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    Nathalie Fau, Hong Kong et Singapour, des métropoles transfrontalières

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Nathalie Fau, Hong Kong et Singapour, des métropoles transfrontalières Empty Nathalie Fau, Hong Kong et Singapour, des métropoles transfrontalières

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 15 Avr - 17:25

    https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1999_num_28_3_1258

    "Situées aux deux extrémités de la mer de Chine méridionale, les villes de Hong Kong et de Singapour ont une histoire et un développement économique comparable. Ces créations coloniales britanniques localisées aux carrefours des voies de communication ont successivement joué un rôle de port-entrepôt puis d'agglomération industrielle travaillant pour le marché mondial et, enfin, de centre de services supérieurs, de banques et de sièges de sociétés industrielles.

    Ces deux métropoles ont été isolées de leur arrière-pays par la fixation d'une frontière limitant leur zone d'attraction." (p.241)

    "Lors de la création de la Malaysia ou "Grande Malaise", le 16 septembre 1963, le nouveau gouvernement rattache à la Fédération malaise le territoire de Singapour [...] La séparation intervient malgré cela en août 1965 et la frontière officialise en fait de multiples divisions opposant dès le départ Singapour et son arrière-pays malais: dichotomie entre une société urbaine, commerciale, attachée à une économie ouverte et un monde rural essentielle traditionnel, tenté par le protectionnisme et, surtout, clivage irréconciliable entre Malais musulmans et Chinois, véritable catalyseur de toutes les oppositions.

    Les gouvernements de Hong Kong et Singapour sont donc obligés d'instaurer une stratégie spatiale et économique de développement compensant les contraintes d'un territoire exigu ne disposant pas de ressources naturelles (ni espace vital, ni agriculture, ni vaste marché intérieur). L'une des solutions envisagées consiste à déborder progressivement sur les régions directement limitrophes [...] Ce débordement ne consiste pas en un simple prolongement territorial, car l'espace de part et d'autre de la frontière est totalement réorganisé. Il fonctionne désormais comme une agglomération transfrontalière dont la métropole (Singapour ou Hong Kong) intègre un arrière-pays situé de l'autre côté de la frontière (respectivement Batam en Indonésie et Johore en Malaisie d'une part, la province du Guangdong en Chine méridionale d'autre part). L'autre originalité de ces zones de coopération transfrontalière est de s'être créées sans la moindre forme d'institutionnalisation, leur valent ainsi la dénomination trompeuse de "zones économiques naturelles".

    Si les villes de Singapour et de Hong Kong ont suivi des stratégies d'extension spatiale assez similaires, les logiques sous-jacentes sont cependant très différentes. La première favorise les relations de dépendance, de centre-périphérie vis-à-vis de Johore et surtout de Batam, tandis que la seconde a opté pour une politique d'intégration et d'interdépendance mutuelle qui n'a nullement empêché la province de Guangdong de préserver son autonomie." (p.242)

    "Ces espaces transfrontaliers associent des régions au niveau de développement très dissemblable [...] D'un côté se trouve un ensemble économiquement très développé, urbanisé, possédant un secteur manufacturier actif, des capacités financières et commerciales, des infrastructures de transport de qualité et un personnel qualifié. De l'autre côté de la frontière se trouve une région (Guangdong, Johore et Riau) où les revenus sont plus faibles et la disponibilité en main-d'œuvre et en foncier plus large [...] Il existe donc bien une complémentarité de main-d'œuvre, de ressources naturelles, d'infrastructures et de ressources financières. Le fonctionnement de ces espaces ne diffère ainsi en d'autres d'autres espaces transfrontaliers mettant en relation des régions très dissemblables, dont le modèle le plus connu est celui situé de part et d'autre de la frontière Etats-Unis-Mexique.

    En revanche, l'association de régions régies par des règles économiques opposées (économie de marché pour Singapour et Hong Kong, tandis que les gouvernements chinois et indonésien ont opté pour le protectionnisme) est à l'origine d'une fonction spécifique de ces régions frontalières, celle de zones d'expérimentation du capitalisme. [...]

    Le cas de Batam est exemplaire : toutes les mesures prises au préalable sur cette île, toutes les dérogations accordées, ont ensuite été appliqués à l'ensemble de l'Indonésie. [...] De même, les zones économiques spéciales sont une solution de compromis au problème de l'introduction des investisseurs étrangers et de leurs méthodes capitalistes en Chine, tout en limitant les répercussions politiques." (pp.242-243)

    "Contrairement aux multinationales américaines ou japonaises qui ont opté pour une mondialisation de leur production, les entreprises hongkongaises et singapouriennes ont délibérément opté pour une stratégie de proximité." (p.244)

    "Johore, Batam, Guangdong apparaissent comme des banlieues de type "redéversement urbain". Singapour et Hong Kong, saturés par leur propre croissance, rejettent à l'extérieur tout ce qui les encombre. Elles déversent une partie de leurs activités les moins rentables et les plus consommatrices d'espace et de main-d'oeuvre, voire les plus polluantes, vers leurs banlieues.

    La réorganisation de l'espace est surtout tangible dans le domaine industriel, où la formation des espaces transfrontaliers est à l'origine d'une accélération des transformations structurelles de chaque région et d'une spécialisation verticale par la division et le partage des différents stades de la production [...] Les entrepreneurs délocalisent leur production consommatrice de main-d'oeuvre à Batam mais leur siège social demeure à Singapour. Singapour affirme de son rôle de centre de services commerciaux et financiers et de technologie de pointe. De même, Hong Kong investit et vend tandis que le Guangdong est un "espace atelier". De 1980 à 1991, la colonie a perdu le tiers de ses emplois industriels, soit environ 700 000, tandis que les firmes hongkongaises feraient désormais travailler 3 millions d'ouvriers au Guangdong [...] Attirées par les bas coûts de la main-d'oeuvre et du terrain, les entreprises de Hong Kong ont transféré la majeure partie de leurs capacités de production: vêtements, jouets, articles en matière plastique, électronique grand public, etc. Les matières premières et les produits semi-finis sont exportés vers le Guangdong pour être transformés. Les produits sont ensuite réexportés vers Hong Kong pour une transformation finale et pour obtenir un produit fini qui est exporté. Ces opérations donnent lieu à un va-et-vient incessant de produits à différents stades de fabrication: plus de 50 000 véhicules passent chaque jour la frontière afin d'assurer la navette entre les usines de Guangdong et le port ou l'aéroport de Hong Kong."(p.246)

    "Ces mouvements ont transformé les espaces de Batam et du Guangdong en pôles de migrations. Batam est passée de 6000 habitants en 1973 à 38 663 en 1980, 105 820 en 1990 et 154 000 au milieu de 1994. Les arrivées sont en grande partie spontanées mais l'inadéquation entre la qualification de la main-d'oeuvre existante et les emplois à pourvoir a incité à mettre en place une migration encadrée." (p.246)

    "[Batam] devenue une zone de loisir pour les Singapouriens, dispose de trois ports pour les accueillir. Or, si l'on veut embarquer ou débarquer dans ces ports, il faut absolument passer par Singapour car il n'y a aucun liaison avec le reste de l'Indonésie." (p.246)

    "Cette relation de dépendance entre Singapour et ses voisins est à l'origine d'un conflit entre l'Etat de Johore et l'Etat fédéral de Malaisie. Fort de son autonomie, le gouvernement de l'Etat de Johore n'entend pas se laisser imposer la politique du gouvernement central. Il veut intensifier les relations avec Singapour, tandis que Kuala Lumpur a toujours émis un certain nombre de réserves à la poursuite de ces relations. L'une est de voir renforcer les déséquilibres spatiaux économiques à l'échelle régionale alors que le but de la NEP était au contraire de les réduire. Une autre est liée au refus d'accepter le volet "impérialiste" de ce triangle de croissance. Relégué à un rôle de puissance intermédiaire et non de moteur à l'intérieur du triangle SIJORI, le gouvernement central considère de plus en plus que l'Etat de Johore est exploité par Singapour." (p.247)

    "Cette intégration est renforcée par l'existence d'un espace culturellement solidaire. La langue cantonaise fait office de langue commune des deux côtés de la frontière et deux chaînes de télévision hongkongaises, captées par la plupart des foyers de la région, diffusent leur programme en cantonais [...] De nombreux Chinois de la diaspora, notamment ceux qui sont installés à Hong Kong, sont originaires du Guangdong. Ces liens familiaux, amicaux et économiques entre le Guangdong et les populations chinoises installées à Hong Kong, n'ont jamais vraiment cessé, même lors des périodes de fermeture de la Chine. Les Chinois de Hong Kong ont fait construire dans le Guangdong des écoles, des hôpitaux et des centaines de kilomètres de routes goudronnées pour leurs parents. Le Territoire diffuse également un modèle urbain et culturel." (p.248)

    "Depuis 1990, Singapour est entrée dans une nouvelle vague d'investissements extérieurs. Après avoir incité les entrepreneurs à investir partout dans le Monde, le gouvernement, jugeant que la majorité des entreprises expatriées n'a pas obtenu des résultats suffisamment satisfaisants, renonce à la mondialisation et opte pour une régionalisation. Les flux financiers se concentrent désormais en Asie. [...] Après avoir défini et peaufiné leur stratégie d'investissement à Batam et constaté son succès, les investisseurs singapouriens se détournent de cette île et appliquent ce modèle de développement dans d'autres lieux, où les législations leur semblent encore plus favorables. Depuis 1991, les investissements singapouriens à Batam ne cessent de chuter et le gouvernement indonésien a la désagréable impression d'avoir été floué. Le nouvel objectif régional est désormais la Chine, où le nombre de sociétés singapouriennes est passé de 1751 en 1993 à 3884 en 1994."(pp.248-249)

    "Le développement de l'île de Batam est entièrement dirigé, planifié et géré par le pouvoir central de Jakarta sans aucune intervention des autorités locales [...] Il est officiellement à la charge de deux acteurs publics: la BIDA (Batam Industrial Develoment Authority) et la municipalité de Batam. La BIDA est un organisme crée par le gouvernement central et qui dépend directement de lui, tandis que la municipalité est soumise au gouvernement local de la province. Or, la plupart des pouvoirs de décision en matière d'aménagement sont attribuées à la BIDA et non à la municipalité." (p.249)

    "Les infrastructures et les investissements de départ sont effectués essentiellement par deux entreprises d'Etat singapouriennes, Singapore Technologies Industrial Corporation (STIC) et Jurong Environmental Engineering (JEE)." (p.250)

    "Le triangle SIJORI est placé sous le signe de la méfiance réciproque et de la concurrence latente ; méfiance de l'Indonésie et de la Malaisie envers Singapour, l'initiateur du projet, accusé d'exploiter ses partenaires et de privilégier la diaspora chinoise au détriment des autochtones malais et indonésiens ; méfiance entre Johore et Riau. Loin d'être un triangle, la coopération économique transfrontalière de SIJORI en fait une ligne droite, un simple couleur économique s'étendant du nord (Johore) au sud (Riau) avec pour centre Singapour. Les liens économiques entre Johore et Riau sont presque inexistants, car ces deux régions se sentent davantage en position de concurrence vis-à-vis de Singapour que de complémentarité. Le ministre du commerce et de l'industrie malais remarque ainsi que "la Malaisie ne sait rien des accords entre l'Indonésie et Singapour et vice-versa." (p.251)

    "
    (p.252)

    "Impossible la reproduction à l'identique de ce modèle." (p.253)
    -Nathalie Fau, "Hong Kong et Singapour, des métropoles transfrontalières", L'Espace géographique, Année 1999, 28-3, pp. 241-255.




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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