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    Christophe Charle, Homo historicus. Réflexions sur l’histoire, les historiens et les sciences sociales

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Christophe Charle, Homo historicus. Réflexions sur l’histoire, les historiens et les sciences sociales Empty Christophe Charle, Homo historicus. Réflexions sur l’histoire, les historiens et les sciences sociales

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 20 Sep - 13:47

    https://journals.openedition.org/chrhc/3814

    Connu pour ses travaux sur la société au xixe siècle, Christophe Charle livre ici une réflexion générale critique sur la pratique de l’histoire sociale et de l’histoire culturelle et les liens entre ces deux branches de la discipline et, en chemin, va nettement plus loin. S’élevant contre la vision catastrophiste de l’historiographie française donnée par Jean-François Sirinelli (L’histoire est-elle encore française ?, 2011), il en dresse un état qui, sans être très optimiste, est beaucoup plus nuancé. Le fait fondamental est la massification, pendant la seconde moitié du xxe siècle, des spécialistes d’histoire, enseignants du secondaire et du supérieur. Vers 1950 ils sont moins de 2 000, vers 1990 le chiffre a au moins quadruplé, dont plus de 2 000 enseignants-chercheurs titulaires et doctorants. Le nombre des publications qu’ils rédigent a partiellement suivi : plus de 15 000 livres et articles recensés en 1992 au lieu de 8 000 vers 1950. Même en sélectionnant ses lectures, il devient impossible de suivre l’ensemble de la production de recherche et, qui plus est, chacun dans sa sous-discipline particulière, d’être au courant de toutes les nouveautés. En même temps, le contenu de l’histoire a changé. Sous l’influence de l’école des Annales et du marxisme, en 1950-1975, elle est passée du récit surtout politique et religieux accroché aux événements, à l’étude du fonctionnement des sociétés. Tôt par rapport à l’étranger, la recherche française s’est mise au dépouillement de nombreuses séries de documents laissées partiellement ou totalement dans l’ombre auparavant, et de nouveaux objets ont été mis en examen : le livre, l’enseignement, la vision évolutive du corps humain, les femmes, la sexualité, les sociabilités… Par exemple, comme le développe Christophe Charle, venue du culte traditionnel des belles-lettres, l’histoire du théâtre ne s’en tient plus à l’analyse des auteurs et des filiations des thèmes et des idées, mais elle saisit les mises en scène, les troupes d’acteurs, leurs équipements, les attitudes des autorités publiques et privées, les publics, les contraintes financières, intellectuelles et morales, même non dites. Par là, le théâtre s’inscrit dans la société où il est installé. Par là également, l’opposition assez vive dans les années 1980 entre histoire sociale et histoire socioculturelle tend à être dépassée. Maniant la statistique sans oublier la critique des sources, faisant entrer dans l’observation les masses à côté des élites, l’histoire est aussi devenue depuis 1950 plus scientifique.

    2Pourtant, les promesses d’alors n’ont pas toutes été tenues. Malgré les progrès, on a assisté depuis trois décennies à une régression de la thématique de la recherche. On ne peut qu’être d’accord avec la liste des éléments qu’en propose Christophe Charle. D’abord, quoique l’historiographie comme histoire de l’histoire ait maintenant sa place, la réflexion théorique et épistémologique est demeurée rare et limitée à la mise en cause du positivisme de la fin du xixe siècle, dont l’influence s’est prolongée partiellement au-delà de la Seconde Guerre mondiale. Après 1980 s’est étendu le rayonnement de la pensée de Paul Ricoeur et son impressionnisme psychologisant. Derrière elle, un retour à un idéalisme modernisé s’est esquissé. Par ailleurs, quoique employant les schèmes de l’anthropologie, les historiens sont restés peu ouverts à la sociologie théorique, alors même que certains sociologues utilisaient les travaux historiques. Après 1980, l’intérêt pour le collectif a tendu à céder le pas au profit de l’individuel, jusqu’à presque oublier parfois que l’homme est avant tout un « animal social ». En témoignent sur le terrain le recours trop restreint à la méthode de la prosopographie et, pour les concepts d’encadrement et d’interprétation, une certaine méconnaissance de l’œuvre de Pierre Bourdieu sur laquelle Christophe Charle insiste utilement. Il faut bien convenir que la tentative de confrontation organisée par la Société d’histoire moderne et contemporaine en 1999 que cite l’auteur (Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1999, 3-4), incontestablement utile, a pourtant tourné court. De même, le découpage en quatre périodes de l’Antiquité à nos jours, venu de longue date des programmes d’enseignement secondaire, a été peu remis en cause, ce qui parfois étouffe les continuités de longue durée et, paradoxalement, peut minorer les ruptures. Surtout, l’historiographie française est toujours francocentrée, 80 % des publications privilégiant l’espace national. Et sa conception de l’histoire planétaire demeure largement eurocentrée. Malgré, là encore, un essai de la Société d’histoire moderne et contemporaine (« Histoire globale, histoires connectées », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2007, 4), l’histoire comparée internationale, l’histoire globale et l’histoire connectée sont peu pratiquées. Dans le même sens que cette affirmation de Christophe Charle, on ajoutera qu’en 2009 paraît Histoire globale, mondialisation et capitalisme (dir. Philippe Beaujard, Laurent Berger et Philippe Norel) : 16 collaborateurs, aucun historien français. Comme si Fernand Braudel, Pierre Vilar ou Pierre Chaunu n’avaient pas existé. Et Christophe Charle trace à la fin de son livre les grands traits de l’œuvre de six historiens français et étrangers largement engagés dans le débat d’actualité ou dans la comparaison internationale à la fin du xixe et au xxe siècle, de Ferdinand Brunot et son Histoire de la langue française jusqu’à Eric Hobsbawm, disparu en 2012. Il souligne enfin que l’avenir de la recherche historique ne dépend pas que de controverses idéologiques ou érudites, mais qu’en dépit de la modestie des besoins financiers de la discipline, il y faut également des moyens matériels.

    3Pourquoi alors une telle frilosité de la production historienne aujourd’hui ? Christophe Charle reprend le dossier de la « crise de l’histoire » discuté à la fin du xxe siècle, en particulier avec l’ouvrage de Gérard Noiriel (Sur la crise de l’histoire, 1996), auquel les Cahiers d’histoire avaient consacré quelques pages (n° 73, 1998). Il s’agit de bien autre chose que l’épuisement de l’inspiration « Annales-Braudel-Labrousse » de l’histoire comme synthèse, ce que soutenaient les tenants de l’histoire idéaliste poussée par le vent libéral. Christophe Charle ne se contente pas non plus de l’explication par l’effet négatif de la spécialisation indispensable de la recherche qui parcellise le champ de l’étude. Opèrent aussi de puissants facteurs exogènes : restriction des débouchés éditoriaux, fin de la création de postes universitaires et CNRS, baisse relative des crédits, précarité de l’emploi, autant de faits qui invitent au conformisme pour faire carrière, l’ensemble étant aggravé sous Sarkozy.

    Mais d’autres traits récents tempèrent un peu le pessimisme. Remarqués par Christophe Charle, les choix d’une institution ont sans doute une influence limitée mais non négligeable : les questions portées au programme de l’agrégation d’histoire depuis 1995 vont fréquemment dans le sens de l’innovation et de la comparaison internationale, sans tomber dans le culturalisme ambiant, telles « Les campagnes et les sociétés rurales en Europe occidentale au xixe siècle » ou « Révoltes et révolutions en Amérique et en Europe, de 1793 à 1802 ». J’y ajouterai un autre signe, qui malheureusement n’a pas encore été remarqué par les grandes revues d’histoire : la rénovation et l’élargissement depuis 1990 de la collection Nouvelle Clio, l’histoire et ses problèmes (PUF) qui se veut couvrir le monde.

    -Guy Lemarchand, « Christophe Charle, Homo historicus. Réflexions sur l’histoire, les historiens et les sciences sociales », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 124 | 2014, mis en ligne le 28 juillet 2014, consulté le 20 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/3814





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