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    Michel Biard, Entre Gironde et Montagne. Les positions de la Plaine au sein de la Convention nationale au printemps 1793

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Michel Biard, Entre Gironde et Montagne. Les positions de la Plaine au sein de la Convention nationale au printemps 1793 Empty Michel Biard, Entre Gironde et Montagne. Les positions de la Plaine au sein de la Convention nationale au printemps 1793

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 14 Juil - 12:07

    https://www.cairn.info/revue-historique-2004-3-page-555.htm

    "La plupart des historiens s’accordent au moins sur l’un des points ici évoqués : les groupes politiques n’étaient pas formés au sein de la Convention nationale dès sa réunion à l’automne 1792, ce qui explique en partie les difficultés rencontrées par tous ceux qui ont cherché à mieux cerner la Gironde, la Montagne et la Plaine. Si les deux premières mouvances politiques ont trouvé leurs historiens et sont aujourd’hui assez bien connues , force est de reconnaître que la Plaine n’a encore suscité aucune étude d’ensemble. Nous continuons donc le plus souvent à compter dans les « rangs » de la Plaine tout représentant du peuple qui n’a pas été identifié comme Montagnard ou Girondin. Pour recenser Girondins  et Montagnards, les historiens se sont notamment appuyés sur les appels nominaux  qui ont eu lieu à la Convention nationale en 1793 lors de moments politiques clés (le procès du roi en janvier, la mise en accusation de Marat en avril, la question de la « Commission des Douze » en mai), la participation des représentants du peuple aux missions et aux différents comités de l’Assemblée, enfin les renseignements fournis par les attitudes politiques en l’an III (la demande d’appel nominal du 12 germinal et les arrestations, de germinal à thermidor, de plusieurs dizaines de représentants qualifiés par Françoise Brunel de « derniers Montagnards »). Or, outre la définition de la Plaine par un raisonnement purement négatif, cette démarche pose trois problèmes pour 1793 aussi bien que pour l’an II."

    "Outre le fait que l’image des missionnaires ne peut plus désormais être confondue avec celle des Montagnards, il est évident que chaque mission doit être prise en compte dans ses spécificités (notamment certaines missions plus techniques qui n’impliquent pas, en principe, une activité politique de premier plan) et que, à plus forte raison, il convient de les étudier du printemps 1793 à l’automne 1795, et non jusqu’en thermidor an II comme cela a trop souvent été le cas par le passé. Par ailleurs, la moitié des membres de la Plaine qui sont partis au moins une fois en mission ont exercé cette activité avant thermidor an II, ce qui atteste l’importance non négligeable des représentants du peuple en mission choisis sur les bancs de la Plaine et le fait qu’appartenir à cette mouvance politique n’était pas un critère de mise à l’écart des missions (sauf en quelques moments précis). Enfin, troisième point, celui sur lequel j’entends m’arrêter dans cet article, la présence au sein de la Convention nationale ou en mission était jusqu’ici connue par des décomptes largement entachés d’erreurs. Il va de soi que cette difficulté à découvrir le nombre de ceux qui participent aux séances de la Convention nationale a pour corollaire un second embarras : comment déterminer les motifs des absences et faire la part entre celles qui sont liées à des raisons de santé et/ou des congés, celles qui tiennent aux missions, celles enfin qui semblent attester une volonté de se tenir à l’écart au moment d’un vote politique majeur ?"

    "Selon l’enquête retenue, on peut ainsi compter 267, 302, voire 134 Montagnards !"

    "La Montagne avait réussi à contrôler le choix, décisif, des représentants du peuple envoyés en mission par le décret du 9 mars 1793, et comment, dans un second temps – et seulement dans ce second temps –, la Gironde avait pu se réjouir du départ de plusieurs dizaines de Montagnards, tandis que Marat, au contraire, le déplorait dans son journal. Au moment où près de 90 représentants, pour les quatre cinquièmes montagnards, sont envoyés dans les départements pour une même mission, la Gironde obtient une sorte de sursis qui voile mal le recul déjà entamé de son influence dans la Convention nationale. Le résultat des deux appels nominaux du 13 avril (accusation contre Marat) et du 28 mai 1793 (affaire de la « Commission des Douze ») en portent témoignage, mais ils permettent aussi de déceler au sein de l’Assemblée un nombre considérable de représentants du peuple qui, de toute évidence, choisissent alors de se tenir à l’écart des camps en présence. Je n’entends donc point ici proposer un nouveau décompte des trois grandes mouvances politiques de la Convention nationale, mais suggérer l’une des approches qui pourraient à terme nous permettre de commencer à mieux connaître cette énigmatique Plaine et, au-delà, de distinguer pendant ces années 1792-1795 un « centre » politique, qui ne s’avoue pas ouvertement comme tel, mais n’en refuse pas moins de soutenir aveuglément les positions girondines ou montagnardes."

    "Le 13 avril 1793, au terme d’un processus entamé depuis plusieurs semaines, la Gironde s’en prend violemment à Marat et obtient que la Convention nationale vote, après un appel nominal, un décret de mise en accusation contre l’ « ’Ami du Peuple ». Traditionnellement, l’historiographie a analysé ce vote en soulignant l’absence des « commissaires » (appelés peu après « représentants du peuple en mission ») montagnards, reprenant ainsi ce que Marat lui-même écrivait dans son journal quelques jours après ce vote : « Or, c’est la faction des hommes d’État [la Gironde, selon Marat], faisant malheureusement aujourd’hui le plus grand nombre de la Convention, depuis le départ de nos commissaires, qui a rendu, au milieu du vacarme et contre les réclamations des patriotes de la Montagne, les décrets d’arrestation et d’accusation contre moi (...). Ne nous le dissimulons plus, depuis ces deux funestes décrets, la contre-révolution est faite au sein même de la Convention par la faction des hommes d’État, comme elle était faite dans l’armée par le traître Dumouriez ; et si le peuple entier ne se lève pour anéantir cette faction exécrable, pour faire périr sous le glaive de la justice cette horde infernale, c’en est fait pour toujours de la liberté (...). ». Comme les résultats du vote donnent 226 votes favorables à l’accusation, 93 hostiles à celle-ci, 374 représentants absents, en congé ou en mission (en fait, 373 noms sont recensés par le procès-verbal), et une soixantaine qui ont été comptés à part (ils se sont abstenus, se sont récusés, ont demandé l’ajournement...), les historiens ont souvent conclu, sans plus d’enquête, qu’environ un conventionnel sur deux était alors en mission."

    "Outre le fait que le nombre total de représentants du peuple en mission présents sur le terrain en un même moment n’a jamais dépassé un nombre maximal voisin de 150, a fortiori celui de 374, la Montagne n’a jamais été amputée de moitié en raison des missions. [...] L’absentéisme politique touche également des Montagnards en cet instant précis, tout simplement car Marat est très loin de faire l’objet d’un soutien unanime au sein d’un groupe politique déjà hétérogène."

    "Parmi ces représentants du peuple qui sont absents sans mission le 13 avril 1793, 22 sont girondins, 64 sont montagnards et surtout 136 siègent à la Plaine. 6 sur 10 de ces absents se rattachent donc aux représentants du peuple qui, en apparence, refusent de s’agréger à la Montagne aussi bien qu’à la Gironde. Si l’on met de côté les Girondins, peu représentatifs ici en raison de leur trop petit nombre qui donnerait peu de sens à l’utilisation des pourcentages, la comparaison entre Montagne et Plaine fait apparaître une opposition flagrante : si près de 39 % des Montagnards absents le 13 avril le sont sans motif, ce sont environ 78 % des absents de la Plaine qui sont dans ce cas. Pour la majorité de ces hommes, la volonté de se tenir à l’écart au moment du vote me semble plausible, d’autant qu’un autre appel nominal réalisé dans la Convention nationale un mois et demi plus tard permet non seulement de confirmer l’hypothèse, mais surtout de mieux cerner les représentants du peuple les plus prudents politiquement qui siègent à la Plaine.

    En effet, en mai 1793, le conflit entre la Gironde et la Montagne entre dans sa phase décisive, avec notamment la création par les représentants du peuple d’une « Commission des Douze ». Cette commission extraordinaire, née le 18 mai, est chargée en principe d’enquêter sur les complots contre la Convention nationale, mais en réalité les Girondins veulent en faire une arme contre la Commune de Paris, issue de l’insurrection du 10 août 1792, et contre la Montagne, dans une lutte qui doit prouver aux départements l’ « anarchie » régnant dans la capitale. Sur ses 12 membres, 11 sont des Girondins avoués, ce qui explique la rapidité avec laquelle l’enquête est menée dès sa création. Le 24 mai, soit une semaine après sa naissance, la commission dénonce un complot tramé au sein même de la Commune de Paris afin d’exclure les Girondins de la Convention nationale, complot qui serait prouvé par la demande de mise en accusation de 22 représentants du peuple girondins faite par les sections parisiennes. Le même jour, elle fait arrêter Hébert et Varlet, deux des meneurs les plus en vue du mouvement hostile à la Gironde au sein de la Commune et des sections parisiennes. La Commission des Douze déclenche ainsi un processus qui devait conduire aux journées révolutionnaires du 31 mai et du 2 juin, c’est-à-dire à ce que les historiens désignent sous l’appellation de « chute de la Gironde ». Pourtant, le 27 mai, sous la pression de commissaires envoyés par les sections pour exiger la libération d’Hébert et la suppression de la commission extraordinaire, la Convention nationale recule devant la perspective d’un affrontement avec les militants des sections parisiennes et prend un décret qui fait disparaître la Commission des Douze. Hébert et Varlet sont alors libérés de leur prison et reçus en triomphe à la Commune, où ils jurent de « mourir ou de terrasser les tyrans de la droite et de la Commission des Douze ». Or le lendemain, dans un contexte politique pour le moins tendu, les Girondins, estimant que la dissolution s’est opérée dans des conditions flagrantes d’illégalité et sous la menace d’une action armée, proposent à la Convention nationale de voter un décret pour restaurer la Commission des Douze. Ce nouveau vote donne lieu à un appel nominal, dont les résultats sont beaucoup plus serrés que le 13 avril : 279 représentants du peuple opinent en faveur de la demande girondine, tandis que 238 refusent qu’une commission extraordinaire voie une seconde fois le jour.
    "

    "Quant aux lendemains de thermidor, après que Robespierre en eut en vain appelé au soutien de la Plaine contre la partie de la Montagne qui le vouait à la mort, Aulard les analyse une fois de plus en divisant la Convention nationale en deux blocs opposés, les « Thermidoriens de gauche » et les « Thermidoriens de droite », entre lesquels subsiste un éternel « centre » qui cherche à trouver sa place, non plus celle d’une force d’appoint pour un groupe politique, mais celle d’une majorité modérée : « Le Marais, muet depuis si longtemps, revendiqua (...) le droit de participer à la conduite des affaires publiques. Tous les modérés se coalisèrent contre les ex-membres des Comités de gouvernement, que, le 12 fructidor [an II], Laurent Le Cointre dénonça comme complices de Robespierre. ». Pour Aulard, la filiation est claire entre ces modérés qui réussissent enfin à se faire entendre, une fois la Terreur close, et ceux qu’il désigne sous le Directoire avec l’appellation de « républicains bourgeois ou directoriaux », c’est-à-dire les partisans de la Constitution de l’an III."
    -Michel Biard, « Entre Gironde et Montagne. Les positions de la Plaine au sein de la Convention nationale au printemps 1793 », Revue historique, 2004/3 (n° 631), p. 555-576. DOI : 10.3917/rhis.043.0555. URL : https://www.cairn.info/revue-historique-2004-3-page-555.htm




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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