs meilleurs orateurs d’origine plébéienne, parmi lesquels Lucius Caecilius Metellus Dalmaticus, Pontifex Maximus, qui défendit passionnément son frère cadet, ainsi que le consul Lucius Cassius Longinus. Marcus Aemilius Scaurus aurait peut-être pu retourner la situation ; mais étant patricien, il lui était interdit de prendre la parole devant l’Assemblée de la Plèbe. Contraint de rester hors des débats, il ne put qu’écouter, sans pouvoir rien faire.

    Et Caius Marius l’emporta. La campagne de lettres de dénonciation avait rempli son objectif : faire perdre à Metellus le soutien des chevaliers et des classes moyennes, salir son nom, détruire son pouvoir politique. Bien entendu, avec le temps, il s’en remettrait : sa famille était trop puissante. Mais au moment où l’Assemblée de la Plèbe, habilement guidée par Mancinus, lui arracha son commandement en Afrique, sa réputation était devenue plus nauséabonde encore que les auges à cochons de Numance. Et le Peuple vota une loi – à dire vrai, un plébiscite – confiant sa charge à Caius Marius. Une fois qu’elle aurait été gravée sur des tablettes, elle serait placée dans les archives d’un temple, et servirait, à l’avenir, d’exemple et de recours à d’autres gens, qui n’auraient peut-être ni les talents de Caius Marius ni ses bonnes raisons."

    "Pères conscrits, quand nous avons chassé les rois, nous avons renoncé à l’idée d’une armée permanente, entretenue aux frais de l’État. Pour cette raison, nous avons limité l’accès aux forces militaires à ceux qui, propriétaires, avaient assez de ressources pour acheter leur équipement, qu’ils soient romains, latins ou italiques. Ils avaient des terres à défendre, et par conséquent la survie de l’État leur importait. Pour cette raison, nous avons rechigné à nous créer un empire colonial, et refusé plus d’une fois de nous emparer de telle ou telle province. Après la défaite de Persée, toutefois, nos efforts en vue de laisser les Macédoniens libres de décider de leur destin ont échoué. Nous avons donc été contraints de faire de la Macédoine une province romaine, parce que nous ne pouvions nous permettre de voir des tribus barbares en envahir les rivages, si proches des côtes orientales d’Italie. La défaite de Carthage nous a obligés à administrer l’Empire carthaginois en Ibérie, pour ne pas courir le risque de le perdre au profit d’une autre nation. En Afrique, nous n’avons conservé qu’une petite province autour de Carthage, et donné le reste aux rois de Numidie – et voyez ce qui s’est passé ! Nous sommes désormais contraints de reprendre le contrôle de toute la région, pour mettre un terme aux visées de Jugurtha. Voilà où nous en sommes, Pères conscrits : un seul homme se lève, et nous sommes défaits ! Le roi Attalus, à sa mort, nous a légué l’Asie, et nous cherchons à nous soustraire à nos responsabilités là-bas ! Cnaeus Domitius Ahenobarbus a ouvert la côte gauloise entre la Ligurie et l’Ibérie Citérieure pour établir, à l’intention de nos armées, un couloir de sécurité ; mais pour cela, nous avons été obligés de créer une nouvelle province.
    Il s’éclaircit la voix.

    — Nos soldats mènent désormais campagne hors d’Italie. Ils s’absentent pour de longues périodes, doivent négliger leurs terres et leurs biens. Il s’ensuit que les volontaires se font de plus en plus rares, et qu’il nous faut recourir toujours davantage aux levées. Le fermier ou le marchand n’ont aucune envie de partir loin de chez eux cinq, six, ou même sept ans durant ! Et pourtant, après leur démobilisation, ils auront toutes les chances d’être appelés dès que les volontaires feront défaut.

    Pire encore, nombre d’entre eux sont morts au cours de ces quinze dernières années ! Et nul ne les a remplacés ! L’Italie tout entière manque d’hommes avec lesquels on pourrait former une armée de type traditionnel.

    Sa voix résonna parmi les chevrons de la salle, construite du temps du roi Tullius Hostilius :

    — Depuis la seconde guerre contre Carthage, il nous a fallu fermer les yeux sur les exigences de propriété. Il y a six ans, après l’écrasement de l’armée de Carbo, nous avons même admis dans nos troupes des gens qui n’avaient pas de quoi acheter leur propre équipement. Mais c’était là une mesure officieuse, toujours prise en dernier ressort.

    Pères conscrits, cette époque est révolue. Moi, Caius Marius, consul du Sénat et du Peuple de Rome, j’annonce donc à tous les membres de cette assemblée que je compte désormais recruter mes soldats, et non plus les appeler : je veux des hommes qui soient prêts à se battre ! Et où vais-je trouver vingt mille volontaires, me demanderez-vous ? La réponse est simple ! Parmi les capite censi, ceux qui sont trop pauvres pour faire partie des cinq classes, parmi ceux qui n’ont ni argent, ni biens, parmi ceux qui ne se sont jamais vu offrir l’occasion de combattre pour leur pays, de combattre pour Rome !
    Un murmure monta, monta, jusqu’à ce que le Sénat tout entier explosât :
    — Non ! Non ! Non.

    Sans paraître irrité, Marius attendit patiemment. Le vacarme finit par s’éteindre ; les autres, si furieux qu’ils fussent, savaient qu’ils n’avaient pas tout entendu, et la curiosité l’emporta.

    — Vous pouvez hurler tant que vous voudrez ! s’écria Marius quand il put de nouveau se faire entendre. Mais je vous préviens que telle est mon intention ! Au demeurant, je n’ai nul besoin de votre permission ! Aucune loi ne me l’interdit, et d’ici à quelques jours il y en aura une qui m’y autorisera ! Tout magistrat régulièrement élu, et cherchant à recruter une armée, pourra faire appel aux capite censi, aux prolétaires. Car, Pères conscrits, je m’en vais plaider ma cause devant le Peuple !"

    "Les Pères conscrits refusent de donner leur chance à ces milliers et ces milliers d’hommes ! Ils me refusent l’occasion de faire appel à leurs services, à leur loyauté, à leur amour de Rome !
    Et pourquoi ? Parce que les Pères conscrits aiment la cité plus que moi ? Non ! Parce qu’ils lui préfèrent leur propre classe ! Je suis donc venu devant vous, gens du peuple, pour vous demander de me donner – et de donner à Rome – ce que le Sénat m’interdit ! Peuple de Rome, donne-moi les capite censi ! Donne-moi les plus humbles, les plus obscurs ! Donne-moi l’occasion d’en faire des citoyens dont Rome sera fière ! Me l’accorderas-tu ? Accorderas-tu à Rome ce dont elle a besoin ?
    Il y eut des cris, des clameurs, des battements de pied : c’est dans un déferlement sonore que s’effondra une tradition vieille de plusieurs siècles. Neuf tribuns de la plèbe se regardèrent furtivement, et, sans mot dire, convinrent de ne pas opposer leur veto : ils tenaient trop à la vie."

    "J’aimerais pour ma part que l’État se sépare d’une partie des terres publiques pour que chaque prolétaire vétéran, à son départ de l’armée, se voie accorder une petite parcelle de terre, qu’il pourra cultiver, ou vendre. Cela permettrait d’infuser un peu de sang neuf, dont nous avons bien besoin, dans les rangs décimés de nos petits propriétaires ! Pourquoi ne voulez-vous pas voir que Rome ne peut prospérer que si elle consent à partager sa richesse avec le menu fretin autant qu’avec les gros poissons ?"
    -Colleen McCullough, Les Lauriers de Marius, L'Archipel, 2002.





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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 12 Aoû - 14:04

    "L’armée de Marius connut d’autres innovations que son recrutement social. Car les nouveaux venus n’avaient aucune tradition militaire, et demeuraient parfaitement ignorants en ce domaine. Ils n’étaient donc pas en mesure de résister aux changements, ou de s’y opposer. Depuis bien des années, l’unité de base de la légion romaine, cette compagnie d’infanterie qu’on appelait le manipule, présentait un effectif trop réduit pour faire face aux armées, aussi massives qu’indisciplinées, que les légions devaient souvent combattre ; la cohorte – trois fois plus importante – la supplantait peu à peu en pratique. Pourtant, personne, officiellement, n’en avait encore tenu compte. C’est ce que fit Caius Marius, pendant le printemps et l’été de son premier consulat : le manipule cessa d’exister, sauf pour les défilés.

    Recruter une armée de prolétaires avait ses inconvénients. Choisis parmi les petits propriétaires, les soldats romains savaient, dans leur grande majorité, lire, écrire et compter, ce qui leur permettait de reconnaître sans difficulté les drapeaux, les nombres, les lettres, les symboles. Ce n’était évidemment pas le cas des hommes de Marius. Sylla mit sur pied un programme aux termes duquel chaque unité de huit hommes, qui logeaient et mangeaient ensemble, comprendrait au moins une recrue sachant lire et écrire, qui se verrait chargée de faire profiter les autres de ses connaissances. Mais les progrès en ce domaine furent lents ; il faudrait, pour parvenir aux résultats escomptés, attendre qu’en Afrique les pluies d’hiver rendent impossible toute campagne militaire. Marius lui-même eut l’idée de donner à ses légions un symbole très simple, pour lequel les hommes du rang auraient une déférence chargée de crainte superstitieuse. Il offrit à chacune d’elles un magnifique aigle d’argent, aux ailes déployées, fixé sur une tige métallique ; il serait porté par l’aquilifer, le meilleur soldat de toute l’unité, vêtu d’une armure d’argent et d’une peau de lion. L’aigle, fit savoir Marius, était le symbole de Rome, et chaque soldat fut contraint de jurer qu’il mourrait plutôt que de le laisser tomber aux mains de l’ennemi. Bien entendu, Marius savait exactement ce qu’il faisait. Ayant passé la moitié de sa vie dans l’armée, il était beaucoup plus proche du simple homme de troupe qu’un aristocrate de haut rang. Qu’il fût de basse naissance l’avait placé dans une position irremplaçable d’observateur ; et son intelligence exceptionnelle lui permettait d’en tirer le meilleur parti."

    "Caepio convoqua l’Assemblée plébéienne, et réussit à faire passer une loi qui enlevait aux chevaliers les tribunaux d’exception que Tiberius Gracchus leur avait donnés ; ceux-ci ne seraient plus, désormais, peuplés que de sénateurs, qui sauraient défendre les leurs. Ce fut l’occasion d’une violente bataille, au cours de laquelle Caius Memmius, à la tête d’un fort groupe de sénateurs, s’opposa au projet. Mais Caepio l’emporta."

    "Chaque soldat devrait porter son équipement sur son dos, ce qu’il faisait sans trop d’efforts, grâce à une tige en forme de Y placée sur son épaule gauche : tuniques et bas de rechange, nécessaire de rasage, culottes de cuir contre le froid, foulards épais pour protéger le cou de l’irritation que provoquait toujours le frottement de la cotte de mailles, le tout roulé dans sa couverture. Sa cape circulaire – son sagum –, était pliée dans un sac de cuir. Il se chargeait également de ses couverts, d’une marmite, d’une outre, d’un minimum de trois jours de rations, parfois de divers outils, de quoi nettoyer et entretenir ses armes et son armure, et de son bouclier, enveloppé dans un étui de chevreau. Il pouvait y ajouter son casque, ou le pendre à sa poitrine, mais ne le mettait sur la tête qu’en prévision d’une attaque. Il fixait à sa ceinture, du côté droit, son épée dans son fourreau, et de l’autre sa dague."

    "La tradition voulait que les soldats romains, tous propriétaires, emportent leurs affaires, confiées à un âne, une mule, ou un esclave. Et le nombre de carrioles ou de chariots était totalement incontrôlable. L’armée romaine traditionnelle marchait donc bien plus lentement que celle de Marius – et que celles qui, au cours des six siècles qui suivraient, reprendraient son exemple."

    "— Toute ville, tout village, tout hameau que nous rencontrerons devra être mis à sac, avait dit Marius à Sylla.
    Ce programme fut mené à bien avec le plus grand soin ; les réserves de grain furent pillées, les femmes du cru violées (toutefois l’homosexualité était punie de mort). En revanche il était interdit de s’emparer de butin à titre personnel ; toute prise devait rejoindre les dépouilles de guerre."
    -Colleen McCullough, Les Lauriers de Marius, L'Archipel, 2002.



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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 13 Aoû - 11:30


    "ager publicus : « Domaine public », ensemble de tous les biens immeubles placé sous la garde de l’État. Une bonne part de l’ager publicus était le fruit de conquêtes militaires, ou avait été confisquée à ses possesseurs d’origine pour les punir de leur déloyauté, notamment dans la péninsule Italique. L’État, par l’intermédiaire des censeurs, louait ces terres selon un système favorisant les grands domaines. Les plus célèbres des nombreuses terres faisant partie de l’ager publicus en Italie formaient l’ager Campanus ; elles avaient appartenu à la ville de Capoue, à qui elles furent prises, à la suite de plusieurs insurrections dans la région.

    alliés : Très tôt dans l’histoire, les magistrats de la République romaine se mirent à accorder le titre d’« Allié et ami du Peuple Romain » à des peuples ou des nations qui avaient aidé Rome en des heures difficiles. Toutes les régions de la péninsule qui ne possédaient pas la pleine citoyenneté romaine, ou les droits latins, étaient considérées comme des « Alliés ». Rome assurait leur protection militaire et leur accordait certaines concessions commerciales. En retour, les Alliés lui fournissaient des troupes chaque fois que la cité en avait besoin. Hors des frontières, certaines peuplades, certains États, reçurent le même titre, ainsi les Éduéens de Gaule Chevelue, ou le royaume de Bithynie.

    alliés italiques : Peuples, tribus ou nations qui vivaient dans la péninsule sans posséder ni la citoyenneté romaine ni les Droits Latins. En échange d’une protection militaire, ils devaient fournir des troupes aux armées romaines, et assurer leur entretien financier. Ils étaient soumis à des taxes assez lourdes, et dans bien des cas avaient dû céder une part de leurs terres, qui étaient venues gonfler l’ager publicus. Certains s’étaient soulevés contre Rome (ainsi les Samnites), ou s’étaient rangés au côté d’Hannibal (ainsi en Campanie). Les Romains s’assuraient une certaine tranquillité en implantant chez tous ces peuples des « colonies » formées d’un noyau de citoyens romains et d’une communauté possédant, au minimum, les Droits Latins. Jusqu’au dernier siècle de la République, Rome fut en tout cas assez subtile pour agir avant que le mécontentement des Alliés italiques, toujours sous-jacent, ne devînt trop grave. En ce domaine, la dernière concession romaine avant les événements qui devaient mener à la Guerre Sociale fut une loi, votée en 123 av. J.-C., qui offrait la pleine citoyenneté aux magistrats des communautés détentrices des Droits Latins.

    assemblée : Toute réunion du Peuple Romain convoquée pour traiter de questions électorales, législatives ou exécutives. Du temps de Caius Marius, il y avait trois assemblées authentiques : celle des Centuries, celle du Peuple, celle de la Plèbe. L'Assemblée centuriate répartissait les citoyens dans leurs différentes classes, selon leurs moyens économiques. Comme il s’agissait, à l’origine, de répondre à des préoccupations militaires, chaque Classe se rassemblait dans ses Centuries. On appelait cela les comices centuriates, qui se
    réunissaient pour élire les consuls, les préteurs et, tous les cinq ans, les censeurs, ainsi que pour juger les inculpés accusés de trahison. Les deux autres assemblées étaient de nature tribale, et non économique. L’Assemblée du Peuple, où patriciens et plébéiens étaient admis, se réunissait dans les trente-cinq tribus entre lesquelles tous les citoyens romains étaient répartis. Elle était convoquée par un consul ou un préteur, pouvait présenter des lois, et élisait les édiles curules, les questeurs, et les tribuns des soldats. Elle
    pouvait aussi conduire des procès. L’Assemblée de la Plèbe ou Assemblée plébéienne ne permettait pas aux patriciens de prendre part à ses débats ; elle était convoquée par un tribun de la plèbe. Elle avait le droit de voter des lois (d’où le nom de plébiscite) et de conduire des procès. Elle élisait les édiles plébéiens et les tribuns de la plèbe. Le vote n'était pas, à proprement parler, individuel, dans la mesure où les résultats ne prenaient en compte que l’organisation à laquelle appartenait l’électeur (dans l’Assemblée centuriate, la Centurie, etc. ; dans les deux autres, la tribu, le résultat final dépendant de la majorité par rapport à l’ensemble des tribus, et non du nombre de voix pour tel ou tel).

    auctoritas : Terme difficile à traduire, dans la mesure où il ne se réduit pas à la simple « autorité ». Il est chargé de sous-entendus de prééminence, de puissance politique, d’importance publique ou privée – et surtout de la capacité pour celui qui la détient à influencer les événements par la seule force de sa réputation personnelle ou publique. Tous les magistrats, de par la nature même de leur fonction, détenaient une certaine auctoritas, mais elle ne se limitait pas à eux : le Pontifex Maximus, le Princeps Senatus, les consulaires en étaient investis.

    calendrier : Il était divisé en jours fastes et néfastes, et affiché sur les murs des édifices publics. Il précisait aux Romains quels jours se prêtaient aux affaires, quels jours étaient fériés, ou peu propices, quels jours les Comitia pouvaient se réunir, etc. L’année romaine ne comptant que 355 jours, il était rare que le calendrier coïncidât avec les saisons – à moins que le collège des pontifes ne prît ses devoirs au sérieux, ce qui était rarement le cas, et n’ajoutât un mois supplémentaire de vingt jours, tous les deux ans, généralement à la fin de février. Les jours de chaque mois n’étaient pas définis, comme actuellement, par une simple numérotation, mais considérés par rapport à des journées particulières, les
    Calendes, les Nones et les Ides ; en fait Calendes, Nones et Ides correspondaient à une phase de la lune : respectivement à la nouvelle lune, au premier quartier et à la pleine lune. On ne disait pas le 3 mars, mais « Quatre jours avant les nones de Mars », et non le 28 mars, mais « Quatre jours avant les calendes d’avril ».

    capite censi : Littéralement, « ceux qui n’ont que leur tête pour répondre à l’impôt ». Tous les citoyens romains trop pauvres pour appartenir à l’une des Cinq Classes, et qui ne pouvaient donc voter à l’Assemblée centuriate. Habitant pour l’essentiel à Rome même, ils étaient membres d’une des quatre tribus urbaines, sur un total de trente-cinq. Leur influence sur l’Assemblée du Peuple ou celle de la Plèbe était très limitée.

    censeur : Le plus important des magistrats romains, bien que dépourvu d’imperium, ce qui lui interdisait de se faire escorter par des licteurs. Pour être élu censeur, il était nécessaire d’avoir été consul. C’était le couronnement d’une carrière politique, car le censeur était l’un des hommes les plus importants de Rome. Deux censeurs se voyaient élus en même temps, pour cinq ans. Ils enquêtaient sur les membres du Sénat, ceux de l’ordre équestre, et dirigeaient un recensement général des citoyens romains, non seulement à Rome, mais dans toute l’Italie et les provinces. Ils se chargeaient aussi de vérifier les moyens financiers de tel ou tel, de surveiller l’exécution des contrats passés par l’État, et de lancer certains travaux publics.

    centurion : Officier des légions, qu’elles soient romaines ou composées d’auxiliaires. Il est inexact d'y voir une sorte d’équivalent antique du sous-officier ; les centurions étaient d’authentiques professionnels et un général vaincu se préoccupait peu de perdre des tribuns militaires, mais s’arrachait les cheveux s'il perdait ses centurions. L’appellation même de centurion regroupait divers grades : en bas de l’échelle, il commandait quatre-vingts soldats et vingt non-combattants, soit une centurie. Dans l’armée républicaine, telle que la
    réorganisa Marius, chaque cohorte comptait six centurions ; le plus gradé d’entre eux, le pilus prior, commandait à la fois la cohorte et une centurie de celle-ci. Les dix hommes commandant les dix cohortes composant une légion étaient classés par importance, le centurion primipile, le plus élevé en grade, ne répondant qu’au commandant de sa légion (qui était soit un tribun des soldats élu, soit l'un des légats du commandant en chef).

    chaise curule : Chaise d’ivoire réservée aux plus hauts magistrats : un édile curule en occupait une, mais pas un édile plébéien. Préteur et consul y avaient également droit. Elles étaient réservées à ceux qui possédaient l’imperium. Elles avaient des pieds en X, des bras très bas, mais pas de dossier.

    chevaliers : Les Équités, membres de l’Ordo Equester. Leurs origines remontent au temps où les rois de Rome avaient enrôlé les citoyens les plus importants de la ville au sein d’une unité de cavalerie dont les montures étaient prises en charge par le Trésor public : à cette époque, les chevaux de qualité étaient, en Italie, aussi rares que coûteux. Lors de l’avènement de la République, cette unité comptait dix-huit cents hommes, répartis en dix-huit centuries. Leur nombre s’accrut peu à peu, les nouveaux venus, quant à eux, assurant eux-mêmes leurs frais d’équipement et d’entretien. Au IIe siècle avant J.-C., toutefois, l’ordre équestre devient une structure économique et sociale, et cesse d'avoir une signification militaire réelle. Les chevaliers étaient désormais définis par les censeurs selon des critères purement économiques, et si les dix-huit centuries d’origine conservent les mêmes effectifs, les autres (au nombre de soixante et onze) voient les leurs gonfler peu à peu ; tous ceux reconnus chevaliers constituent la Première Classe des citoyens. Les sénateurs firent officiellement partie de l’ordo equester jusqu’en 123 av. J.-C. : Caius Gracchus en fit alors un ordre à part, limité à trois cents personnes. Pour être reconnu chevalier lors des opérations de recensement (organisées par un tribunal spécial installé sur le Forum), il fallait avoir des biens, ou des revenus, de plus de 400 000 sesterces. De l’époque de Caius Gracchus jusqu’à la fin de la République, les chevaliers ne cessèrent de s’opposer au Sénat, notamment pour le contrôle des tribunaux qui jugeaient les affaires de trahison
    ou de détournements de fonds. Rien ne les empêchait, du moment qu’ils avaient les moyens financiers requis, de devenir sénateurs ; qu’ils en soient peu tentés s’expliquait avant tout par le fait que les opérations financières et commerciales étaient, officiellement, interdites aux membres du Sénat. La classe des chevaliers était plus intéressée par les affaires que par la politique.

    citoyenneté : Il n’est question dans ce livre que de la citoyenneté romaine. La posséder permettait à tout homme de voter dans sa tribu et dans sa classe (s’il avait les moyens économiques indispensables) lors de toutes les élections. Il ne pouvait être fouetté, pouvait recourir aux tribunaux, et faire appel. Parfois ses parents devaient tous deux être romains, parfois il suffisait que son père le fût. Le citoyen était également soumis au service militaire, mais, avant Caius Marius, uniquement s’il avait de quoi acheter ses armes et son équipement. Il lui fallait aussi posséder des revenus suffisants pour assurer son propre entretien pendant la campagne, qui ne lui rapportait généralement qu’une somme très faible, versée par l’État.

    client : Homme libre, ou affranchi (mais il n’était pas indispensable d’être citoyen romain) qui se mettait au service d’un patron. Le client s’engageait, dans les termes les plus solennels et les plus contraignants, à servir les intérêts de son patron et à lui obéir, contre diverses faveurs (sommes d’argent, sinécures, assistance légale). Un esclave affranchi par son maître devenait automatiquement son client. Être client n’empêchait nullement d’être soi-même patron ; mais les clients que l’on pouvait s’attacher étaient considérés comme étant ceux de son propre patron. Certaines lois régissaient les relations avec les rois ou les États étrangers qui s’étaient faits les clients de Rome. Certaines villes pouvaient obtenir ce statut.

    cognomen : Dernier des noms portés par un Romain soucieux de se distinguer de tous ceux portant le même prénom et le même nom gentilice que lui. Le cognomen faisait généralement allusion à une caractéristique physique, ou un trait de caractère, propre à l’individu concerné. Nombre de cognomina étaient très sarcastiques.

    cohorte : Unité tactique de la légion romaine, composée de six centuries de troupes ; en temps normal, une légion en comportait dix.

    confarreatio : La plus ancienne, et la plus stricte, des diverses formes de mariage en usage chez les Romains. Du temps de Caius Marius, elle n’existait plus que chez les patriciens – et encore, pas toujours, car elle n’avait rien d’obligatoire. La nouvelle épouse passait des mains de son père à celles de son mari, ce qui l’empêchait de jouir de la moindre indépendance. C’est bien pourquoi la confarreatio n’était pas très en faveur, les autres formes de mariage garantissant à la femme plus de liberté quant à la défense de sa dot et à ses affaires. Autre raison de son impopularité, la difficulté de divorcer : c’était une entreprise épuisante, qui posait des problèmes religieux et légaux d’une grande complexité.

    consul : Le plus élevé des magistrats détenant l'imperium, le dernier degré du cursus honorum. Chaque année, l’Assemblée centuriate élisait deux consuls qui assumaient leur charge pendant un an. Celui qui était arrivé en tête des suffrages avait droit aux fasces pendant le mois de janvier, ce qui signifie qu’il officiait tandis que son collègue se contentait de regarder. Tous deux entraient en fonction le jour de l’an. Du temps de Caius Marius, patriciens et plébéiens pouvaient également accéder au consulat, à ceci près qu’il était impossible à deux patriciens d’être consuls en même temps. L’âge minimum requis était de quarante-deux ans, douze ans après l’entrée au Sénat à trente ans. L'imperium d’un consul s’étendait non seulement à Rome, mais aussi à toute l’Italie et aux provinces. Il pouvait également commander une armée.

    cursus honorum : Le « chemin des honneurs ». Quiconque voulait devenir consul devait d’abord être admis au Sénat ; puis il devait ensuite accéder à la questure, ensuite au prétorat, et enfin il avait le droit de se présenter aux élections consulaires. Le cursus honorum est exclusivement constitué par ces quatre étapes successives (sénateur, questeur, préteur, consul). Ni les édilats (curule ou plébéien) ni le tribunat de la plèbe n’en faisaient partie. Toutefois, pour un futur candidat au consulat, être édile ou tribun était un bon moyen de se faire connaître des électeurs.

    dignitas : Concept typiquement romain, qu'il ne faut pas réduire à la « dignité ». La dignitas est en quelque sorte un signe extérieur de la position de tel ou tel individu au sein de la communauté ; elle met en jeu des notions de valeur morale ou éthique, de réputation, de droit au respect. De tous les atouts dont disposait un noble romain, sa dignitas était sans doute celui qu’il défendait avec le plus d’acharnement : pour cela, il devait être prêt à partir en guerre ou en exil, à mettre fin à ses jours ou à exécuter sa femme ou son fils.

    droits latins : Statut intermédiaire entre la pleine citoyenneté romaine et le simple titre d'Allié. Les possesseurs des Droits Latins jouissaient de nombreux droits réservés aux citoyens romains : partage équitable du butin lors des guerres, signatures de contrats garanties par la loi, droit de faire appel en cas de condamnation à mort, etc. Pour autant, il leur était interdit de prendre part aux élections romaines, ou de siéger dans un jury. En 125 av. J.-C., après la révolte de Fregellae, les magistrats des villes et des régions jouissant des Droits Latins reçurent le droit d’accéder à la citoyenneté romaine, eux et leurs descendants directs.

    édile : Magistrat romain dont les fonctions se limitaient à Rome même. On distinguait deux édiles plébéiens, et deux édiles curules. Les premiers sont les plus anciens, chronologiquement parlant (493 av. J.-C.) : ils eurent d’abord pour tâche d’assister les tribuns de la plèbe. Bientôt, ils furent chargés de veiller sur l’ensemble des bâtiments de la cité, puis de procéder à l’archivage des plébiscites votés au sein de l’Assemblée plébéienne, et des décrets sénatoriaux s’y rapportant. C’était cette Assemblée qui les élisait. Les postes d’édiles curules furent créés en 367 avant J.-C. : il s'agissait sans doute d’associer les patriciens à la gestion des édiles plébéiens, mais leurs fonctions furent bientôt accessibles aux plébéiens. Les quatre magistrats, à partir du 111e siècle avant J.-C., deviennent responsables de l’entretien des rues, de l’approvisionnement en eau,
    des égouts, de la circulation, des bâtiments publics, des marchés, des poids et mesures, des jeux et de l'approvisionnement public en grain. Ils pouvaient condamner à des amendes tout citoyen ayant enfreint les réglementations qu’ils édictaient, et l’argent ainsi obtenu était mis de côté pour financer les jeux. Bien que l’édilat, plébéien ou curule, ne fit pas partie du cursus honorum, c’était un bon moyen d’accroître sa popularité, grâce à l’organisation des jeux.

    fasces : Faisceaux de verges d'osier nouées par des cordons de cuir rouge. Les fasces, à l'origine emblème des rois étrusques, furent d’usage constant dans la vie publique romaine pendant toute la République et sous l’Empire. Ils étaient portés par des licteurs précédant un magistrat curule : c’était un symbole de l'imperium dont il était détenteur. À l’extérieur du pomérium, on y glissait des haches, pour montrer que le magistrat disposait du pouvoir exécutif (et non plus seulement, comme dans les limites sacrées de Rome, de celui de punir). Le nombre de fasces était proportionnel à l’imperium : vingt-quatre pour un dictateur, douze pour un consul ou un proconsul, six pour un préteur ou un propréteur, deux pour un édile curule.

    flamines : Prêtres qui servaient les dieux romains les plus anciens. Ils étaient quinze. Les flamines maiores, au nombre de trois, servaient Jupiter, Mars et Quirinus. À l’exception du flamen Dialis, qui servait Jupiter – ce qui lui imposait de respecter d’innombrables tabous –, ce n'était pas une charge très absorbante ; toutefois, les trois flamines maiores étaient logés aux frais de l’État, sans doute parce que les flamines étaient les prêtres les plus anciens de Rome.

    gaule cisalpine : Toutes les terres situées au nord de l’Amo et du Rubicon, sur le versant italien des chaînes alpines. Le Pô coupait la région en deux, d’ouest en est, et les terres, des deux côtés du fleuve, étaient très différentes. Au sud, populations et villes étaient fortement romanisées, et souvent détentrices des Droits Latins. Au nord, elles étaient beaucoup plus celtes que latines. Politiquement, la Gaule Cisalpine n’existait pas ; ce n’était ni une véritable province, ni une Alliée, au sens propre du terme. Du temps de Caius Marius, ses
    habitants ne pouvaient faire partie de l’armée romaine, même à titre d’auxiliaires.

    gaule transalpine : Province romaine correspondant en gros à ce qui est la côte méditerranéenne française. Cnaeus Domitius Ahenobarbus l’avait soumise en 120 av. J.-C. Rome disposa ainsi d’une route terrestre sûre entre la Ligurie et l’Espagne. La province s’étendait jusqu’à Tolosa (Toulouse), et, dans la vallée du Rhône, jusqu’au comptoir commercial de Lugdunum (Lyon).

    Gouverneur : Consul ou prêteur, proconsul ou propréteur, qui gouvernait, généralement pour un an, une province romaine au nom du Sénat et du Peuple de
    Rome. Il en était virtuellement le roi, responsable de sa défense, de son administration, de la perception des impôts, etc.

    Imperium : Degré d’autorité dont disposait un magistrat ou promagistrat curule. Il était ainsi maître de sa charge et ne pouvait être contredit (pourvu, évidemment, qu’il respectât les lois et les limites de ses fonctions). L’imperium lui était conféré par une lex curiata, et ne durait qu’un an ; le Sénat et ou le Peuple pouvaient le proroger, si passé cette date le magistrat n’était pas venu à bout de la tâche dont on l’avait chargé. Des licteurs portant des fasces étaient l’emblème de la possession de l’imperium.

    insula : Littéralement, « île », sans doute parce que les immeubles collectifs que désigne ce terme étaient perdus au milieu des rues et des ruelles comme des îles dans l’océan. Les insulae atteignaient jusqu'à trente mètres de hauteur.

    jugère : Unité de superficie romaine, correspondant à peu près à un quart d’hectare.

    légat : Adjoint direct du général commandant une armée. Pour être legatus, il fallait être de rang sénatorial ; les anciens consuls – les consulaires – ne dédaignaient pas cette fonction. Les légats n’étaient responsables que devant leur chef, et avaient la préséance sur les tribuns militaires.

    légion : La plus petite unité militaire romaine capable de faire la guerre par ses propres moyens, c’est-à-dire de façon autonome. Du temps de Caius Marius, une armée romaine en campagne comptait entre quatre et six légions. Chacune d’elles se composait de près de cinq mille hommes, répartis en dix cohortes de six centuries, auxquels venaient s’ajouter près d'un millier de non-combattants, et souvent une petite unité de cavalerie. S’il s’agissait d’une légion faisant partie d’une armée commandée par un consul en exercice, elle était commandée par des tribuns de soldats (six au maximum) ; dans le cas contraire, elle était commandée par un légat, ou le général lui-même. Soixante-six centurions y tenaient le rôle d’officiers.

    licteur : Un des rares authentiques fonctionnaires au service du Sénat et du Peuple de Rome. Ils avaient pour tâche d’escorter tous les détenteurs de l’imperium, et étaient regroupés au sein du Collège des Licteurs, qui devait compter deux ou trois cents personnes. Pour être licteur, il était nécessaire d’être citoyen romain ; mais le salaire versé par l’État était minime, et il leur fallait souvent compter sur les largesses de ceux qu’ils escortaient. Au sein du Collège, les licteurs étaient divisés en décuries, ou groupes de dix personnes, dont chacun était dirigé par un préfet ; celui-ci obéissait aux injonctions des présidents. À Rome même, ils étaient vêtus d’une toge blanche ; en dehors de la cité, d’une tunique écarlate, avec une large ceinture noire aux ornements de laiton : ils paraissaient en noir lors des funérailles.

    lustrum : Terme latin désignant le mandat de cinq ans des censeurs, ainsi que la cérémonie que ceux-ci organisaient sur le Champ de Mars pour marquer la fin des opérations de recensement.

    magistrats : Représentants élus du Sénat et du Peuple de Rome. Dès le milieu de la période républicaine, ils étaient tous sénateurs (les questeurs élus étant généralement admis parmi eux par les censeurs), ce qui donnait au Sénat un avantage sur le Peuple, jusqu’à ce que celui-ci, par l’intermédiaire de la Plèbe, reprenne l’initiative des lois. Les magistrats constituaient l’exécutif de l’État romain. Par ordre d’importance croissante, on distingue le tribun des soldats (trop jeune pour être admis au Sénat), le questeur, le tribun de la plèbe et l’édile plébéien. Ensuite, on passe aux détenteurs de l’imperium : l’édile curule, le préteur, et enfin le consul. Le censeur était à part ; bien que dépourvu d'imperium, c’était toujours un ancien consul. En cas de crise grave, le Sénat avait le pouvoir de nommer un dictateur ; celui-ci ne pouvait rester en fonction que six mois, mais n'avait pas, ensuite, à répondre de son action devant la loi.

    patriciens : Membres de la plus ancienne aristocratie romaine. Citoyens distingués, ils gardaient, des temps antérieurs à la République, un prestige qu’aucun plébéien ne pouvait espérer atteindre. Toutefois, les membres de la plèbe, et surtout les plus riches, jouirent peu à peu d’un pouvoir toujours plus grand, et les patriciens se virent lentement dépouillés de leurs droits et de leurs privilèges. Du temps de Caius Marius, ils étaient souvent, comparativement, moins riches que les familles de la noblesse plébéienne – car il faut se souvenir que les « nobles », à Rome, ne se réduisaient pas à l’« aristocratie », et comptaient aussi bien des patriciens que des plébéiens.

    plèbe, plébéiens : Tous les citoyens romains qui n’étaient pas patriciens étaient considérés comme plébéiens. Au tout début de la République, il leur était interdit de remplir les fonctions de prêtre, de magistrat curule et même de sénateur. Cela ne dura guère ; la Plèbe s’empara peu à peu des institutions réservées aux patriciens, qui du temps de Caius Marius ne dominaient plus guère que quelques secteurs sans grande importance réelle. Les plébéiens eurent même leur propre noblesse, celles des anciens consuls et de leurs descendants directs.

    pomérium : Limites sacrées de la ville de Rome, marquées par des pierres nommées cippi. On pense qu’elles furent établies par le roi Servius Tullius ; elles restèrent intangibles jusqu’à l’époque où Sylla devint dictateur. Le pomérium ne suivait pas exactement les murs Serviens ; il englobait toute la vieille cité de Romulus, sur le Palatin, mais pas l’Aventin ni le Capitole. En termes religieux, Rome même n’existait qu’au sein du pomérium –, tout ce qui se trouvait à l’extérieur était simple territoire romain.

    pontifex maximus : Le plus important de tous les prêtres, placé à la tête de la religion d’État. La fonction semble avoir été créée aux débuts de la République, dans le dessein, cher aux Romains, de contourner une difficulté sans offenser trop de sensibilités ; elle était alors occupée, en effet, par le Rex Sacrorum, titre détenu par les rois de Rome, et l’on créa simplement une nouvelle charge au rôle et au statut supérieurs. Au début, sans doute dut-il être patricien, mais dès le milieu de l’époque républicaine, il était le plus souvent plébéien. Il surveillait l’activité de tous les prêtres, des augures et des vestales – avec lesquelles il partageait un logement offert par l’État.

    préteur : Le prétorat était, par ordre d'importance, le deuxième des degrés du cursus honorum. Il n’y eut d’abord qu’un préteur urbain, dont les fonctions se limitaient à Rome même ; en 242 av. J.-C., il en fut créé un autre, le préteur pérégrin. Vingt ans plus tard, deux nouveaux préteurs apparurent, chargés de gouverner la Sicile et la Sardaigne. Leur nombre passa à six en 197 av. J.-C., afin de pouvoir diriger les deux provinces d’Espagne. Le préteur urbain s’occupait de toutes les questions relatives à la justice et aux tribunaux. Son imperium ne s’étendait que jusqu’à cinq lieues de Rome, qu'il ne pouvait quitter plus de dix jours de suite. En cas d'absence des deux consuls, il avait le droit de convoquer le Sénat, ainsi que d'organiser la défense de la ville en cas d’attaque. Le préteur pérégrin était chargé de tous les problèmes légaux, et des inculpations, dans les affaires impliquant des non-citoyens romains. Du temps de Caius Marius, ses devoirs l’obligeaient parfois à parcourir toute l'Italie.

    princeps senatus : Titre qui correspond à ce qu’on appelle aujourd’hui le président de l’Assemblée. Les censeurs désignaient un sénateur patricien, à l’intégrité et à la morale irréprochables, et pourvu d’une auctoritas et d’une dignitas très fortes. Apparemment, il ne s’agissait pas d’un titre à vie, puisqu'il était décerné tous les cinq ans, lors de l’entrée en fonction des deux censeurs. Marcus Aemilius le reçut assez jeune, puisqu'il semble lui avoir été accordé en 115 av. J.-C. alors qu’il était consul. Comme il était assez rare que cette
    distinction honore un homme qui n’avait pas encore été élu censeur (ce qui n'arriva à Scaurus qu’en 109 av. J.-C.), ce fut, soit un moyen d’honorer un homme exceptionnel, soit (comme l’ont suggéré certains érudits) par simple élimination, Scaurus étant alors le mieux placé des candidats disponibles. Il conserva en tout cas ce titre jusqu’à sa mort, sans jamais, pour autant qu'on sache, avoir couru le risque de le perdre.

    Proconsul : Magistrat doté du statut de consul. Cet imperium était généralement accordé à un consul en fin de fonction, pour qu’il puisse continuer à gouverner une province ou à mener une campagne au nom du Sénat et du Peuple de Rome, et ce au cas où il lui faudrait poursuivre son action (son mandat primitif ne durant qu’un an). Si aucun consulaire ne pouvait s’en aller gouverner une province assez agitée pour qu’on désigne un proconsul, un préteur s’en chargeait, doté d’un imperium de proconsul. Cet imperium se limitait à la
    province, ou à la tâche, en question, et son possesseur le perdait dès qu’il franchissait le pomérium pour entrer dans Rome.

    questeur : L'échelon inférieur du cursus honorum. Du temps de Caius Marius, il ne suffisait plus d’avoir été élu questeur pour devenir automatiquement membre du Sénat ; c’était pourtant, dans les faits, la pratique courante. On élisait, tous les ans, de douze à seize questeurs (le nombre exact n’est pas connu). Pour se présenter, il fallait avoir atteint trente ans. Les fonctions de questeur étaient essentiellement d’ordre fiscal : il était fonctionnaire du Trésor, se chargeait de collecter les droits de douane, ou de gérer les finances
    d’une province. Il pouvait, dans ce dernier cas, se le voir demander par le nouveau gouverneur, ce qui était un grand signe de distinction. Il était cependant obligé de rester à son côté jusqu’à ce que le mandat du gouverneur eût pris fin. Les questeurs entraient en fonction le cinquième jour de décembre.

    sénat : La légende veut que ce soit Romulus lui-même qui ait créé le Sénat, qu’il peupla d’une centaine de membres, tous patriciens. Ce fut sans doute, en réalité, une initiative des rois de Rome. À la naissance de la République, le Sénat fut maintenu en tant qu’organisme consultatif, après qu’on eut triplé le nombre de ses membres, toujours patriciens. Il ne fallut toutefois que quelques années pour que les plébéiens s’y introduisent. Vu ses origines vénérables, la définition des pouvoirs du Sénat est toujours restée vague. On en était membre à vie, ce qui en fit très vite une oligarchie, les sénateurs luttant pied à pied pour conserver leurs prérogatives. Sous la République, les censeurs admettaient les nouveaux membres, qu’ils pouvaient toujours chasser si nécessaire. Du temps de Caius Marius, il fallait avoir des biens d’une valeur d’au moins un million de sesterces – bien que, là encore, cela n’ait rien eu d’une loi intangible. Seuls les sénateurs avaient droit à la tunique portant une large bande pourpre, ainsi qu’à des chaussures de cuir rouge sombre, et à un anneau (d’abord de fer, puis d’or). Ceux qui prenaient la parole lors des réunions du Sénat étaient classés selon une hiérarchie très stricte, dont le Princeps Senatus occupait le sommet ; les
    patriciens passaient toujours avant les plébéiens. Certains sénateurs n'avaient même que le droit de voter, sans pouvoir intervenir dans la discussion. En revanche rien ne limitait le droit de parole d'un orateur, ou le choix des sujets qu’il abordait : d’où le recours fréquent à l’obstructionnisme pur et simple. Une séance ne pouvait se tenir qu'entre le lever et le coucher du soleil. Corps plus consultatif que législatif, le Sénat votait des décrets qu’il présentait aux diverses assemblées comme autant de requêtes. S’il s’agissait d’une question
    d’importance, le vote n’était acquis que lorsque le quorum était atteint. Il ne fait aucun doute que les séances aient été peu fréquentées, aucune règle ne spécifiant que les sénateurs étaient astreints à s’y rendre régulièrement. Certains domaines étaient, de tradition, le champ réservé du Sénat : les affaires fiscales, les affaires étrangères, la guerre. Après Caius Gracchus, il reçut également le droit de voter, en temps de crise, un Senatus Consultum de republica defendenda, sorte d’équivalent des pleins pouvoirs.

    toge candide : La toge portée par les candidats aux magistratures lorsqu'ils venaient s’inscrire. Elle était d’une parfaite blancheur : pour ce faire, on la laissait au soleil pendant une longue période, avant de la saupoudrer de craie finement broyée.

    toge prétexte : La toge bordée de pourpre du magistrat curule. Elle était également portée par les anciens titulaires de ces fonctions, ainsi que par les enfants des deux sexes.

    tribun de la plèbe : Cette fonction apparut peu après l’avènement de la République, à une époque où la Plèbe était à couteaux tirés avec les patriciens. Élus par l’Assemblée plébéienne, les tribuns juraient de défendre la vie et les biens des membres de leur ordre. Ils étaient dix. Du temps de Caius Marius, ils rendaient la vie dure au Sénat, dont ils étaient membres de droit. Comme ils n’avaient pas été élus par l’Assemblée du Peuple (patriciens et plébéiens mêlés), ils n’avaient officiellement aucun pouvoir réel. Mais ils étaient sacro-saints dans l’exercice de leurs fonctions, et disposaient d’un droit de veto leur permettant de s’opposer à tout acte, législatif ou exécutif, qui leur déplaisait, qu’il vienne des
    sénateurs, des magistrats, ou de leurs propres collègues. Seul un dictateur pouvait échapper au pouvoir tribunicien. Le tribun de la plèbe était tout-puissant au sein de l’Assemblée plébéienne, qu’il convoquait pour discuter de tel ou tel projet de loi, et avait le droit d’organiser des plébiscites. La lex Atinia de 149 av. J.-C. donna aux tribuns de la plèbe l’accès au Sénat dès qu’ils avaient été élus. Pour autant, si du temps de Caius Marius le tribunat était considéré comme une véritable magistrature, il ne donnait pas droit à l’imperium. La coutume voulait qu’on ne remplît qu'un mandat, commencé le dixième jour de décembre. Mais elle n’avait rien d’une obligation, comme le montra Caius Gracchus, qui se fit réélire. Le véritable pouvoir du tribun de la plèbe reposant sur son droit de veto, il adoptait souvent une attitude de pure obstruction.

    tribuns des soldats : Vingt-quatre jeunes gens âgés de vingt-quatre à vingt-neuf ans étaient élus chaque année par l’Assemblée du Peuple, pour servir dans les quatre légions de l’armée du consul, à raison de six par légion, dans laquelle ils assuraient des fonctions de commandement. Élus par le Peuple, ils étaient, de plein droit, d’authentiques magistrats.

    tribus : Les tribus, dès le début de la République, n’ont jamais répondu à des préoccupations ethniques, mais à des exigences de répartition des citoyens. Il y en avait trente-cinq, dont seulement quatre dans Rome même, les autres étant rurales. Les seize tribus les plus anciennes portaient des noms de diverses gens patriciennes, ce qui indique, soit que leurs membres en faisaient partie, soit qu’ils avaient, à l’origine, vécu sur des terres leur appartenant. D'autres tribus apparurent ensuite lorsque s'accrut dans la péninsule le territoire contrôlé par les Romains. Chaque membre de tribu pouvait y voter lors d’une assemblée, mais les votes étaient d’abord décomptés par rapport à la tribu en question, puis les résultats proclamés en fonction de l’équilibre des votes au sein de l’ensemble des tribus. Les quatre tribus urbaines, bien que comportant un nombre énorme de citoyens, ne pouvaient donc espérer influencer les votes, qui dépendaient toujours des trente et une tribus rurales. Il suffisait d’ailleurs, dans chacune de celles-ci, que deux électeurs se présentent… On pouvait en être membre tout en habitant en ville ; c’était le cas de nombre de sénateurs et de chevaliers.

    triomphe : Jour de gloire d’un général victorieux. Du temps de Caius Marius, il lui fallait d’abord avoir été proclamé imperator par ses troupes, ce qui l’obligeait légalement à réclamer au Sénat le droit au triomphe. Seuls les sénateurs pouvaient le lui accorder ; il arriva plusieurs fois qu'ils le refusent. Le triomphe lui-même était un somptueux défilé qui suivait un trajet immuable allant du Champ de Mars au temple de Jupiter Optimus Maximus, sur le Capitole. Le général triomphant et ses licteurs y entraient pour offrir au dieu leurs lauriers. La cérémonie était suivie d’une grande fête."
    -Colleen McCullough, Les Lauriers de Marius, L'Archipel, 2002.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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