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    Présentation du Petit traité des grandes vertus d'André Comte-Sponville + André Comte-Sponville, Petit Traité des grandes vertus

    Johnathan R. Razorback
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    Présentation du Petit traité des grandes vertus d'André Comte-Sponville + André Comte-Sponville, Petit Traité des grandes vertus Empty Présentation du Petit traité des grandes vertus d'André Comte-Sponville + André Comte-Sponville, Petit Traité des grandes vertus

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 11 Juil - 21:31

    http://mullerkp.free.fr/lectures/vertus.pdf

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Petit_Trait%C3%A9_des_grandes_vertus

    "Si tout être a sa puissance spécifique, dans quoi il excelle ou peut exceller (ainsi un excellent couteau, un excellent médicament…), demandons-nous quelle est l’excellence propre de l’homme. Aristote répondait que c’est ce qui le distingue des animaux, autrement dit la vie raisonnable [1] . Mais la raison n’y suffit pas : il y faut aussi le désir, l’éducation, l’habitude, la mémoire… Le désir d’un homme n’est pas celui d’un cheval, ni les désirs d’un homme éduqué ceux d’un sauvage ou d’un ignorant. Toute vertu est donc historique, comme toute humanité, et les deux, en l’homme vertueux, ne cessent de se rejoindre : la vertu d’un homme, c’est ce qui le fait humain, ou plutôt c’est la puissance spécifique qu’il a d’affirmer son excellence propre, c’est-à-dire (au sens normatif du terme) son humanité. Humain, jamais trop humain… La vertu est une manière d’être, expliquait Aristote, mais acquise et durable : c’est ce que nous sommes (donc ce que nous pouvons faire), parce que nous le sommes devenus. Et comment, sans les autres hommes ? La vertu advient ainsi à la croisée de l’hominisation (comme fait biologique) et de l’humanisation (comme exigence culturelle) : c’est notre manière d’être et d’agir humainement, c’est-à-dire (puisque l’humanité, en ce sens, est une valeur) notre capacité à bien agir."

    "La vertu, répète-t-on depuis Aristote, est une disposition acquise à faire le bien. Mais il faut dire plus : elle est le bien même, en esprit et en vérité. Pas de Bien absolu, pas de Bien en soi, qu’il suffirait de connaître ou d’appliquer. Le bien n’est pas à contempler ; il est à faire. Telle est la vertu : c’est l’effort pour se bien conduire, qui définit le bien dans cet effort même. Cela pose un certain nombre de problèmes théoriques, que j’ai traités ailleurs [5] . Ce livre-ci se veut tout entier de morale pratique, c’est-à-dire de morale."

    [1. La politesse]

    "La politesse rend le méchant plus haïssable parce qu’elle dénote en lui une éducation sans laquelle sa méchanceté, en quelque sorte, serait excusable. Le salaud poli, c’est le contraire d’un fauve, et l’on n’en veut pas aux fauves. C’est le contraire d’un sauvage, et l’on excuse les sauvages. C’est le contraire de la brute épaisse, grossière, inculte, laquelle est effrayante, certes, mais dont on peut au moins expliquer, par l’inculture, la violence native et bornée. Le salaud poli n’est pas un fauve, n’est pas un sauvage, n’est pas une brute : civilisé, au contraire, éduqué, élevé, et par là, dirait-on, sans excuses. Le malotru agressif, qui peut savoir s’il est méchant ou simplement mal élevé ? Pour le tortionnaire sélect, au contraire, point de doute. Comme le sang se voit davantage sur les gants blancs, l’horreur se montre mieux quand elle est policée. Les nazis, à ce qu’on rapporte, du moins certains d’entre eux, excellaient dans ce rôle. Et chacun comprend qu’une part de l’ignominie allemande s’est jouée là, dans ce mélange de barbarie et de civilisation, de violence et de civilité, dans cette cruauté tantôt polie tantôt bestiale, mais toujours cruelle, et plus coupable peut-être d’être polie, plus inhumaine d’être humaine, dans les formes, plus barbare d’être civilisée. Un être grossier, on peut accuser l’animal, l’ignorance, l’inculture, faire retomber la faute sur le saccage d’une enfance ou sur l’échec d’une société. Un être poli, non. La politesse est en cela comme une circonstance aggravante."

    "La politesse donc (« cela ne se fait pas ») est antérieure à la morale (« cela ne doit pas se faire »), laquelle ne se constituera que peu à peu, comme une politesse intériorisée, libérée d’apparences et d’intérêts, et tout entière concentrée dans l’intention (dont la politesse n’a que faire). Mais comment émergerait-elle, cette morale, si la politesse n’était donnée d’abord ? Les bonnes manières précèdent les bonnes actions, et y mènent. La morale est comme une politesse de l’âme, un savoir-vivre de soi à soi (même s’il y est question surtout de l’autre), une étiquette de la vie intérieure, un code de nos devoirs, un cérémonial de l’essentiel. Inversement, la politesse est comme une morale du corps, une éthique du comportement, un code de la vie sociale, un cérémonial de l’inessentiel."

    "L’amour ne suffit pas pour élever les enfants, ni même pour les rendre aimables et aimants. La politesse ne suffit pas davantage, et c’est pourquoi il faut les deux."

    [2. La fidélité]

    "La fidélité n’excuse pas tout : être fidèle au pire est pire que le renier."

    "Pourquoi tiendrais-je ma promesse de la veille, puisque je ne suis plus le même aujourd’hui ? Pourquoi ? Par fidélité. C’est là, selon Montaigne, le vrai fondement de l’identité personnelle : « Le fondement de mon être et de mon identité est purement moral : il se trouve dans la fidélité à la foi que je me suis jurée à moi-même. Je ne suis pas réellement le même qu’hier ; je ne suis le même que parce que je m’avoue le même, parce que je prends à mon compte un certain passé comme le mien, et parce que j’entends, dans l’avenir, reconnaître mon engagement présent comme toujours le mien. » Pas de sujet moral sans fidélité de soi à soi, et c’est en quoi la fidélité est due : parce qu’il n’y aurait pas de devoirs autrement !"

    "La fidélité doit n’aller qu’à ce qui vaut, et proportionnellement — si l’on ose dire, s’agissant de grandeurs par nature non quantifiables — à la valeur de ce qui vaut. Fidélité d’abord à la souffrance, au courage désintéressé, à l’amour… Un doute me vient : la souffrance est-elle donc une valeur ? Non, certes, prise en elle-même, ou bien seulement négative : la souffrance est un mal, et l’on se tromperait en y voyant une rédemption. Mais si la souffrance n’est pas une valeur, toute vie souffrante en est une, par l’amour qu’elle exige ou mérite : aimer celui qui souffre (la charité des chrétiens, la compassion des bouddhistes, la commiseratio des spinozistes…) est plus important qu’aimer ce qui est beau ou grand, et la valeur n’est pas autre chose que ce qui mérite d’être aimé. C’est en quoi toute fidélité — et qu’elle soit fidélité à une valeur ou à quelqu’un — est fidélité à l’amour, et par l’amour."

    "Etre fidèle, pour la pensée, ce n’est pas refuser de changer d’idées (dogmatisme), ni les soumettre à autre chose qu’à elles-mêmes (foi), ni les considérer comme des absolus (fanatisme) ; c’est refuser d’en changer sans bonnes et fortes raisons, et — puisqu’on ne peut examiner toujours — c’est tenir pour vrai, jusqu’à nouvel examen, ce qui a une fois été clairement et solidement jugé. Ni dogmatisme, donc, ni inconstance. On a le droit de changer d’idées, mais seulement quand c’est un devoir. Fidélité au vrai d’abord."

    "Kant aurait raison s’il y avait une loi morale universelle et absolue, et donc un fondement objectif de la morale. Mais je n’en connais point, et tel est le lot que notre époque nous impose, me semble-t-il, que de devoir être moraux sans plus croire à la vérité (absolue) de la morale. Au nom de quoi, dès lors, être vertueux ? Au nom de la fidélité : par fidélité à la fidélité !"

    "Et faut-il même se révolter ? Et contre qui ? Contre Socrate ? Contre Epictète ? Contre le Christ des Evangiles ? Contre Montaigne ? Contre Spinoza ? Qui le pourrait ? Qui le voudrait ? Comment ne pas voir qu’ils sont pour l’essentiel fidèles, les uns et les autres, aux mêmes valeurs, auxquelles on ne pourrait renoncer qu’en renonçant à l’humanité ? « Je ne suis pas venu abolir mais accomplir… » Parole de fidèle — et plus belle encore sans la foi, et plus urgente encore sans la foi. Fidélité, non à Dieu, mais à l’homme, et à l’esprit de l’homme (à l’humanité non comme fait biologique mais comme valeur culturelle). Toutes les barbaries de ce siècle se sont déchaînées au non de l’avenir (le Reich de mille ans, les lendemains qui chantent, ou qui devaient chanter, du stalinisme…). On ne m’ôtera pas l’idée qu’on n’y a résisté, moralement, que par fidélité à un certain passé. Le barbare, c’est l’infidèle. Même les lendemains qui chantent ne sont moralement désirables qu’au nom de valeurs fort anciennes ; c’est ce que Marx avait vu et que les marxistes commencent à comprendre. Il n’y a pas de morale de l’avenir. Toute morale, comme toute culture, vient du passé. Il n’est de morale que fidèle."

    "Ce qui fait qu’un couple est un couple. La simple rencontre sexuelle, fût-elle répétée, ne saurait évidemment y suffire. Mais pas non plus la simple cohabitation, fût-elle durable. Le couple, au sens où je prends le mot, suppose et l’amour et la durée. Il suppose donc la fidélité, puisque l’amour ne dure qu’à la condition de prolonger la passion (trop brève pour faire un couple, tout juste bonne à le défaire !) par mémoire et volonté."

    [3. La prudence]

    "La prudence ne règne pas (la justice vaut mieux, l’amour vaut mieux), mais elle gouverne. Or, que serait un royaume sans gouvernement ? Il ne suffit pas d’aimer la justice pour être juste, ni d’aimer la paix pour être pacifique : il y faut encore la bonne délibération, la bonne décision, la bonne action. La prudence en décide comme le courage y pourvoit.

    Les stoïciens y voyaient une science (« la science des choses à faire et à ne pas faire », disaient-ils) , ce qu’Aristote avait légitimement refusé puisqu’il n’est science que du nécessaire et prudence que du contingent."

    "La prudence n’est une vertu qu’au service d’une fin estimable (elle ne serait autrement qu’habileté), comme cette fin n’est complètement vertueuse que servie par des moyens adéquats (elle ne serait autrement que bons sentiments). [...] La prudence ne suffit pas à la vertu (puisqu’elle ne délibère que sur les moyens, quand la vertu tient aussi à la considération des fins), mais aucune vertu ne saurait s’en passer."
    -André Comte-Sponville, Petit Traité des grandes vertus, PUF, 1995.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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