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    Hervé Le Bras : « En France, il n’y a pas de grand remplacement »

    Johnathan R. Razorback
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    Hervé Le Bras : « En France, il n’y a pas de grand remplacement » Empty Hervé Le Bras : « En France, il n’y a pas de grand remplacement »

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 19 Mar - 3:31

    https://www.nouvelobs.com/societe/20191106.OBS20749/herve-le-bras-en-france-il-n-y-a-pas-de-grand-remplacement.html

    Hervé Le Bras : « En France, il n’y a pas de grand remplacement »
    Dans une note de la Fondation Jean-Jaurès, le démographe et directeur d’études à l’EHESS se penche sur les idées reçues en matière d’immigration. Pour mieux les déconstruire.
    Par Tomas Statius

    Publié le 06 novembre 2019 à 07h00
    Temps de lecture 7 min
    Brachay, en Haute-Marne, est le symbole de la « France des oubliés » : 90,24 % de ses habitants ont plébiscité Marine Le Pen à la dernière présidentielle. L’analyse statistique a montré que le vote RN est plus élevé dans les communes où l’immigration est la moins dense. (GILLES BASSIGNAC / DIVERGENCE)Brachay, en Haute-Marne, est le symbole de la « France des oubliés » : 90,24 % de ses habitants ont plébiscité Marine Le Pen à la dernière présidentielle. L’analyse statistique a montré que le vote RN est plus élevé dans les communes où l’immigration est la moins dense. (GILLES BASSIGNAC / DIVERGENCE)

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    C’est une série de clichés qu’il détricote à coups de chiffres, d’analyses historiographiques et de comparaisons. Dans une note de la Fondation Jean-Jaurès, que « l’Obs » a consultée en avant-première, le démographe Hervé Le Bras, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales (EHESS), démontre que le « grand remplacement » n’existe pas. Qu’il n’y a pas de « submersion ». Et que les flux migratoires sont bien moins importants de nos jours qu’ils ne l’étaient au début du siècle. Entretien.

    Dans votre note, vous allez contre l’idée d’une « submersion » migratoire…

    Il y a une double erreur dans l’utilisation de ce mot. Si on prend le solde migratoire de la France (le nombre des entrées moins le nombre des sorties de résidents), celui-ci est positif mais très légèrement. En gros, il y a un peu plus de personnes qui viennent en France que de personnes qui la quittent. Ce solde est de 60 000 personnes pour l’année dernière. Cela représente à peu près un millième de la population. C’est très peu. De plus, on pense très souvent que l’immigration est définitive. Or, ce que l’on constate, c’est une circulation : les gens viennent, repartent.

    Hervé Le Bras, à son domicile parisien, le 28 octobre 2019. (SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « L’OBS »)
    Hervé Le Bras, à son domicile parisien, le 28 octobre 2019. (SAMUEL KIRSZENBAUM POUR « L’OBS »)
    Que penser de l’idée de « grand remplacement » avancée par de nombreux responsables politiques, notamment de l’extrême droite ?

    En France, il n’y a pas de « grand remplacement », entendu comme le remplacement d’une population par une autre. En revanche, il existe un important métissage. Si l’on se penche sur les chiffres de l’Insee, 40 % des immigrés qui vivent en couple sont en union mixte avec un(e) non-immigré(e). La tendance est à une augmentation de ce pourcentage. Les mêmes évolutions sont visibles dans plusieurs pays occidentaux, notamment aux Etats-Unis.

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    De la même manière, vous balayez l’idée que le regroupement familial concerne des familles entières…

    Aujourd’hui, une grande majorité du regroupement familial concerne, en effet, le rapprochement de couples mixtes. Le conjoint étranger qui ne vit pas en France rejoint le conjoint français. Les enfants étrangers ne représentent que 3,7 % de l’immigration légale, contrairement à ce qui prévalait à la fin des années 1980.

    Je pense que les phénomènes migratoires sont perçus avec une génération de retard. Dans les années 1960, la migration était qualifiée de « noria », cette roue à aube qui extrait l’eau. Pour faire face à une pénurie de main-d’œuvre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France avait fait venir en masse des migrants, originaires de régions pauvres des pays du Maghreb. Ces travailleurs devaient travailler quelques années avant de repartir. En 1974, en raison de la crise, le gouvernement décrète la fermeture des frontières. La « noria » s’arrête, les immigrés restent. Ils demandent alors à ce que leurs proches les rejoignent au titre du regroupement familial, inscrit dans la Convention européenne des droits de l’homme. D’une certaine manière, cette immigration massive a été la conséquence de la politique française.

    Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ?

    Non, la plupart des migrants sont désormais issus de milieux urbains et souvent célibataires. Plus âgés aussi : l’âge moyen des femmes algériennes arrivant en France était de 19 ans en 1970 ; il est maintenant de 29 ans. De même, on a l’image d’une immigration peu qualifiée, alors qu’une grande partie des personnes qui arrivent en France sont aujourd’hui diplômées. Il y a plusieurs explications à ce changement. Tout d’abord, la généralisation de l’enseignement supérieur. Si on prend l’exemple du Maroc, il n’y avait que 15 000 étudiants dans le supérieur en 1970. L’an dernier, ils étaient 950 000. Et puis il faut garder à l’esprit que l’immigration, quand elle est volontaire, sélectionne « positivement » les individus, plus aventureux, en meilleure santé, plus éduqués.

    Vous déconstruisez aussi l’idée d’un exode de la population africaine vers l’Europe, sous la pression d’une forte croissance démographique. Une thèse défendue par le journaliste américain Stephen Smith dans « la Ruée vers l’Europe ».

    Oui. Là, c’est vraiment de l’ordre du fantasme. Il faut d’abord rappeler qu’environ 90 % de l’immigration subsaharienne se déroule à l’intérieur même du continent. De multiples Nigérians, par exemple, vont travailler en Afrique du Sud. De très nombreux réfugiés stationnent également à proximité de leur pays : à l’est du Tchad pour ceux du Darfour, au nord du Kenya pour ceux de la Somalie, etc.

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    En outre, il n’y a pas de lien évident entre la croissance démographique et l’immigration. Dans cette note, je m’intéresse au cas du Sahel, et plus particulièrement du Niger. C’est le pays qui connaît la plus forte croissance démographique du monde. Selon les estimations des Nations unies, sa population devrait atteindre 70 millions d’habitants en 2050, contre 22 millions aujourd’hui. Or, l’immigration nigérienne est très faible aujourd’hui en France, où l’on recense seulement 6 200 personnes originaires de ce pays. Alors qu’entre 2011 et 2016 sa population a augmenté de 3,6 millions, la présence des Nigériens en France ne s’est accrue que de 2 600 personnes. En France, il y a des communautés un peu plus importantes, comme les Maliens, les Sénégalais ou les Zaïrois (environ 70 000 personnes chacune), mais elles résultent de filières en place depuis longtemps.

    Des travailleurs immigrés d’origine algérienne à l’usine Renault de Boulogne- Billancourt, dans les années 1980. (GEORGES AZENSTARCK / ROGER-VIOLLET
    Des travailleurs immigrés d’origine algérienne à l’usine Renault de Boulogne- Billancourt, dans les années 1980. (GEORGES AZENSTARCK / ROGER-VIOLLET
    Vous vous interrogez aussi sur les liens entre l’immigration et le vote pour le Rassemblement national…

    L’analyse statistique montre que là où l’on vote le plus pour le Rassemblement national, c’est dans des endroits où l’immigration est la moins dense. C’est frappant quand on regarde les choses commune par commune : celles qui comptent moins de 1 000 habitants sont celles où le vote RN est le plus élevé. Or, ce sont aussi les communes où les immigrés sont le moins nombreux. A l’inverse, le vote RN est le plus faible dans les grandes villes : 5 % à Paris au premier tour de la présidentielle, alors qu’on y compte 19 % d’immigrés. Autre exemple, le Pas-de-Calais. C’est l’un des départements où le vote RN est le plus fort. Or, c’est le troisième département avec le moins d’immigrés en France !

    Ce constat se vérifie aussi en Allemagne. L’AfD [Alternative für Deutschland, parti nationaliste, NDLR] fait ses meilleurs scores dans des régions où l’immigration est quasiment nulle, notamment à l’est du pays. Même chose aux Etats-Unis, où le vote Trump est massif dans le centre du pays, et faible sur les côtes, beaucoup plus cosmopolites. Idem en Suisse, où le vote d’extrême droite est plus important dans les campagnes. Cette configuration est vérifiée dans presque tous les pays occidentaux.

    Cela a-t-il toujours été le cas ?

    Non. Quand Chirac parlait du « bruit et [de] l’odeur », en 1984, on observait une forte corrélation entre le vote frontiste et l’installation dans des régions où l’immigration, turque et maghrébine notamment, était importante. Mais, aujourd’hui, il n’y a plus de lien géographique direct entre l’immigration et le vote RN, c’est un point sur lequel les données du recensement et des élections sont nettes.

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    Le gouvernement va instaurer des quotas en matière d’immigration économique. Qu’en pensez-vous ?

    La manière dont il est envisagé de les mettre en place, c’est-à-dire par métier, ne fonctionne pas. Le Canada, qui avait institué des quotas par profession et par province, en est revenu. Ceux qui étaient recrutés pour une profession et une province données se retrouvaient rapidement dans une autre profession et une autre province. Aussi le Canada a-t-il modifié son système et utilise maintenant une pondération par l’âge, le diplôme, les capacités linguistiques, en lien avec les entreprises canadiennes.

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    Vous rappelez également que les flux migratoires vers l’Europe sont beaucoup moins importants qu’ils ne l’ont été au début du XXe siècle…

    Ils sont même dix fois moins importants. Au début du XXe siècle, il y avait un appel des pays neufs à l’immigration. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les Nations unies prévoient même une baisse tendancielle de cette immigration à l’horizon 2100, des soldes migratoires de tous les pays du monde pratiquement nuls. C’est possible mais je me méfie un peu de cette analyse. C’est au moins autant une prévision qu’un horizon souhaité.

    Comment expliquez-vous alors le retour de ce débat de manière périodique ?

    Les dernières enquêtes d’opinion montrent que le sujet n’est plus en tête des préoccupations des Français. Pourquoi les politiques continuent-ils à regarder de ce côté ? Je l’ignore. J’ai commencé à m’intéresser au sujet en 1986 quand Charles Pasqua a voulu changer le Code de la Nationalité. Depuis, je constate que les arguments sont restés les mêmes de la part de certains politiques, avec un mépris identique pour les données.

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    Le sujet reste toujours passionnel pour une partie de la population qui se sent mise à l’écart, notamment les classes populaires et les personnes qui habitent les petites communes. Elles ont l’impression que la société tourne sans elles, et qu’il existe une alliance objective entre les classes supérieures et les immigrés. D’une certaine manière, ces deux derniers groupes, même s’ils sont aux deux extrémités de l’échelle des revenus, appartiennent à la même structure économique, nombre d’immigrés travaillant pour les classes supérieures.

    Ils appartiennent aussi à un même espace géographique : les immigrés vivent majoritairement dans les grandes agglomérations, comme les cadres. Venant de partout, ils paraissent mondialisés à l’image des classes supérieures. Pour reprendre les termes du journaliste britannique David Goodhart, ils sont d’« anywhere » (« partout »), alors que les habitants à l’écart des grands centres sont de « somewhere » (« quelque part »). Cette crispation des « somewhere » se retrouve notamment quand on parle d’intégration. On ne cesse de répéter que les immigrés doivent s’intégrer et de présenter des mesures en ce sens. Aussi une partie de la population s’interroge : « Pourquoi ne s’occupe-t-on pas de notre intégration, en termes de logement, d’éducation, de culture ? »



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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