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    Norbert Bandier, Perry Anderson, Les Origines de la postmodernité

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Norbert Bandier, Perry Anderson, Les Origines de la postmodernité Empty Norbert Bandier, Perry Anderson, Les Origines de la postmodernité

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 16 Juil - 18:33

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Perry_Anderson

    "C’est surtout à partir des années soixante-dix que le postmoderne devient une référence collective. Le critique littéraire nord-américain, Ihab Hassan, publie [en 1971] le premier article qui présente le postmodernisme comme un courant théorique concernant les arts visuels, mais aussi la musique, la technologie et les perceptions sensorielles avec des exemples qui vont de Mailer à Tel Quel, des hippies au conceptualisme . Mais c’est d’abord dans le domaine littéraire que la notion s’impose aux États-Unis grâce à la revue Boundary 2, sous titrée Journal of Postmodern Literature and culture publiée à partir de 1972. L’usage du terme ne pouvant rester limité au seul domaine littéraire, Hassan affirme dès 1978 que l’unité sous-jacente au postmodernisme résidait dans « le jeu sur l’indétermination et l’immanence » introduit dans le champ artistique par… Marcel Duchamp.

    Parallèlement dans le domaine de l’architecture, au début sans relation aucune avec les débats littéraires, se développe une critique violente du modernisme. L’architecture est la seule pratique esthétique avec un tel impact social immédiat générant donc autant d’ambitieux projets de réorganisation sociale. Ainsi l’ouvrage L’Enseignement de Las Vegas publié en 1972 par l’architecte Robert Venturi et ses associés se présente comme un véritable manifeste architectural. Critiquant l’architecture pratiquée par les générations précédentes, il récuse le projet progressiste, sinon révolutionnaire, utopiste et puriste de l’architecture moderniste. Le titre du livre étant inspiré par un regard positif, sans préjugé porté sur le Las Vegas Strip, une portion de boulevard où sont concentrés les plus grands hôtels et casinos de Las Vegas, il s’agit pour les auteurs de manifester une préférence pour l’hétérogénéité d’une expansion urbaine spontanée contre la monotonie planifiée des mégastructures modernes. Alors que ce programme n’a pas de nom c’est le critique Charles Jencks qui, à partir de 1977 avec son livre Le Langage de l’architecture postmoderne puis ses conférences, constitue le « post-modernisme » comme théorie. Il s’agit de promouvoir une architecture mélangeant syntaxe moderne et syntaxe historiciste, et s’adressant à la fois au goût des élites et à la sensibilité populaire. Dès lors en architecture, mais aussi dans les arts plastiques le terme est utilisé pour qualifier des formes contemporaines innovantes.

    Au début des années quatre-vingt, Jencks commence à assimiler le post-modernisme à une philosophie sociale qui prend la forme d’une prise de position politique. Le post-moderne est exalté par Jencks en tant que civilisation mondiale marquée par une tolérance plurielle et un choix surabondant vidant de leur sens des polarités obsolètes comme celles de « la gauche et de la droite, de la classe capitaliste et de la classe ouvrière » [Charles Jencks, What is Post-Modernism ? Londres, 1986]

    En 1979, La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir de J.-F. Lyotard élargit le domaine d’application du terme et contribue à sa diffusion depuis la France. Lyotard a puisé le terme chez Hassan et ignore alors son emploi en architecture. Dans ce livre Lyotard présente la post-modernité comme changement général de la situation humaine et entend étudier les implications épistémologiques des récentes avancées dans les sciences naturelles. Selon son analyse, la société ne peut plus être conçue comme un tout organique ou comme un champ de luttes binaires… mais bien comme un réseau de communications linguistiques… la science devenant un jeu de langage parmi d’autres ; désormais elle ne pouvait revendiquer la suprématie, à laquelle elle avait prétendu tout au long du XIXe et du XXe siècles. Ancien militant d’extrême gauche, Lyotard, prend pour cible dans ce texte des interprétations philosophiques du monde qu’il qualifie de « grands récits » ou métarécits. Ainsi, celui qui raconte l’histoire de l’humanité en tant qu’agent héroïque de sa propre émancipation grâce au progrès des connaissances et celui qui repose sur l’évolution de l’Esprit en tant que dévoilement progressif de la vérité n’étaient que les grands mythes légitimants de la modernité. Ce qui caractérise donc la condition postmoderne c’est la perte de crédibilité des métarécits, en particulier du marxisme et du socialisme. L’expression de cette évolution scientifique dans le champ social se manifeste par le fait que dans chaque domaine de l’existence humaine – travail, émotions, sexe, politique –, la tendance est au contrat temporaire, contrat fondé sur des relations bien plus économiques, flexibles et créatives que celles de la modernité."

    "Depuis 1977 Frederic Jameson tente d’analyser cette esthétique construite à la fois contre, dans et après le modernisme, à l’aide d’un programme théorique qualifié par Anderson de symbolisme matérialiste. Jameson opère dans les modes d’analyse de la postmodernité « cinq déplacements décisifs », parmi lesquels on découvre des thèses assez pertinentes.

    Le premier porte sur ses relations avec « l’histoire du mode de production dominant ». La postmodernité est ainsi l’indice culturel d’un nouveau moment du capitalisme multinational. La modernisation a effacé les derniers vestiges des formes sociales pré-capitalistes… Dans un univers ainsi débarrassé de toute nature, la culture s’était fatalement étendue jusqu’à coïncider totalement avec l’économie.

    Le deuxième déplacement s’intéresse aux effets de cette transformation sur l’expérience du sujet. Dans la nouvelle subjectivité qui émerge, on assiste à une perte de toute perception active de l’histoire, que ce soit sous forme d’espoir ou de mémoire au bénéfice d’une part croissante accordée à l’espace dans l’imaginaire. En effet l’unification électronique de la planète, imposant comme spectacle quotidien la simultanéité des évènements à travers le monde consacre cette domination de l’espace sur le temps.

    Le troisième déplacement étend la notion à l’ensemble des arts, ains qu’à une grande partie du discours qui les entoure. La prédominance du visuel est caractéristique du postmodernisme et Jameson montre, analyse d’œuvres à l’appui, que dans l’architecture, le cinéma, la vidéo, le graphisme, la publicité et les arts plastiques ou dans le rock, la marque de fabrique du post-moderne est le pastiche comme « parodie vide ». Mais Anderson ajoute plus loin que les caractéristiques esthétiques attribuées au postmodernisme comme le bricolage des traditions, le jeu sur les codes populaires, la réflexivité, l’hybridité, le pastiche, la figuralité, le décentrement du sujet – étaient déjà présents dans le modernisme. Parallèlement à ces changements dans les domaines de la création, les différentes disciplines qui avaient le champ culturel pour objet voient leurs frontières s’estomper au bénéfice d’études hybrides ou transversales illustrées par les travaux de Foucault et que résume parfaitement le terme américain de « Theory ».

    Le quatrième déplacement du raisonnement porte sur les bases sociales et politiques du phénomène. Alors que les cadres supérieurs, nouvelle couche enrichie par la rapide croissance du tertiaire et des secteurs spéculatifs dans les sociétés capitalistes avancées, constituaient le vecteur immédiat de la culture postmoderne…, les formations de classes traditionnelles se sont affaiblies tandis que se multiplient des identités segmentées et des groupes bien délimités, généralement centrés sur des différences ethniques ou sexuelles.

    En ce qui concerne la configuration géopolitique, la formation d’un marché mondial et l’entrée de nouveaux pays sur la scène mondiale relativisent le poids des réserves culturelles héritées du passé liées au « Premier Monde » et s’accompagnent de nouvelles relations entre les genres « élevés » et « inférieurs » de la culture. Alors que le modernisme s’opposait aux sollicitations du marché, le post-moderne grâce à la diffusion massive de biens culturels efface la distinction entre culture d’élite et culture populaire. Si le modernisme, même à son apogée, n’a jamais dépassé le statut d’enclave, le postmodernisme est aujourd’hui hégémonique.

    On pourrait ici rappeler que les cadres supérieurs sont depuis longtemps les plus gros « consommateurs » de culture, en ce sens là cette base sociale n’est pas spécifique à la postmodernité tandis que le mince public des expositions d’art contemporain qualifié de postmoderne démontre que si le postmoderne a été marqué par de nouveaux schémas de consommation, dans le domaine des arts plastiques il a toujours un statut d’enclave. Dans cette partie Jameson (ou Anderson ?) oublie que le modernisme a été également hégémonique comme cadre culturel général, les types d’architecture et d’urbanisme dénoncés dans L’Enseignement de Las Vegas relèvent bien de cette domination."

    "Selon le critique d’art Greenberg, l’histoire de la peinture est emblématique de cette conception, car la dynamique de la peinture moderne opère par purges successives pour s’arracher à la figuration et atteindre la planéité et la couleur pures. Ainsi, le modernisme atteint son apogée dans l’entre-deux guerres, avec une constellation d’avant-gardes révolutionnaires… toutes, presque sans exception, anti-bourgeoises. Anderson avance une hypothèse intéressante au sujet des attitudes différentes des avant-gardes à l’égard des inventions technologiques spectaculaires, dont l’impact commençait tout juste à se faire sentir : l’enthousiasme très variable des différents mouvements provient des spécificités nationales des différentes cultures. Le modernisme correspondait à un monde de démarcations nettes, où les frontières étaient posées par le biais de manifestes : des déclarations d’identité esthétique. Mais la puissance et l’efficacité du modernisme reposaient alors sur des ressources contextuelles, en particulier l’existence dans les sociétés européennes de deux univers de valeurs alternatifs, tous deux hostiles à la logique commerciale du marché et au culte bourgeois de la famille : les idéaux aristocratiques et ceux du mouvement ouvrier. Dès lors, les artistes en conflit avec les conventions établies pouvaient choisir une affiliation métonymique avec l’un ou l’autre de ces univers, en tant que styles moraux, ou en tant que publics imaginaires."

    "Selon Anderson, on peut isoler trois conditions d’extinction du modernisme : d’abord la transformation de l’ordre social dominant, ensuite l’évolution technologique et enfin une modification des équilibres politiques au niveau mondial.

    Le déclin définitif du pouvoir de tradition aristocratique après la Seconde Guerre mondiale puis le remplacement de la bourgeoisie traditionnelle par un nouvel ensemble de détenteurs du pouvoir ou de la richesse conduisent à l’abandon de l’académisme et de la moralité bourgeoise dans les normes esthétiques dominantes. Tandis que les marqueurs culturels et psychologiques de la position sociale se sont progressivement effacés , c’est un regroupement instable de promoteurs et gérants, consultants et experts, administrateurs et spéculateurs du capital contemporain qui constitue la nouvelle classe dirigeante. L’art oppositionnel ne peut plus se dresser contre des conventions incarnant des adversaires qui ont disparu.

    Alors que le modernisme se nourrissait du vif engouement suscité par les nouvelles inventions qui transformèrent la vie urbaine au début du XXe siècle, par la suite la relation entre l’imaginaire populaire et les hautes technologies se recompose. À la méfiance à l’égard des avancées techniques, illustrée par la terreur nucléaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, succède une impression de routine devant le flot continu d’innovations technologiques de l’appareil de production industrielle américain. La technique perd son pouvoir d’attraction sur l’art."
    -Norbert Bandier, « Perry Anderson, Les Origines de la postmodernité. Les Prairies ordinaires, 2010 », Sociologie de l'Art, 2011/3 (OPuS 18), p. 117-127. DOI : 10.3917/soart.018.0117. URL : https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2011-3-page-117.htm




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