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    Antoine Prost, Jeunesse et société dans la France de l’entre-deux-guerres + Petite histoire de la France au 20e siècle + Douze leçons pour l'histoire

    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 11 Fév - 11:24

    https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1987_num_13_1_1823

    "La jeunesse est le résultat d'une organisation sociale des âges de la vie, organisation qui détermine le calendrier et les modalités de passage d'un âge à un autre, en même temps que les rôles d'âges, c'est-à-dire les comportements considérés comme normaux de la part des jeunes et attendus comme tels par tous les membres de la société, qu'ils soient du même âge, plus jeunes ou plus vieux. Or dans la société française de l'entre-deux-guerres, proche encore du 19e siècle, l'organisation sociale du passage de l'enfance à l'âge adulte, qui définit la jeunesse, est très différente dans la bourgeoisie et dans les milieux populaires, ouvriers ou paysans. Il n'y a donc pas une, mais deux jeunesses. Les confondre dans l'analyse serait anachronique. Cependant, pour des raisons différentes, ni la jeunesse populaire ni la jeunesse bourgeoise ne sont en opposition avec la société, dans la France de cette époque. Les mécanismes d'intégration sont beaucoup plus forts que les conflits de génération." (p.35)

    "La jeunesse [bourgeoise] se caractérise par des traits inverses de ceux qui définissent la jeunesse populaire: le jeune bourgeois fait des études, il ne travaille pas encore, mais il n'habite plus toujours chez ses parents, il échappe à leur contrôle et, s'il n'est pas encore marié, on lui reconnaît tacitement le droit d'avoir des aventures. […] Le scandale survient quand un auteur suggère d'étendre aux femmes la même liberté ; ainsi Léon Blum, Du mariage, 1907, ou Victor Margueritte, La garçonne, 1922." (p.39)

    "L'entre-deux-guerre voit se dessiner […] une évolution intéressante: comme l'inflation grignote les dots, celles-ci n'assurent plus la même garantie en cas de veuvage, et il devient prudent de s'armer d'un diplôme, à tout hasard. On voit donc les jeunes filles de la bourgeoisie entreprendre des études supérieures: en 1930-1931, on compte déjà environ une jeune fille sur cinq étudiants en sciences ou en médecine, et une sur deux en lettres. Voilà qui, à terme, modifiera radicalement le calendrier du mariage bourgeois. L'ancien système des présentations, qui est loin d'avoir encore disparu en 1940, reposait sur la séparation des sexes durant la jeunesse. Que les jeunes filles fassent des études les amène à rencontrer des jeunes hommes, en dehors du contrôle des familles. Le mariage d'amour devient l'horizon des idylles étudiantes." (p.40)

    "A la différence de la jeunesse populaire, la jeunesse bourgeoise peut s'inscrire en rupture avec les coutumes ou les opinions des générations qui précédent. La condition d'étudiant le permet ; mieux, elle y incite. […] La dépendance financière de l'étudiant a pour lui quelque chose de gênant: une certaine surenchère peut naître du désir de se prouver à soi-même une indépendance qu'on sait radicalement. […] En politique, des jeunes turcs du Parti radical aux Jeunesses communistes ou aux étudiants d'Action française, une impatience certaine est perceptible." (pp.40-41)
    -Antoine Prost, "Jeunesse et société dans la France de l'entre-deux-guerres", Vingtième Siècle. Revue d'histoire, Année 1987, 13, pp. 35-44.



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mer 14 Oct - 12:56, édité 7 fois


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Dim 1 Mar - 17:47

    "En 1900, 60% des Français vivent à la campagne et 40% à la ville (définie très largement comme une agglomération d'au moins 2000 habitants). 58% des actifs sont des agriculteurs." (p.10)

    "Les véritables usines (plus de 100 salariés) ne regroupent que 24.3% des ouvriers." (p.11)

    "Rentiers (560 000 en 1906)." (p.12)

    "Les socialistes dénoncent dans l'anticléricalisme un alibi qui dispense la bourgeoisie de traiter la question sociale." (p.14)

    "Les Français de la Belle Époque ont le sentiment d'avoir réalisé d'immenses progrès. La République en est renforcée." (p.16)

    "La guerre de 1914 marque la fin du XIXe siècle et l'entrée dans le XXe siècle pour trois raisons: elle met fin à l'hégémonie européenne dans le monde, désormais dominé par la puissance américaine et la révolution soviétique ; elle ouvre la voie à une société d'inflation qui contraste avec la société stable du XIXe ; elle pose enfin à la France des problèmes politiques nouveaux, qui relèguent au second plan ceux du début du siècle." (p.18)

    "Tardieu […] incarne une droite libérale." (p.30)

    "Blum fait […] adopter un important plan d'armement (14 milliards)." (p.40)

    "Les congrégations sont autorisées, et les écoles libres subventionnées. L'Église soutient officiellement le nouveau régime [de Vichy]." (p.51)

    "L'intervention des Américains, hostiles à de Gaulle, précipite le ralliement de la résistance intérieure à la France libre. Le 8 novembre 1942, en effet, ils débarquent en Afrique du Nord, sans profiter du soutien de résistants insurgés, qu'ils laissent emprisonner par les autorités de Vichy. L'amiral Darlan se trouvant par hasard à Alger, ils traitent avec lui, le confirment dans ses pouvoirs et ne font même pas abroger les mesures antisémites. Darlan assassiné, les Américains protègent le général Giraud, qui poursuit en fait la politique intérieure de Vichy.
    Les résistants comprennent alors que de Gaulle représente la seule chance d'avoir, à la libération, un gouvernement indépendant des Américains et une politique qui rompe nettement avec le conservatisme, voire la réaction de Vichy. La résistance intérieure reconnaît donc de Gaulle, et les communistes délèguent un des leurs à la France Libre (janvier 1943)
    ." (p.53)

    "Le 30 mai, de Gaulle s'installe à Alger." (p.53)

    "Le général de Gaulle a signé à Moscou, en décembre, un pacte d'amitié.
    Sanction de cette normalisation qui établit l'autorité du gouvernement provisoire sur la France: sa reconnaissance par les alliés, le 23 octobre 1944, deux mois après la libération de Paris
    ." (p.57)

    "1. Des nationalisations, qui se font en deux temps. Les premières (houillères du Nord-Pas-de-Calais, 14 décembre 1944 ; Renault, 16 janvier 1945 ; Gnome-Rhône, 29 mai 1945) sont à la fois une sanction justifiée par la collaboration avec l'ennemi et une réponse à une situation exceptionnelle. Les ouvriers refusent en effet de reprendre le travail si l'on ne change pas la direction ou les cadres qu'ils récusent à la fois pour des raisons patriotiques et sociales. […]
    Après les élections d'octobre 1945. Le souvenir de la crise a profondément discrédité l'entreprise privée dans l'opinion publique, qui approuve très largement, avec le dirigisme, le "retour à la Nation" des grands services publics et des secteurs déterminants de l'économie. C'est pourquoi ces nationalisations ne seront pas remises en question avant qu'une nouvelle crise économique ne discrédite à son tour l'intervention de l'Etat. Les chemins de fer, dont le déficit était comblé par l'Etat, avaient déjà été nationalisés avec l'accord des compagnies en 1937. Conformément à la charte du CNRS, le gouvernement provisoire nationalise l'essentiel du secteur énergétique (les charbonnages, le 17 mars 1946 ; le gaz et l'électricité, le 8 avril), les quatre principales banques de dépôt (2 décembre 1945), et les compagnies d'assurances (25 avril 1946).
    2. La création des comités (22 février 1945): dans les entreprises de plus de 50 salariés, ces comités sont élus par les ouvriers et la maîtrise. Ils gèrent les œuvres sociales. Ils sont informés de la marche et des résultats économiques de l'entreprise.
    3. La fondation de la Sécurité sociale (ordonnance du 4 octobre 1945), unifiant les caisses d'assurances sociales rendues obligatoires par les lois de 1928-1930. En fait, l'unification ne sera pas complète: certains régimes distincts subsistent (mines), et les caisses d'allocations familiales demeurent autonomes. Les caisses sont administrées par des conseils associant des représentants de l'administration à des représentants des usagers, élus par les salariés à partir de 1946.
    " (p.59)

    "De Gaulle refuse à son ministre de l'Économie, Mendès France, qui démissionne (avril 1945) une ponction sur la masse monétaire par le jeu d'un échange des billets." (p.60)

    "En Tunisie, après des déclarations publiques admettant l'indépendance comme objectif ultime (1950) et des décrets moins ambitieux, mais qui amorçaient la disparition de l'administration directe (février 1951), la pression des colons conduit à un revirement de politique. La France refuse les projets du gouvernement tunisien et revendique une co-souveraineté sur la Tunisie. Le gouvernement tunisien saisit l'O. N. U. Des émeutes éclatent à Bizerte (janvier 1952). Le résident général fait arrêter Bourguiba et les leaders du Néo-Destour. L'U. G. T. T. déclenche une grève générale. En réplique, la légion étrangère ratisse le cap Bon: viols, pillages et meurtres. Le résident exige du bey la démission du gouvernement, auquel participait le Néo-Destour. Le bey n'obéissant pas, le résident fait arrêter le premier ministre et trois autres ministres (25 mars 1952). Une vague d'arrestations déferle sur tout le pays. Les nationalistes prennent le maquis (ils deviennent des "fellaghas") et leur terrorisme affronte le terrorisme d'organisations secrètes européennes (la Main Rouge). En décembre, le secrétaire de l'U. G. T. T., Ferhat Hached, est assassiné par la Main Rouge, avec la complicité de la police. Le bey refuse de collaborer désormais avec le résident général et engage une grève du sceau.
    Au Maroc, l'agitation tunisienne est contagieuse. Des émeutes éclatent à Casablanca, en décembre 1952, à la nouvelle de l'assassinat de Ferhat Hached. Le résident général dissout alors l'Istiqlal et en arrête les chefs. Les colons et l'administration, hostiles au sultan, misent sur la persistance des structures féodales et la force de chefs locaux qui acceptent mal d'être soumis au sultan. Ils soutiennent et favorisent l'entreprise du Glaoui, pacha de Marrakech, qui prend la tête d'un mouvement d'opposition antidynastique et fait proclamer un nouveau chef religieux du Maroc, Ben Arafa (15 août 1953). Le résident général dépose alors le sultan Mohammed V et le remplace par Ben Arafa (20 août), mais il apparaît vite que celui-ci n'a aucune autorité. Le terrorisme anti-européen et la répression policière se développent
    ." (pp.69-70)

    "Guy Mollet refuse de négocier avec ceux qui se battent ("des assassins"). Il veut des interlocuteurs qualifiés, et donc des élections pour les désigner. Mais impossible de faire des élections tant qu'on se bat: la pacification, c'est-à-dire la guerre au F. L. N., devient ainsi un préalable absolu. La politique résumée par le tryptique: "pacification, élections, négociation", c'est d'abord l'intensification de la guerre: vote des pouvoirs spéciaux (12 mars), rappel des réservistes (avril), dissolution de l'Assemblée algérienne dont les élus musulmans ont démissionné, envoi du contingent en Algérie. En mai, Mendès France, qui désapprouve cette politique, quitte le gouvernement.
    En Algérie, R. Lacoste subit l'influence des colons et des militaires, dont il couvre les initiatives, même malheureuses. C'est ainsi que, le 22 octobre 1956, l'avion transportant de Rabat à Tunis les 5 chefs du F. L. N. dont Ben Bella, est arraisonné par des avions de chasse français et obligé d'atterir à Alger, en violation du droit international. […]
    Cependant, malgré la répression qui s'intensifie, les fellaghas se renforcent sur le terrain. Plutôt que d'expliquer ces succès par le soutien des populations musulmanes, les colons et la presse de droite accusent l'aide de l'étranger, et notamment de la Tunisie et de l'Égypte, où le F. L. N. s'est installé. On veut croire que, privé de ces appuis extérieurs, le F. L. N. s'effondrerait.
    D'où l'expédition de Suez. L'Égypte avait nationalisé le canal de Suez le 26 juillet 1956. Le 30 octobre, la France et l'Angleterre lui adressent un ultimatum inacceptable (installation de troupes franco-britanniques sur le territoire égyptien), sous prétexte de garantir la libre circulation dans le canal de Suez. L'ultimatum est refusé, Israël attaque l'Égypte, avec l'appui des Français et des Anglais, qui lâchent des parachutistes sur Port-Saïd le 5 novembre. Mais, le 6, la pression des Américains et un ultimatum des Soviétiques contraignent les Français et les Anglais à cesser leur intervention.
    Cette reculade aigrit encore l'armée, tandis que le F. L. N. se durcit, les leaders arrêtés étant parmi les plus conciliants. Le terrorisme se déchaîne à Alger. Pour l'enrayer, les pleins pouvoirs sont confiés à Alger au général Massu, commandant la 10e division parachutiste (7 janvier 1957). Les paras arrêtent et torturent (affaire Audin). En avril, l'opposition métropolitaine, où Mauriac joue un grand rôle, obtient la nomination d'une commission d'enquête sur les abus de la répression
    ." (p.74)

    "Le 8 janvier 1958, l'aviation française, invoquant le "droit de suite", bombarde le village tunisien de Sakhiet Sidi Youssef. Au lieu d'un camp d'entraînement fellagha, ses bombes trouvent une école et un marché. Les quotidiens du monde entier publient les photos des civils et des enfants tués par l'aviation française. Bourguiba, qui préside la république tunisienne depuis sa proclamation en juillet 1957, exige l'évacuation immédiate de toutes les troupes françaises en Tunisie, et notamment de la base de Bizerte. […] Il ne désavoue pas les militaires responsables du bombardement, bien qu'ils aient agi en contradiction formelle des ordres reçus.
    Dans ce contexte, la crise ministérielle ouverte le 15 avril 1958 semble insoluble, car la S. F. I. O. compromise dans la guerre d'Algérie par la présence à Alger de R. Lacoste, refuse désormais toute participation ministérielle pour être sûre que Lacoste quittera Alger. Finalement, le 13 mai, un M. R. P., P. Pflimlin, sollicite l'investiture. Il a la réputation de savoir se faire obéir, d'être hostile aux tortures et favorable à une négociation.
    L'opinion algérienne sent qu'il y a là un tournant. L'agitation, latente depuis le début de la crise, tourne à l'émeute. Le gouvernement général est occupé par la foule. Un comité de salut public est constitué. Le général Massu en prend la présidence, et, dans un télégramme radiodiffusé vers 10 heures du soir, exige la constitution d'un gouvernement de salut public, seul capable de maintenir l'Algérie partie intégrante de la République française.
    " (p.75)

    "L'indice de la production industrielle (base 100 en 1938) était à 99 en 1947. Il monte à 204 en 1957, 338 en 1967 et 452 en 1973, à prix constant. En 26 ans, la production a été multipliée par 4.5, soit une croissance annuelle moyenne de 5.9%. Jamais aucune période n'avait connu une telle croissance. On peut effectivement, avec J. Fourastié, caractériser ces années comme "les trente glorieuses".

    […] La croissance française n'est pas un phénomène isolé ou original, mais un aspect d'un phénomène mondial. La nouveauté relative, pour la France, est son intégration croissante au marché international. […]
    De Gaulle a décidé l'entrée de la France dans le Marché commun le 1er janvier 1959. Simultanément, une série de négociations, dont la plus connue est le Kennedy Round de 1964, ont abaissé les barrières douanières entre l'Europe et les autres nations.
    Les industriels français ne se sont pas engagés sans réticences dans cette politique. Habitués à travailler surtout pour le marché intérieur, à l'abri des barrières douanières, ils ont été entraînés par une volonté gouvernementale […] Les patrons les plus lucides, encouragés par des hauts fonctionnaires, ont poussé dans ce sens, convaincus de ce que le remède majeur aux archaïsmes responsables du retard économique français dans l'ouverture des frontières et la concurrence internationale.
    " (p.83)

    "Le pouvoir d'achat ouvrier a été multiplié par plus de 2 entre 1949 et 1967, et par 3.2 de 1949 à 1976." (p.86)

    "L'ensemble des établissements publics du niveau du second degré (de 11 à 18 ans) accueillait en 1946-47 740 000 élèves. Ils sont 1 818 000 en 1961-62, 3 561 700 en 1971-72 et 3 982 300 en 1975-76. Certes, le gonflement des naissances explique une partie de cette croissance: 30% environ. Mais elle est beaucoup plus considérable: 438%. Elle se limite d'ailleurs pas au second degré, mais concerne aussi les universités, qui passent de 129 000 étudiants en 1946-47 à 232 600 en 1961-62, 697 800 en 1971-72 et 806 300 et 1975-76." (pp.87-88)

    "Ces nouvelles méthodes de production ont évidemment diminué la quantité de travail nécessaire. L'agriculture demande de moins en moins de bras. La population active dans l'agriculture diminue donc rapidement: de 1954 à 1975 (20 ans), on est passé de 5.1 millions d'agriculteurs-exploitants et d'ouvriers agricoles (26.9% de la population active) à 2.06 (9.5%). […]
    La population urbaine a dépassé la population rurale pour la première fois au recensement de 1931. En 1946, 53.2% de la population habitait des agglomérations de plus de 2000 habitants. En 1975, ce pourcentage atteint 68.7%.
    " (p.91)

    "Indifférents à l'inflation, [les socialistes] tentent de relancer la production en augmentant les salaires (SMIC +10%), le minimum vieillesse (20%) et les allocations familiales (25%), en créant des emplois dans la fonction publique (54 400 en 1981, 60 000 au budget de 1982) et en incitant les entreprises privées à embaucher avec l'abaissement à 60 ans de l'âge de la retraite et la réduction à 39 heures de la durée du travail. Pour réorganiser l'économie en profondeur, ils procèdent à d'amples nationalisations à 100% qui incluent les filiales (Compagnie générale d'électricité, Saint-Gobain, Péchiney, Ugine-Kuhlman, Rhône-Poulenc, Thomson-Brandt, les 39 plus grosses banques et les compagnies financières de Paribas et de Suez). Là où l'on doit compter avec les participations étrangères (Matra, Dassault, Usinor, ITT-France, Honeywell-Bull, Roussel-Uclaf, des prises de participation négociées donnent à l'Etat le contrôle des entreprises." (p.116)

    "La France qui entre dans le troisième millénaire frappe par ces contrastes: une économie profondément renouvelée et des millions de chômeurs ; une richesse sans précédent et des centaines de milliers d'exclus qui vivent en dessous du seuil de pauvreté ; un individualisme hédoniste et d'immenses foules en fête. On est très loin non seulement de la France rurale, stable et bourgeoise du début du siècle, ou de la France exsangue et ruinée de 1945, mais même de la France gaullienne des Trente Glorieuses." (p.124)
    -Antoine Prost, Petite histoire de la France au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2005 (1979 pour la première édition), 153 pages.




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    Message par Johnathan R. Razorback Mer 14 Oct - 12:58



    "Un livre de réflexion sur l'histoire est tout autre chose qu'un manifestation d'école. Ce n'est pas une prise de position théorique destinée à valoriser certaines formes d'histoire en en dévalorisant d'autres." (p.10)

    "L'histoire, c'est ce que font les historiens. [...]
    Avant d'être une discipline scientifique, comme elle le prétend et comme elle l'est effectivement jusqu'à un certain point, l'histoire est une pratique sociale.
    " (p.13)

    "Les collections historiques à l'intention du grand public y sont plus nombreuses et plus importantes [en France] qu'à l'étranger. L'histoire n'intéresse pas que les presses universitaires ou les éditeurs spécialisés, mais aussi les grandes maisons d'édition. [...] Avec un tirage total de 600 000 exemplaires, contre 30 000 au Royaume-Uni, la presse de vulgarisation historique, qui ne cantonne pas à la petite histoire, rencontre l'audience du grand public, tandis qu'Alain Decaux "raconte" l'histoire à la télévision depuis 1969 avec un succès qui lui vaut d'entrer, dix ans plus tard, à l'Académie française. On ne s'étonne donc pas qu'en 1983, 52% des Français se disent "intéressés" et 15% "passionnés" par l'histoire." (p.15)

    "Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne affirment un très vigoureux sentiment d'identité nationale alors que l'enseignement de l'histoire y tient une place marginale, voire inexistante. Aux Etats-Unis, par exemple, dans toute la scolarité élémentaire et secondaire jusqu'à dix-huit ans, la place de l'histoire se réduit généralement à un seul cours, enseigné pendant une seule année." (p.16)

    "1830 [...] création d'une agrégation d'histoire qui permet de former et de recruter un petit noyau d'historiens qualifiés." (p.19)

    "Un premier travail de recherche est imposé [...] avant l'agrégation, avec le diplôme d'études supérieures (1894) [...] préalable absolu de toute reconnaissance par les pairs. La corporation s'est donné des critères d'appartenance et d'exclusion." (p.35)

    "Les universitaires britanniques ou allemands n'ont pas de liens analogues avec le secondaire ; ils ne se recrutent pas parmi les professeurs de grammar school ou de Gymnasium." (p.36)

    "Un bilan des conséquences positives et négatives de l'impact de la géographie sur Bloch, Febvre ou Braudel mériterait d'être tenté." (p.36)

    "Le Montaillou d'E. Le Roy Ladurie (1975), par son succès même, atteste le déplacement des curiosités: malgré d'évidentes continuités, la monographie intéresse désormais davantage que la fresque d'ensemble, l'événement devient le "révélateur de réalités autrement inaccessibles", et l'on passe des structures matérielles aux mentalités tandis que le dépaysement l'emporte sur le rapport au présent." (p.43)

    "La création de l'EHESS n'est pas qu'un changement de nom: égal aux universités, le nouvel établissement peut conférer des doctorats. Face à la Sorbonne, que 1968 affaiblit et divise, un pôle autonome se constitue et s'étoffe, où s'affirme une histoire affranchie des contraintes de l'enseignement, fût-il supérieur. Au même moment, l'effectif des historiens connaît une brusque croissance: on passe de quelques centaines en 1945 à un petit millier d'universitaires et de chercheurs en 1967, puis au double en 1991. La profession historienne éclate ainsi peu à peu [...] entre trois pôles d'influence inégale qui dessinent comme un triangle du quartier latin. Chacun dispose de ses propres moyens de publication, de ses propres réseaux d'influence et de ses clientèles." (p.44)

    "Il est aussi de vraies luttes, autour de vraies enjeux. On le vit bien quand M. Winock et les éditions du Seuil eurent l'idée d'un grand magazine de vulgarisation, où les articles à l'usage du grand public seraient rédigés par les meilleurs historiens. Le pôle des Annales et de l'EHESS estima qu'on marchait sur ses brisées: il lui revenait de promouvoir l'entreprise. Il commença par refuser son concours -le sommaire des premiers numéros de L'Histoire en témoigne- et tenta de contrer l'entreprise en lançant une revue concurrente chez Hachette, H Histoire. La contre-offensive échoua cependant, l'équipe du Seuil, appuyée sur un autre grand magazine de vulgarisation scientifique, La Recherche, disposant d'un savoir-faire et de réseaux plus efficaces. Et les historiens des Annales se résignèrent à écrire dans L'Histoire." (p.46)

    "Les soutenances et les colloques, qui devraient constituer les moments mêmes de la confrontation scientifique, sont aussi, sinon d'abord, des manifestations de sociabilité où la bienséance l'emporte sur la rigueur et la recherche de vérité. Les soutenances de thèses tendent à devenir de simples célébrations des mérites du candidat, et la formulation d'une critique -à plus forte raison justifiée- apparaît parfois déplacée. Pour se dérouler harmonieusement, le rite de passage auquel l'impétrant a convié ses amis, ses proches et sa famille, exige des parrains de préférence prestigieux, mais avant tout bienveillants." (p.51)

    "Langlois et Seignobos ne considère pas que les faits soient tout faits: ils passent au contraire beaucoup de temps à expliquer quelles règles on doit suivre pour les construire. Mais, dans leur esprit comme dans celui de toute l'école méthodique qu'ils formalisent, les faits une fois construits le sont définitivement." (p.56)

    "Ancien révisionniste qui s'est attaqué aux archives pour prouver ses thèses... et qui est parvenu à des conclusions rigoureusement inverses, en ne trichant pas avec ses sources." (note 2 p.57)

    "L'historien ne demande pas qu'on le croit sur parole." (p.57)

    "Il faut déjà être historien pour critiquer un document, car il s'agit, pour l'essentiel, de le confronter avec tout ce que l'on sait déjà du sujet qu'il traite, du lieu et du moment qu'il concerne." (p.59)

    "La critique de sincérité porte sur les intentions, avouées ou non, du témoin, la critique d'exactitude sur sa situation objective. La première est attentive aux mensonges, la seconde aux erreurs." (p.62)

    "Que le témoignage soit volontaire ou non, l'auteur sincère et bien informé ou pas, il faut de toute façon ne pas se tromper sur le sens du texte (critique d'interprétation). L'attention veille ici au sens des termes, aux emplois détournés ou ironiques, aux propos dictés par la situation (on dit nécessairement du bien du défunt dans son oraison funèbre). [...] Les concepts ont beaucoup changé de sens, et ceux qui nous paraissent transparents sont les plus dangereux. "Bourgeois" ne désigne pas la même réalité sociale dans un texte médiéval, un manifeste romantique ou chez Marx. Aussi pourrait-on ériger l'histoire des concepts en préalable de toute autre histoire." (p.63)

    "Il interdit de spécifier l'histoire par son objet. [...] Il n'y a pas de faits historiques par nature comme il y a des faits chimiques ou démographiques. [...] Comme le dit fortement Seignobos, "il n'y a de faits historiques que par position"." (p.68)

    "S'il y a pas de caractère historique inhérent aux faits, s'il n'y a d'historique que la façon de les connaître, alors il en résulte comme le marque clairement Seignobos, avocat pourtant d'une histoire "scientifique", que "l'histoire n'est pas une science, elle n'est qu'un procédé de connaissance". C'est un point très souvent et très légitimement souligné. Il justifie par exemple le titre qu'H.-I. Marrou donnait à son livre: De la connaissance historique." (p.70)

    "Un fait n'est rien d'autre que le résultat d'un raisonnement à partir de traces suivant les règles de la critique." (p.70)

    "On notera au passage que, si ce procédé de connaissance est le seul possible pour le "passé", il ne lui est pas propre. Les politologues qui analysent la popularité des présidentiables, les spécialistes de "marketing" qui évaluent la clientèle possible d'un nouveau produit, les économistes qui s'interrogent sur la récession ou le retour à la croissance, les sociologues qui se penchent sur le malaise des banlieues, les juges qui traquent la drogue ou la corruption, tous interprètent des traces. L'usage de la méthode critique déborde de beaucoup l'histoire." (p.71)

    "Ce que confirment les difficultés des étudiants devant les commentaires de texte qui les rassurent, en leur évitant le vertige de la page blanche, mais qui s'avèrent, d'expériences commune de correcteur, beaucoup plus difficiles que les dissertations." (p.74)

    "Les historiens de l'école méthodique comme Langlois et Seignobos, parce qu'ils étaient relativement unanimes sur les questions qui se posaient, n'ont pas dégagé cette interdépendance des faits, des documents et des questions." (p.76)

    "C'est la question de l'historien qui érige les traces laissées par le passé en sources et en documents. [...] Tout peut être document, dès lors que l'historien s'en saisit, ce que R. G. Collingwood résume par une formule définitive: "Everything in the world is potential evidence for any subject whatever"." (p.81)

    "Le primat de la question sur le document entraîne deux conséquences. Il implique d'abord qu'on ne puisse faire de lecture définitive d'un document donné. L'historien n'épuise jamais ses documents, il peut toujours les réinterroger avec d'autres questions, ou les faire parler avec d'autres méthodes." (p.82)

    "L'historien noue avec son objet une relation intime, où s'affirme progressivement sa propre identité." (p.94)

    "Comme toute chance, la connaissance intime par engagement personnel est aussi un risque. Elle permet à l'historien d'aller plus vite et plus loin dans la compréhension de son sujet, mais elle peut aussi étouffer sa lucidité sous le bouillonnement des affects." (p.95)

    "Ce qui distingue la question de l'historien et la met à part de celle du sociologue ou de l'ethnologue est un point que nous n'avons pas encore abordé: sa dimension diachronique." (p.101)

    "Le temps de l'histoire est celui même des collectivités publiques, sociétés, Etats, civilisations. [...] Le temps de l'histoire n'est ni le temps physique ni le temps psychologique. Ce n'est pas celui des astres ou des montres à quartz, divisible à l'infini, en unités rigoureusement identiques. [...]
    Le temps de l'histoire [...] est en accord avec l'objet même de la discipline. Étudiant les hommes en société [...] l'histoire se sert d'un temps social, de repères dans le temps communs aux membres de la même société
    ." (pp.102-103)

    "Pour Vasari [...] le message de l'Antiquité a bien été oublié, et les modernes renouent avec lui, mais ils sont capables de faire mieux. Le retour aux sources est un dépassement ; ce qui était cercle devient spirale ascendante." (p.109)

    "De même que la géographie découpe l'espace en régions pour pouvoir l'analyser, l'histoire découpage le temps en périodes. Mais tous les découpages ne se valent pas: il faut en trouver qui aient un sens et identifient des ensembles relativement cohérents. Platon comparait le philosophe au bon cuisinier qui sait découper les poulets kat' arthra, selon les articulations. La comparaison est tout aussi valable pour l'historien: il doit trouver les articulations pertinentes pour découper l'histoire en périodes, c'est-à-dire substituer à la continuité insaisissable du temps une structure signifiante." (p.114)

    "Périodiser, c'est [...] identifier des ruptures, prendre parti sur ce qui change, dater le changement et en donner une première définition. Mais, à l'intérieur d'une période, l'homogénéité prévaut. [...] Toutes les périodes sont des "périodes de transition". L'historien qui souligne un changement en définissant deux périodes distinctes est obligé de dire sous quels aspects elles diffèrent, et, au moins en creux, de façon implicite, plus souvent explicitement, sous quels aspects elles se ressemblent. La périodisation identifie continuités et ruptures. Elle ouvre la voie à l'interprétation." (p.115)

    "A chaque objet historique, sa périodisation spécifique. Il n'est pas pertinent d'adopter une périodisation politique pour l'étude d'une évolution économique ou religieuse, et inversement." (p.119)

    "L'échelonnement braudélien de l'histoire immobile à l'histoire rapide constitue en fait une prise de parti majeure sur l'importance respective des différents pans de la réalité étudiée et sur le sens des causalités. [...]
    Ce qui change lentement est par là même érigé en déterminant majeur.
    " (p.122)

    "L'énoncé historique ne se reconnaît pas seulement à ce qu'il réfère au passé et comporte des dates. [...] Il utilise, en effet, des expressions qui n'appartiennent à aucun autre vocabulaire et que l'on peut qualifier de concepts." (p.125)

    "Pour les désignations de réalités passées on trouve généralement dans la langue du temps des concepts adéquats. Mais il arrive aussi que l'historien recoure à des concepts étrangers à l'époque et qui lui semblent mieux adaptés. On connaît la discussion autour de la société d'Ancien Régime: sociétés d'ordres ou de classes ? Faut-il la penser suivant les concepts qu'elle utilisait elle-même, et qui ne correspondent plus exactement aux réalités du XVIIIe siècle, ou selon des concepts élaborés au siècle suivant, pendant la Révolution française ou plus tard encore ?
    A penser le passé avec des concepts contemporains, on risque l'anachronisme. Le danger est particulièrement grand dans le domaine de l'histoire des idées ou des mentalités. L. Febvre a bien montré dans son
    Rabelais combien les concepts d'athéisme et même d'incroyance appliqués au XVIe siècle constituaient des anachronismes majeurs." (p.127)

    "Il est extrêmement rare que les contemporains d'une époque aient eu conscience de l'originalité de la période qu'ils vivaient au point de lui donner un nom au moment même. [...] Il n'y a guère que les grands mouvements populaires, ou les guerres, qui suscitent chez les contemporains le sentiment de constituer une période particulière et qui demandent un nom: la Révolution a été nommée sur-le-champ et les Français de 1940 ont eu clairement conscience de vivre une débâcle." (p.128)

    "Les vrais concepts permettent la déduction. Ils procèdent par la définition d'une propriété pertinente, dont découle une série de conséquences. Définir l'homme comme un animal raisonnable, c'est associer deux concepts: celui d'animal et celui de raison. Du premier, on déduira que l'homme est mortel, etc. Du second, qu'il est capable de connaissance et de moralité.
    Les concepts de l'histoire ne relèvent pas de ce type. Ils sont construits par une série de généralisations successives, et définis par l'énumération d'un certain nombre de traits pertinents, qui relèvent de la généralité empirique, non de la nécessité logique. [...]
    [Le concept historique] atteint une certaine forme de généralité, parce qu'il résume plusieurs observations qui ont enregistré des similitudes et dégagé des phénomènes récurrents
    ." (pp.129-130)

    "Bref, ce concept que Kant nommait empirique est une description résumée, une façon économique de parler, non un "vrai" concept. L'abstraction reste incomplète et ne peut s'affranchir de toute référence à un contexte localisé et daté. D'où un statut de "semi-nom propre" ou de "noms communs imparfaits" des concepts génériques de l'histoire, comme d'ailleurs de la sociologie. Ils restent soumis au contrôle énumératif des contextes singuliers qu'ils subsument. Aussi ne peut-on les définir d'une formule: il faut les décrire, dérouler l'écheveau de réalités concrètes et de relations qu'ils résument, comme on vient de le faire pour crise économique d'Ancien Régime ; les expliquer, c'est toujours les expliciter, les développer, les déployer. Ce sont "des concentrés d'une multitude de significations", dit R. Koselleck qui cite Nietzsche: "Tous les concepts dans lesquels se résume sémiotiquement l'ensemble d'un processus échappent à la définition. N'est définissable que ce qui n'a pas d'histoire"." (pp.131-132)

    "Dans la mesure où ils constituent des outils de comparaison, et pour qu'ils puissent susciter ainsi une "intelligibilité comparative" (Passeron), les concepts sont cependant un peu plus que des descriptions résumées. [...] Ce sont ce que Max Weber appelle des idéaltypes." (p.132)

    "Les historiens français ne font pas toujours un usage rigoureux des concepts, car leur tradition historiographique ne les y invite pas. La tradition germanique, plus philosophique, est sur ce point différente et il n'est pas rare en Allemagne de voir un livre d'histoire commencer par un chapitre entièrement consacré à justifier les concepts que l'auteur utilisera." (p.136)

    "A-t-on le droit de prêter à des entités collectives les traits de la psychologie individuelle ? [...] Les sociologues libéraux, partisans de reconstituer les conduites collectives à partir des comportements rationnels des acteurs individuels, dénoncent un réalisme naïf dans cette façon de traiter des groupes comme des personnes. On peut objecter que les acteurs individuels ont une conscience plus ou moins confuse de constituer un groupe. Ce qui autorise l'historien à dire que la France a telle ou telle attitude envers l'Allemagne en 1914, c'est que les mobilisés pouvaient dire à l'époque: "Nous sommes en guerre, l'Allemagne nous fait la guerre". [...] Le nous des acteurs fonde implicitement l'entité collective qu'utilise l'historien. P. Ricoeur propose la notion d'appartenance participe pour légitimer ce transfert aux entités collectives de la psychologie individuelle: les groupes en question sont constitués d'individus qui leur appartiennent et ont une conscience plus ou moins confuse de cette appartenance participative. C'est cette référence, oblique et implicite, qui permet de traiter le groupe comme un acteur collectif.
    Il ne s'agit donc ni d'une simple analogie, ni d'une fusion des individus dans le groupe ou d'une réduction de l'individuel au collectif.
    " (p.140)

    "Les concepts ne sont pas des choses ; à certains égards, ce sont des armes. En tout cas des outils avec lesquels les contemporains, mais aussi les historiens, s'efforcent de faire prévaloir une mise en ordre du réel et de faire dire au passé sa spécificité et ses significations. Ni extérieurs au réel, ni collés à lui comme des signes parfaitement adéquats aux choses, ils entretiennent, avec les réalités qu'ils nomment, un écart, une tension où se joue l'histoire. En même temps qu'ils reflètent le réel, ils lui donnent forme en le nommant. Cette relation croisée de dépendance et de conformation fait l'intérêt et la nécessité de l'histoire des concepts. De même que l'histoire est à la fois travail sur le temps et travail du temps, elle est travail sur les concepts et travail des concepts." (p.143)

    "Tous les historiens parlent, comme F. Furet, de leur atelier ; ils évoquent les règles de leur art. [...]
    Pourtant la dénégation jouxte l'affirmation. M. Bloch parle aussi de l'histoire comme d'une science, une science "dans l'enfance" certes, mais "la plus difficile de toutes les sciences" comme le disaient Bayle et Fustel de Coulanges.
    " (pp.146-147)

    "Il faudrait pourtant choisir, en bonne logique. La menuiserie n'est pas une science, l'atelier n'est pas un laboratoire, ni l'établi une paillasse. Les sciences s'enseignent, on peut en énoncer les règles. [...] Assurément les historiens traduisent dans le lexique de l'artisanat un aspect essentiel de leur expérience, le sentiment très fort qu'il n'y a pas de règle qu'on puisse appliquer automatiquement et systématiquement, que tout est affaire de dosage, de doigté, de compréhension. Ce qui ne les empêche pas de se vouloir et d'être rigoureux, et de l'exprimer en recourant au lexique de la science." (p.147)

    "Les hommes, objets de l'histoire.

    [...]

    Les historiens sont relativement unanimes quant à l'objet de leur discipline, malgré des différences de formulation qu'ils dépensent beaucoup de talent à justifier. L'histoire est l'étude des sociétés humaines, disait Fustel de Coulanges. Seignobos lui faisait écho:
    "L'histoire a pour but de décrire, au moyen des documents, les sociétés passées et leurs métamorphoses". [...] Il n'y a pas de divergences véritable sur ce point avec les fondateurs des Annales qui préfèrent "l'histoire des hommes en société" plutôt que "l'histoire des sociétés humaines"." (p.147-148)

    "Trois traits caractérisent l'objet de l'histoire. Il est humain, ce qui signifie que même les histoires apparemment indifférentes aux hommes y conduisent par un détour: l'histoire de la vie matérielle ou du climat s'intéresse aux conséquences pour les groupes humains des évolutions qu'elle analyse. Il est collectif [...] Pour qu'un homme individuel intéresse l'histoire, il faut qu'il soit, comme on dit, représentatif, c'est-à-dire représentatif de beaucoup d'autres, ou alors qu'il ait sur la vie et le destin des autres une influence véritable, ou encore qu'il fasse ressortir, par sa singularité même, les normes et les habitudes d'un groupe en un temps donné. Enfin, l'objet de l'histoire est concret: les historiens se méfient des termes abstraits, ils veulent voir, entendre, sentir. [...]
    Dire que l'objet de l'histoire est concret, c'est dire qu'il est situé dans l'espace et le temps. Il présente une dimension diachronique. [...] Il n'y de société concrète que localisée dans le temps et dans l'espace
    ." (pp.148-149)

    "L'opposition entre le mode d'intelligibilité des hommes et celui des choses a été théorisée par Dilthey et reprise en France par R. Aron, dans sa thèse. Bien qu'il soit daté, ce débat épistémologique reste important. Il pose une différence radicale entre les sciences de l'esprit ou sciences humaines [...] et celles de la nature, celles-ci étant la physique et la chimie de la fin du siècle dernier. [...] L'explication est la démarche de la science proprement dite ; elle recherche les causes et vérifie des lois. Elle est déterministe: les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, et c'est précisément ce que disent les lois. La rencontre d'un acide et d'un oxyde donne toujours un sel, de l'eau et de la chaleur.
    Manifestement, les sciences humaines ne peuvent viser ce type d'intelligibilité. Ce qui rend les conduites humaines intelligibles, c'est qu'elles sont rationnelles, ou du moins intentionnelles. L'action humaine est choix d'un moyen en fonction d'une fin. On ne peut l'expliquer par des causes et des lois, mais on peut la comprendre. C'est le mode même d'intelligibilité de l'histoire
    ." (p.151)

    "Il est vrai que l'histoire n'est pas une science, fût-elle "dans l'enfance" ou "difficile". Il n'y a de science que du général, d'événements qui se répètent, et l'histoire traite d'événements originaux, de situations singulières qui ne se rencontrent jamais deux fois strictement identiques. [...]
    L'idée que la science établit des lois, qu'elle fait régner une prévisibilité rigoureuse, du type: "si l'évènement A se produit, alors l'événement B se produira nécessairement", relève du scientisme de la fin du XIXe siècle plus que de la science moderne. D'une part, dès le XIXe siècle, de bons esprits comme Cournot mettaient en garde contre cette simplification abusive. [...] L'analyse des écosystèmes est assurément une science, et le développement des algues dans un lac s'explique par des températures et des teneurs en oxygène de l'eau, sans qu'on puisse en tirer une prévisibilité certaine. La définition de la science par la loi n'est pas totalement pertinente. Au demeurant, les lois scientifiques ont perdu le caractère purement déterministe qui les caractérisait au siècle dernier, et la physique moderne est devenue probabiliste. Il reste qu'elle continue à se définir par des procédures de vérification / réfutation rigoureuses dont l'histoire, comme les autres sciences sociales, est incapable. Il est clair que l'histoire ne saurait être une science au même titre que la chimie.
    Aussi bien n'y prétend-elle absolument pas, et c'est ici que la notion de compréhension trouve sa portée. Elle vise à particulariser un mode de connaissance qui, pour être différent, n'en est ni moins légitime, ni moins rigoureux, ni moins vrai, dans son ordre, que la connaissance objective des sciences de la nature
    ." (p.152)

    "Il ne suffit pas que les faits se placent en ordre chronologique pour qu'il y ait histoire, il faut qu'il y ait influence des uns sur les autres [comme aux échecs]. Or cette influence passe par la conscience des acteurs qui perçoivent une situation et s'y adaptent, en fonction de leurs objectifs, de leur culture, et leurs représentations. Il n'y a donc pas d'histoire qu'on puisse dire purement "naturelle": toute histoire implique des significations, des intentions, des volontés, des peurs, des imaginations, des croyances. La singularité que défendent jalousement les historiens est celle du sens." (p.155)

    "La compréhension spécifie plus largement le mode d'intelligibilité de l'histoire (mais aussi de la sociologie et de l'anthropologie, comme le montre J.-Cl. Passeron) en tant qu'elle porte sur des comportements investis de sens et de valeurs." (p.156)

    "Sur quoi l'historien se fonde-t-il pour accepter ou refuser les explications que lui proposent ses sources, sinon sur sa propre expérience du monde et de la vie en société, qui lui a appris que certaines choses arrivent, et que d'autres n'arrivent pas ?
    On est donc bien ici dans l'espace de ce que J.-Cl. Passeron appelle "le raisonnement naturel". L'historien raisonne par analogie avec le présent, il transfère au passé des modes d'explication qui ont fait leurs preuves dans l'expérience sociale quotidienne de tout un chacun. C'est d'ailleurs l'une des raisons du succès de l'histoire dans le grand public: aucune compétence spécifique n'est requise du lecteur pour pénétrer dans un livre d'histoire
    ." (p.159)

    "L'historien comprend les situations historiques à partir de l'expérience qu'il a des diverses pratiques sociales." (p.160)

    "L'explication du passé se fonde sur les analogies avec le présent, mais elle nourrit à son tour l'explication du présent." (p.161)

    ""Bien" comprendre, c'est-à-dire comprendre tout court, suppose une certaine forme de connivence, de complicité avec l'autre. Il faut accepter d'entrer dans sa personnalité, de voir avec son regard, de ressentir avec sa sensibilité, de juger selon ses critères. On ne comprend bien que de l'intérieur. Cet effort qui mobilise l'intelligence implique des zones plus intimes de la personnalité. On ne peut rester indifférent à ceux que l'on comprend." (pp.162-163)

    "S'il existe en histoire d'autres formes d'intelligibilité que la reconstitution de causalités, force est de constater que les historiens passent beaucoup de temps à rechercher les causes des événements qu'ils étudient et à déterminer les plus importantes." (p.170)

    "Il y a des lois en sciences et pas en histoire, mais toute loi est assujettie à des conditions de validité. Les réactions chimiques sont soumises à des conditions de température et de pression. La nature même de l'histoire exclut-elle la possibilité de loi ? ou bien les conditions de validité auxquelles d'éventuelles lois seraient soumises sont-elles tellement nombreuses, complexes et interdépendantes qu'on ne peut en démêler l'écheveau ? On pourrait alors envisager qu'une histoire plus achevée, plus aboutie, puisse rejoindre la science. C'est en ce sens que M. Bloch parlait de science "dans l'enfance".
    Il faut pourtant renoncer à cette illusion. [...] La complexité des enchevêtrements de causes en histoire est infinie. Même un historien parfait, omniscient et omnicompétent, échouerait à la démêler. Une complexité inépuisable est constitutive des objets historiques.
    "Même la description du plus petit fragment de la réalité, disait M. Weber, ne peut jamais être pensée de manière exhaustive. Le nombre et la nature des causes qui ont déterminé un événement singulier quelconque sont toujours infinis...".
    Nous sommes donc dans un entre-deux. L'histoire ne s'explique pas complètement, mais elle s'explique. Si elle s'expliquait parfaitement, elle serait entièrement prévisible. Or elle n'est ni totalement déterminée, ni totalement aléatoire." (pp.172-173)

    "
    (pp.176-177)

    "
    (p.178)

    "
    (p.180)

    "
    (pp.186-187)
    -Antoine Prost, Douze leçons sur l'histoire, Seuil, 2010 (1996 pour la première édition), 389 pages.






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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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