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    Emmanuel Kant, Œuvres

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Emmanuel Kant, Œuvres Empty Emmanuel Kant, Œuvres

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 15 Aoû - 22:21

    https://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:Emmanuel_Kant

    « Discipline autonome, la philosophies n’aspire qu’à former des esprits autonomes auxquels il serait impertinent de demander à quoi ils peuvent bien servir, puisqu’ils ont pour seul but ne pas servir, autrement dit de rester libres. »
    « Kant naît en 1724 à Königsberg, port de Prusse orientale, dans la famille modeste d’un sellier. Trois composantes sont décelables dans sa formation : le piétisme, le rationalisme leibnizien, la physique newtonienne.
    Le piétisme.
    Ce mouvement, fondé par un pasteur alsacien, Spener (1635-1705), constitue une double réaction :
    -Contre les tendances « mondaines » du protestantisme et la frivolité des classes dirigeantes, le piétisme propose de mettre au second plan les rites extérieurs et de réformer les mœurs. Il prêche la modération du boire, du manger, de l’habillement, le rejet du théatre, de la danse, des jeux, etc.
    -Contre la priorité accordée par l’orthodoxie luthérienne à l’Écriture comme dogme, c’est-à-dire comme fondement objectif et historique de la religion, le piétisme veut en faire la source vivante de la foi personnelle : il met l’accent sur l’élément subjectif, la volonté intérieure de régénération et la méditation personnelle de l’Écriture. L’expression de Spener, « la tête dans le cœur », résume cette intention de donner à la bonne volonté et à la foi la préséance sur la connaissance. » (p.15)
    -Michel Coudarcher, Kant pas à pas, Ellipses, 2008, 316 pages.

    "A priori:
    Est dit a priori ou pur ce qui ne dérive pas de l'expérience, par opposition à a posteriori, synonyme d'empirique. Sont a priori les formes de la sensibilité, espace et temps, qui sont les conditions sous lesquelles la sensibilité donne des objets à l'intuition, ainsi que les concepts de l'entendement, qui sont les règles permettant de penser l'objet." (p.17)

    "Entendement:
    Faculté de connaître non sensible, l'entendement est la spontanéité de la pensée comme faculté de produire des concepts, au moyen desquels il juge, c'est-à-dire pense. Les jugements sont des actes de l'entendement comme faculté de juger qui pense les objets que donne la sensibilité." (p.36)

    "Expérience:
    C'est ce que l'entendement obtient en élaborant la matière brute des sensations. Commencement de toute connaissance, elle ne suffit cependant pas à nous en livrer toute l'origine car, si elle nous dit bien ce qui est, elle ne nous permet pas d'en fonder l'universalité et la nécessité et ne donne aucune connaissance
    a priori.

    Alors que l'expérience réelle est la perception commune des objets, l'expérience possible définit l'expérience au sens scientifique permettant que des objets soient pensés. La critique de la raison limite notre connaissance au seul champ de l'expérience possible. L'expérience ne saurait être une simple collection de données, mais suppose une activité de l'esprit: l'expérience que nous avons est donc aussi l'expérience que nous faisons et les catégories sont les conditions a priori de la possibilité de l'expérience. Connaissance empirique déterminant un objet par des perceptions, l'expérience est un acte de détermination du donné perceptif. Sous le terme de possibilité de l'expérience il faut alors entendre ce qui donne une réalité objective à nos concepts a priori.

    L'expérience n'étant pas une simple association empirique, il y a à sa base des principes de sa forme a priori, c'est-à-dire des règles d'unité de la liaison des phénomènes. Alors que les jugements analytiques ont pour principe le principe logique de non contradiction, les jugements synthétiques ont pour principe que tout objet soit soumis aux conditions de l'unité synthétique du divers de l'intuition dans une expérience possible. On peut alors dire que "les conditions de possibilité de l'expérience sont en même temps les conditions de possibilité des objets de l'expérience". Ce principe suprême de tous les jugements synthétiques a priori signifie que ce qui vaut pour l'expérience possible vaut aussi pour les objets de l'expérience, qu'il y a identité entre la pensée et l'être et que, une fois établies les conditions de l'expérience possible, l'expérience réelle doit obéir à l'expérience possible. Le "en même temps" joue dans l'énoncé du principe un rôle essentiel: alors qu'en sa formulation rigoureuse de principe de la logique formelle, la non-contradiction exclut toute dimension de temps, en revanche les jugements synthétiques et a priori supposent une telle détermination, dans la mesure où la synthèse pure est aussi liaison de la forme temporelle des phénomènes." (p.39-41)

    "Exposition:
    L'espace et le temps font l'objet d'une exposition et non d'une déduction, car ce ne sont pas des concepts produits par l'entendement, mais des formes pures de la sensibilité qui le précèdent.

    Il faut distinguer l'exposition métaphysique et l'exposition transcendantale. La première vise à établir le caractère a priori de ces formes: elles ne peuvent pas être tirées d'impressions, puisqu'elles sont la condition des impressions externes et internes. La seconde montre en quoi ces formes a priori ont une valeur objective, fondant la possibilité d'une connaissance mathématique comme connaissance synthétique a priori.

    Espace et temps sont les conditions de possibilité de connaissances a priori. N'étant pas des concepts empiriques, ils sont a priori et sont représentés comme des grandeurs infinies, à l'intérieur desquelles il est possible de découper une portion d'espace ou de temps. Ils ne sont pas des choses, ni des propriétés des choses, mais des conditions subjectives de notre intuition sensible, qui se produit en tant que nous sommes affectés par des objets, et ne sont donc rien en soi en dehors du sujet." (p.41-42)

    "Imagination
    Kant distingue de la simple imagination empirique et reproductrice, comme faculté de se représenter un objet même en son absence et reposant sur les seules lois empiriques de l'association, l'imagination transcendantale et productrice, dont la fonction est d'assurer une médiation entre la réceptivité de la sensibilité et la spontanéité de l'entendement.

    Les deux opérations de l'imagination transcendantale sont la synthèse et le schématisme. Toute appréhension du divers dans l'intuition s'effectuant selon la forme du temps, l'imagination doit en assurer la reproduction en faisant porter sa synthèse sur cette forme universelle des représentations qu'est le temps. Une telle liaison transcendantale de la forme temporelle du phénomène, en tant qu'elle est un effet de l'entendement sur la sensibilité, est également appelée synthèse figurée (synthesis speciosa) et se distingue de la synthèse intellectuelle qui est l'acte par lequel l'entendement confère une unité à la synthèse de l'imagination. Par ailleurs, la catégorie n'est applicable aux objets de l'expérience que pour autant que l'imagination la temporalise en la dotant d'un schème, qui est une détermination transcendantale de temps conférant à la catégorie une efficience cognitive. Les principes de l'entendement pur sont alors la mise en œuvre des catégories schématisées, telles qu'elles puissent s'appliquer à des objets spatiaux.

    Faculté intermédiaire entre la sensibilité et l'entendement, l'imagination porte sur ces deux a priori que sont le temps et la catégorie. Synthétisant la forme des représentations, elle rend également les catégories représentables par la conscience en les temporalisant. Loin d'être une puissance trompeuse, elle devient une pièce essentielle dans la constitution de l'objectivité, à tel point que l'on a pu voir en elle la racine de la raison." (p.58-59)

    "Nature
    Il faut distinguer le
    monde comme ensemble mathématique des phénomènes, reposant sur l'agrégation homogène dans l'espace et dans le temps, et la nature qui est le monde considéré comme un tout dynamique hétérogène, reposant sur l'unité de l'existence des phénomènes. Il faut alors distinguer la nature formelle, qui est le système des règles fondant l'unité de l'objet de l'expérience, de la nature matérielle, qui est l'ensemble des choses qui peuvent être objets de nos sens et de l'expérience.

    Puisqu'il existe une affinité transcendantale liant les phénomènes de manière nécessaire, les phénomènes ainsi liés constituent une nature. Comme nature formelle n'est rien d'autre que l'ordre et la régularité des phénomènes, c'est-à-dire un système de lois conditionnant l'objectivité. Ensemble de conditions, elle concerne l'expérience possible et non l'expérience réelle, ses lois s'effectuant dans ces jugements que sont les principes de l'entendement pur. Ce concept de nature formelle permet également de me servir de la loi universelle de la nature comme type du jugement pratique pur. La nature matérielle est l'ensemble des phénomènes s'enchaînant universellement pour former un tout subsistant et étant l'objet de cette science qu'est la physique. Son unité vient de ce qu'elle est soumise aux lois de la nature formelle, c'est-à-dire à la législation de l'entendement
    ". (.71-72)

    "Principes
    Les principes de l'entendement pur sont les règles d'application des catégories schématisées au objets de l'expérience, fondant les jugements synthétiques
    a priori en déterminant leurs conditions d'usage et de validité. Les principes mathématiques de la quantité et de la qualité concernent l'essence des objets, alors que les principes dynamiques de la relation et de la modalité concernent leur existence.

    Les
    axiomes de l'intuition sont les principes de la quantité, selon lesquels tous les phénomènes ont une grandeur extensive dans l'espace et dans le temps. Les anticipations de la perception sont les principes de la qualité selon lesquels tous les phénomènes ont une grandeur intensive, un degré d'intensité. Les analogies de l'expérience sont les principes de la relation selon lesquels tous les phénomènes sont, quand à leur existence, soumis a priori à des règles déterminant leurs relations intratemporelles. La première analogie pose le principe de la permanence de la substance, qui fait que tous les phénomènes contiennent quelque chose de permanent ; la deuxième analogie pose le principe selon lequel tous les changements se produisent suivant la loi de liaison de la cause et de l'effet dans l'ordre de la succession qui fait que le cours du temps est réglé ; la troisième analogie pose que toutes les substances en tant que simultanées sont dans une action réciproque universelle. Les postulats de la pensée empirique sont les principes de la modalité déterminant le mode de position de l'objet comme possible, effectif ou nécessaire.

    Mise en œuvre du schématisme des catégories, les principes permettent de constituer les phénomènes en objets. On passe ainsi de l'objet = X à un objet déterminé selon des règles.
    " (p.81-82)

    "Schème:
    Terme intermédiaire, produit par l'imagination transcendantale, homogène à la catégorie et aux phénomènes, qui rend possible l'application de la première aux seconds.

    Il faut distinguer l'image, produit empirique de l'imagination empirique pouvant servir d'exemple pour illustrer un concept, du schème qui est un monogramme de l'imagination pure rendant possible des images. Il s'agit, pour les concepts empiriques, d'une image mentale pure adéquate au concept, alors qu'une image empirique ne peut l'être. C'est en mathématiques que le schématisme fonctionne de la façon la plus parfaite car, puisque nous construisons l'objet dans l'intuition pure, nous avons affaire à une opération adéquate à sa configuration, pensée et imagination pure s'identifiant. Le schème de la catégorie est une détermination transcendantale de temps, une méthode de temporalisation servant de médiation entre concept et intuition. En effet, le temps permet d'homogénéiser ces deux termes hétérogènes, puisque les phénomènes sont temporels et que les concepts doivent être temporalisés pour pouvoir se phénoménaliser." (p.95-96)
    -Jean-Marie Vaysse, Le vocabulaire de Kant, Ellipses Édition, 2010, 120 pages.

    « Âme :
    Idée psychologique de la raison, l’âme a pour principe un syllogisme catégorique produisant un inconditionné de la synthèse catégorique comme substance absolument pensée. Une telle Idée n’a aucune réalité objective et ne peut donc constituer une connaissance.
    L’âme ne peut pas nous être donnée comme un sujet absolu, car je ne puis m’appliquer à moi-même la catégorie de substance, sous peine de m’égarer dans une apparence transcendantale, donnant lieu aux paralogismes de la psychologie rationnelle. L’homme ne se connaît donc que comme objet du sens interne, tout en étant conscient de soi comme objet du sens externe, en tant qu’il a un corps uni à cet objet du sens interne que l’on appelle âme.
    Kant met ainsi un terme au vieux problème métaphysique de l’union de l’âme et du corps. Le sujet est soit le Je pense comme sujet transcendantal ou unité transcendantale de l’aperception, qui doit pouvoir accompagner toutes mes représentations, soit l’objet du sens interne, qui est un sujet empirique donné dans l’expérience et dans la forme du temps. Dans le premier cas, nous avons un moi sujet qui est une forme logique et non une substance spirituelle, dans le second cas, nous avons un sujet empirique qui est un moi objet. Tel est le nerf de la critique du cogito, ergo sum où Descartes croit pouvoir déduire du Je pense l’existence d’une substance pensante. Or, si le Je pense est bien le déterminant qui déterminant le Je suis, Descartes a cependant oublié de voir que la forme de la détermination du déterminable, qui est l’existence, par le déterminant, qui est la pensée, est le temps. Si donc la détermination se fait dans le temps, la seule existence qui m’est donnée est l’existence empirique d’un moi objet intratemporel. » (p.11)
    « Amphibologie :
    Ce terme désigne communément le caractère ambigu ou équivoque de ce qui a un double sens. Kant appelle amphibologie transcendantale la confusion de l’objet de l’entendement pur avec le phénomène.
    Kant nomme lieu transcendantal la place d’un concept soit dans la sensibilité soit dans l’entendement, et topique transcendantale la doctrine consistant à déterminer la faculté de connaissance à laquelle appartient un concept. » (p.12)
    « Analogies de l’expérience :
    Mettant en œuvre le schématisme de la relation, les analogies de l’expérience ont pour principe que l’existence des phénomènes est soumise a priori à des règles déterminant leurs relations intratemporelles. » (p.13)
    « Anticipations de la perception :
    Mettant en œuvre le schématisme de la qualité, les anticipations de la perception ont pour principe que, dans tous les phénomènes, le réel, comme objet de la sensation, a une grandeur intensive. » (p.18)
    « Aperception
    L’aperception transcendantale est l’unité formelle de la conscience pure, se distinguant de l’aperception empirique qui est le sujet empirique, c’est-à-dire le sens interne ou le temps comme auto-affection de soi par soi.
    Synthèse originaire assurant la liaison des représentations et l’unité de la conscience, le « Je pense » est l’unité transcendantale de l’aperception, qui empêche l’esprit de se perdre en des représentations multiples discontinues. C’est la possession du Je qui élève l’homme au-dessus de tous les êtres vivants, car il est l’expression de l’entendement. Ce n’est que lorsque l’enfant dit « Je » qu’il se pense véritablement car, tant qu’il ne parle de lui qu’à la troisième personne, il ne fait que se sentir. Véhicule des catégories, le « Je pense » doit pouvoir accompagner toutes mes représentations, tous les phénomènes se rangeant sous l’unité d’une conscience transcendantale. Celle-ci n’est aucune conscience empirique particulière, mais elle est l’entendement comme pouvoir structurant constitué par l’ensemble des catégories.
    Le sujet kantien est donc à la fois sujet empirique et sujet transcendantal. L’unité de la conscience étant purement logique, elle n’est jamais qu’une fonction, renvoyant à la spontanéité de l’entendement que Kant appelle aussi intelligence ou personnalité transcendantale. Le seul moi réellement existant est donc le moi empirique singulier, objet d’une psychologie empirique. Kant détruit ainsi le sujet substantiel de la métaphysique, dont il fait une illusion transcendantale, pour établir une connexion entre le sujet et le temps. » (p.26)
    « Apparence :
    Il faut distinguer le phénomène ou apparition (Erscheinung), comme objet de l’intuition empirique, de l’apparence (Schein). Comme la vérité, l’apparence n’est pas dans l’objet intuitionné, mais dans le jugement porté sur l’objet pensé. Elle ne vient pas des sens, qui ne trompent pas vraiment, car ils ne jugent pas, mais obéit à une logique propre nommée dialectique. Si l’apparence logique se contente d’imiter la formelle rationnelle de façon sophistique, l’apparence transcendantale est la démarche qui entraîne la raison au-delà de l’usage empirique des catégories. » (p.26)
    « A priori
    Est dit a priori ou pur ce qui ne dérive pas de l’expérience, par opposition à a posteriori, synonyme d’empirique. Sont a priori les formes de sensibilité, c’est-à-dire l’espace et le temps comme conditions sous lesquelles la sensibilité donne des objets à l’intuition, les concepts de l’entendement comme règles permettant de penser l’objet, ainsi que les principes de l’entendement pur et les Idées de la raison qui découlent des concepts de l’entendement. La loi morale est également a priori, au sens où la raison pratique se donne cette loi indépendamment des conditions de la sensibilité. De même, le sentiment de plaisir et de peine peut être déterminé a priori par la représentation du beau et du sublime. Kant distingue au sens strict le pur et l’a priori, au sens où ce qui est pur est ce à quoi rien d’empirique n’est mélangé : dire que toute modification a une cause est un énoncé a priori qui n’est pas pur, car la modification est un concept dérivé de l’expérience.
    La notion d’a priori suppose une théorie du jugement. Les jugements analytiques sont des jugements explicatifs où le prédicat est inclus dans le sujet, alors que les jugements synthétiques sont des jugements extensifs et a posteriori où le prédicat ajoute quelque chose qui n’est pas contenu dans le sujet. Kant découvre toutefois l’existence de jugements synthétiques et a priori, extensifs mais non empiriques. Les jugements mathématiques et, par extension, les jugements de la physique sont synthétiques et a priori. Il s’agit de concevoir, contre Hume, une extension non empirique de la connaissance, sans pour autant réduire les vérités rationnelles à des tautologies, à la manière de Leibniz. Même si elle ne repose pas sur le seul principe d’identité, la mathématique n’est pas pour autant une science empirique, et la physique repose sur une application de concepts purs au champ de l’expérience.
    A la notion d’innéité se substitue ainsi celle d’a priori pour fonder l’objectivité. A l’idée d’une harmonie du sujet et de l’objet, la révolution copernicienne substitue l’idée d’une soumission nécessaire de l’objet au sujet. Dire que nous ne connaissons des choses a priori que ce que nous y mettons nous-mêmes signifie que le sujet humain est législateur et constitue l’objectivité. On n’a donc plus besoin ni de la véracité divine, à la façon du rationalisme classique, ni d’une harmonie entre nature et principe de la nature humaine, à la façon de l’empirisme de Hume, pour fonder l’objectivité. Une démonstration n’est donc ni une simple reconduction à l’identité, ni une probabilité très forte, mais une construction ou législation par purs concepts soumise aux conditions de notre réceptivité. La science ne connaît, par conséquent, que des phénomènes, elle est une activité proprement humaine et ne requiert plus comme pour le rationalisme classique un fondement théologique, que Kant dénonce comme un deux ex machina. Cet athéisme de la connaissance permet donc en même temps de réfuter l’empirisme, en fondant une constitution transcendantale de l’objectivité. » (p.29)
    « Kant élabore une théorie de l’art pour l’art, où celui-ci est à lui-même sa propre fin. » (p.31)
    « Axiomes de l’intuition :
    Mettant en œuvre le schématisme de la quantité, les axiomes de l’intuition ont pour principe que tous les phénomènes ont une grandeur extensive dans l’espace et le temps. » (p.31)
    « Kant renvoie dos-à-dos l’empirisme qui réduit le beau à l’agréable et le rationalisme qui le conçoit comme perfection. Si le plaisir pris au beau est désintéressé, cela tient à la nature particulière du plaisir esthétique, qui n’est pas un simple plaisir sensible, un simple laisser-aller dans la consommation, mais un laisser-être dans la contemplation, donnant lieu à un plaisir pur à juger, résultant d’un usage supérieur du sentiment de plaisir et de peine. » (p.34)
    « Bonheur :
    Le bonheur est la satisfaction de tous nos penchants sensibles et n’est qu’un idéal de l’imagination.
    On ne peut en aucun cas fonder la morale sur le bonheur, car il n’y a pas de loi universelle du bonheur et encore moins d’obligation possible. De plus, le bonheur n’est jamais assuré, car il est pour un être raisonnable la conscience d’un agrément de la vie qui accompagnerait toute son existence. Il constitue toutefois un élément du souverain Bien, lorsqu’il correspond à la moralité. Il ne peut donc sans la vertu constituer le bien complet. Aussi peut-il contredire le devoir dont l’accomplissement n’est pas forcément agréable. Toutefois, il s’agit aussi d’une aspiration légitime, et c’est un devoir que d’y travailler en tant qu’il peut favoriser la moralité sans jamais pouvoir la fonder.
    Rompant avec toutes les morales eudémonistes depuis l’Antiquité, Kant montre que, du fait de l’existence d’une faculté de désirer supérieure, le désir d’être heureux n’est pas le seul désir de l’homme, ni son désir le plus profond. Les philosophies antiques avaient déjà fortement insisté sur le caractère aporétique de la notion de bonheur : nul n’est assuré du bonheur tant qu’il est en vie, le bonheur suprême serait peut-être même de ne pas avoir vu le jour et, par ailleurs, le bonheur dépend des individus et varie selon les situations concrètes. Les philosophies modernes ne donnent du bonheur qu’un concept empirique ou pragmatique. Kant tire les ultimes conséquences : si le bonheur est un bien mais si son concept reste toujours empirique, il ne peut être à lui seul le souverain Bien. Une loi pratique qui a pour mobile le bonheur ne peut être qu’une loi pragmatique, une règle de la prudence. » (p.34-35)

    « Catégories :
    Concepts purs de l’entendement, les catégories sont les règles de synthèse d’où résulte l’unité de l’expérience objective.
    Elles sont les modes de liaison les plus universels présupposées par les jugements, la table des catégories se déduisant de celle des jugements, dans la mesure où l’on peut remonter de ces derniers aux concepts purs qui en fondent la possibilité. Selon la quantité, l’unité rend possible un jugement universel, la pluralité un jugement particulier, la totalité un jugement singulier. Selon la qualité, la réalité rend possible un jugement affirmatif, la négation un jugement négatif et la limitation un jugement indéfini. Selon la relation, la substance rend possible un jugement catégorique, la causalité un jugement hypothétique, la communauté ou action réciproque un jugement disjonctif. Selon la modalité, la possibilité rend possible un jugement problématique, l’existence ou effectivité un jugement assertorique, la nécessité un jugement apodictique. Kant emprunte ce terme à Aristote, à qui il reproche de n’avoir exposé ces concepts que de manière rhapsodique, au lieu d’en faire une déduction rigoureuse à partir de jugements. Alors que, chez Aristote, les catégories sont des traits de l’être, elles sont ici des déterminations de la pensée, des représentations d’un sujet transcendantal et des prédicats d’un objet transcendantal = X. Dans chaque classe il y a trois catégories, la troisième étant toujours l’unité de la première et de la deuxième. C’est ainsi que la totalité est la pluralité considérée comme unité, la limitation la réalité jointe à la négation, la communauté la causalité d’une substance déterminée par une autre, la nécessité l’existence unie à la possibilité.
    La table des catégories régit l’ensemble du dispositif de la philosophie transcendantale. Les catégories se divisent en catégories mathématiques (quantité et qualité) et catégories dynamiques (relation et modalité). » (p.36-37)
    « Chose en soi :
    Dans la mesure où ce n’est plus le sujet qui se règle sur les objets tels qu’ils sont en eux-mêmes, mais les objets qui se règlent sur notre faculté de connaître, il faut distinguer entre les choses telles qu’elles nous apparaissent comme phénomènes selon nos conditions subjectives et les choses en soi.
    Si le phénomène et la chose en soi sont en fait la même chose considérée sous deux aspects différents, cette distinction est cependant essentielle : nous ne connaissons que des phénomènes et non la chose en soi. Du point de vue de la sensibilité, la chose en soi est la face opaque et irreprésentable du phénomène que Kant n’hésite pas à assimiler à la matière, puisque la sensation n’est que l’affection de la chose en soi sur notre sensibilité. Nous pouvons cependant former de la chose en soi un concept vide qui est le noumène.
    La chose en soi est à la foi le fondement du criticisme et le titre d’une difficulté majeure, les post-kantiens y voyant un résidu de la métaphysique dogmatique. Elle joue un rôle essentiel dans l’Esthétique transcendantale, dans la mesure où la perception qui nous donne l’existence doit renvoyer à la présence de quelque chose, irreprésentable par la sensibilité dont le mode de représentation est l’intuition qui ne donne que des phénomènes. » (p.39-40)
    « Concepts de la réflexion :
    Si, par définition, tous les concepts sont des représentations réfléchies, il existe cependant des concepts, qui ne sont ni des concepts empiriques ni des catégories, dont la spécificité est d’être des concepts de comparaison de concepts déjà donnés, déterminant les rapports par lesquels se rattachent les uns aux autres dans un état de réflexion. » (p.42)
    « Critique :
    Kant conçoit son entreprise comme une critique de la raison pure, visant à déterminer la légitimité des prétentions de celle-ci tant dans le domaine théorique que dans le domaine pratique. La critique est conçue comme un tribunal où la raison est à la fois juge et partie : elle est l’activité de la raison accédant à la conscience de soi et s’assignant à elle-même ses limites. Il convient de distinguer les bornes imposées à la raison par une instance extérieure et relevant d’une censure, et les limites qui ouvrent à la raison l’horizon de son pouvoir légitime.
    La critique comprend la métaphysique comme un champ de bataille, où s’affrontent dogmatiques et sceptiques. En prétendant à une connaissance du suprasensible par purs concepts, le rationalisme dogmatique transgresse les limites de l’expérience et rend ainsi possible l’empirisme sceptique, quand la raison découvre la vanité de ses prétentions dogmatiques. La structure de ce champ de bataille est donc un cercle vicieux où dogmatisme et scepticisme ne cessent de renaître et de s’affronter, chacun des partis renaissant des cendres de son adversaire. La critique n’est pas ici une critique des livres et des systèmes, mais la décision ou le jugement de la raison sur elle-même et la légitimité de son pouvoir. Son objet est d’abord la raison pure comme pouvoir de connaître par purs concepts. La critique est un projet de paix perpétuelle en philosophie qui met fin au conflit en évaluant le pouvoir de la raison, en décidant de la légitimité de son usage et en lui interdisant de s’aventurer au-delà du champ de l’expérience possible, tout en fondant la possibilité d’une connaissance a priori et en réfutant l’empirisme. » (p.46)
    « Déduction :
    Terme emprunté aux juriconsultes, qui distinguent la question de fait (quid facti) de la question de droit (quid juris), pour caractériser la deuxième en tant qu’elle doit démontrer la légitimité d’une prétention. Les catégories font l’objet d’une déduction métaphysique et d’une déduction transcendantale.
    La première consiste à déduire les catégories des jugements, dans la mesure où ce sont les catégories qui rendent possibles les jugements. La seconde montre comment les conditions subjectives de la pensée peuvent avoir une valeur objective : il s’agit de prouver que nous avons le droit d’utiliser les catégories pour penser l’expérience et qu’elles nous donnent une connaissance vraie. Cette déduction transcendantale se décompose en déduction objective et déduction subjective. Dans la première, il s’agit d’établir la valeur objective des catégories pour les phénomènes, dans la seconde, il s’agit de montrer comment l’entendement peut faire d’une perception une connaissance objective, d’élucider le rapport entre l’entendement et l’intuition tel qu’il est assuré par l’imagination. » (p.48-49)
    « Empirisme :
    Au sens large, l’empirisme est la doctrine qui rejette la connaissance a priori et qui dérive toute connaissance de l’expérience. En un sens restreint, il s’agit de la position de l’antithèse dans les antinomies de la raison pure. Dans tous les cas, son destin est le scepticisme.
    Hume est le représentant le plus fort de l’empirisme : Kant affirme qu’il l’a réveillé de son sommeil dogmatique. Le modèle de l’empirisme de Hume est la science expérimentale de Newton. C’est là ce qui fait l’intérêt de cette doctrine, qui satisfait la raison sur le plan de la connaissance positive, mais la déçoit au niveau de la philosophie pratique. Kant considère Aristote à la fois comme le chef de file des empiristes et comme le fondateur de la métaphysique. Il a été relayé à l’époque moderne par Locke, qui a entrepris une généalogie de l’entendement humain, en dérivant tous les concepts de l’expérience sans parvenir à réfuter le dogmatisme.
    La force de Hume est d’avoir posé le problème de la connaissance en termes de synthèse entre des termes hétérogènes. Il a su porter un coup fatal à la métaphysique dogmatique en détruisant le fondement ontologique et théologique de la relation de causalité, réduite à un mécanisme d’habitude – attente. Par ailleurs, il a dégagé l’imagination comme lieu de la liaison de l’hétérogène. Toutefois, il n’a pas su discerner en quoi l’imagination empirique repose sur l’imagination pure, l’affinité du divers étant fondé sur une affinité transcendantale. Toute la Déduction transcendantale de la Critique de la raison pure est une reprise du problème de Hume, visant à en réfuter la solution, en fondant la possibilité d’une connaissance a priori. Kant dit de l’idéalisme transcendantal qu’il est un réalisme empirique, les choses n’étant réelles dans l’espace et le temps que comme phénomènes. » (p.60-61)
    « Entendement :
    Faculté de connaître non sensible, l’entendement humain est la spontanéité de la pensée comme faculté de produire des concepts, au moyen desquels il juge, c’est-à-dire pense. Les jugements sont des actes de l’entendement comme faculté de juger qui pense les objets que donne la sensibilité. Les catégories sont les concepts purs de l’entendement.
    L’entendement humain est discursif : faculté de connaître non sensible, il produit des concepts qui reposent sur des fonctions comme unité de l’acte rangeant diverses représentations sous une représentation commune. Ces concepts servent à juger, le jugement étant la connaissance médiate d’un objet, la représentation d’une représentation. Ces concepts sont des règles a priori, lorsqu’ils sont tirés du seul entendement pur, ne devant rien à l’expérience. Kant dit également que l’entendement est l’unité transcendantale de l’aperception par rapport à la synthèse de l’imagination : il est donc le principe du rapport entre l’imagination et l’aperception. » (p.61)
    « Épigenèse :
    Le système de l’épigenèse de la raison pure consiste à affirmer que l’entendement est un pouvoir producteur de concepts.
    Il n’y a en effet que deux façons de concevoir un accord entre l’expérience et les concepts : ou bien l’expérience fonde les concepts, ou bien les concepts fondent l’expérience. La première solution, qui est celle de l’empirisme, n’est pas tenable, puisqu’il existe des concepts a priori. Il ne reste donc que la seconde que l’on peut aussi appeler système de l’épigenèse de la raison pure, puisqu’il y a un pouvoir producteur de l’entendement. Ce terme est emprunté à la biologie : il s’agit de la théorie selon laquelle l’embryon se développe par prolifération cellulaire sous l’influence du milieu. Kant l’utilise à la fois contre Leibniz et Hume. Nos catégories ne sont certes pas de simples dérivations empiriques, mais ce ne sont pas non plus des germes ou des idées innées, et notre entendement n’est pas une partie de l’entendement divin (système de la préformation), mais un pouvoir structurant autonome. L’entendement est donc pleinement législateur et ne dépend ni de l’expérience, ni de Dieu. » (p.63-64)
    « Espace :
    L’espace est la forme pure du sens externe, nous permettant de nous représenter les objets hors de nous.
    L’espace n’est pas un concept empirique, car sa représentation ne dérive pas de l’expérience des relations entre les phénomènes externes, mais c’est cette expérience qui est possible à partir de cette représentation. Il est une représentation nécessaire a priori servant de fondement à toutes nos intuitions externes, condition de possibilité des phénomènes extérieurs. […] [Il] n’est pas un concept discursif, mais une pure intuition. L’espace est unique et le divers qui est en lui repose sur des limitations, n’étant pas le résultat de parties qui s’ajouteraient les uns aux autres. Il est représenté comme une grandeur infinie, se laissant penser comme renfermant en soi une multitude infinie de représentations. […]
    L’espace n’est pas une détermination des choses, inhérentes aux objets, mais la forme des phénomènes des sens extérieurs, c’est-à-dire la condition subjective de la sensibilité sous laquelle est possible pour nous une intuition externe. Dès que nous sortons de la condition subjective, qui fait que nous sommes affectés par des objets, l’espace n’a plus de sens, car il n’est attribué aux choses qu’en tant qu’elles nous apparaissent. » (p.65)

    « Esthétique :
    En un premier sens, est esthétique ce qui relève de la sensibilité, ce qui est purement subjectif dans l’intuition de l’objet et qui se rapporte au sentiment. L’esthétique transcendantale est la science des principes de la sensibilité a priori. […]
    La grande thèse de Kant est qu’il y a du sensible non sensible, du sensible pur. En rejetant la thèse leibnizienne selon laquelle le sensible est de l’intelligible confus, Kant affirme la spécificité du sensible, irréductible à l’ordre logico-conceptuel, et qui tient à sa formalité. L’esthétique transcendantale expose ainsi l’espace et le temps comme étant les formes a priori de la sensibilité. […] Elle ne concerne que la forme pure de l’intuition, abstraction faite de sa matière empirique qui est la sensation. Ces formes sont des représentations a priori, qui sont la condition sous laquelle les objets nous sont donnés. » (p.67)
    « État :
    Un Etat est une communauté régie par des règles de droit. Si à l’état de nature s’oppose l’état civil, celui-ci est une constitution civile, rendant possible un état juridique soumis à une volonté unifiante, où les individus forment un Etat.
    Tout Etat comporte trois pouvoirs, exprimant la volonté universelle unifiée en trois personnes : le pouvoir exécutif du souverain, le pouvoir législatif du gouvernant, le pouvoir judiciaire du juge. Si le chef de l’Etat est le peuple unifié, le contrat originaire est l’acte par lequel le peuple se constitue en Etat conformément au droit, abandonnant sa liberté extérieure pour la retrouver comme membre de l’Etat. Le pouvoir exécutif échoit au régent de l’Etat (prince ou roi), alors que le pouvoir exécutif revient à la volonté du peuple dont les membres sont les citoyens. Le pouvoir juridique n’est accordé au peuple que par l’intermédiaire de juges qu’il a lui-même choisis.
    Les citoyens sont soit actifs, disposant du droit de vote, soit passifs. Les premiers sont les membres indépendants de la société civile, devant leur existence à leurs droits et à leur force, excluant ceux qui ne dépendent pas de leur exercice propre mais des dispositions prises par un autre, tout en bénéficiant de la protection de l’Etat, qui leur permet également de s’élever de l’état de citoyen actif par leur travail. Il n’y a pas de résistance ou de rébellion légale contre l’autorité de l’Etat, et l’exécution d’un roi est le pire des crimes. Une modification de la constitution ne peut venir que du souverain par une réforme et non du peuple par une révolution. Toutefois, lorsqu’une révolution réussit, l’illégalité de l’origine du nouveau pouvoir ne dispense nullement les citoyens de s’y soumettre. Kant admet donc l’existence d’une origine non juridique de l’ordre politique. L’idée selon laquelle tout pouvoir vient de Dieu signifie donc qu’on doit obéir au pouvoir actuellement existant, quelle qu’en soit l’origine. » (p.68-69)
    « Etat de nature :
    Caractérisé par l’absence de droit, l’Etat de nature est un état de guerre et, parce qu’il n’est pas tenable, il rend nécessaire un état de droit.
    Kant reprend la thèse de Hobbes et rejette celle de Rousseau comme une chimère, considérant le processus de civilisation comme foncièrement positif. » (p.69)
    « Expérience :
    C’est ce que l’entendement obtient en élaborant la matière brute des sensations. Commencement de toute connaissance, elle ne suffit cependant pas à nous en livrer toute l’origine car, si elle nous dit bien ce qui est, elle ne nous permet pas d’en fonder l’universalité et la nécessité et ne donne aucune connaissance a priori.
    Alors que l’expérience réelle est la perception commune des objets, l’expérience possible définit l’expérience au sens scientifique permettant que les objets soient pensés. La critique de la raison limite notre connaissance au seul champ de l’expérience possible. L’expérience ne saurait être une simple collection de données, mais suppose une activité de l’esprit : l’expérience que nous avons est aussi l’expérience que nous faisons, et les catégories sont les conditions a priori de la possibilité de l’expérience. » (p.71)
    « Exposition :
    L’espace et le temps font l’objet d’une exposition et non d’une déduction, car ce ne sont pas des concepts produits par l’entendement, mais des formes pures de la sensibilité qui le précèdent et selon lesquelles les phénomènes sont donnés conformément à notre constitution subjective. » (p.72)
    « Forme :
    Si la matière de la connaissance donnée par les sens est informe, le sujet lui donne une forme qui est une liaison et une unité.
    Ce couple matière-forme qui a son origine dans la tradition aristotélicienne, est une pièce maîtresse de l’idéalisme transcendantal, également appelé idéalisme formel. Dès la Dissertation de 70, Kant affirme que la sensation ne donne que la matière et non la forme de la connaissance et que l’esprit doit synthétiser le divers donné par les sens. Si la matière est le déterminable, la forme est le déterminant, et ce sont là des concepts de la réflexion. Ce couple est d’abord appliqué à la sensibilité : la forme spatio-temporelle du phénomène est a priori, alors que sa matière est a posteriori. Condition a priori de la réceptivité, la forme est antérieure à la matière.
    Par extension, la forme désigne la forme de la pensée, les catégories : il s’agit de la forme logique de la pensée, abstraction faite de son contenu. Les concepts eux-mêmes sont considérés comme des formes. Les catégories, en tant qu’elles renferment le pouvoir logique d’unir a priori le divers donné dans l’intuition, sont des formes subjectives de l’unité de l’entendement, constituant la forme de l’expérience possible. » (p.88)
    « Idéalisme :
    Kant appelle sa doctrine l’idéalisme transcendantal, car elle considère les phénomènes comme des représentations et non des choses en soi, l’espace et le temps étant des formes de notre intuition et non des réalités ou des propriétés des choses. Le principe de cette doctrine est la distinction entre phénomènes et choses en soi.
    Cet idéalisme transcendantal est un réalisme empirique, admettant l’existence des choses extérieures hors de moi, car l’existence du moi et celle des choses extérieures sont immédiatement attestées par la conscience, la différence étant que la représentation du moi est référée au sens interne et celle des choses au sens externe. L’idéalisme transcendantal s’oppose au réalisme transcendantal qui est en même temps un idéalisme empirique. Celui-ci considère en effet l’espace et le temps comme donnés en soi indépendamment de notre sensibilité. En admettant que les objets des sens ne sont pas des phénomènes, mais existent en eux-mêmes comme des choses en soi, il est conduit à douter de la réalité du monde extérieur.
    L’esthétique transcendantale permet de rejeter comme un faux problème non seulement le problème de l’union de l’âme et du corps, mais aussi celui de la réalité du monde extérieur, que Kant considère comme le scandale de la philosophie. Dans la 2ème édition de la Critique de la raison pure, il affirme, sous la forme solennelle d’un théorème, que la conscience simple et empiriquement déterminée de mon existence suffit à prouver l’existence des objets dans l’espace et hors de moi. C’est à partir de là qu’une réfutation de l’idéalisme est possible. De manière générale, l’idéalisme est la doctrine qui déclare l’existence des objets extérieurs soit douteuse et indémontrable, soit fausse et impossible, la première thèse étant l’idéalisme problématique de Descartes, la seconde l’idéalisme dogmatique de Berkeley. Si, selon Descartes, l’existence du moi est plus certaine que celle du monde, qui doit être établie médiatement, en fait il n’y a pas d’autre moi que le moi empirique et le moi ne peut pas être une substance. La vérité du cartésianisme est donc la doctrine de Berkeley qui, en définissant la nature par l’étendue, aboutit à l’immatérialisme, à l’idée qu’il n’existe rien en dehors de la pensée. L’idéalisme aboutit ainsi à l’empirisme, car faire de l’espace une propriété réelle des objets revient à les déréaliser, à en faire un système de relations. Il faut donc distinguer l’espace de ce qui apparaît en lui, de façon à ce que la déréalisation de l’espace n’affecte pas la réalité de l’objet. Or, l’idéalisme affirme que l’espace est une propriété comme les autres, concluant de son irréalité à celle des objets. Descartes ouvre la voie en identifiant matière et étendue et Berkeley tire les conséquences, en affirmant que l’étendue, qui n’est qu’un système de relations, n’est rien. Seule la nihilité de l’espace, son idéalité transcendantale, permet de dire que le monde extérieur existe de manière indubitable. La perception des phénomènes du sens interne suppose celle des phénomènes du sens externe, la réalité du sujet impliquant l’existence du monde sensible. La perception du moi ne peut donc s’effectuer que par rapport à des données spatiales, et il y a une nécessaire co-implication du sens interne et du sens externe, car la perception du phénomène temporel nous ramène à celle du phénomène spatial. Nous ne percevons donc l’intériorité intratemporelle que par rapport à un référent externe, ce qui signifie que la conscience est conscience de quelque chose, que sa structure est l’intentionnalité. » (p.102-104)
    « Idée :
    Une Idée est un concept de la raison. Le premier à avoir utilisé ce terme est Platon : les Idées désignent non seulement ce qui ne dérive pas de l’expérience, mais dépasse même les concepts de l’entendement, étant des archétypes des choses et non de simples clefs pour l’intelligibilité de l’expérience, comme le sont les catégories d’Aristote. Au sens strict, une Idée est un concept rationnel tiré de catégories et dépassant la possibilité de l’expérience. Les concepts purs de la raison sont des Idées transcendantales. » (p.104)
    « Intuition :
    Il s’agit du mode par lequel la connaissance se rapporte immédiatement aux objets et vers lequel tend toute pensée. L’intuition empirique est celle qui se rapporte à l’objet au moyen de la sensation.
    Notre intuition est une intuition sensible (intuitus derivatus) et l’intuition intellectuelle (intuitus originarius) nous est refusée. Sans intuition empirique, un concept est vide et ne nous fait rien connaître, alors qu’une intuition sans concept est aveugle. Notre entendement ne peut donc rien intuitionner par lui-même et notre sensibilité ne peut rien penser par elle-même. Notre intuition n’est ainsi rien d’autre que la représentation des phénomènes, dépendant immédiatement de la présence de l’objet. Notre intuition repose sur l’affection de la sensibilité par une chose en soi, que nous ne pouvons intuitionner. L’intuition est donc dans tous les cas une connaissance immédiate et singulière d’un objet qui nous est donné. Cette donation est ce qui fait le privilège de l’intuition qui est, pour Kant comme pour toute la tradition, la forme éminente de la connaissance. Toutefois, notre intuition sensible est réceptive, reposant sur la réceptivité de la sensibilité, alors qu’une intuition intellectuelle est immédiatement causée par un entendement intuitif. Néanmoins, notre intuition peut être pure, lorsqu’elle est affranchie de la sensation et ne contient que les formes a priori de notre sensibilité : l’espace est la forme pure de l’intuition externe et le temps la forme pure de l’intuition interne.
    Si la sensibilité est la réceptivité qui nous fournit les intuitions, elle n’est pas une simple passivité, car il ne s’agit pas de sentir, mais de connaître. La réceptivité est donc une opération de l’esprit, nommée sensibilité, car recevoir ce n’est pas être un réceptacle passif, mais c’est recueillir. L’homme ne se contente pas de sentir, il perçoit. Un animal, qui n’éprouve que des sensations, ne perçoit pas, car il ne pense pas, ne juge pas. L’homme perçoit parce qu’il pense, est doté d’un entendement. Le point de départ n’est donc pas la sensation, qui n’est qu’une abstraction, mais la perception. L’intuition empirique est ainsi le premier moment de la connaissance car, pour sentir, il faut déjà percevoir. L’intuition est donc déjà connaissance au sens fort de venue au monde, Kant parlant d’une synopsis du divers dans l’intuition. Or, dans la mesure où ils sont des perceptions et non de pures sensations, les phénomènes sont informés par l’espace et le temps. La forme est ce qui fait que le divers est coordonné : si la matière de la sensation brute est inintelligible, l’intuition, parce qu’elle est appréhension ou connaissance, est aussi forme. L’immédiat est donc déjà construit. La forme dans laquelle les sensations se coordonnent est a priori dans l’esprit, alors que la sensation est a posteriori. Le divers est donc toujours intuitionné selon certains rapports et la forme pure des intuitions sensibles se trouve a priori dans l’esprit, car ce que nous sentons comporte toujours une détermination formelle. Percevoir c’est appréhender que l’on sent dans un réseau de relations qui ne sont pas elles-mêmes sensibles. La forme est donc condition de l’intuition, mais n’est pas un moule qui préexiste. Elle désigne l’opération a priori d’une sensibilité qui n’est pas purement passive, mais qui met en forme l’objet senti. La perception est toujours conjonction et coordination : nous dépassons toujours ce que nous sentons vers un ensemble constituant une expérience. C’est pourquoi la perception est un acte de l’esprit et non un effet que subit le corps. Percevoir c’est se donner une impression et non se contenter de la subir. La sensation témoigne ainsi de notre asservissement au sensible que nous pouvons cependant dominer, en ne nous laissant plus envahir par nos impressions, mais en nous les donnant, en percevant. » (p.111-112)
    « Jugement :
    Un jugement est un acte de la pensée, au sens où penser c’est juger. Un jugement contient un concept valant pour plusieurs concepts en incluant une représentation, rapportée à un objet.
    Tous les actes de l’entendement sont des jugements et l’entendement est donc un pouvoir de juger. Si Kant reprend la définition traditionnelle du jugement comme liaison d’un sujet et d’un prédicat au moyen de la copule, il conçoit le jugement comme une fonction d’unité, ne distinguant plus entre l’ordre représentatif des concepts et la liaison propre au jugement. Par sa fonction d’unification, le concept est une médiation. En tant que pouvoir de pensée, l’entendement est une connaissance par concept, celui-ci se rapportant comme prédicat de jugements possibles à la représentation d’un objet déterminé. On peut donc établir une table exhaustive de toutes ces fonctions d’unité que sont les jugements et remonter de celles-ci aux concepts a priori qui les rendent possibles et qui sont les catégories de l’entendement.
    Les jugements explicatifs sont analytiques et a priori, les jugements d’expérience sont synthétiques et a posteriori, les jugements qui sont le principe de la possibilité de l’expérience sont synthétiques et a priori. La philosophie critique établit le système de ces derniers et montre qu’ils ne valent que pour les phénomènes et non pour le suprasensible. Tous les jugements de connaissance, en tant qu’ils sont considérés du point de vue de la faculté de juger comme médiation entre l’entendement et la raison, sont appelés déterminants, en ce sens qu’ils permettent de subsumer le particulier sous le général. Ils se distinguent des jugements réfléchissants où, seul le particulier étant donné, la faculté de juger doit trouver le général. » (p.113-114)
    « Objet :
    L’objet a la double signification de phénomène et de chose en soi, dans la mesure où il peut être considéré soit en lui-même indépendamment de la manière de l’intuitionner, de sorte que sa nature demeure problématique, soit eu égard à la forme de son intuition, qui doit être cherchée non dans l’objet lui-même, mais dans le sujet auquel il apparaît, tout en appartenant au phénomène de cet objet. Les seuls objets de l’expérience possible pour nous sont les phénomènes.
    On peut, de manière générale, appeler objet toute chose, voire toute représentation dont nous sommes conscients. Toutefois, la signification de ce terme par rapport aux phénomènes considérés non plus comme des objets, mais comme désignant un objet, exige une recherche approfondie. La notion d’objet implique l’idée de quelque chose qui est donné et se tient en vis-à-vis par rapport à un sujet : l’objet est donc un référent doté d’une signification qui doit être constitué par le sujet connaissant. Or, si l’objet est donné, l’objectivité doit être constituée, le problème étant alors d’établir comment des conditions subjectives de la pensée peuvent avoir une valeur objective.
    Le concept permet ainsi de penser l’objet, et le jugement est la forme de l’objectivité, dans la mesure où il est la manière d’amener des connaissances données à l’unité objective de l’aperception : les catégories rendent l’objet pensable et lui confèrent la forme de l’objectivité. Le jugement synthétique sort du sujet pour aller vers l’objet, représentant, à la différence du jugement analytique, outre le concept de l’objet, l’objet lui-même. On sort ainsi du concept pour représenter quelque chose d’autre et d’extérieur, qui n’est pas contenu dans le concept, mais donné dans l’intuition. Or, avec les jugements synthétiques a priori ce qui est donné est la forme pure de l’intuition, à partir de laquelle il est possible d’opérer une constitution transcendantale de l’objectivité, de sorte que les phénomènes puissent se soumettre aux catégories comme unité de synthèse de temps, qui peuvent à leur tour s’appliquer aux phénomènes. L’objet est donc quelque chose de déterminé se présentant comme une unité et on peut dire de lui qu’il est ce dont le concept réunit le divers d’une intuition donnée. Cette réunion exige l’unité de la conscience comme ce qui constitue le rapport des représentations à un ojet, c’est-à-dire aussi leur valeur objective. » (p.132-133)
    « Objet transcendantal
    L’objet transcendantal = X est l’objet en général auquel on rapporte le phénomène ; il est la pensée indéterminée de quelque chose en général.
    Ce qui est donc essentiel est sa relation au phénomène, dont il est l’horizon d’objectivité : se tenant au fondement des phénomènes externes, il n’est ni matière en soi (chose en soi) ni pensée (noumène), mais fondement indéterminé des phénomènes se spécifiant comme concept empirique d’un objet interne ou externe déterminé. En tant qu’il peut être considéré comme cause intelligible des phénomènes, il est le corrélat de la sensibilité comme réceptivité. L’objet transcendantal est donc un moment de la pensée, constitutif de l’objectivité de l’objet, c’est-à-dire de la forme de la transcendance horizontale de l’objet en tant que tel. Les catégories sont ainsi les représentations d’un sujet transcendantal et les prédicats d’un objet indéterminé = X.
    Kant distingue l’objet transcendantal du noumène, car cet objet n’est pas un concept sinon celui d’un objet d’une intuition sensible en général, identique pour tous les phénomènes. Si, en effet, les phénomènes indiquent une relation à quelque chose dont la représentation est empirique, l’entendement les rapporte à un objet transcendantal, dont nous ne pouvons rien savoir, mais qui, à titre de corrélat du sujet transcendantal, permet d’unifier le divers de l’intuition dans le concept d’un objet. L’objet transcendantal est ainsi la représentation des phénomènes sous le concept d’un objet en général, procurant à nos concepts empiriques un rapport à un objet, une réalité objective. Comme le note H. Birault, cet objet n’est point tant noumène que noème au sens de Husserl. » (p.134)
    « Phénomène :
    Le phénomène est l’objet indéterminé d’une intuition empirique.
    Distinct du noumène comme concept intellectuel et de la chose en soi, qui en est la face opaque, le phénomène n’est pas une simple apparence (Schein) mais une apparition (Erscheinung). Il a donc une réalité empirique, la chose en soi et le phénomène étant la même chose sous deux aspects différents. Il convient de distinguer la matière et la forme du phénomène. La première est ce qui correspond à la sensation et elle est a posteriori. La forme a priori est le mode de coordination du divers dans l’intuition selon des rapports spatio-temporels. » (p.143)
    « Représentation :
    Il s’agit d’un terme générique désignant aussi bien ce qui se présente comme donné que la synthèse du divers qui se présente.
    Une représentation accompagnée de conscience est une perception. La sensation est une perception se rapportant au sujet comme simple modification de modification de son état. Une perception objective est une connaissance. La connaissance est une intuition lorsqu’elle se rapporte immédiatement à l’objet et est singulière. Elle est un concept lorsqu’elle s’y rapporte médiatement au moyen d’un signe exprimant l’universel. Un concept est soit empirique soit pur. Un concept pur se nomme notion ou catégorie. Une Idée est un concept de la raison tiré d’une notion de l’entendement et dépassant la possibilité de l’expérience. » (p.160)
    « Sensation
    Matière du phénomène, la sensation est l’affection de la chose en soi sur notre sensibilité.
    Il s’agit donc d’une perception qui ne se rapporte qu’au sujet comme modification de son état et qui n’est consciente qu’en rapport à un objet, sans être une représentation objective. Si la qualité de la sensation est toujours empirique, nous pouvons cependant en anticiper a priori la qualité intensive, dans la mesure où elle a un degré susceptible de variations continues entre 0 et X.
    Si les sensations constituent la qualité empirique des phénomènes, elles se réfèrent au corps et concernent également les animaux. Il faut toutefois distinguer les sens externes, où le corps est affecté par des choses corporelles, et le sens interne où il est affecté par l’âme. Une sensation est, de manière générale, une représentation sensible consciente où l’impression suscite une attention à l’état du sujet, et l’on peut distinguer, à ce niveau, une impression vitale vague et une impression organique fixe. » (p.169)
    « Sensibilité
    Faculté qui nous donne les objets, se caractérisant par sa réceptivité et s’opposant à l’entendement. Elle nous donne une représentation qui est une intuition empirique singulière se rapportant immédiatement à un objet d’expérience, qui est un phénomène.
    Il convient de distinguer dans le phénomène la matière correspondant à la sensation a posteriori et la forme a priori coordonnant le divers matériel dans l’intuition comme synopsis de ce divers. Les formes pures de la sensibilité sont l’espace, comme forme du sens externe, et le temps comme forme du sens interne. L’espace et le temps n’étant ni des propriétés des choses, ni des relations, mais des formes a priori du phénomène, d’ordre sensible et non conceptuel, on peut affirmer à la fois leur idéalité transcendantale et leur réalité empirique. Elles ne sont en effet rien de perceptible en elles-mêmes, mais rendent possible une connaissance objective : si je perçois bien les choses dans l’espace et le temps, je ne perçois jamais ces formes elles-mêmes. » (p.169-170)
    « Synthèse :
    Acte d’ajouter l’une à l’autre diverses représentations pour en comprendre la diversité sous une connaissance. La représentation est une connaissance, dans la mesure où elle est synthèse ou liaison d’un divers donné. La synthèse peut être empirique (jugement a posteriori) ou pure (jugement synthétique a priori).
    Toute synthèse empirique présuppose comme sa condition une synthèse pure et, en partant de la première, on peut remonter vers la seconde. L’intuition est déjà en elle-même une synthèse, car sa forme spatio-temporelle implique une coordination formelle de la matière du phénomène. Kant parle de synopsis du divers ou de synthèse de l’appréhension dans l’intuition pour désigner cette forme élémentaire de la liaison du présent, c’est-à-dire de l’accueil de la coprésence spatiale du donné dans une seccession temporelle. Or, un tel accueil suppose un recueil permettant d’en reproduire la forme temporelle en articulant le présent au passé : telle est la fonction de la synthèse de la reproduction dans l’imagination. L’association des phénomènes ne se fait pas au hasard et leur affinité empirique a pour condition une affinité transcendantale, de sorte que l’imagination transcendantale fasse porter sa synthèse non sur le contenu, mais sur sa forme temporelle. Enfin, une telle synthèse doit être unifiée par l’entendement, et elle est donc aussi une synthèse de la recognition dans le concept constituant l’avenir comme reproductibilité infinie de l’objectivité.
    La synthèse est en fait opérée par l’imagination pure et porte sur le temps, l’entendement se contentant d’assurer l’unité de cette synthèse. Cette unité de la synthèse de temps est un concept permettant de construire les phénomènes. Le concept est ainsi lié à l’unité originairement synthétique de l’aperception qui est la conscience, c’est-à-dire l’ensemble des structures catégoriales de l’entendement dont le concept de l’acte. Les trois synthèses se supposent l’une l’autre et s’accomplissent dans l’unité synthétique de l’aperception. Par ailleurs, si l’imagination opère la synthèse et si l’entendement en assure l’unité, il appartient à la raison d’en penser la totalité en recherchant l’inconditionné des synthèses de la relation, celui de la synthèse catégorique, celui de la synthèse hypothétique et celui de la synthèse disjonctive, correspondant aux trois Idées. » (p.175-176)

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    Emmanuel Kant, Œuvres Empty Re: Emmanuel Kant, Œuvres

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 26 Oct - 16:14

    « Temps
    Forme du sens interne, le temps est la forme a priori de toutes nos intuitions internes et externes.
    Le temps n’est pas un concept empirique ; la simultanéité et la succession ne sont perceptibles que parce que le temps leur sert de fondement a priori. Il est une représentation nécessaire, servant de fondement à toutes les intuitions et donnée a priori. Il n’a qu’une dimension, et des temps différents sont toujours successifs. Ce n’est pas un concept, mais une forme pure de l’intuition, et des temps différents ne sont que des parties d’un même temps. L’infinité du temps signifie que toute grandeur de temps n’est possible que par des limitations d’un temps unique. Son exposition transcendantale montre comment il rend possible des connaissances synthétiques a priori : il y a dans l’arithmétique et la cinématique des notions a priori qui ne seraient pas possibles, si le temps était une sensation.
    Si le temps était un concept, il relèverait de la logique formelle, qui repose sur le principe de contradiction. Or, le temps permet de penser l’existence de prédicats opposés pour un même sujet : un même corps peut avoir telle propriété à l’instant t1 et telle autre à l’instant t2. Le temps permet ainsi d’aller au-delà de la logique formelle et de penser le changement. Le temps n’est ni quelque chose qui existe en soi, ni une propriété inhérente aux choses, mais la condition subjective sous laquelle les intuitions trouvent place en nous. Forme du sens interne, il est l’intuition de nous-mêmes ou l’intuition de soi par soi comme condition formelle a priori de tous les phénomènes. L’espace est limité aux seuls phénomènes externes, alors que toutes les représentations, en tant que déterminations de l’esprit, relèvent de l’état interne soumis à la condition formelle du temps. En tant que condition a priori de tous les phénomènes, il est donc condition immédiate des phénomènes intérieurs et condition médiate des phénomènes externes. Comme l’espace, il a une réalité empirique qui lui donne une valeur objective par rapport aux objets sensibles, mais il n’a pas de réalité absolue : il a donc une idéalité transcendantale, car il ne peut être attribué aux choses en soi, ni comme substance, ni comme accident. » (p.179-180)
    « Transcendantal :
    Qualifie une connaissance qui concerne non des objets, mais nos concepts a priori des objets, notre manière de les connaître en tant qu’elle est possible a priori. Une connaissance transcendantale est donc une connaissance de notre mode de connaissance des objets en tant qu’il est possible a priori.
    Le champ du transcendantal recoupe ainsi celui des conditions de possibilité. » (p.184)
    -Jean-Marie Vaysse, Dictionnaire Kant, Ellipses, 2007, 192 pages.

    "Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d'un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l'entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s'en servir sans la conduite d'un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières.
    Paresse et lâcheté sont les causes qui font qu'un si grand nombre d'hommes, après que la nature les eut affranchis depuis longtemps d'une conduite étrangère [...] restent cependant volontiers toute leur vie dans un état de tutelle ; et qui font qu'il est si facile à d'autres de se poser comme leurs tuteurs.
    " (p.343)

    "Il se trouvera toujours quelques être pensant par eux-mêmes, même parmi les tuteurs en exercice du grand nombre, pour rejeter eux-mêmes le joug de l'état de tutelle et pour propager ensuite autour d'eux l'esprit d'une appréciation raisonnable de la propre valeur et de la vocation de tout homme à penser par soi-même." (p.44)

    "Par une révolution on peut bien obtenir la chute d'un despotisme personnel ou la fin d'une oppression reposant sur la soif d'argent ou de domination, mais jamais une vraie réforme du mode de penser ; mais au contraire de nouveaux préjugés serviront, au même titre que les anciens, à tenir en lisière ce grand nombre dépourvu de pensée.
    Mais pour ces Lumières il n'est rien requis d'autre que la
    liberté ; et la plus inoffensive parmi tout ce qu'on nomme liberté, à savoir celle de faire un usage public de sa raison sous tous les rapports." (p.45)

    "Je comprends par usage public de sa propre raison celui qu'en fait quelqu'un, en tant que savant, devant l'ensemble du public qui lit." (p.45)

    "Il serait très pernicieux qu'un officier qui reçoit un ordre de ses supérieurs veuille, lorsqu'il est en exercice, ratiociner à voix haute sur le bien-fondé ou l'utilité de cet ordre ; il est obligé d'obéir. Mais on ne peut équitablement lui défendre de faire, en tant que savant, des remarques sur les fautes commises dans l'exercice de la guerre et de les soumettre au jugement de son public." (p.46)

    "Pourvu qu'il ait seulement en vue que toute amélioration vraie ou supposée soit compatible avec l'ordre civil, [un monarque] ne peut au demeurant que laisser ses sujets faire eux-mêmes ce qu'ils estiment nécessaire au salut de leur âme ; cela n'est aucunement son affaire qui est bien plutôt de prévenir qu'un individu n'empêche, de tout son pouvoir et par la violence, les autres de travailler à définir et à accomplir son salut." (p.48-49)

    "Il s'en faut encore de beaucoup que les hommes dans leur ensemble, en l'état actuel des choses, soient déjà, ou puissent seulement être mis en mesure de se servir dans les choses de la religion de leur entendement avec assurance et justesse sans la conduite d'un autre. Cependant nous avons des indices évidents qu'ils ont le champ libre pour travailler dans cette direction et que les obstacles à la généralisation des Lumières, ou à la sortie de cet état de tutelle dont ils sont eux-mêmes responsables se font de moins en moins nombreux. A cet égard, cette époque est l'époque des Lumières, ou le siècle de Frédéric.
    Un prince qui ne trouve pas indigne de lui de dire qu'il tient pour un devoir de ne rien prescrire aux hommes dans les choses de la religion, mais de leur laisser entière liberté en la matière, qui va jusqu'à récuser le nom hautain de tolérance est lui-même éclairé et mérite d'être glorifié par le moment contemporain et la postérité reconnaissants comme celui qui le premier a délivré le genre humain de l'état de tutelle, du moins pour ce qui est du gouvernement, et à avoir laissé chacun libre de se servir de sa propre raison pour toutes les questions de conscience." (p.49)

    "Mais la manière de penser d'un chef d'Etat qui favorise les Lumières va encore plus loin et discerne que même au regard de sa législation, il est sans danger d'autoriser ses sujets à faire publiquement usage de leur propre raison et à exposer publiquement au monde leurs idées sur une meilleure rédaction de ladite législation, même si elles sont assorties d'une franche critique de celle qui est en vigueur ; nous en avons un exemple éclatant par lequel aucun monarque n'a encore devancé celui que nous vénérons." (p.50)
    -Emmanuel Kant, Qu'est-ce que les Lumières ?, 1784, in Vers la paix perpétuelle, Que signifie s'orienter dans la pensée, Qu'est-ce que les Lumières ? et autres textes, GF Flammarion, 2006, 206 pages.



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mer 17 Mai - 15:21, édité 3 fois


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    Message par Johnathan R. Razorback Dim 14 Aoû - 19:38

    "Les hommes, pris individuellement, et même des peuples entiers, ne songent guère qu'en poursuivant leurs fins particulières en conformité avec leurs désirs personnels, et souvent au préjudice d'autrui, ils conspirent à leur insu au dessein de la nature ; dessein qu'eux-mêmes ignorent, mais dont ils travaillent, comme s'ils suivaient ici un fil conducteur, à favoriser la réalisation ; le connaîtraient-ils d'ailleurs qu'ils ne s'en soucieraient guère.
    Considérons les hommes tendant à réaliser leurs aspirations: ils ne suivent pas simplement leurs instincts comme les animaux ; ils n'agissent pas non plus cependant comme des citoyens raisonnables du monde selon un plan déterminé dans ses grandes lignes. Aussi une histoire ordonnée (comme par exemple celle des abeilles ou des castors), ne semble pas possible en ce qui les concerne. On ne peut se défendre d'une certaine humeur, quand on regarde la présentation de leurs faits et gestes sur la grande scène du monde, et quand, de-ci, de-là, à côté de quelques manifestations de sagesse pour des cas individuels, on ne voit en fin de compte dans l'ensemble qu'un tissu de folie, de vanité puérile, souvent aussi de méchanceté puérile et de soif de destruction. Si bien que, à la fin, on ne sait plus quel concept on doit se faire de notre espèce si infatuée de sa supériorité. Le philosophe ne peut tirer de là aucune autre indication que la suivante: puisqu'il lui est impossible de présupposer dans l'ensemble chez les hommes et dans le jeu de leur conduite le moindre dessein raisonnable personnel, il lui faut rechercher du moins si l'on ne peut pas découvrir dans ce cours absurde des choses humaines un dessein de la nature: ceci rendrait du moins possible, à propos de créatures qui se conduisent sans suivre de plan personnel, une histoire conforme à un plan déterminé de la nature
    ." (p.70-71)

    "Deuxième Proposition

    Chez l'homme (en tant que seule créature raisonnable sur terre), les dispositions naturelles qui visent à l'usage de sa raison n'ont pas dû recevoir leur développement complet dans l'individu mais seulement dans l'espèce. -La raison, dans une créature, est le pouvoir d'étendre les règles et desseins qui président à l'usage de toutes ses forces bien au-delà de l'instinct naturel, et ses projets ne connaissent pas de limites. Mais elle-même n'agit pas instinctivement: elle a besoin de s'essayer, de s'exercer, de s'instruire, pour s'avancer d'une manière continue d'un degré d'intelligence à un autre. Aussi chaque homme devrait-il jouir d'une vie illimitée pour apprendre comment il doit faire un complet usage de toutes ses dispositions naturelles. Ou alors, si la nature ne lui a assigné qu'une courte durée de vie (et c'est précisément le cas), c'est qu'elle a besoin d'une lignée peut-être interminable de générations où chacune transmet à la suivante ses lumières, pour amener enfin dans notre espèce les germes naturels jusqu'au degré de développement pleinement conforme à ses desseins. Ce terme doit fixer, du moins dans l'idée de l'homme, le but de l'effort à fournir ; car, sans cela, les dispositions naturelles devraient être considérées pour la plupart comme vaines et sans raison d'être. Or ceci détruirait les principes pratiques ; par suite, la nature serait suspecte d'un jeu puéril en l'homme seul, elle, dont la sagesse doit servir de maxime fondamentale pour juger toutes ses autres formations." (p.71-72)

    "Troisième proposition

    La nature a voulu que l'homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l'agencement mécanique de son existence animale, et qu'il ne participe à aucune autre félicité ou perfection que celle qu'il s'est créé lui-même, indépendamment de l'instinct par sa propre raison. -En effet la nature ne fait rien en vain, et elle n'est pas prodigue dans l'emploi des moyens pour atteindre ses buts. En munissant l'homme de la raison et de la liberté du vouloir qui se fonde sur cette raison, elle indiquait déjà clairement son dessein en ce qui concerne la dotation de l'homme. Il ne devait pas être gouverné par l'instinct, ni secondé et informé par une connaissance innée ; il devait bien plutôt tirer tout de lui-même. Le soin d'inventer ses moyens d'existence, son habillement, sa sécurité et sa défense extérieure (pour lesquelles elle ne lui avait donné ni les cornes du taureau, ni les griffes du lion, ni les crocs du chien, mais seulement des mains), tous les divertissements qui peuvent rendre la vie agréable, son intelligence, sa sagesse même, et jusqu'à la bonté de son vouloir, devaient être entièrement son œuvre propre." (p.72-73)

    "Le cours des choses humaines est hérissé d'une foule d'épreuves qui attendent l'homme." (p.73)

    "Ce qui demeure étrange ici, c'est que les générations antérieures semblent toujours consacrer toute leur peine à l'unique profit des générations ultérieures pour leur ménager une étape nouvelle, à partir de laquelle elles pourront élever plus haut l'édifice dont la nature a formé le dessein, de telle manière que les dernières générations seules auront le bonheur d'habiter l'édifice auquel a travaillé (sans s'en rendre compte à vrai dire) une longue lignée de devanciers, qui n'ont pu prendre personnellement part au bonheur préparé par elles. Mais, si mystérieux que cela puisse être, c'est bien là aussi une nécessité, une fois qu'on a admis ce qui suit: il doit exister une espèce animale détentrice de raison et, en tant que classe d'êtres raisonnables tous indistinctement mortels, mais dont l'espèce est immortelle, elle doit pourtant atteindre à la plénitude du développement de ses dispositions." (p.73-74)

    "Quatrième Proposition

    Le moyen dont la nature se sert pour mener à bien le développement de toutes ses dispositions est leur antagonisme au sein de la Société, pour autant que celui-ci est cependant en fin de compte la cause d'une ordonnance régulière de cette Société. -J'entends ici par antagonisme l'insociable sociabilité des hommes, c'est-à-dire leur inclination à entrer en société, inclination qui est cependant doublée d'une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société. L'homme a un penchant à s'associer, car dans un tel état, il se sent plus qu'homme par le développement de ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une grande propension à se détacher (s'isoler), car il trouve en même temps en lui le caractère d'insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger dans son sens ; et, de ce fait, il s'attend à rencontrer des résistances de tous côtés, de même qu'il se sait par lui-même enclin à résister aux autres. C'est cette résistance qui éveille toutes les forces de l'homme, le porte à surmonter son inclination à la paresse, et, sous l'impulsion de l'ambition, de l'instinct de domination ou de cupidité, à se frayer une place parmi ses compagnons qu'il supporte de mauvais gré, mais dont il ne peut se passer. L'homme a alors parcouru les premiers pas, qui de la grossièreté le mènent à la culture dont le fondement véritable est la valeur sociale de l'homme ; c'est alors que se développent peu à peu tous les talents, que se forme le goût, et que même, cette évolution vers la clarté se poursuivant, commence à se fonder une forme de pensée qui peut avec le temps transformer la grossière disposition naturelle au discernement moral en principes pratiques déterminés. Par cette voie, un accord pathologiquement extorqué en vue de l'établissement d'une société, peut se convertir en un tout moral. [...] Remercions donc la nature pour cette humeur peu conciliante, pour la vanité rivalisant dans l'envie, pour l'appétit insatiable de possession ou même de domination. Sans cela toutes les dispositions naturelles excellentes de l'humanité seraient étouffées dans un éternel sommeil. L'homme veut la concorde, mais la nature sait mieux que lui ce qui est bon pour son espèce: elle veut la discorde. Il veut vivre commodément et à son aise ; mais la nature veut qu'il soit obligé de sortir de son inertie et de sa satisfaction passive, de se jeter dans le travail et dans la peine pour trouver en retour les moyens de s'en libérer sagement. Les ressorts naturels qui l'y poussent, les sources de l'insociabilité et de la résistance générale d'où jaillissent tant de maux, mais qui, par contre, provoquent aussi une nouvelle tension des forces, et par là un développement plus complet des dispositions naturelles, décèlent bien l'ordonnance d'un sage créateur, et non pas la main d'un génie malfaisant qui se serait mêlé de bâcler le magnifique ouvrage du Créateur, ou l'aurait gâté par jalousie." (p.75-76)

    "Cinquième Proposition

    Le problème essentiel pour l'espèce humaine, celui que la nature contraint l'homme à résoudre, c'est la réalisation d'une Société civile administrant le droit de façon universelle. -Ce n'est que dans la société, et plus précisément dans celle où l'on trouve le maximum de liberté, par là même un antagonisme général entre les membres qui la composent, et où pourtant l'on rencontre aussi le maximum de détermination et de garantie pour les limites de cette liberté, afin qu'elle soit compatible avec celle d'autrui ; ce n'est que dans une telle société, disons-nous, que la nature peut réaliser son dessein suprême, c'est-à-dire le plein épanouissement de toutes ses dispositions dans le cadre de l'humanité. Mais la nature exige aussi que l'humanité soit obligée de réaliser par ses propres ressources ce dessein, de même que toutes les autres fins de sa destination. Par conséquent une société dans laquelle la liberté soumise à des lois extérieures se trouvera liée au plus haut degré possible à une puissance irrésistible, c'est-à-dire à une organisation civile d'une équité parfaite, doit être pour l'espèce humaine la tâche suprême de la nature. Car la nature, en ce qui concerne notre espèce, ne peut atteindre ses autres desseins qu'après avoir résolu et réalisé cette tâche. C'est la détresse qui force l'homme, d'ordinaire si épris d'une liberté sans bornes [sic], à entrer dans un tel état de contraire, et, à vrai, c'est la pire des détresses: à savoir, celle que les hommes s'infligent les uns aux autres, leurs inclinations ne leur permettant pas de subsister longtemps les uns à côté des autres dans l'état de liberté sans frein [re-sic]. Mais alors, dans l'enclos que représente une association civile, ces mêmes inclinations produisent précisément par la suite le meilleur effet. Ainsi dans une forêt, les arbres, du fait même que chacun essaie de ravir à l'autre l'air et le soleil, s'efforcent à l'envi de se dépasser les uns les autres, et par la suite, ils poussent beaux et droits. Mais au contraire, ceux qui lancent en liberté leurs branches à leur gré, à l'écart d'autres, poussent rabougris, tordus et courbés. Toute culture, tout art formant une parure à l'humanité, ainsi que l'ordre social le plus beau, sont les fruits de l'insociabilité, qui est forcée par elle-même de se discipliner, et d'épanouir de ce fait complètement, en s'imposant un tel artifice, les germes de la nature." (p.76-77)

    "Sixième Proposition

    Ce problème est le plus difficile ; c'est aussi celui qui sera résolu en dernier par l'espèce humaine." (p.77)

    "Le chef suprême doit être juste pour lui-même, et cependant être un homme. Cette tâche est par conséquent la plus difficile à remplir de toutes ; à vrai dire sa solution parfaite est impossible ; le bois dont l'homme est fait est si noueux qu'on ne peut y tailler des poutres bien droites. La nature nous oblige à ne pas chercher autre chose qu'à nous rapprocher de cette idée. Réaliser cette approximation, c'est aussi le travail auquel nous nous attelons le plus tardivement." (p.78)

    "Septième Proposition

    Le problème de l'établissement d'une constitution civile parfaite est lié au problème de l'établissement de relations régulières entre les Etats, et ne peut pas être résolu indépendamment de ce dernier. -A quoi bon travailler à une constitution civile régulière, c'est-à-dire à l'établissement d'une communauté entre individus isolés ? La même insociabilité qui contraignait les hommes à s'unir est à son tour la cause d'où il résulte que chaque communauté dans les relations extérieures, c'est-à-dire dans ses rapports avec les autres Etats, jouit d'une liberté sans contrainte ; par suite chaque Etat doit s'attendre à subir de la part des autres exactement les mêmes maux qui pesaient sur les hommes et les contraignaient à entrer dans un Etat civil régi par des lois. La nature a donc utilisé une fois de plus l'incompatibilité des hommes et même l'incompatibilité entre grandes sociétés et corps politique auxquels se prête cette sorte de créatures, comme un moyen pour forger au sein de leur inévitable antagonisme un état de calme et de sécurité. Ainsi, par le moyen des guerres, des préparatifs excessifs et incessants en vue des guerres et de la misère qui s'ensuit intérieurement pour chaque Etat, d'abord imparfaites, puis finalement, après bien des ruines, bien des naufrages, après même un épuisement intérieur radical de leurs forces, pousse les Etats à faire ce que la raison aurait aussi bien pu leur apprendre sans qu'il leur en coûtât d'aussi tristes épreuves, c'est-à-dire à sortir de l'état anarchique de sauvagerie, pour entrer dans une Société des Nations. Là, chacun, y compris le plus petit Etat, pourrait attendre la garantie de sa sécurité et de ses droits non pas de sa propre puissance ou de la propre appréciation de son droit, mais uniquement de cette grande Société des Nations (Feodus Amphyctionum), c'est-à-dire d'une force unie et d'une décision prise en vertu des lois fondées sur l'accord des volontés." (p.79-80)

    "Il ne faut pas que les forces des hommes s'assoupissent complètement." (p.82)

    "Rousseau n'avait pas tellement tort de préférer l'état des sauvages, abstraction faite, évidemment, de ce dernier degré auquel notre espèce doit encore s'élever. Nous sommes hautement cultivés dans le domaine de l'art et de la science. Nous sommes civilisés, au point d'en être accablés, pour ce qui est de l'urbanité et des bienséances sociales de tout ordre. Mais quand à nous considérer comme déjà moralisés, il s'en faut encore de beaucoup. Car l'idée de la moralité appartient encore à la culture ; par contre, l'application de cette idée, qui aboutit seulement à une apparence de moralité dans l'honneur et la bienséance extérieure, constitue simplement la civilisation." (p.82)

    "Huitième Proposition

    On peut envisager l'histoire de l'espèce humaine en gros comme la réalisation d'un plan caché de la nature pour produire une constitution politique parfaite sur le plan intérieur, et, en fonction de ce but à atteindre, également parfaite sur le plan extérieur ; c'est le seul état de choses dans lequel la nature peut développer complètement toutes les dispositions qu'elle a mises dans l'humanité. -Cette proposition découle de la précédente. On le voit, la philosophie pourrait bien avoir aussi son millénarisme (Chiliasmus) ; mais pour en favoriser l'avènement, l'idée qu'elle s'en fait, encore de très loin seulement, peut jouer un rôle par elle-même. Ce n'est donc nullement une rêverie de visionnaire." (p.83)

    "Quand on empêche le citoyen de chercher son bien-être par tous les moyens qu'il lui plaît, avec la seule réserve que ces moyens soient compatibles avec la liberté d'autrui, on entrave le déploiement de l'activité générale, par suite en retour, les forces de la collectivité. C'est pourquoi les restrictions apportées à la personne, dans ses faits et gestes, sont de plus en plus atténuées ; c'est pourquoi la liberté universelle de religion est reconnue ; ainsi perce peu à peu sous un arrière-fond d'illusions et de chimères, l'ère des lumières ; c'est là un grand bien dont le genre humain doit profiter en utilisant même la soif égoïste de grandeur de ses chefs, pour peu que ceux-ci comprennent leur propre intérêt. Mais ces lumières, et avec elles encore un certain attachement que l'homme éclairé témoigne inévitablement pour le bien dont il a la parfaite intelligence, doivent peu à peu accéder jusqu'aux trônes et avoir à leur tour une influence sur les principes de gouvernement." (p.85)

    "Un Etat cosmopolitique universel arrivera un jour à s'établir." (p.86)

    "Neuvième Proposition

    Une tentative philosophique pour traiter l'histoire universelle en fonction du plan de la nature, qui vise à une unification politique totale dans l'espèce humaine, doit être envisagée comme possible et même comme avantageuse pour ce dessein de la nature. -C'est un projet à vrai dire étrange, et en apparence extravagant, que de vouloir composer une histoire d'après l'idée de la marche que le monde devrait suivre, s'il était adapté à des buts raisonnables certains ; il semble qu'avec une telle intention, on ne puisse aboutir qu'à un roman. Cependant, si on peut admettre que la nature même, dans le jeu de la liberté humaine, n'agit pas sans plan ni sans dessein final, cette idée pourrait bien devenir utile ; et, bien que nous ayons une vue trop courte pour pénétrer dans le mécanisme secret de son organisation, cette idée pourrait nous servir de fil conducteur pour nous représenter ce qui ne serait sans cela qu'un agrégat des actions humaines comme formant, du moins en gros, un système. Partons en effet de l'histoire grecque, la seule qui nous transmette toutes les autres histoires qui lui sont antérieures ou contemporaines, ou qui du moins nous apporte des documents à ce sujet ; suivons son influence sur la formation et le déclin du corps politiques du peuple romain, lequel a absorbé l'Etat grec ; puis l'influence du peuple romain sur les Barbares qui à leur tour le détruisirent, pour en arriver jusqu'à notre époque ; mais joignons-y en même temps épisodiquement l'histoire politique des autres peuples, telle que la connaissance en est peu à peu parvenue à nous par l'intermédiaire précisément de ces nations éclairées.
    On verra alors apparaître un progrès régulier du perfectionnement de a constitution politique dans notre continent (qui vraisemblablement donnera un jour des lois à tous les autres).
    " (p.86-87)

    "Une telle justification de la nature ou mieux de la Providence n'est pas un motif négligeable pour choisir un centre particulier de perspective sur le monde. Car à quoi bon chanter la magnificence et la sagesse de la création dans le domaine de la nature où la raison est absente ; à quoi bon recommander cette contemplation, si, sur la vaste scène où agit la sagesse suprême, nous trouvons un terrain qui fournit une objection inéluctable et dont la vue nous oblige à détourner les yeux avec mauvaise humeur de ce spectacle ? Et ce serait le terrain même qui représente le but final de tout le reste: l'histoire de l'espèce humaine. Car nous désespérerions alors de jamais rencontrer ici un dessein achevé et raisonnable, et nous ne pourrions plus espérer cette rencontre que dans un autre monde." (p.88)
    -Emmanuel Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, 1784, in Opuscule sur l'histoire, GF Flammarion, Paris, 1990, 245 pages.

    "Peu importe si la révolution d'un peuple plein d'esprit, que nous avons vu s'effectuer de nos jours, réussit ou échoue, peu importe si elle accumule misère et atrocités au point qu'un homme sensé qui la referait avec l'espoir de la mener à bien, ne se résoudrait jamais néanmoins à tenter l'expérience à ce prix, -cette révolution, dis-je, trouve quand même dans les esprits de tous les spectateurs (qui ne sont pas eux-mêmes engagés dans ce jeu) une sympathie d'aspiration qui frise l'enthousiasme et dont la manifestation même comportait un danger ; cette sympathie par conséquent ne peut avoir d'autre cause qu'une disposition morale du genre humain." (p.211)

    "Il n'est pas légitime de recourir à une révolution, qui est toujours injuste. Régner automatiquement, et néanmoins gouverner à la façon républicaine, c'est-à-dire dans l'esprit du républicanisme et d'une manière analogue à celui-ci, voilà ce qui rend un peuple satisfait de sa constitution." (p.213)

    "Cet événement [la Révolution française] est trop important, trop mêlé aux intérêts de l'humanité, et d'une influence trop vaste sur toutes les parties du monde, pour ne pas devoir être remis en mémoire aux peuples à l'occasion de circonstances favorables, et rappelé lors de la reprise de nouvelles tentatives de ce genre." (p.215)

    "Le genre humain a toujours été en progrès et continuera toujours de l'être à l'avenir." (p.215)

    "Il est [...] coupable de soulever le peuple pour abolir ce qui présentement existe." (p.218)

    "C'est le devoir des Monarques, tout en régnant en autocrates, de gouverner néanmoins selon la méthode républicaine (je ne dis pas: démocratique), c'est-à-dire de traiter le peuple suivant des principes conformes à l'esprit des lois de la liberté." (p.219)
    -Emmanuel Kant, Le conflit des facultés, 1798 in Opuscule sur l'histoire, GF Flammarion, Paris, 1990, 245 pages.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mer 27 Fév - 14:30, édité 3 fois


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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 22 Oct - 11:18

    https://fr.book4you.org/book/16625369/6fd404?dsource=recommend

    "Le raisonnement est donc le suivant: s'il n'y a pas de Dieu (et de Royaume de Dieu), alors il n'y a pas de bonheur proportionné à la vertu (ce qui résulte de ces lois = la souverain Bien) ; or, il faut qu'il y ait cette proportion (ce qui résulte de ces lois est nécessaire, parce que la raison l'exige) ; donc, il faut qu'il y ait un Dieu." (p.73)
    -Jean-Pierre Fussler, Introduction à Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique, traduction Jean-Pierre Fussler, Paris, GF Flammarion, 2003 (1788 pour la première édition allemande), 473 pages.

    [Préface]

    "C'est une prudence qui est vraiment à recommander dans toute la philosophie et qui se trouve pourtant souvent négligée, que celle de ne pas précipiter ses jugements par des définitions risquées, avant l'analyse complète du concept, analyse qui souvent n'aboutit que fort tard." (p.96)

    [Première partie: Doctrine des éléments de la raison pratique pure. Livre premier: L'Analytique de la raison pratique pure. Chapitre premier: Des propositions fondamentales de la raison pratique pure]

    "Etre conséquent, c'est ce qui incombe le plus à un philosophe, et c'est pourtant la chose que l'on rencontre le plus rarement." (p.117, §3, Théorème II, Scholie I)

    "Le principe du bonheur personnel, quelque grand usage on puisse bien faire pour lui de l'entendement et de la raison, ne saurait comprendre en lui d'autres fondements de la détermination pour la volonté, sauf s'ils sont conformes à la faculté de désirer inférieure, et par conséquent, ou bien il n'y a absolument aucune faculté de désirer supérieure, ou bien il faut que la raison pure seule soit pratique par elle-même, ce qui veut dire que, sans présupposition d'un sentiment, quel qu'il soit, partant, sans représentations de l'agréable ou du désagréable, en tant que matière de la faculté de désirer, matière qui est toujours une condition empirique des principes, il faut qu'elle puisse déterminer la volonté par la seule forme de la règle pratique [45].
    C'est alors seulement que la raison est, uniquement en tant qu'elle détermine par elle-même la volonté [V, 25] (qu'elle n'est pas au service des inclinations), une véritable faculté de désirer
    supérieure, à laquelle est subordonnée celle qui est pathologiquement déterminable, et elle est effectivement, spécifiquement même, distincte de cette dernière, de sorte que même la moindre introduction des impulsions de celle-ci porte préjudice à sa force et à sa prééminence, de même que le moindre élément empirique, introduit comme condition dans une démonstration mathématique, en diminue et en anéantit l'autorité et la solidité." (p.117, §3, Théorème II, Scholie I)

    "Etre heureux est nécessairement ce à quoi aspire tout être raisonnable [...] Ce en quoi chacun peut placer son bonheur, cela dépend du sentiment de plaisir et de peine propre à chacun [...] Des préceptes pratiques qui se fondent sur ces principes ne peuvent jamais être universels, car le fondement de la détermination de la faculté de désirer repose sur le sentiment de plaisir et de peine dont on ne peut jamais supposer qu'il vise universellement les mêmes objets." (pp.118-119)

    "Ce qui procure un avantage vraiment durable est toujours, si cet avantage doit être étendu à l'existence entière, enveloppé d'une obscurité impénétrable." (p.135)
    -Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique, traduction Jean-Pierre Fussler, Paris, GF Flammarion, 2003 (1788 pour la première édition allemande), 473 pages.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Lun 26 Sep - 15:55, édité 3 fois


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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 19 Nov - 17:16

    "Tout intérêt de ma raison (aussi bien spéculatif que pratique) se rassemble dans les trois questions suivantes:
    1. Que puis-je savoir ?
    2. Que dois-je faire ?
    3. Que m'est-il permis d'espérer ?
    " (p.658)

    "C'est le dégoût qui règne dans les sciences, ainsi qu'un total indifférentisme, qui est la matrice du chaos et de la nuit, mais qui pourtant constitue en même temps le point de départ, du moins le prélude, d'une prochaine transformation et d'une prochaine avancée des Lumières dans ces disciplines, là où elles avaient été obscurcies, rendues confuses et stériles par un zèle maladroitement employé.
    Le fait est qu'il est vain de vouloir affecter de l'indifférence à l'égard de recherches telles que l'objet n'en peut être indifférent à la nature humaine. Aussi ces prétendus indifférentistes, si fort que soit leur souci de se rendre méconnaissables en substituant à la langue de l'École un langage populaire, ne peuvent-ils, dès lors simplement qu'ils conçoivent quelque pensée, inévitablement que retomber dans des affirmations métaphysiques à l'encontre desquelles ils témoignaient cependant tant de mépris
    ." (p.65)

    "Notre siècle est proprement le siècle de la critique, à laquelle tout doit se soumettre. La religion, parce qu'elle est sacrée, et la législation, à cause de sa majesté, veulent communément s'y soustraire. Mais elles suscitent dès lors vis-à-vis d'elles un soupçon légitime et ne peuvent prétendre à ce respect sans hypocrisie que la raison témoigne uniquement à ce qui a pu soutenir son libre et public examen" (p.65)

    "J'ai l'audace de dire qu'il ne devrait pas y avoir un seul problème métaphysique qui ne soit ici résolu, ou dont la solution, du moins, ne se voit vu offrir sa clef." (p.66)

    "Je m'aperçus pleinement de la grandeur de ma tâche et de la foule des objets auxquels j'aurais affaire, et comme je prenais conscience que simplement à eux seuls, sous la forme d'un exposé aride et purement scolastique, ils conféreraient à l'ouvrage une étendue déjà suffisante, je trouvai inopporun de l'enfer encore davantage par des exemples et des explicitations qui ne sont nécessaires que du point de vue populaire." (p.68-9)
    -Emmanuel Kant, préface à la première édition de la Critique de la raison pure, traduction Alain Renaut, GF-Flammarion, 2006 (1781 pour la première édition allemande), 749 pages.

    "Jusqu'ici, on admettait que toute notre connaissance devait nécessairement se régler d'après les objets ; mais toutes les tentatives pour arrêter sur eux a priori par concepts quelque chose par quoi notre connaissance eût été élargie ne parvenaient à rien en partant de ce présupposé. Que l'on fasse donc une fois l'essai de voir si nous ne réussirions pas mieux, dans les problèmes de métaphysique, dès lors que nous admettions que les objets doivent se régler d'après notre connaissance -ce qui s'accorde déjà mieux avec la possibilité revendiquée d'une connaissance de ces objets a priori qui doive établir quelque chose sur des objets avant qu'ils ne soient données." (p.77-78)

    "Si l'intuition devait se régler sur la nature des objets, je ne vois pas comment on pourrait en savoir a priori quelque chose ; en revanche, si l'objet (comme objet des sens) se règle sur la nature de notre pouvoir d'intuition, je peux tout à fait bien me représenter cette possibilité. Étant donné toutefois que, si elles doivent devenir des connaissances, je ne puis en rester à ces intuitions, mais qu'il me faut les rapporter, en tant que représentations, à quelque chose qui en constitue l'objet et déterminer par leur intermédiaire cet objet, je peux admettre l'une ou l'autre de ces hypothèses: ou bien les concepts, par le moyen desquels j'effectue cette détermination, se règlent aussi sur l'objet, et dans ce cas je me trouve à nouveau dans la même difficulté quant à la manière dont je puis en savoir quelque chose a priori ; ou bien les objets, ou, ce qui est équivalent, l'expérience dans laquelle seule ils sont connus (en tant qu'objets donnés), se règlent sur ces concepts -ce qui, aussitôt, me fait apercevoir une issue plus commode, parce que l'expérience elle-même est un mode de connaissance qui requiert l'entendement, duquel il me faut présupposer la règle en moi-même, avant même que des objets me soient donnés, par conséquent a priori: une règle qui s'exprime en des concepts a priori sur lesquels tous les objets de l'expérience doivent donc nécessairement se régler et avec lesquels ils doivent s'accorder." (p.78)

    "Nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes." (p.79)
    -Emmanuel Kant, préface à la deuxième édition de la Critique de la raison pure, traduction Alain Renaut, GF-Flammarion, 2006 (1781 pour la première édition allemande), 749 pages.

    "Le bonheur est la satisfaction de toutes nos inclinations (aussi bien extensive, à l'égard de leur variété, qu'intensive, quant à leur degré, et même protensive, du point de vue de leur durée)." (p.659)
    -Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, traduction Alain Renaut, GF-Flammarion, 2006 (1781 pour la première édition allemande), 749 pages.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 19 Aoû - 10:50



    "Paragraphe 65 - Les choses en tant que fins naturelles sont des êtres organises.

    La liaison causale, dans la mesure où elle est pensée uniquement par l'entendement, est une connexion qui définit une série (de causes et d'effets) toujours descendante ; et les choses elles-mêmes qui, comme effets, en supposent d'autres comme causes ne peuvent en même temps être, de leur côté, causes de celles-ci. Cette liaison causale, on l'appelle celle des causes efficientes (nexus effectivus). Mais, en revanche, on peut pourtant penser aussi une liaison causale d'après un concept de la raison (celui de fins) qui, si l'on considérait la connexion comme une série, impliquerait une dépendance aussi bien descendante qu'ascendante, où la chose qui est désignée comme effet mérite pourtant, si on considère la série comme ascendante, le nom de cause de la chose dont elle est l'effet. Dans le registre pratique (à savoir celui de l'art), on trouve aisément de telles connexions, comme par exemple celle-ci : la maison est assurément la cause des sommes d'argent perçues pour sa location, mais c'est aussi, inversement, la représentation de ce revenu possible qui fut la cause de l'édification de cette maison. Une telle connexion causale se nomme celle des causes finales (nexus finalis). On pourrait peut-être appeler de manière plus juste la première la connexion des causes réelles, la seconde celle des causes idéales, car par cette dénomination on comprendrait en même temps qu'il ne peut y avoir plus de formes de causalité que ces deux-là.

    Pour une chose en tant que fin naturelle, on exige dès lors, premièrement, que les parties (quant à leur existence et à leur forme) n'en soient possibles que par leur relation au tout. Car la chose elle-même est une fin, comprise qu'elle est par conséquent sous un concept ou sous une Idée qui détermine nécessairement a priori tout ce qui doit être contenu en elle. Mais, dans la mesure où une chose n'est pensée comme possible que de cette manière, c'est simplement une œuvre d'art, c'est-à-dire le produit d'une cause raisonnable, distincte de la matière (des parties) de ce produit et dont la causalité (dans la production et la liaison des parties) est déterminée par l'Idée d'un tout ainsi rendu possible (et donc non pas par la nature qui existe en dehors de lui).

    Mais si une chose, en tant que produit de la nature, doit renfermer en elle-même et en sa possibilité interne une relation à des fins, c'est-à-dire être possible seulement comme fin naturelle et sans la causalité des concepts d'êtres raisonnables existant en dehors d'elle, il est requis pour cela, deuxièmement, que les parties de cette chose se relient en l'unité d'un tout à travers la manière dont elles sont mutuellement les unes vis-à-vis des autres cause et effet de leur forme. Car c'est de cette façon uniquement qu'il est possible qu'inversement (réciproquement) l'Idée du tout détermine en retour la forme et la liaison de toutes les parties : non pas en tant que cause - car ce serait alors un produit de l'art-, mais en tant que fondement de la connaissance, pour celui qui porte sur lui un jugement d'appréciation, de l'unité systématique de la forme et de la liaison de tout le divers qui est contenu dans la matière donnée.

    D'un corps, donc, qui doit être jugé en soi et quant à sa possibilité interne comme fin naturelle, il est exigé que ses parties se produisent réciproquement dans leur ensemble, aussi bien selon leur forme que selon leur liaison, et qu'elles produisent ainsi par causalité propre un tout dont le concept (dans un être qui posséderait la causalité selon des concepts qui est conforme à un tel produit) pourrait à son tour être jugé inversement comme la cause de ce tout selon un principe et dont, par conséquent, la liaison des causes efficientes pourrait être tenue en même temps pour un effet produit par des causes finales.

    Dans un tel produit de la nature, chaque partie, de même qu'elle n'existe que par l'intermédiaire de toutes les autres, est pensée également comme existant pour les autres et pour le tout, c'est-à-dire comme instrument (organe) - ce qui, toutefois, n'est pas suffisant (car il pourrait aussi être un instrument de l'art et, en ce sens, n'être représenté comme possible qu'en tant que fin en général) : elle doit en fait être considérée comme un organe produisant les autres parties (chaque partie produisant par conséquent les autres, et réciproquement) - ce que ne peut être nul instrument de l'art, mais seulement un instrument de la nature, telle qu'elle fournit toute matière aux instruments (même à ceux de l'art) ; et ce n'est que dans ces conditions et pour cette raison qu'un tel produit, en tant qu'être organisé et s'organisant lui-même, peut être appelé une fin naturelle.

    Dans une montre, une partie est l'instrument du mouvement des autres, mais un rouage n'est pas la cause efficiente de la production de l'autre rouage : une partie existe certes pour l'autre, mais elle n'existe pas par elle. Ce pourquoi la cause qui produit ces parties et leur forme n'est pas non plus contenue dans la nature (de cette matière), mais en dehors d'elle, dans un être qui peut produire d'après des Idées un tout possible par sa causalité. Ce pourquoi aussi un rouage d'une montre ne produit pas l'autre rouage, et encore moins une montre d'autres montres, de manière telle qu'elle utiliserait à cette fin d'autres matières (elle les organiserait) ; ce pourquoi elle ne remplace pas non plus, d'elle-même, les parties qui en ont été retirées, ni ne corrige leur absence, dans la première mise en forme de la montre, par l'intervention des autres, ni ne se répare elle-même quand elle est déréglée : toutes opérations que nous pouvons attendre au contraire de la nature organisée. Un être organisé n'est donc pas simplement une machine, étant donné que la machine a exclusivement la force motrice ; mais il possède en soi une force formatrice qu'il communique aux matières qui n'en disposent pas (il les organise) : c'est donc une force formatrice qui se propage et qui ne peut être expliquée uniquement par le pouvoir moteur (par le mécanisme). [...]

    Les êtres organisés sont donc les seuls, dans la nature, qui, quand on les considère aussi en eux-mêmes et sans les mettre en relation à d'autres choses, doivent pourtant être pensés comme possibles uniquement en tant que fins de la nature, et ce sont les seuls qui, ainsi, procurent en premier lieu une réalité objective au concept d'une fin qui n'est pas une fin pratique, mais est une fin de la nature, et qui dès lors fournissent à la science de la nature le fondement d'une téléologie, c'est-à-dire d'une manière d'apprécier ses objets d'après un principe particulier que, sinon, l'on ne serait aucunement justifié à introduire en cette science (parce que l'on ne peut absolument pas apercevoir a priori la possibilité d'un tel type de causalité)." (pp.364-368)
    -Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, traduction Alain Renaut, GF-Flammarion, 2015 (2000 pour la première édition chez Flammarion), 540 pages.




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