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    Anthony Glinoer, Y a-t-il eu une « identité collective » du romantisme de 1830 ?

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Anthony Glinoer, Y a-t-il eu une « identité collective » du romantisme de 1830 ? Empty Anthony Glinoer, Y a-t-il eu une « identité collective » du romantisme de 1830 ?

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 6 Mai - 21:37

    https://www.cairn.info/revue-romantisme-2010-1-page-29.htm

    "La « génération nouvelle », tel est bien le mot d’ordre du romantisme quand il s’autoproclame. Or, un danger guette la recherche historique lorsqu’elle se trouve d’emblée contrainte, par son objet d’étude lui-même, à percevoir celui-ci sous un biais, autrement dit à convertir la revendication identitaire du groupe qu’il étudie en grille d’analyse.

    Sans nier la fiabilité relative de l’opérateur générationnel, la vraie question qui émerge alors est celle de l’identité collective dont se dote un groupe ou un mouvement littéraire. Cette identité collective correspond, nous allons tâcher de le montrer, à la concaténation de facteurs de nature différente, principalement : 1) un ensemble d’indicateurs sociologiques parmi lesquels la date de naissance et celle d’entrée dans le champ littéraire ; 2) l’adoption de lieux de sociabilité généralement relayés par des relations multilatérales d’amitié et des transactions sur le mode du don (don d’œuvres, de livres, de conseils, etc.) ; 3) la construction d’un discours collectif, voire d’une vision du monde.
    "

    "Partant de la méthode de l’analyse factorielle des correspondances multiples, nous avons ailleurs proposé une étude prosopographique d’une centaine d’écrivains dont la présence dans l’un des six principaux cénacles romantiques est avérée entre 1819 et 1836 (cénacles de La Muse française, de Delécluze, de Nodier, de Hugo, de Vigny et Petit Cénacle). Cette méthode qui confronte des modalités aussi diverses que la date et le lieu de naissance, la profession du père, le niveau d’études atteint, la profession exercée au cours de la période concernée, le volume et la distribution générique des œuvres publiées et la reconnaissance par les instances littéraires permet de faire apparaître des rapprochements entre des caractéristiques sociales partagées. En l’occurrence, elle fait apparaître quatre individus modaux parmi les écrivains romantiques. Le premier individu modal (par exemple Nodier, Lamartine, Sophie Gay) est un aristocrate ou un grand bourgeois né en province vers 1780, il a eu un précepteur, publie des recueils de poésie mais plus souvent encore des ouvrages historiques, est édité chez Ladvocat, fréquente les académies, reçoit après 1820 le soutien de toutes les instances de consécration, qu’elles soient d’ordre social (pension royale, légion d’honneur, sinécures) ou littéraire (élection à l’Académie française et à l’académie des Jeux-Floraux de Toulouse, prix décernés par ces mêmes académies). Au temps où il fait partie d’un mouvement romantique encore balbutiant, on le lit dans La Muse française ou, s’il a quelque accointance libérale, au Mercure de France au dix-neuvième siècle ; on le rencontre enfin aux « dimanches » de l’Arsenal ou dans les salons aristocratiques reformés sous la Restauration.

    Les enfants de la moyenne bourgeoisie provinciale, entrés relativement jeunes en littérature, issus de familles au statut social comparable, appartenant aux mêmes classes d’âge (ils sont nés entre 1790 et 1810), donnent naissance à deux autres individus modaux qui doivent être distingués par leur capital scolaire et la suite de leur trajectoire : autour de Mérimée apparaît la branche libérale du mouvement romantique, réunie d’abord au sein du grenier d’Étienne Delécluze puis par Le Globe. Cet individu modal a achevé des études de droit en Sorbonne (c’est le cas de Mérimée, Vitet et Duvergier de Hauranne), s’est illustré en littérature et tout particulièrement dans les domaines du théâtre et du roman, puis, profitant de la chasse aux places officielles consécutive à la révolution de Juillet, a atteint de hautes fonctions dans l’appareil d’État (Dittmer sera inspecteur général des haras, Cavé responsable de la censure au ministère de l’Intérieur) ou dans le professorat. L’autre individu modal de cette classe d’âge, incarné par personne mieux que par Victor Hugo, n’a guère brillé dans son parcours scolaire. C’est l’individu romantique par excellence, qui a pu chasser les prix au début de sa carrière, qui tente l’aventure du drame vers 1828 (Frédéric Soulié, Foucher, Vigny) et se consacrera ensuite, au cours des années 1830, aux revues et à son œuvre publiée par Renduel ou par tel autre grand éditeur romantique. On trouve à ses côtés des écrivains issus de couches sociales moins dotées, mais qui ont su compenser ce déficit par la pénétration réussie de plusieurs réseaux importants : il en va ainsi de Sainte-Beuve, de Jules Janin ou encore d’Alexandre Dumas. Ces deux individus modaux se caractérisent encore, et fortement, par leur participation active à différents cénacles.

    C’est aussi dans les cénacles des années 1827-1832 que se rencontre le quatrième individu modal. Celui-ci, le moins bien doté en toutes sortes de « capitaux », se fait remarquer par un investissement fort dans la communauté émotionnelle romantique. Il appartient à la petite bourgeoisie parisienne, est plutôt désargenté et publie beaucoup en revue et dans les journaux. Sa production en volumes est peu abondante, ce malgré son jeune âge d’entrée en littérature. C’est du profil de ce dernier individu modal que les Jeunes-France sont le plus proche sans nécessairement se confondre avec lui. Les Jeunes-France ne sont pas seuls dans ce groupe, mais ils y sont tous. Prenons un échantillon de dix écrivains qui leur ont été assimilés : Lassailly, Borel, Brot, Gautier, Maquet, Bouchardy, Dondey, Escousse, Nerval et Esquiros. Sept sur dix sont nés à Paris, tous (sauf Nerval, fils de médecin) sont enfants de la petite bourgeoisie intellectuelle ou plus souvent commerçante ; mis à part Maquet, aucun n’a suivi d’études longues, et l’enseignement artistique concerne trois d’entre eux. Enfin tous (moins Dondey), feront profession d’homme de lettres après 1830, pour quelques années du moins. En revanche, entrés très tôt dans le champ littéraire – au même âge, les Hugo et les Gaspard de Pons étaient déjà de vraies bêtes à concours poétiques –, ils brillent par leur absence de distinction institutionnelle : ils n’ont pas reçu de prix (parce qu’ils n’ont pas concouru), n’ont participé à aucune société savante ou académie. En somme les Jeunes-France n’existent littérairement que par la publication, dans le meilleur des cas par Renduel et quelques périodiques comme L’Artiste, La France littéraire ou Le Cabinet de lecture, et par leur formidable investissement dans le mouvement romantique et ses cénacles."

    "Rappelons que Le Conservateur littéraire ne devint l’organe officiel du groupe de Hugo et Soumet qu’entre la 21e à la 30e livraison, et que La Muse française, quelle qu’ait été son importance historique, n’a connu que douze livraisons et onze mois d’existence."

    "Le mouvement romantique sécrète, à partir de 1827, une « chapellisation » qui aura raison de lui. Alors que Nodier avait réuni depuis 1824 les restes du cénacle de La Muse française, Émile Deschamps rouvre en 1826, rue Ville-l’Évêque, le cercle que son père avait tenu rue Saint-Florentin. Presque en même temps, le débutant Alexandre Dumas, devenu l’amant de Mélanie Waldor, investit le salon des Villenave où il fréquente des classiques libéraux mais règne sur un petit groupe de romantiques, parmi lesquels Cordellier-Delanoue. Victor Hugo va de son côté, dans le courant de 1827, constituer son propre cénacle et progressivement réunir sous sa bannière les branches de La Muse française et du Globe autrefois séparées. En 1828 ce sera au tour de Vigny d’ouvrir rue Miromesnil ses « mercredis poétiques »."

    "Philothée O’Neddy, redevenu Théophile Dondey, a dû abandonner la carrière littéraire quand son père est mort du choléra-morbus."

    "Les cénacles romantiques s’étaient montrés aussi acharnés à affirmer les amitiés et les admirations qui les fondaient, via les multiples manifestations de la camaraderie littéraire, qu’ils s’étaient révélés stériles dans les entreprises collectives. À l’inverse, La Liberté ne conçoit la création qu’individuelle : « L’art vit d’indépendance, le génie s’inspire, compose, exécute dans la solitude, car le frottement l’altère, use et polit son originalité. » Mais dans le même temps, la revue parvient à unifier ses revendications et ses prises de position et à harmoniser son ton. Ainsi, dans l’affirmation collective de l’émancipation individuelle de l’artiste se trouve sans doute réalisée la mise en cohérence identitaire du romantisme de 1830. Par les cénacles ou par les revues, ces individus proches dans leur positionnement social ont mis en œuvre, en pleine réorganisation du champ littéraire après Hernani et Juillet, le discours d’identité collective qu’avaient échoué à élaborer leurs prédécesseurs."
    -Anthony Glinoer, « Y a-t-il eu une « identité collective » du romantisme de 1830 ? », Romantisme, 2010/1 (n° 147), p. 29-40. DOI : 10.3917/rom.147.0029. URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2010-1-page-29.htm



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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