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    Lucie Davoine, « L'économie du bonheur. Quel intérêt pour les politiques publiques ? »

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Lucie Davoine, « L'économie du bonheur. Quel intérêt pour les politiques publiques ? » Empty Lucie Davoine, « L'économie du bonheur. Quel intérêt pour les politiques publiques ? »

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 26 Aoû - 21:15

    "Les individus qui se disent heureux ont par exemple une activité cérébrale plus importante dans la partie préfrontale du cerveau droit qui serait le siège des émotions positives, d’après des travaux d’imagerie cérébrale."

    "Si une question sur le nombre de sorties pendant la semaine est posée avant une question sur la satisfaction dans la vie, les réponses à ces deux questions sont corrélées, laissant penser que les sorties entre amis contribuent au bonheur. Mais les réponses ne sont pas corrélées si la question sur la sortie est posée après (Bertrand et Mullainathan [2001] ; Schwarz et Strack [1999]). Cet effet peut entraîner un biais systématique qui conduit à surestimer une corrélation. L’humeur du moment entre également en jeu. La victoire de son équipe de foot favorite influence la réponse à une question sur la satisfaction à l’égard de sa propre vie (Schwarz et Strack [1999]). Les individus répondent en fonction de ce qu’ils ressentent sur le moment, et non en fonction de ce qu’ils pensent de leur vie. Or l’économétrie capte plus difficilement l’humeur du moment qu’un trait de personnalité constant, sur différentes vagues d’un panel par exemple. Le caractère rétrospectif des questions sur la satisfaction jette également un doute sur ces réponses, tant la mémoire des individus peut les tromper. Lorsque les individus sont interrogés sur leur vie en générale, ils prennent rarement en considération toutes les informations pertinentes, pour ensuite les peser et sous-peser ; ils se contentent bien souvent de l’information immédiatement accessible ; ils négligent la durée, pour ne retenir que le dernier événement ou l’expérience hédonique la plus intense (« peak-end behavior »). Pour répondre aux questions sur la satisfaction, les individus font appel à des souvenirs divers, les recomposent, et en oublient certains."

    "L’arbitrage entre inflation et chômage est ainsi éclairé par la macroéconomie du bonheur : une augmentation du taux de chômage dans un pays a un effet plus nuisible que l’augmentation de l’inflation (Di Tella, MacCulloch, et Oswald [2001])."

    "Les résultats de l’économie du bonheur militent pour ne pas se contenter d’indicateur tel que le revenu ou le pib pour mesurer le bien-être d’un individu ou d’une nation. Depuis le paradoxe mis en évidence par Easterlin [1974], nous savons qu’une hausse du pib ne se traduit pas nécessairement par une hausse de « Bonheur National Brut ». La macroéconomie du bonheur contemporaine (basée sur la comparaison temporelle et internationale du niveau de bien-être déclarée en moyenne dans un pays) confirme ces premiers résultats : à partir d’un certain seuil de développement économique, l’argent ne fait plus le bonheur, l’augmentation du revenu n’importe plus, ou très peu (Oswald [1997])."

    "Lorsque la démocratie règne, lorsque la participation à la vie publique et politique est plus importante, lorsque les institutions sont stables et légitimes, le bien-être subjectif est plus élevé. Les deux économistes suisses démontrent que le fédéralisme, les référendums populaires et plus généralement la participation à la vie civique rendent les citoyens plus heureux."

    "Une partie des biens consommés n’augmenterait pas de manière durable le bonheur du consommateur, mais aurait pour fonction de le démarquer de ses voisins. Cette consommation produit donc des externalités négatives : ses voisins risquent de l’envier. Nous aurions ainsi tous intérêt à consommer moins, à travailler moins et profiter davantage de notre temps libre pour le loisir ou l’éducation, la famille et les amis. Pour limiter cette « course de rats » (c’est la formule consacrée), les auteurs préconisent une taxe progressive sur la consommation ou les revenus (Frank [1997] ; Layard [2005a, 2005b])."

    "L’intérêt d’une approche à partir d’enquêtes d’opinion est d’éviter toute forme de romantisme (Diener et Seligman [2004]), qui consisterait à se baser sur une nature humaine imaginaire, idéalisée et sans fondement empirique, mais également de paternalisme, qui consisterait à croire que l’expert est mieux placé pour définir le bien des individus, ou bien encore d’ethnocentrisme qui consiste à croire que son point de vue est universel (Fleurbaey, Herpin, Martinez et Verger [1997]). En définitive, reconnaître la pertinence d’une opinion sur le bien-être personnel permet de « tenir compte d’une exigence majeure dans les sociétés occidentales modernes : le respect du pluralisme des goûts et de la liberté individuelle » (Fleurbaey et al. [1997])."

    "La notion de préférences adaptatives s’incarne également dans la figure du pauvre satisfait, qui a appris à se contenter de peu, ou des femmes habituées à une inégalité entre hommes et femmes. En définitive, mesure-t-on le bonheur ou la capacité des individus à se résigner et à admettre qu’ils sont heureux ? L’adaptation peut être un phénomène positif, mais c’est aussi une forme de résignation. Ce problème fut souligné par trois auteurs qui critiquent les approches « welfaristes » de la justice : Amartya Sen [1979a, 1979b], Jon Elster [1982] et Martha Nussbaum [2001] (voir aussi Teschl et Comim [2005]). Les réflexions de ces auteurs peuvent éclairer différemment les résultats de l’économie du bonheur. Des dialogues entre ces diverses approches s’instaurent déjà (Comim [2005]). En démontrant l’importance des phénomènes d’adaptation, d’habitudes et le poids de coutumes, l’économie du bonheur donne des arguments à ceux qui ne souhaitent pas faire de la satisfaction le seul baromètre de l’action publique. L’économie du bonheur souligne ainsi la différence entre les peines et les plaisirs auxquels on s’adapte et ceux qui ont un impact plus durable : il n’y aurait pas d’adaptation au bruit, par exemple : les personnes qui habitent près d’une autoroute ou d’un aéroport supportent de moins en moins bien ces nuisances."
    -Lucie Davoine, « L'économie du bonheur. Quel intérêt pour les politiques publiques ? », Revue économique, 2009/4 (Vol. 60), p. 905-926. DOI : 10.3917/reco.604.0905. URL : https://www.cairn.info/revue-economique-2009-4-page-905.htm



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