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    Valerio Manfredi, Alexandre le Grand

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Valerio Manfredi, Alexandre le Grand Empty Valerio Manfredi, Alexandre le Grand

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 28 Mar - 12:31

    « L’homme qui lui faisait face avait le visage dissimulé par un casque corinthien. Il portait une cuirasse en lames de bronze aux décorations d’argent, une épée suspendue à un baudrier en mailles, ainsi qu’un manteau de lin bleu que le vent du couchant gonflait comme une voile.
    Alexandre était, quant à lui, tête nue. Il était arrivé à pied en tenant Bucéphale par les rênes. Il dit : « Je suis Alexandre, roi des Macédoniens, et je suis venu négocier avec toi le rachat de mes soldats tombés dans la bataille. »
    Le regard de l’homme brilla dans l’ombre de son casque, évoquant au roi macédonien l’éclat qu’Apelle était parvenu à capturer dans son portrait. Sa voix métallique retentit : « Je suis le commandant Memnon. »
    -Qu’exiges-tu en échange de la restitution de ces dépouilles ?
    -La réponse à une question, rien de plus. »
    Alexandre lui lança un regard surpris : « Quelle question ? » […]
    « Pourquoi as-tu amené la guerre sur ces terres ?
    -Les Perses ont été les premiers à envahir la Grèce. Je viens venger la destruction de nos temples et de nos villes, venger nos jeunes soldats tombés à Marathon, aux Thermopyles et à Platées.
    -Tu mens, répliqua Memnon. Tu te moques bien des Grecs, et ils n’ont rien à faire de toi. Dis-moi la vérité. Cela restera entre nous. »
    L’intensité du vent augmenta, enveloppant les deux guerriers dans un nuage de poussière rouge.
    « Je suis venu construire le plus grand royaume qu’on ait jamais vu sur terre. Et je ne m’arrêterai pas avant d’avoir atteint les rives de l’extrême Océan.
    -C’est bien ce que je craignais, dit Memnon.
    -Et toi ? Tu n’es pas roi, tu n’es même pas perse. Pourquoi tant d’obstination ?
    -Parce je déteste la guerre. Et je déteste les jeunes fous qui, comme toi, veulent se couvrir de gloire en ensanglantant le monde. Je te ferai mordre la poussière, Alexandre. Je te refoulerai en Macédoine où tu mourras d’un coup de poignard, comme ton père. »
    Le roi ne réagit pas à cette provocation. « Il n’y aura pas de paix tant qu’il existera des frontières et des barrières, tant qu’il y aura des langues, des coutumes, des divinités et des croyances différentes. Tu devrais rejoindre ma cause, dit-il.
    -C’est impossible. Je n’ai qu’une parole et une seule conviction.
    -Alors, le meilleur gagnera.
    -Ce n’est pas sûr : le destin est aveugle.
    -Me rendras-tu mes morts ?
    -Tu peux les reprendre.
    -Quand m’accorderas-tu une trêve ?
    -Jusqu’à la fin du premier tour de ronde.
    -Cela me suffira. Je t’en suis reconnaissant. »
    Le chef ennemi inclina la tête en signe d’assentiment.
    « Adieu, commandant Memnon.
    -Adieu, roi Alexandre. »
    Memnon lui tourna le dos et se dirigea vers le côté nord de la muraille. Il s’engouffra bientôt dans le passage que lui offrit une poterne en s’ouvrant devant lui, et son manteau bleu fut englouti par la pénombre. La lourde porte ferrée se referma dans un interminable grincement.
    Alexandre regagna son campement et fit signe à Perdiccas d’aller ramasser les cadavres de ses soldats
    . » (p.203-205)

    « Barsine enfila un manteau et se laissa tomber sur son corps inerte en sanglotant, le couvrant de baisers et de caresses. Il n’y avait pas d’autre bruit dans la maison que celui de ses pleurs désespérés, et les mercenaires grecs qui veillaient à l’extérieur, autour du feu, comprirent. Ils se levèrent et, en silence, rendirent les honneurs au commandant Memnon de Rhodes, à qui un destin odieux avait interdit de mourir en soldat, l’épée au poing.
    Ils attendirent l’aube pour monter dans la chambre et prendre le corps de leur chef.
    « Nous le placerons sur le bûcher selon nos usages », dit le plus âgé d’entre eux, celui qui venait de Tégée.
    « Abandonner un corps aux chiens et aux charognards est insupportable pour nous. Cela prouve combien nous sommes différents. » Barsine comprit. Elle comprit qu’elle devait s’effacer en cette heure suprême et permettre à Memnon de retourner parmi ses gens, de recevoir les honneurs funèbres du rite grec.
    Ils élevèrent un bûcher au milieu d’une prairie blanchie par le givre et y déposèrent le corps de leur commandant, revêtu de son armure et coiffé de son casque, sur lequel se détachait la rose en argent de Rhodes.
    Et ils y mirent le feu.
    Le vent qui balayait le haut plateau alimenta les flammes, qui crépitèrent en dévorant rapidement la dépouille mortelle du grand guerrier. Brandissant leurs lances, les soldats alignés lancèrent dix fois son nom dans le ciel froid et noir qui recouvrait cette lande, aussi déserte qu’un linceul. Quand le dernier écho de leurs cris se fut éteint, ils se rendirent compte qu’ils étaient désormais seuls au monde, sans père ni mère, sans frère ni maison, sans patrie.
    « J’ai juré de le suivre partout, dit alors le plus âgé d’entre eux, même aux enfers. » Il s’agenouilla, dégaina son épée, la pointa contre son cœur et se jeta dessus.
    « Moi aussi », ajouta son compagnon, en tirant lui aussi son arme.
    « Nous aussi », dirent les deux autres. Ils s’effondrèrent l’un après l’autre dans une mare de sang, tandis que le premier chant du coq brisait le silence spectral de l’aube, pareil à une sonnerie de trompe
    . » (328-329)
    -Valerio Manfredi, Alexandre le Grand, tome 2 « Les Sables d’Ammon », Plon, 1999 (1998 pour la première édition italienne), 456 pages.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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