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    John Scheid, La religion des Romains

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Date d'inscription : 12/08/2013
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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 1 Déc - 17:52

    "Le terme « Romains » recouvre des réalités très diverses. Qu’est-ce, en effet, qu’un Romain ? Un citoyen de la ville de Rome et du Latium ? Mais à quelle époque ? À l’époque des Guerres Puniques, au début de notre ère ou sous l’Empire* ? Selon les époques, l’identité culturelle de ce « Romain » ne sera pas la même : à partir du I siècle av. notre ère, il pourra être originaire d’une cité d’Italie – d’Ombrie, d’Étrurie, de Grande-Grèce – et bientôt même d’une cité « d’outre-mer ». Sous l’Empire il y avait des « Romains » dans l’ensemble du monde romain ; certains descendaient d’émigrants venus de Rome et d’Italie, d’autres étaient des pérégrins* (étrangers) naturalisés : partageaient-ils tous la même culture ?"

    "[L'aspiration] à l'état "pur", non mélangé, de la religion romaine est un mythe moderne."

    "C’est une religion sans révélation, sans livres révélés, sans dogmes et sans orthodoxie. L’exigence centrale est plutôt celle de l’orthopraxie, de l’exécution correcte des rites prescrits.

    -C’est une religion ritualiste et comme telle sévèrement traditionaliste ; cela ne l’empêche pas d’évoluer et d’intégrer de nouveaux éléments, car l’ouverture aux nouveaux citoyens et aux nouveaux dieux était traditionnelle à Rome.

    -C’est une religion dans laquelle les rites et les attitudes rituelles construisent et transmettent des représentations sur les divinités et l’ordre des choses. Il est donc erroné de considérer que cette religion froide et nécessairement intéressée ignorait toute idée et tout contenu spirituels. D’ailleurs, la pratique religieuse n’excluait nullement l’exégèse et la spéculation libres. Toutefois cette activité se déroulait à l’extérieur de la vie religieuse proprement dite. Dans la mesure où il n’existait aucun autre dogme que l’obligation rituelle, les individus jouissaient d’une entière liberté pour penser les dieux, la religion et le monde.

    -C’est donc une religion qui dissocie croyance explicite et pratique religieuse.

    -C’est une religion sans initiation ni enseignement. Les devoirs religieux sont imposés à l’individu par la naissance, par l’adoption, l’affranchissement ou la naturalisation, bref ils sont liés au statut social des individus et non à une décision personnelle d’ordre spirituel (comme le baptême ou la conversion, par exemple). Ceux qui ne bénéficient pas du même statut social ne peuvent pas faire partie de la même communauté religieuse : un étranger n’a en principe aucun devoir à l’égard des divinités romaines. Et si l’on change de statut, il est logique que l’on change aussi de religion.

    -C’est donc une religion sociale, strictement liée à une communauté, non à l’individu comme on a pu le supposer. Elle ne concerne l’individu qu’en tant que membre d’une communauté, par exemple comme citoyen ou membre d’une famille. La « religion romaine » n’existe donc pas, il n’y a en fait que des religions romaines, autant qu’il y a de groupes sociaux romains : la cité, la légion, les unités de la légion, les collèges d’appariteurs, les collèges d’artisans, les quartiers, les familles, etc
    ."

    "C’est une religion qui ne comporte pas de code moral ; le code éthique qui la régit est le même que celui qui régit les autres relations sociales.

    -C’est une religion qui recherche le bien terrestre d’une communauté et non le salut de l’individu et de son âme immortelle dans l’au-delà. Les dieux aident les individus, mais d’abord en tant qu’ils sont membres d’une communauté et ensuite seulement comme individus et en marge des affaires communautaires.

    -Tout acte communautaire comporte donc un aspect religieux, et tout acte religieux possède un aspect communautaire. Ainsi le culte public comporte nécessairement des aspects politiques. Dans ce sens, on peut dire que la religion romaine est une religion politique.

    -C’est une religion sans autorité ni chef uniques, même au niveau du culte public. L’autorité religieuse est toujours morcelée."

    "Souvent mal compris, sous l’influence des théories prédéistes, le terme sacer se réfère à la sphère de la propriété. Est sacer « tout ce qui est considéré comme la propriété des dieux » (Macrobe*, Saturnales 3, 3, 2, d’après le juriste Trébatius, contemporain de Cicéron). Ce qui signifie que c’est « ce qui a été dédié et consacré aux dieux » (Festus*, De la signification des mots, p. 298 édition Lindsay, d’après le juriste Aelius Gallus, contemporain de Cicéron). Le sacré n’est pas, à proprement parler, une qualité divine que l’on constate dans un être ou une chose, mais une qualité que les hommes y mettent. Ainsi, les dieux ne sont pas sacrés, et aucun objet ne peut être considéré comme divin. Le sacré n’est pas une « force magique » que l’on place dans un objet, mais simplement une qualité juridique que cet objet possède. Comme toute propriété publique ou privée, celle des dieux est inviolable. Elle l’est d’autant plus que les propriétaires sont terriblement supérieurs aux humains et que leur vengeance est inexorable. L’atteinte à la propriété divine s’appelle, au sens propre, sacrilège.

    La consécration, au niveau des cultes publics, ne peut être effectuée que par les magistrats ou des personnes qui en ont été chargées par une loi. En fait, dans le culte public, seuls étaient sacrés les édifices ou objets consacrés par les magistrats suprêmes ou par ceux que l’assemblée du peuple élisait pour le faire en son nom. Ainsi, en dépit de la tolérance à l’égard d’initiatives privées et de la valeur qu’elles pouvaient posséder aux yeux des particuliers, les offrandes faites de manière informelle dans des sanctuaires ou espaces publics n’étaient pas sacrées et pouvaient être détruites, si l’État le jugeait nécessaire. La qualité sacrée, nous le verrons, était parfois simplement constatée par les autorités : certains objets signalent par eux-mêmes que les dieux se les sont appropriés. Si les formes étaient respectées, un objet sacré pouvait toujours être rendu à nouveau profane, c’est-à-dire extrait de la propriété divine. Cela se produisait pour des espaces sacrés et, très couramment, au cours du sacrifice. Une vieille tradition romaine consistait à vouer le coupable de certains crimes aux dieux (sacratio). À l’époque historique, c’est le châtiment que ceux qui prêtaient serment appelaient sur eux-mêmes en cas de parjure. Par cet acte d’« auto-consécration », l’individu devenait la propriété divine. Cette exclusion se traduisait par sa mise en marge dans la cité*, d’autant plus que la sacratio concernait souvent les divinités d’en bas."

    "Le domaine d’application de la piété dépasse celui de la religion : il concerne aussi bien les relations correctes avec les parents, les amis ou les concitoyens que l’attitude correcte à l’égard des dieux. La piété fonctionne comme une justice distributive, régissant les obligations des hommes envers les dieux. « La piété est la justice à l’égard des dieux », écrit Cicéron* (De la nature des dieux 1, 116). Cette vertu sociale est réciproque et les dieux aussi doivent remplir leurs obligations. La piété implique la pureté. Celle-ci est essentiellement un état du corps, et n’a pas de rapport direct avec l’intention et la morale. Un Romain est impur s’il y a un deuil dans sa famille, de même qu’un temple, bois sacré, prêtre ou magistrat deviennent impurs dès qu’ils sont mis en contact avec la mort et le deuil. Pour retrouver l’état de pureté, l’individu ou le lieu sacré doivent subir des rites de purification, qui vont des ablutions ou aspersions d’eau à des périodes d’attente et de retour progressif à l’état « normal ». C’est pour cette raison que l’on se baigne avant un sacrifice. [...]
    Outre les punitions que la cité* peut lui infliger pour avoir violé en même temps une loi publique et la sanctitas d’un lieu ou objet, l’impie est « remis » aux dieux pour que ceux-ci « se fassent justice »."

    "Dès que, à partir du milieu du III siècle de notre ère, les épidémies, les invasions et les déchirements internes ébranlèrent cette confiance dans le modèle idéologique de la cité, la vieille religion se transforma et fut peu à peu abandonnée pour une autre."

    "Les rites, au sens moderne, sont des séquences complexes de gestes et d’attitudes corporelles, qui se déroulent dans un ordre strict et progressif. Ce sont des gestes et des attitudes de la vie quotidienne dont le sens premier est connu de tous : saluer, honorer, donner, prendre, recevoir, être habillé de manière solennelle, se conduire humblement, et leurs contraires.
    Tout Romain normalement constitué était capable de comprendre le sens premier des rites, d’autant plus que, dans sa famille, il exécutait des rites très proches de ceux que les magistrats ou prêtres célébraient dans les lieux publics. Et quand des gestes anciens, transmis par la tradition étaient devenus peu à peu obsolètes, ou provenaient d’autres cultures, ils étaient généralement « resémantisés » par les célébrants ou les observateurs. Ainsi, les raisons données par les érudits romains pour expliquer le voilement de la tête lors du culte (voir ci-dessous) sont très clairement des reconstructions."

    "En restaurant un temple, [les imperatores de la fin de la République et de l'Empire] faisaient coïncider l’anniversaire de la nouvelle dédicace avec une date personnelle, par exemple l’anniversaire d’Auguste (23 septembre), en donnant à une fête traditionnelle d’une divinité une signification politique : ainsi le 23 septembre devint sous Auguste l’anniversaire de six temples situés dans la zone du cirque Flaminius. La décoration d’un sanctuaire pouvait, elle aussi, orienter la pensée des célébrants vers la gloire de celui qui l’avait fait construire (on pense au temple Vénus Victrix du théâtre de Pompée, ou aux portiques entourant le temple de Mars Ultor)."

    "Le rite romain, institué d’après les mythes par Énée, consiste à se couvrir la tête en sacrifiant*, à commencer le sacrifice par un rite préliminaire particulier, enfin à opérer un certain type de partage de la victime (voir plus loin). Dans le rite grec, on sacrifie la tête découverte, couronné de laurier [...]
    Les cultes selon le rite grec constituent une catégorie bien romaine, qui aurait certainement paru exotique aux Grecs. On sait, en effet, qu’il n’y a pas une religion grecque, mais autant de coutumes ou de religions que de cités grecques. De quel rite grec s’agissait-il ? Le rite grec est une catégorie officielle, plus ou moins artificielle, créée par les Romains au cours du III siècle et du II siècle av. notre ère, pour qualifier certains programmes cultuels nouveaux ou certains vieux cultes romains, dont on découvrait ou soulignait l’origine « grecque », tel le culte d’Hercule. Le classement engloba même le vieux culte romain de Saturne.
    L’absorption de divinités et de cultes nouveaux a existé de tout temps, à Rome, dans les cités italiques et grecques.
    "

    "On note d’abord qu’il n’y a pas de calendrier religieux universel. Chaque cité*, même une colonie romaine, établit le sien, et ce calendrier ne recouvre pas forcément celui de Rome. D’autre part, le calendrier n’est pas construit par des prêtres mais par les magistrats suprêmes en collaboration avec le sénat local. À Rome, il n’en allait pas différemment, même si les choses étaient nettement plus complexes. Le calendrier y était géré par le collège des pontifes, certes, mais toutes les décisions concernant l’introduction de nouvelles fêtes étaient dictées par des lois ou par des sénatus-consultes."

    "À partir du II siècle av. notre ère, les calendriers affichent les jours des « semaines », les jours fastes et néfastes, les divisions du mois, les vieilles fêtes et commencent à indiquer, en petits caractères ou en rouge, les anniversaires des principaux temples ainsi que d’autres événements religieux. [...] Or depuis la fin du III siècle et surtout le début du II , les constructions ou reconstructions de temples dues aux triomphateurs s’accrurent à tel point que le paysage architectural de la ville en fut transformé. L’anniversaire de ces temples nouveaux, restaurés ou reconstruits, célébrait certes les victoires du peuple romain, mais également les triomphes des grandes familles."

    "Au début de notre ère, Isis fut bannie de l’espace pomérial, au-delà du premier mille, puisqu’elle avait été la déesse tutélaire de l’Égypte, ennemie d’Octavien et des Romains."

    "Des divinités patronnant les activités de mort et de destruction, comme Mars et Vulcain, ne pouvaient pas recevoir de sanctuaire à l’intérieur du pomerium."

    "La consécration est une opération complexe. Elle n’est possible que sur un territoire romain, qui a été « libéré et défini », éventuellement inauguré. Après la décision officielle de procéder à une consécration (qu’on appelle la constitutio), l’espace en cause est purifié, les limites de la construction sont marquées et la première pierre est posée. Tacite en donne une belle description dans son récit de la purification et de la définition (par les suovétauriles) de l’emplacement du Capitole, qui avait brûlé au cours de la guerre civile de 69 ap. J.-C. :

    « Le onzième jour avant les calendes* de juillet (= le 21 juin 70), par un ciel serein, tout l’espace attribué au temple fut ceint de bandelettes et de couronnes ; on y fit pénétrer des soldats dont les noms étaient heureux et qui portaient des branches d’arbres de bon augure. Puis les vierges Vestales, accompagnées de garçons et de filles ayant père et mère vivants, firent des aspersions d’eau puisée à des sources et des fleuves. Ensuite, avec l’assistance du pontife Plautius Aelianus qui dictait la formule, le préteur Helvidius Priscus fit circuler des suovétauriles autour de l’aire (du temple) ; et après avoir offert les fressures sur des mottes de gazon, il pria Jupiter, Junon et Minerve, les divinités tutélaires de l’Empire, de seconder l’entreprise et, par leur divine assistance, d’élever jusqu’au faîte cette demeure qui était la leur et qui avait été commencée par la piété des hommes. Puis il toucha les bandelettes attachées à la première pierre et entrelacées avec des cordes. En même temps tous les autres magistrats, les prêtres, le sénat*, l’ordre* équestre et une grande partie du peuple, rivalisant d’efforts et d’allégresse, traînèrent à sa place l’énorme pierre. On jeta çà et là dans les fondations des monnaies d’argent et d’or, ainsi que des métaux vierges que nulle fournaise n’avait encore domptés, mais tels qu’on les trouve… » (Tac., Histoires 4, 53).

    Une fois la construction achevée, elle est dédiée ou consacrée. Le dédicant saisit le montant de la porte (pour un autel, il le touche) et prononce sous la dictée d’un pontife la formule de dédicace (lex dedicationis) qui fait passer cet édifice et espace de la propriété publique dans celle de la divinité : désormais ils sont sacrés."

    "Rites destinés à contraindre une divinité à rendre un service donné. Afin que le rite soit efficace, les « sorciers » prétendent connaître les « vrais » noms (secrets) des divinités : ce sont ces noms exotiques et barbares qui figurent sur les lamelles de défixion ou sur les papyrus magiques. La précaution vaut toutefois aussi pour le culte le plus officiel."

    "L’une des échéances régulières de vœux publics correspondait au Nouvel an. Sous la République*, le 15 mars, et à partir de 153 avant J.-C. le janvier, les deux consuls acquittaient et prononçaient des vœux à la triade capitoline et à Salus publica pour le salut du peuple romain. Le vœu consistait en sacrifices : Jupiter recevait un bœuf, les trois déesses des vaches. Éventuellement des dons en métal précieux pouvaient accompagner les sacrifices qui, on l’aura compris, formaient autant d’hommages solennels. La cérémonie ouvrait l’année civile, et la constatation de l’échéance des vœux prononcés l’année précédente par les consuls et le sénat*, réunis au Capitole, était le premier acte public de l’année. Une fois les compétences et les missions des magistrats définis, les consuls formulaient les vœux pour l’année qui s’ouvrait. À partir de l’Empire un deuxième vœu fut joint au premier, le vœu pour le salut de l’empereur et de sa famille. Après des tâtonnements au cours des premières décennies de l’Empire, la cérémonie fut fixée au 3 janvier à partir de Tibère. À Rome, les vœux publics étaient prononcés par les consuls, mais sous l’Empire les collèges de prêtres et sans doute beaucoup d’autres groupes sociaux prononçaient à leur tour, le 3 janvier, les vœux pour le salut impérial. Il en allait de même dans les colonies, les municipes et les cités pérégrines. Cette cérémonie devint l’une des plus grandes festivités de l’année."

    "Créés sous l’Empire*, les concours spécifiques (les agones) comportaient des concours gymniques, poétiques (mousikós) et hippiques. Généralement, ces agones étaient quinquennaux. Le plus connu fut le concours créé par Domitien en l’honneur de Jupiter capitolin (agon Capitolinus), pour lequel on construisit un stade sous l’actuelle place Navone et un odéon."

    "La prise des auspices incombait aux magistrats et s’imposait avant tout acte public important. Comme leur nom l’indique (auspicium de auis spicium, « observation des oiseaux »), l’observation des magistrats ne concerne que les signes donnés par les oiseaux. Les augures, en revanche « augurent » ou « inaugurent », mais ne prennent pas les auspices ; ils ont le droit d’annoncer des augures « oblatifs » constatés par eux-mêmes et autrui. Étant donné la complexité du formalisme divinatoire, les augures servaient de conseillers des magistrats dans les problèmes auspiciaux qui pouvaient se poser à eux. Toutefois, à quelque niveau que ce soit, les magistrats gardaient toujours l’autorité suprême sur le processus divinatoire : il leur revenait d’accepter et d’établir la signification de tout signe constaté et annoncé, ainsi que de consulter les oracles Sibyllins ou étrangers.

    Il existait deux types d’auspices : les auspices ou augures (signes) réclamés aux dieux (auguria impetratiua) et les augures non demandés qui se déclarent d’eux-mêmes, c’est-à-dire par la volonté des dieux (auguria oblatiua). Ces derniers peuvent consister en n’importe quel phénomène significatif ou dépassant la norme : ils vont de la parole ambiguë perçue par le magistrat ou son entourage, d’un faux pas ou d’une chute, des troubles dans le déroulement d’une cérémonie, aux phénomènes surprenants et aux catastrophes naturelles. À partir d’un certain degré de gravité, tout signe se transforme en prodige. Un augure oblatif peut être accepté ou non par le magistrat agissant, un prodige est généralement accepté tout de suite comme tel et expié."

    "Les auspices ne valent que pour la journée et pour la décision à prendre. Ils concernent la légitimité du magistrat et de sa décision dans un type d’espace donné ; s’il franchit le pomerium ou une autre limite, l’aval des auspices est caduc. À l’époque historique la consultation elle-même consiste en un échange de questions et de réponses entre l’auspicant et un assistant ; l’assistant n’est pas un augure, mais un appariteur du magistrat (pullarius). Anciennement les auspices se prenaient par l’observation du vol des oiseaux. Depuis le III siècle au moins, les magistrats romains préféraient toutefois « l’observation » de poulets, dont l’appétit et le comportement général étaient censés être observés lors de la prise d’auspices. À l’époque historique, tout magistrat romain en déplacement avait dans son entourage des cages de poulets gardés par un pullaire. Théoriquement le fait que les poulets mangent, mangent goulûment, ne mangent pas ou peu, donnait une réponse favorable, très favorable ou négative. À en croire, toutefois, Cicéron et le témoignage des historiens, la réponse était toujours positive, c’est-à-dire elle allait toujours dans le sens voulu par le magistrat, d’autant plus que la mise en scène constituait le cadre obligatoire du rituel d’annonce d’auspices favorables plutôt qu’un dispositif d’enquête divinatoire. Le magistrat se servait de ce rite pour annoncer, en quelque sorte, sa ferme conviction que sa décision bénéficiait de l’accord des dieux."

    "2.3 Les auspices et la légitimité.

    Les auspices étaient un des éléments formels nécessaires pour qu’une décision fût légitime en droit public. C’est pour cette raison qu’ils furent souvent attaqués et contestés par des adversaires politiques. À rang égal ou supérieur, un autre magistrat pouvait contester la légitimité des auspices en annonçant un signe « oblatif » défavorable (il s’agissait généralement d’un coup de tonnerre) ou en dénonçant un vice de forme. La contestation des auspices était également formalisée au point qu’il suffisait d’annoncer par un édit « qu’on observerait » le jour où le collègue entendait agir pour signifier l’obtention d’un augure fortuit défavorable. Mais généralement la prépondérance du magistrat agissant l’emportait, car plus encore que le signe lui-même, c’était sa volonté qui comptait : même s’il se rendait compte que le signe annoncé comme favorable ne l’était pas dans les faits, par exemple si le pullaire ne tenait pas compte d’un comportement anormal des poulets, dépassant la limite entre la routine et le prodige, il pouvait décider qu’il avait reçu de son assistant un augure favorable et qu’il l’acceptait comme tel.

    L’important n’était pas le signe, mais la décision du magistrat prenant les auspices. La seule manière de contester les auspices d’un magistrat suprême était de saisir le collège des augures et le sénat* pour dénoncer un vice de forme quelconque. Cette protestation était réservée aux détenteurs de l’imperium et ne concernait pas les auspices militaires. Seuls les augures possédaient le droit d’ajourner des comices en annonçant « ajourné » (alio die), sous-entendant qu’ils avaient observé un signe défavorable pendant le déroulement des comices. Néanmoins leur annonce ne concernait que le jour en question."
    -John Scheid, La religion des Romains, Armand Colin, coll. cursus, 3ème édition de 2017 (1998 pour la première édition).




    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mar 8 Déc - 22:20, édité 9 fois


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 8 Déc - 17:22

    "Principat : Régime politique correspondant aux deux premiers siècles de l’Empire, pendant lesquels l’empereur exerçait ses pouvoirs conformément aux traditions.

    Magistrat : Personnalité élue qui exerce le pouvoir dans une cité. À Rome il s’agit des consuls, préteurs, édiles, questeurs et tribuns de la plèbe ; dans les municipes* ou colonies*, des duumvirs*, édiles et questeurs."

    "Client : Personne, groupe ou même cité liés à un patron et protégés par lui ; en retour les clients soutiennent en toute occasion leur patron.

    Colonie : Forme de cité* romaine ; les colonies de droit romain étaient des cités fondées par Rome selon le droit romain et souvent peuplées de vétérans ; les colonies latines étaient des cités fondées par Rome et fonctionnant selon le droit romain, mais comprenant une majorité de citoyens qui pouvaient devenir citoyens romains par la gestion des magistratures locales."

    "Gens : Ensemble de familles se réclamant d’un même ancêtre, tels les Iulii, les Claudii, etc."

    "Ordre : Groupe social officiellement reconnu par la cité*, bénéficiant de certains privilèges et exerçant certaines fonctions."

    "Pérégrins : Terme juridique pour désigner les étrangers, ne possédant pas le droit de cité romaine pleine ou le droit latin ; il existait aussi des cités et des peuples pérégrins."

    "Taurobole : (littéralement « sacrifice d’un taureau »). Sacrifice du culte de la Mater magna, qui était offert pour le salut de l’empereur."
    -John Scheid, La religion des Romains, Armand Colin, coll. cursus, 3ème édition de 2017 (1998 pour la première édition).




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