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    Bruno Karsenti, Une autre approche de la nation : Marcel Mauss + Albert Doja, L’idée de nation: du postulat de Marcel Mauss à la question actuelle des identités nationales et culturelles

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Bruno Karsenti, Une autre approche de la nation : Marcel Mauss + Albert Doja, L’idée de nation: du postulat de Marcel Mauss à la question actuelle des identités nationales et culturelles Empty Bruno Karsenti, Une autre approche de la nation : Marcel Mauss + Albert Doja, L’idée de nation: du postulat de Marcel Mauss à la question actuelle des identités nationales et culturelles

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 12 Déc - 21:34

    https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2010-2-page-283.htm

    "La vision durkheimienne est celle des États-nations, et elle se réfléchit dans sa typologie sociologique. En somme, il y avait là un présupposé étatiste qui empêchait de voir la différence spécifique de la nation comme une différence placée au-delà de l’État. Cela ne veut pas dire, soulignons-le d’emblée, que la nation exclut l’État. Mais cela veut dire que la définition de la nation ne tient pas dans l’État, que sa différence spécifique n’est pas dans le critère étatique – ce que la conception durkheimienne ne pouvait justement rendre perceptible. Dans les années 1920, c’est de cette vision que les recherches de Mauss sur la nation cherchent à nous libérer – retrouvant par là, par le biais qu’on va voir, une inspiration plus authentiquement socialiste.

    Mauss se fonde pour cela sur Aristote, qui distingue dans les Politiques les
    ethnè (les peuples), et les poleis, c’est-à-dire les cités proprement dites. Pour que les secondes puissent exister, il ne suffit pas qu’un pouvoir, qu’une archè, parvienne à s’affirmer. Il faut encore, dit Mauss, qu’un certain degré de conscience apparaisse du côté des sujets qui lui appartiennent. La question de la nation est alors complètement reformulée comme une question d’appartenance à une forme sociale définie, qui ne passe pas en premier lieu et à titre exclusif par l’appartenance politique, comme participation ou implication dans l’État."

    "A quoi doit-on imputer ces déviations, ces dévoiements de l’idée de nation ? Ici, la réponse de Mauss se fait extrêmement nuancée. Doit-on dire qu’elle est due à un déficit démocratique ? Oui, à condition de préciser que ce déficit est pris au sens d’une pratique sociale insuffisante des mœurs démocratiques, et en aucun cas au sens d’un déficit quant aux principes politiques du régime démocratique. Car si l’on considère le second, le régime, on pourrait presque renverser le diagnostic : un basculement dans une souveraineté populaire affirmée sur le plan purement formel du droit politique risque au contraire de projeter sur l’État toute la force intégratrice qui doit résider dans la nation elle-même – c’est-à-dire, au fond, dans la société. Dans le vaste panorama des nations modernes que Mauss dispose sous nos yeux, très peu de nations véritables existent réellement, et nombre d’entre elles se pensent dans l’illusion d’elles-mêmes, se considèrent comme telles alors qu’elles ne le sont pas. Certes, toutes sont lancées dans une dynamique où elles veulent l’être, et où il est juste qu’elles le deviennent : mais comme elles ne le sont pas vraiment de l’intérieur de leurs pratiques sociales, elles vont chercher des substituts de consciences nationales dans des mythes, exaspèrent artificiellement leur sensibilité, se jugent en danger, se donnent des ennemis. Elles succombent alors à la logique dévoyée des déplacements et inversions qu’on a soulignés. Le nationalisme, c’est la pseudo-nation inquiète de n’être pas encore une nation, qui substantialise son identité et s’en remet à l’exercice d’un pouvoir coupé de la société.

    Il faut pourtant bien s’entendre : seule la promotion révolutionnaire des droits de l’homme a rendu possible une certaine réalisation du fait national, sur des bases que ne pouvaient pas connaître les sociétés qui n’avaient pas accédé au principe démocratique moderne, c’est-à-dire à la souveraineté populaire. Qu’a-t-il donc manqué pour que la nation ne se laisse pas capturer par l’État ? C’est ici que la réponse de Mauss se fait rigoureusement socialiste : parmi les critères de formation de cette vie sociale en laquelle, pour lui, réside la nation, il en est un qui, sans devoir être isolé ni hypostasié, lui paraît cependant décisif, et surtout indûment négligé. C’est là qu’apparaît surtout la carence de l’époque moderne, jusque dans son inspiration démocratique : il lui a manqué une forme de conscience de soi qui passe par le plan de l’intégration économique, il lui a manqué cette sensibilité, cette appartenance et cette citoyenneté développée au niveau des pratiques économiques. Il a manqué, en bref, aux nations modernes, de penser leur économie à un niveau où se réalise l’idéal démocratique, seul ferment de ces formes sociales achevées que Mauss appelle des nations. La socialisation de l’économie peut prendre différents biais, emprunter différents chemins, se poursuivre par de multiples moyens – parmi ceux-ci, on relèvera tout particulièrement l’importance de la monnaie ou encore du crédit national, bases d’une confiance où l’appartenance subjective à la nation peut effectivement se tisser –, une chose reste sûre : elle ne peut pas être accomplie par d’autres forces que les forces sociales elles-mêmes, les agents économiques réels, dans les associations qu’ils forment. Car ce qui se joue alors au niveau économique, c’est toujours l’intégration de type démocratique. Et c’est encore s’égarer que d’attendre de l’État la prise en charge de l’organisation du marché et de la production. Il n’y a de socialisme, pour Mauss, qu’à travers ce qu’il appelle une
    « nationalisation de l’économie » [1997 : 259] – mais à condition de préciser que la nationalisation, encore une fois, est une auto-organisation des forces productives, et donc exactement le contraire d’une étatisation."
    -Bruno Karsenti, « Une autre approche de la nation : Marcel Mauss », Revue du MAUSS, 2010/2 (n° 36), p. 283-294. DOI : 10.3917/rdm.036.0283. URL : https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2010-2-page-283.htm

    https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00406312/document

    "La nation n'est pas du même ordre que les formations sociales primaires telles que les dans ou les tribus, les villages ou les cites, dans la lignée desquels Marcel Mauss voulait l'inscrire. Aucun des facteurs qui expliquent la formation de ces groupements, l'ethnie, le territoire, la religion, la langue, ne suffit à rendre compte de la réalité nationale." (p.202)

    "On ne peut nier cependant que la nation s'extériorise dans le comportement de ses membres. Comme il existe des plats nationaux, on peut observer des réflexes, des répugnances et des gouts auxquels se rattache un caractère national. Mieux encore: si personne n'a jamais vu la nation, on sait, par expérience, quelle est l'ampleur des sacrifices qu'il lui arrive d'exiger et que ses membres lui consentent. Dans ces conditions, puisque la nation n'est pas un phénomène directement observable, puisqu'elle ne se révèle que par les sentiments qu'on lui porte et les attitudes qu'elle suscite, force est de voir en elle une idée, une représentation que les individus font de l'être collectif que tous ensemble ils constituent." (p.205)

    "S'il est vrai que la nation s'affirme avec d'autant plus d'intransigeance que son assise concrète est plus faible, c'est parce que l'idée nationale engendre entre les hommes une solidarité qui efface les oppositions que provoqueraient leurs situations réelles. De même, si elle est souvent plus accusée chez les individus de condition modeste, c'est parce qu'elle leur permet de trouver dans leur adhésion à la foi collective une dignité qu'ils seraient bien en peine de fonder sur la médiocrité de leur situation personnelle." (p.206)
    -Albert Doja. L’idée de nation: du postulat de Marcel Mauss à la question actuelle des identités nationales et culturelles. Revue de l’Institut de Sociologie, Université Libre de Bruxelles, 1996, pp.201-212. ffhalshs-00406312f




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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