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    George L. Mosse, Les Racines intellectuelles du Troisième Reich. La Crise de l'idéologie allemande + De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    George L. Mosse, Les Racines intellectuelles du Troisième Reich. La Crise de l'idéologie allemande + De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes Empty George L. Mosse, Les Racines intellectuelles du Troisième Reich. La Crise de l'idéologie allemande + De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 12 Mar - 20:59

    "On ne peut nier que les curieuses notions analysées dans ce livre et les intellectuels étranges qui les développèrent seraient demeurés dans une obscurité bien méritée si Adolf Hilter n'avait donné à la pensée völkisch une place d'honneur dans le national-socialisme. Hilter, cependant, n'aurait jamais réussi à faire la preuve de l'efficacité politiques des conceptions du monde völkisch si un tel nombre d'Allemands n'avaient pas partagé cette perception de la réalité.
    Il y a sans doute des nationaux-socialistes qui ne considéraient pas leur mouvement en termes strictement völkisch et d'autres pour lesquels le racisme ne fut jamais l'un des principaux attraits du mouvement, mais tous n'en soutinrent pas moins un régime fondé sur la pensée völkisch. En outre, cette dernière ne menait pas inéluctablement au national-socialisme. Nombre des prophètes völkisch dont il est question dans ce livre étaient de farouches individualistes qui ne cherchaient pas, par souci d'efficacité politique, à s'affilier à des organisations ayant la même vision des choses, et c'est précisément pour cette raison qu'ils furent méprisés par Adolf Hilter."

    "Le national-socialisme fut un mouvement völkisch."

    "Comme des vers ruinant un fromage, les prophètes et les mouvements völkisch débutèrent à la périphérie de la politique, se frayant un chemin vers le centre partout où le corps politique était le plus faible et commençait à pourrir -dans le cas présent, pendant la république de Weimar."

    "Le national-socialisme réussit en tant que mouvement de masse précisément parce qu'il fut capable de capter à ses propres fins des mythes et des symboles chéris de longue date."

    "Je me suis fixé pour objectif principal d'expliquer comment une perception du monde obscure et irrationnelle, prônée par ces individus isolés ou par des groupes restreints, a finalement pu déterminer le sort d'une nation."

    "La Première Guerre mondiale [...] prépara la percée de la pensée völkisch."

    "Le rejet de la modernité était caractéristique de la pensée völkisch."

    "Si la pensée völkisch ne constitue pas aujourd'hui une menace imminente dans l'Allemagne d'aujourd'hui, elle demeure latente dans tout nationalisme moderne."

    "Il est important de garder à l'esprit que les nazis trouvèrent le plus grand soutien à leur cause parmi les gens respectables, instruits."

    "Pour les idéologues qui sont seront au centre de notre étude, la politique traditionnelle illustrait le pire aspect du monde dans lequel ils vivaient. Ils rejetaient les partis politiques jugés artificiels, ainsi que le gouvernement représentatif, qu'ils écartaient en faveur d'une élite issue de leurs conceptions semi-mystiques de la nature et de l'homme."

    "La transformation de l'Allemagne, ensemble de principautés semi-féodales, en un État-Nation et la transformation parallèle de l'économie régionale agricole en une économie industrielle ne pouvaient que laisser de profondes impressions sur la psyché des citoyens allemands."

    "L'ensemble d'idées abordées dans ce livre et désignées sous le terme völkisch est en rapport avec le Volk. Le Volk est l'un de ces termes allemands inexplicables qui évoquent bien autre chose que leur sens spécifique. Il désigne quelque chose de beaucoup plus général que le "peuple" car, dès la naissance du romantisme allemand de la fin du XVIIIème siècle, ce mot signifiait, pour les penseurs allemands, l'union d'un groupe de personnes et d'une "essence" transcendante. On pouvait appeler cette essence "nature", "cosmos" ou "mythos" ; mais, dans chaque cas, elle était unie à la nature la plus intime de l'homme et représentait la source de sa créativité, la profondeur de ses sentiments, son individualité et son unité avec les autres membres du Volk.
    [...] Selon de nombreux théoriciens völkisch, la nature de l'âme d'un Volk est déterminée par son paysage d'origine. Ainsi, les Juifs, étant un peuple du désert, sont considérés comme des êtres superficiels, arides, "secs", dépourvus de profondeur et sans la moindre créativité [...] en opposition totale avec les Allemands qui, vivant dans les forêts sombres noyées dans la brume, sont profonds et mystérieux."

    "Avant 1918, l'idéologie centrée sur le Volk avait imprégné la plus importante de ces institutions, le système éducatif. [...] Au début, les jeunes se rassemblaient en bande pour de simples randonnées dans la campagne, mais leurs activités revêtirent bientôt un aspect idéologique: reconstruire le Volk selon des principes plus naturels et plus authentiques que ceux qu'offrait la modernité. Avant la guerre, les effectifs de ces groupes de jeunes s'élevaient à environ soixante mille membres ; après la guerre, ils dépassèrent cent mille. Il s'agissait de l'élite de la jeunesse bourgeoise et le Mouvement exerça une influence formatrice sur nombre d'intellectuels de premier plan nés entre les années 1880 et 1920. L'influence du Mouvement de jeunesse fut considérable parmi les enseignants et les élèves."

    "L'esprit de l'idéologie völkisch se résume par la distinction entre "culture" et "civilisation", constamment présente dans la bouche de ses partisans. Une culture, pour reprendre les mots d'Oswald Spengler, a une âme, alors que la civilisation "est l'état le plus extérieur et le plus artificiel dont l'humanité soit capable.."

    "Ce n'était pas la haute bourgeoisie ou les nouveaux riches qui protestaient, mais ceux que la révolution industrielle avait acculés : le boutiquier, pas le propriétaire d'un grand magasin ; le petit entrepreneur traditionnel, pas le directeur d'industrie en expansion ou de grandes banques entre les mains duquel le pouvoir économique semblait se concentrer. Ces bourgeois de la classe moyenne furent rejoint par la classe des artisans en voie de prolétarisation accélérée et qui se sentaient isolés depuis 1848. Pour eux, la modernité menaçait le statut de bourgeois qui était le leur. Ils se découvrirent des alliés tout trouvés parmi les propriétaires fonciers, qui voyaient leur monopole sur l'alimentation menacé par les demandes de réduction des tarifs douaniers et d'expansion du commerce mondial. Ainsi, ceux qui prônaient un retour à la culture et préconisaient une "révolution allemande n'étaient pas issus des classes inférieures de la population. Au contraire, c'étaient des hommes et des femmes désireux de conserver leurs biens et un statut supérieur à celui de la classe ouvrière. L'idée d'une révolution sociale authentique leur était insupportable, si mécontents fussent-ils de leur propre monde. [...] Finalement, la révolution nazie fut la révolution bourgeoise "idéale": elle était une "révolution de l'âme", qui ne menaçait en réalité aucun des intérêts économiques de la classe moyenne."

    "Dans une situation où des changements économiques et sociaux révolutionnaires étaient exclus, le Juif devient un substitut opportun et nécessaire vers lequel diriger la ferveur révolutionnaire."

    "A l'instar du romantisme, les idées völkisch témoignaient d'une tendance à l'irrationnel et à l'émotionnel [...] Le rationalisme avait été discrédité."

    "Les exigences d'une société en voie d'industrialisation accélérée, avec ses nouvelles perspectives et restrictions, contribuèrent à renforcer le sentiment d'isolement de l'individu. Cet isolement de l'homme, coupé à la fois de lui-même et de sa société, de l'homme aliéné, intéressa des personnalités aussi différentes que Tocqueville et Karl Marx."

    "Le terme "enraciné" était constamment invoqué par les penseurs völkisch -et il y avait une bonne raison à cela. Un tel enracinement véhiculait le sentiment de la correspondance de l'homme, par l'intermédiaire de son âme, avec le paysage et ainsi avec le Volk incarnant l'esprit vital du cosmos. Par ailleurs, l'enracinement rural offrait un contraste avec le chaos urbain ou ce qui était appelé le "déracinement". Il fournissait également un critère opportun pour exclure les étrangers tant du Volk que des vertus de l'enracinement."

    "L'intérêt croissant porté par les romantiques à la nature s'était accompagné d'une résurgence de l'idée selon laquelle l'histoire fournissait une explication et un objectif au développement de l'homme."

    "Dans son célèbre Land und Leute ("La terre et les gens"), écrit en 1857-1863, Wilhelm Heinrich Riehl traitait de la nature organique d'un Volk qui, affirmait-il, ne pouvait être atteinte que par symbiose avec le paysage natal. [...] A l'instar de la plupart des hommes dont nous étudierons la pensée, il tait issu d'un milieu bourgeois rangé. [...] Riehl rejetait toute artificialité et définissait la modernité comme une nature imaginée par l'homme et donc dépourvue de cette authenticité à laquelle seule la nature vivante confère un sens. [...] La société souhaitée par Riehl, hiérarchique par nature, prenait exemple sur les états médiévaux. [...] Riehl considérait la paysannerie et la noblesse comme les deux états vivant encore selon les coutumes préconisées et qui, en outre, faisaient partie intégrante du paysage dont ils tiraient leur subsistance. [...] Pour lui, la bourgeoisie était un élément perturbateur qui avait remis en question les états "authentiques". [...] Prenant en compte les problèmes des travailleurs industriels contemporains, Riehl prôna une réforme, non pas dans la ligne syndicaliste, mais sous la forme d'une petite parcelle de terre octroyée à chaque ouvrier. Cette mesure n'était pas destinée à améliorer les conditions de vie de l'ouvrier, mais à renforcer son contact avec la nature, à l'enraciner dans le paysage et à le rendre ainsi partie intégrante du Volk."

    "En 1994, Joseph Goebbels fit une déclaration qui démontrait la profondeur et la longévité de l'influence antiurbaine sur la pensée völkisch: il était nécessaire de respecter le rythme de la vie des grandes villes qui avaient survécu aux bombardements. [...] Il est tout à fait paradoxal que ce ne soit qu'à travers leur destruction que les grandes villes atteignirent un statut idéologique égal à celui de la paysannerie enracinée."

    "Au milieu du XIXème siècle, la littérature allemande se mit à exalter de plus en plus le paysan, l'homme le plus proche de la nature et donc le plus proche du cosmos et du Volk. [...] Au fur et à mesure qu'on avançait dans le siècle, les écrivains dotèrent leurs héros paysans [...] d'une vertu de rudesse les rendant nettement moins sympathiques [...] Un élément de force, voire de cruauté, fut introduit dans le caractère de l' "Allemand idéal".

    Jürg Jenatsch, le héros paysan du roman éponyme de Conrad Ferdinand Meyer (1876), a été présenté comme le type même du nationaliste qui portait en lui les germes de la Première Guerre mondiale. [...] Jenatsch entretenait le culte de la force, souhaitait la mort de ses ennemis et faisait de son mieux pour y parvenir, par tous les moyens. Bien qu'il luttât pour une juste et noble cause, celle de l'indépendance de la Suisse, l'accent mis sur la nécessité de la violence était tellement exacerbé qu'il faisait de la force, moyen toléré, une fin souhaitable en soi.."

    "Dans Der Wehrwolf (1910), le plus célèbre roman allemand sur les paysans, Hermann Löns porta à son apogée la glorification de la force brute. [...] Cette évolution de l'image paysanne [...] glorifiait une civilisation non seulement rurale, mais primitive. Dans ce cas, l'historique, l'authentique fut associé à un primitivisme qui, à lui seul, disposait de suffisamment de force pour décaper le vernis de la civilisation artificielle. [...] Dietrich Eckart, l'homme qui exerça la plus grande influence sur Hitler dans l'immédiate après-guerre, adapta Peer Gynt précisément dans cet esprit. Le rustre paysan de la pièce d'origine devint, chez Eckart, un homme simple, juste et authentique, luttant pour le salut et s'offrant à l'esprit cosmique.."

    "Les romans paysans en plein essor décrivaient le Juif comme un être venu de la ville à la campagne en vue de dépouiller le paysan de ses richesses et de ses terres. [...] L'un des livres les plus importants [...] fut celui de Wilhelm von Polenz, Der Büttnerbauer ("Le paysan de Büttner", 1895), dont Hitler avait le sentiment qu'Hitler qu'il avait, d'une certaine façon, influencé sa pensée. Les grandes lignes de l'intrigue allaient devenir conventionnelles. Un paysan s'endette auprès d'un Juif et sa terre est hypothéquée. Le Juif vend le bien à un capitaine d'industrie qui, à son tour, y bâtit une usine. A la fin, le héros paysan se pend. [...] Le juif était identifié à la société industrielle moderne, qui déracinait le paysan, le privait de sa terre, causait sa mort, détruisant ainsi la partie la plus authentique du Volk. [...] Et, bien sûr, c'était un étranger.."

    "Paul de Lagarde espérait guider la nation allemande vers sa destinée tout en lui épargnant les perturbations causées par une révolution. [...] En fait, à l'instar d'une maladie, la révolution était considérée comme un châtiment pour avoir négligé le moi intérieur. Les révolutions réussies, comme celle qui avait eu en France, avaient détruit la nature organique du peuple et conduit au suicide national."

    "Lors de la chute de Napoléon, les États allemands s'empressèrent d'imposer à nouveau des restrictions aux Juifs et il fallut la révolution de 1848 pour proclamer leur pleine et entière émancipation. A cette époque, de nombreux Juifs réalisèrent que les libéraux, qui avaient tant contribué à la révolution, étaient leurs plus fermes soutiens. D'où le rapport étroit entre les Juifs et les libéraux, tous dénoncés par Lagarde et certains autres penseurs völkisch."

    "Ce fut dans des termes spécifiquement religieux, et non pas raciaux, que Lagarde s'opposa aux Juifs. [...] Leur religion les rendait irrémédiablement étrangers au sol allemand. Elle en faisait également une menace pour la régénération du Volk."

    "L'œuvre de Julius Langbehn ["Rembrandt éducateur", 1890] pouvait être lu essentiellement pour son aspect esthétique, comme un appel à une nouvelle créativité artistique [...] Plus populaire que l'œuvre de Lagarde, le livre de Langbehn fut, pendant un temps, une lecture quasi obligatoire pour les jeunes."

    "Dans le rejet de la suprématie de la raison en l'homme, Langbehn allait plus loin que son illustre prédécesseur, et l'esprit vital qu'il invoquait était une force mystique vraiment irrationnelle."

    "Langbehn restreignait la fusion de l'homme avec le monde spirituel à la région septentrionale de l'Allemagne."

    "Les idées raciales jouaient un rôle plus important dans la théologie de Langbehn que dans celle de Lagarde. La race et la vitalité de la nature étaient considérées comme des forces équivalentes. [...] En conséquence, si race et nature était identique, l'esprit vital allemand devait nécessairement être d'ordre racial. [...] L'antisémitisme fondamentalement non racial de Lagarde avait été supplanté ; l'incompatibilité raciale était devenue une part incontournable de l'idéologie völkisch."

    "[Langbehn] versa rapidement dans ses extrêmes, choquant ses amis en prônant l'asservissement des races "inférieures" et le rétablissement de l'esclavage."

    "Le livre de Karl Joel, Nietzsche und die Romantik ("Nietzsche et le romantisme") publié en 1905 par Diederichs, faisait l'éloge de Nietzche, considéré comme l'âme la plus romantique de tous les temps, comme un homme animé d'une passion sans bornes pour le Geist. Cette déformation était obtenue en assimilant la volonté de puissance chez Nietzsche à la passion de l'âme à pénétrer l'essence cosmique."

    "En France, Barrès et Maurras appelèrent, eux aussi, à un renouveau de leur nation, à une transformation qui comporterait à la fois une conviction religieuse métaphysique et une action politique. Mais cet élan ne pénétra pas aussi profondément qu'en Allemagne et n'aboutit pas au même résultat."

    "[Pour les penseurs völkisch], les Germains avaient influencé les cultures grecque et romaine. Cette affirmation théorique faisait des anciens Grecs des Germains et coupait leur Grecs de leur héritage classique. De même, Rome dans sa période de gloire devait avoir été dirigée par des chefs germains."

    "C'est peut-être lui [Ernst Wachler] qui enseigna aux nazis une partie de leurs techniques les plus efficaces -le culte de masse et le cadre liturgique d'une Église Volk de substitution. Les idées de Wachler ayant été copiées avant même la Première Guerre mondiale, les nazis purent disposer de certains théâtres de plein air comme modèles."

    "Dans ses conférences, Ellegard Ellerbeck élaborait une construction logique en se fondant sur l'argument que le sang germanique signifiait une relation de sang avec les dieux d'autrefois [...] avant d'enchaîner en accusant les Juifs d'être les odieux exterminateurs du germanisme et d'empêcher les Aryens d'assumer leur dimension divine. [...] Ses fréquentations allaient de Dietrich Eckart à Alfred Rosenberg."

    "Le national-socialisme comptait quand même dans ses rangs une bonne dose d'occultisme. Heinrich Himmler, par exemple, croyait au karma et pensait être une réincarnation d'Henri l'Oiseleur, un prince médiéval."

    "Le Cercle de Wagner, dirigé après la mort du compositeur par sa fille Cosima, et surtout les pangermanistes, furent d'importants partisans des conceptions raciales reposant sur les écrits de Gobineau."

    "Houston Stewart Chamberlain lui-même était un grand admirateur de Hitler. Ce dernier rendit visite à l'apôtre du germanisme, paralysé et mourant, et, avec émotion, lui baisa les mains. Mais Chamberlain mourut en 1927, avant d'assister au triomphe de ses prophéties. [...] Son optimisme inébranlable contribua sans aucun doute à l'énorme succès de son livre paru en 1900, Die Grundlagen des XIX Jahrhunderts ("Les fondements du XIXème siècle"). Dans cet ouvrage qui exerça un profond impact sur la pensée völkisch, le racisme est bien autre chose que l'explication de l'essor et de la chute d'une civilisation. Il devenait l'espoir de l'humanité, la concrétisation de ses aspirations. Le raisonnement de Chamberlain surpassait aussi celui des racistes antérieurs en ce qu'il mêlait des courants de la science et du mysticisme."

    "Passé de l'aile droite du marxisme au darwinisme, Ludwig Woltmann tenta de réaliser le mariage de Marx, Darwin et Kant en un système de réflexion proposant la lutte des masses, l'opposition raciale et l'inspiration métaphysique. [...] Ce fut cependant son attachement à un marxisme abâtardi qui donna à sa pensée une assise dans les masses. Tous ses écrits et théories sur les races étaient imprégnés d'hostilité antibourgeoise. [...] Woltmann alla plus loin en affirmant que "la race germanique avait été sélectionnée pour dominer la terre". [...] La dynamique de l'anthropologie politique de Woltmann était applicable au sein de la race elle-même, ainsi qu'à ses relations avec d'autres races, inférieures: la violence révolutionnaire à l'intérieur et l'expansion impérialiste agressive à l'extérieur.."

    "Sur le plan économique, le mouvement völkisch recherchait une voie moyenne entre capitalisme et marxisme."

    "Briser "l'esclavage du taux d'intérêt" était loin d'être un point unique en son genre dans le programme du parti national-socialiste ; depuis longtemps, il faisait partie intégrante de la quête völkisch d'une économie nationale qui transcenderait à la fois le capitalisme et le marxisme."

    "Le sionisme territorial partageait toutefois la même aspiration au retour à la terre, libérée de toute complication capitaliste, une aspiration qui avait beaucoup séduit dans le monde germanophone."

    "Les objections qu'ils [les Artamanen] opposaient aux nazis étaient semblables à celles du reste du mouvement völkisch. Les nazis étaient trop démocrates (ils en appelaient aux masses) et trop politiques (ils siégeaient en tant que parti politique à la Diète). Cependant, en 1929, lorsque la crise économique internationale se fit ressentir en Allemagne, le mouvement des Artamanen stagna et nombre de membres passèrent aux nazis avec la conviction qu'eux seuls pouvaient s'occuper efficacement des ennemis de l'Allemagne." (p.212)

    "L'importance du mouvement völkisch ne s'expliqua jamais par sa force numérique".

    "Hermann Gödsche, qui adopta le nom de plume plus romantique de Sir John Redcliffe, popularisa, dans l'un de ses romans, les aspects obscurs des Juifs. [...] Dans son fameux Biarritz (1868), les conspirateurs juifs se réunissaient dans le "mystérieux" cimetière du ghetto de Prague où ils intriguaient pour dominer le monde. [...] Pour les nazis, le récit de fiction de Gödsche constitua un témoignage littéraire du complot mondial ourdi par les Juifs."

    "Selon Eugen Dühring, les lignes du combat étaient tracées entre les forces du matérialisme juif et l'ancien germanisme. [...] Bien que professeur à la très conservatrice université de Berlin, il se qualifiait lui-même de radical et ses affinités politiques, ses théories et ses écrits étaient considérés comme suffisamment important par les marxistes pour que Friedrich Engels formule le célèbre anti-Dühring. Dühring avait des liens avec les sociaux-démocrates, dont il considérait la politique comme une approche raisonnable, apte à encourager la création d'un État national fort. Il adoptait une forme particulière de socialisme, envisageant une économie nationale autarcique et une expression idéalisée de la volonté générale du peuple. [...] Dühring, par ailleurs, insistait sur le fait que les Juifs n'étaient pas tant des ennemis de l'ordre que des obstacles sur la voie du progrès. [...] La lutte à venir serait une lutte à mort. C'était le genre d'antisémitisme qui bénéficiait d'un soutien très répandu et d'une certaine respectabilité.."

    "Au cours des années 1880, les Juifs de l'Est commencèrent à émigrer en Allemagne en nombre croissant [...] Dès le début, les agitateurs völkisch condamnèrent l'afflux des Juifs orientaux comme contraire aux intérêts du Volk."

    "En 1890, [Hermann Ahlwardt] publia Der Verzweiflungskampf der arischen Volker mit den Judentum ("Le combat désespéré des peuples aryens contre le judaïsme"). [...] Ahlwardt déclara qu'un peuple qui se débarasserait des Juifs pourrait donner libre cours au développement naturel du Volk et donc parvenir à la domination du monde."

    "La déshumanisation du Juif est peut-être l'un des développements les plus importants dans l'évolution de l'idéologie völkisch."

    "La peur de la souillure raciale par les mariages mixtes et ses associations avec le sexe, l'amour et les caractéristiques physiques, devinrent une obsession chez les penseurs völkisch. L'image de la femme allemande, pure, blonde et féminine, empreinte de spiritualité, mais succombant à l'amour d'un Juif, devint le cauchemar des prophètes de la race. [...] Les lois de Nuremberg élevèrent cette obsession au rang de système juridique."

    "Le stéréotype antisémite n'omettait pas le lien entre les Juifs et l'Argent. [...] Les préjugés économiques étaient toujours prédominants dans l'antisémitisme et le traité de Werner Sombart paru en 1910, Die Juden und das Wirtschaftsleben ("Les Juifs et la vie économique"), leur conféra une respectabilité intellectuelle. Cet éminent historien de l'économie établissait un lien entre le développement du capitalisme et le rôle joué par les Juifs. [...] Il affirmait que leur caractère impatient avait fait d'eux la force motrice du capitalisme."

    "La pensée völkisch avait toujours été "aliénée" en ce qu'elle était issue d'un profond mécontentement face à la réalité. [...] Pour ces penseurs [Völkisch], l'unification de l'Allemagne n'était "que" politique, car Bismarck n'avait pas triomphé de la division d'ordre spirituel qu'ils considéraient être au cœur de la crise de l'Allemagne."

    "La radicalisation traditionnelle à droite de la jeunesse bourgeoise allemande permit à l'idéologie völkisch de s'enraciner profondément aussi bien dans le Mouvement de jeunesse que dans les institutions éducatives. Enseignants et professeurs étaient imprégnés d'un nationalisme centré sur la création d'une culture allemande commune. [...] En outre, de nombreux intellectuels völkisch étaient des "prolétaires universitaires" -des titulaires de doctorat qui, faute de chaires, étaient contraints d'enseigner à un niveau inférieur à celui de l'université."

    "Le fait est que les écoles dominées par l'idéologie völkisch étaient si nombreuses qu'elles constituaient le centre, et non la marge, de l'éducation allemande. [...] La modernité était universellement et irrévocablement condamnée ; l'esprit des ancêtres germaniques, les habitants primitifs, mais héroïques, des forêts teutoniques étaient présentés comme des exemples à suivre."

    "L'œuvre de [Hermann] Lietz [le fondateur du mouvement des internats à la campagne] pendant la guerre s'orienta plus nettement vers la race, la nation et le Volk. Dans ses derniers écrits, la nouveauté résida dans l'importance accordée à la pureté raciale du Volk. Les Juifs étaient condamnés pour leur matérialisme et stigmatisés pour s'être vendus au "démon du capitalisme". Dans le domaine économique, il recommandait la nationalisation des terres et leur distribution aux paysans. Les industries affectant les biens nationaux et publics devaient, de même, être nationalisées. Il adhérait toujours à son "idéalisme allemand", qu'il définissait en terme de nature, de simplicité et de christianisme germanique. Au cours des dernières années de sa vie, Lietz était habité par de sombres pressentiments pour l'avenir de l'Allemagne. Ces points de vue furent repris dans Auf Gut Deutsch de Dietrich Eckart, où ils furent placés à côté d'articles de ce qui allait bientôt devenir le mouvement national-socialiste. Lietz mourut en 1919, avant la création du NSDAP."

    "Fondée en 1901 sous la forme d'une association de randonnée pour les écoliers de la banlieue berlinoise de Steglitz, [le Mouvement de jeunesse] se répandit dans la majeure partie du nord de l'Allemagne. [...] Les Wandervögel pouvaient déjà revendiquer quinze mille membres en 1911 et le mouvement continua à se développer à un rythme encore plus soutenu. Car ce qui était nouveau et révolutionnaire [...] c'était l'absence de tutelle adulte. Les excursions, qui avaient commencé sous le slogan "Les jeunes entre eux", devinrent ainsi le symbole de la révolte des jeunes contre leurs ainés. [...] Ce mouvement représenta, chez les jeunes bourgeois allemands, un autre tournant vers la droite à une échelle jamais égalée, avant que les nazis n'en récoltent les bénéfices et ne captent toute la nouvelle génération. [...] Là, parmi les jeunes, des valeurs esthétiques et éthiques fondamentalement völkisch furent accueillis avec enthousiasme. Karl Fischer, le fondateur des Wandervögel [et ses premiers partisans] [...] s'étaient abondamment inspirés des écrits de Lagarde et de Langbehn. [...] Riehl inspira leur vénération pour le paysage."

    "Les Wandervögel procédaient à des rites d'origine germanique. La célébration du solstice d'été était particulièrement populaire."

    "Selon une enquête réalisée en 1913-1914, quatre-ving-douze pour cent des sections locales [du Mouvement de jeunesse] ne comptaient aucun membre juif. [...] Quatre-vingt-quatre pour cent d'entre elles avaient expressément adopté des résolutions excluant les Juifs."

    "Dans le domaine de l'entreprise privée, les étudiants bourgeois affrontaient une double concurrence. Un nombre considérable d'industries et de commerces étaient contrôlés par les nouveaux riches et par l'aristocratie : de surcroît, un certain nombre appartenaient à des Juifs. Dans leur concurrence avec les Juifs, bien sûr considérée comme plus facile, ils s'abaissaient à recourir à l'antisémitisme pour parvenir à leurs fins. [...] Si on compare cette situation avec celle de la jeunesse d'autres nations, on constate qu'en France, par exemple, les jeunes se ralliaient à la gauche dans les domaines social, économique et politique. Ils soutenaient leur cause en terme de classe, non en terme de nationalisme völkisch. [...] La jeunesse bourgeoise fut perdue pour le régime de Weimar avant même que la République ait véritablement commencé. [...] L'un des premiers efforts concertés de la part de la jeunesse pour prendre une orientation völkisch fut la fondation, en 1881, du Verein Deutscher Studenten-Kyffhäuser Bund (Association des étudiants allemands). [...] Ses membres [...] se consacraient au combat contre le matérialisme et le libéralisme, et contre les Juifs qui propageaient un "esprit de rationalisme". [...] Pour de nombreux jeunes Autrichiens des années trente, le nazisme apparut n'être qu'une application logique des slogans débités par leurs pères depuis l'époque où ils étaient membres d'associations estudiantines. Ce fut également le cas en Allemagne."

    "Si les étudiants peuvent être considérés comme les instigateurs de plusieurs mesures völkisch dans les universités, ils ne furent pas les seuls. Le corps enseignant joua lui aussi un rôle. [...] A partir des années 1880 [...] le corps enseignant ne fit pratiquement plus rien pour endiguer la vague montante d'antisémitisme. [...] Les universitaires s'opposent rarement au régime en place [...] le corps enseignant désirait la paix et le calme pour mener ses recherches "impartiales"."

    "Nietzsche fut [...] proclamé "prophète nordique'. L'interprétation [d'Ernst] Bertram fut reprise par des écrivains de tendance plus nettement völkisch. Alfred Bäumler, philosophe populaire, la transmit directement aux nazis. On reconnaît aujourd'hui l'erreur de cette interprétation. [...] Il importe peu que Nietzsche ait ridiculisé et rejeté le principe intellectuel des livres de Lagarde. Il n'en devint pas moins un mythos vivant du Volk."

    "La pensée völkisch avait toujours été conservatrice pour tout ce qui concernait le rôle des femmes dans la société, les reléguant à la maison, comme leurs ancêtres germaniques l'auraient probablement souhaité. [...] Parue en 1903, Geschlecht und Charakter ("Sexe et caractère"), l'œuvre populaire d'Otto Weininger, un Juif apostat, élevait la dichotomie entre homme et femme au niveau d'un principe cosmique. La théorie de l'éros, centrée sur l'homme, reléguait les femmes dans une position subalterne. Ces dernières, affirmait Weininger, étaient dépourvues de l'éros propre aux hommes ; elles se préoccupaient de mariage, de procréation et des besoins de leur progéniture. Elles ne pouvaient donc posséder de façon responsable l'éros culturel. [...] Non seulement [Weininger] n'accordait à la femme qu'un rôle inférieur, mais il introduisit également une argumentation d'ordre racial. De même que la femme s'opposait à l'homme, le Juif contrastait avec l'Aryen. Les traits de caractère des Juifs étaient assimilés à ceux des femmes: tous se préocuppaient des choses matérielles aux dépens des intérêts spirituels, et tous transformaient de la même façon l'amour en désir sexuel. Cependant, alors que la femme ne venait qu'en seconde position par rapport à l'homme dans un contexte racial, le Juif, qu'il soit homme ou femme, était inférieur à l'ensemble de la race aryenne.."

    "L'organe le plus important de la pensée völkisch [était] le journal Deutschlands Erneuerung ("Renouveau de l'Allemagne"), publié à Munich sous la direction de Julius Friedrich Lehmann, un proche de Hitler depuis les premiers jours. Ce journal avait acquis une telle réputation que tout théoricien important du mouvement völkisch, quelle que soit sa tendance particulière, y contribua."

    "L'expérience des soldats du front avait renforcé l'idée que le Bund d'hommes, animés d'un même esprit, versant leur sang ensemble, était la seule forme d'organisation sociale envisageable après la catastrophe."

    "L'affirmation des survivants völkisch selon laquelle ils s'opposèrent au régime d'Hitler semble exagérée. Ces hommes contribuèrent à diffuser l'idéologie völkisch, tentèrent de détruire la République, apportèrent leur aide à la montée du pouvoir de Hitler et ne se retournèrent contre lui que lorsqu'il devint la principale menace à leurs aspirations, lorsqu'il se révéla être un rival."

    "Le DNVP [Deutschnationale Volkspartei ; Parti populaire national-allemand] était un grand parti politique, qui recueillait à son apogée quelque six millions de suffrages. L'analyse de l'influence de la pensée völkisch sur le DNVP est ainsi de la plus haute importance, dans le sens où elle révèle à quel point cette idéologie avait pénétré dans la droite "respectable". [...] En 1921, la faction völkisch avait obtenu que le parti désigne officiellement les "principes germano-völkisch" comme fondement de sa philosophie. Les sections locales, plus proches de la base, instituèrent des exigences discriminatoires et, en 1923, au moins six grandes sections avaient éliminé leurs Juifs. Un an plus tard, de telles attitudes avaient pris des dimensions nationales. [...] En étroite collaboration avec la propagande raciste du NSDAP dont les tracts antisémites étaient littéralement copiés par les conservateurs, le DNVP fit de l'antisémitisme un élément central de son succès politique."

    "Paul Bang [...] représentait l'élément völkisch extrémiste au sein de la direction [du DNVP]. [...] Sous le nom de Wilhelm Meister, il rédigea l'une des attaques völkisch les plus déchaînées contre les Juifs: Judas Schuldbuch ("Le livre des crimes juifs"). Il condamnait les Juifs, responsables de tous les crimes et notamment des crimes économiques. Selon lui, le commerce international n'était rien de plus qu'une forme de nationalisme juif. [...] Le libre-échange était l'opposé matérialiste de la liberté.
    Estimant qu'une économie autarcique résoudrait les problèmes de l'Allemagne, Bang réclamait un retour aux idées mercantilistes [...] Sa théorie de l'autosuffisance supposait l'expansion des frontières de l'Allemagne afin que la nation soit suffisament vaste pour soutenir un marché intérieur croissant. [...] Les Juifs, adeptes du libre-échange, ne pouvaient ainsi que contrarier la véritable spiritualité du Volk. [...] Rien [...] ne pouvait mieux démontrer l'orientation völkisch du DNVP que cette théorie économique, car elle était partagée par le mouvement tout entier."

    "Hindenburg [...] croyait le NSDAP plus socialiste que nationaliste."

    "Lorsqu'on était membre du DNVP, on était pas considéré comme un nazi bagarreur ou un fanatique völkisch. [...] Le DNVP attira dans ses rangs ou bénéficia de la sympathie de riches banquiers, industriels et membres des professions libérales qui n'auraient pas envisagé de dîner avec Hitler."

    "Tout au long de l'histoire et dans tous les pays, les associations d'anciens combattants ont eu tendance à devenir des groupes de pression de droite. [...] Les vétérans veulent que leur nation demeure celle pour laquelle leurs frères sont morts et pour laquelle eux-mêmes ont souffert. [...] Les soldats allemands revinrent du front dans un pays qui avait subi une transformation effrénée. [...] La monarchie avait été remplacée par une république. Le désordre, les perturbations et la désillusion qu'ils découvrirent générèrent un puissant désir d'ordre et de stabilité."

    "Fondée en 1919, l'association d'anciens combattants la plus importante et la plus connue, le Stahlhelm, fut d'emblée considérée comme une réussite, bien que les chiffres concernant le nombre de ses adhérants varient d'une source à l'autre (l'organisation revendiquait un million de membres, alors que ses adversaires n'en reconnaissaient que la moitié). [...] [Les membres du Stahlhelm] avaient pour objectif de s'élever au-dessus de la structure politique existante. Ils avaient pour objectifs de représenter les intérêts de la patrie, pas simplement de parvenir au pouvoir. Leur dévouement s'exprima parfaitement dans une déclaration de la direction nationale de 1924 [...] "Le Stahlelm combat pour le Volk allemand et donc pour le renouveau de la race germanique ; il combat pour renforcer la conscience d'une identité allemande afin d'éliminer de la nation les influences raciales étrangères". [...] Cette politique fut appliquée par la suite lorsque le Stahlelm interdit progressivement aux Juifs d'être membres de ses sections." (p412.413)

    "Le plus grand syndicat de salariés de l'Allemagne, le Deutschnationale Handelsgehilfen Verban (DHV), dériva lui aussi vers la solution völkisch. [...] Fondée en 1895 pour organiser les employées du commerce, ce syndicat connut un rapide succès et put bientôt s'enorgueillir d'effectifs élevés, ainsi que de ressources financières considérables. [...] Avant la guerre, le DHV avait noué d'étroites relations avec les Pangermanistes, les deux associations étant favorables à une politique étrangère plus active et plus impérialiste. [...] L'antisémitisme völkisch était un élément central de la structure et de l'existence du DVH. [...] Ce que le syndicat soutenait, il le mettait en application. Il fut interdit aux Juifs d'être membres et, dans les conflits du travail, les employeurs juifs étaient combattus avec une véhémence particulière. [...] Les membres du DVH souhaitaient être considérés comme des bourgeois, non comme des prolétaires. Ils étaient employés dans le secteur commercial et estimaient à ce titre n'être pas membres de la classe ouvrière "classique". Leurs conceptions étaient celles de petits bourgeois: ils étaient obsédés par la préservation de leur statut et la hantise de sombrer dans le prolétariat."  (p419).

    "En 1931 [...] des émeutes estudiantines antisémites éclatèrent à Vienne, Berlin, Cologne, Greifswald, Halle, Hambourg, Breslau, Kiel, Königsberg, et Munich. Aucun région ne fut épargné."

    "Carl Schmitt et Oswald Spengler, chacun à sa façon, affirmèrent que le gouvernement parlementaire bourgeois était devenu une institution de classe limitée, défendant des intérêts privés [...] Les deux auteurs exprimaient les sentiments de leur époque. [...] Ces idéologues préconisaient tous une forme modifiée de la volonté générale de Rousseau. [...] Les membres d'une nation n'étaient pas considérés comme des sujets individuels, mais comme des membres du corps social. Les individus faisaient partie intégrante d'une "personnalité" fictive, la corporation, qui parlait d'une seule voix pour représenter les intérêts de tous. [...] Il n'était donc nul besoin d'organes représentatifs."

    "Dans son aversion pour tout ce qui est matériel et concret, la théorie économique völkisch n'avait jamais pu dépasser l'opposition au "complot capitaliste international" (bourgeois ou juif) et au "complot bolchevique international". Sa réalisation économique la plus sophistiquée avait consisté à définir la productivité comme le travail d'artisans habiles et à condamner l'argent et les intérêts comme improductifs. [...] Les problèmes n'étaient jamais posés en terme concrets, mais toujours en termes de conflits d'identité et de valeurs spirituelles."

    "Dans les Quatorze thèses de la révolution allemande (1929), qui après sa rupture avec Hitler servit de manifeste et de programme à la faction du Front noir, Otto Strasser définit clairement l'importance de sa volonté de procéder à un changement social socialiste. Il y résumait en trois point principaux le programme de son groupe: nationaliste, contre l'asservissement de l'Allemagne ; socialiste, contre la tyrannie de l'argent ; völkisch, contre la destruction de l'âme allemande." (p.460)

    "Otto Strasser réfuta l'inviolabilité de la propriété privée, prônant même la nationalisation totale de la terre [...] Rappelons que la nationalisation des terres était devenue une demande völkisch ordinaire et que les groupes utopistes avaient tenté de mettre en pratique la communauté des biens."

    « Hitler devint un orateur völkisch après la guerre, mais auparavant déjà il avait entretenu des contacts avec des groupes völkisch. Sa vie à Vienne, marquée par la misère, le mit en relation avec ces mouvements, grâce auxquels il avait le sentiment d’appartenir à une élite […] il subit l’influence de Dietrich Eckart, dont il demeura proche jusqu’en 1923, date de la mort de ce dernier. Cette importante personnalité du mouvement völkisch joua un rôle clé dans la formation des attitudes politiques de Hitler. Au moment de leur rencontre, Eckart était le rédacteur en chef de Auf Gut Deutsch, une revue qui attirait les principaux écrivains du mouvement völkisch. […] Il présenta ensuite Hitler à Alfred Rosenberg qui, à sa façon bornée et pédante, entretint l’élan antisémite du parti comme un élément indispensable de l’idéologie. »

    « L’immense popularité dont bénéficièrent les œuvres littéraires que nous avons analysées, les modes de pensées affichés par les peintres et par la jeunesse, tout cela témoigne du fait que l’antisémitisme ne dépendait pas d’une crise passagère, mais imprégnait toutes les questions nationales. […] Hitler promit seulement de réaliser une conception de la vie qui avait imprégné une grande partie de la nation bien avant qu’il n’entre en scène. » (p.480)

    « Hans F. K Günther devint le principal avocat de la doctrine de la race […] Ses livres remportèrent un grand succès et, avant la prise du pouvoir par Hitler, l’auteur reçut une chaire à l’université d’Iéna où les étudiants lui réservèrent un accueil enthousiaste. […] Il plaçait les Aryens au sommet de l’évolution raciale. Ils étaient les plus purs, les plus beaux, les plus créateurs […] les échelons inférieurs étaient occupés par les Juifs, qui différaient nettement des Nordiques. Leur apparence extérieure, caractérisée par des corps avachis, des épaules voûtées, une tendance à l’obésité et des lèvres épaisses, lascives et sensuelles, était à l’opposé de l’Allemand svelte, d’une beauté sculpturale. »

    « Heinrich Himmler, qui croyait en l’existence du karma, se prenait pour la réincarnation d’Henri Ier dit l’Oiseleur. En fait, toute sa pensée était imprégnée du mysticisme de la nature. Hitler n’en était pas exempt non plus. »

    « La révolution [hitlérienne] fut antibourgeoise dans la mesure où elle était dirigée contre le Juif ; elle fut anticommuniste en s’attaquant à la fois aux Juifs et aux marxistes allemands, en les associant dans un complot judéo-marxiste. »

    « Même les journaux français les plus antisémites reculaient devant des idées « officiellement » acceptées en Allemagne. »

    « De nos jours aussi, lorsque le mouvement völkisch encore existant se drape dans le manteau de la « nouvelle Europe », l’idéologie est toujours celle du Volk, liée à une conception mystique de la nature d’une part, du cosmos de l’autre. Rien n’a changé, si ce n’est une référence rhétorique à l’unité européenne. » (p.501)
    -George L. Mosse, Les Racines intellectuelles du Troisième Reich. La Crise de l'idéologie allemande, Calmann-Lévy, 2006 (1964 pour la première édition britannique), 511 pages.



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    George L. Mosse, Les Racines intellectuelles du Troisième Reich. La Crise de l'idéologie allemande + De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes Empty Re: George L. Mosse, Les Racines intellectuelles du Troisième Reich. La Crise de l'idéologie allemande + De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 9 Avr - 16:50

    « L’historien se révèle un intentionnaliste avant la lettre (il le restera), et dans une certaine mesure aussi un adepte du Sonderweg, d’un « chemin séparé » de l’Allemagne dont les racines sont à chercher, d’après lui, dans le romantisme allemand et les modalités de l’unification bismarckienne. » (p.V)

    « L’historiographie actuelle des fascismes, anglo-saxonne, italienne, allemande (cette dernière plus tardivement il est vrai), a été imprégnée en profondeur par l’approche qu’en a fait George Mosse entre les années 1960 et les années 1980. » (p.VII)

    « En 1985 toutefois, avec Nationalism and Sexuality, l’historien, alors âgé de près de 70 ans, paraît avoir imprimé à sa démarche une nouvelle inflexion. » (p.X)

    « Idée simple [la brutalisation]. Idée qu’aucun historien n’avait émise, à ma connaissance, avant lui. » (p.XIV-XV)
    -Stéphane Audoin-Rouzeau, préface à George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, 1999 (1990 pour la première édition britannique), 291 pages.

    -Steven E. Aschheim [ancient étudiant et ami de Mosse], « George Mosse at 80: A Critical Laudatio”, Journal of Contemporary History, vol. 34, n°2, avril 1999, p.225-312.

    « Comment les hommes ont fait face aux guerres modernes, quelles ont été les conséquences politiques de leur réaction, tel est le sujet de ce livre. » (p.7)

    « Quelque dix millions d’hommes moururent pendant la Première Guerre mondiale alors que Napoléon, lors de la campagne de Russie, la plus sanglante jusqu’alors, perdit 400 000 hommes. […] La guerre franco-prussienne (1870-1871), la plus importante du XIXe siècle, tua 140 000 Français et 44 780 Prussiens. » (p.Cool

    « Un autre aspect de la vie de tranchées marqua les combattants : la camaraderie unissait les hommes d’un même peloton, qui partageraient tout et étaient dépendants les uns des autres pour survivre. Cela fut ressenti, rétrospectivement, comme une expérience positive car, déjà avant la guerre, nombreux étaient ceux qui rêvaient, en ce monde moderne, d’une vie communautaire constructive qui leur offrirait un antidote au sentiment de plus en plus envahissant de solitude. » (p.10)

    « La réalité de la guerre en vint à être transformée en ce que l’on pourrait appeler le mythe de la guerre qui en faisait, rétrospectivement, un événement doté d’un sens sacré. Cette vision se développa surtout, mais pas exclusivement, dans les pays vaincus auxquels elle était particulièrement nécessaire. » (p.11-12)

    « Par le mythe qui l’auréolait, la guerre fut sacralisée mais, en même temps, elle fit l’objet d’une entreprise de banalisation qui l’associait aux problèmes de la vie quotidienne, au théâtre populaire, au tourisme des champs de bataille. […]
    Si les anciens combattants regrettèrent ce phénomène, les plus jeunes y furent particulièrement sensibles. » (p.12)

    « L’histoire de l’engagement volontaire peut s’écrire en continuité depuis la Révolution française jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. […]
    Pourquoi de si nombreux jeunes hommes se précipitent-ils sous les drapeaux, désireux d’affronter la mort et de s’acquitter de leur devoir en prenant les armes alors que rien de tel ne s’était produit avant la Révolution française ? » (p.19)

    « La plupart de cette première vague de volontaires étaient des citoyens très motivés issus de la bourgeoisie. Leur nombre exact n’est pas facile à établir car le terme de « volontaire » avait alors un usage assez flou -souvent confondu avec « conscrit »- mais il dépassait sans doute les 220 000 hommes. En tout cas, des hommes issus d’une classe sociale qui ne s’était jamais battue jusqu’alors (à quelques exceptions près) s’engagèrent et, si les vagues suivantes devaient refléter plus significativement la composition réelle de la population, l’armée garderait un noyau de bourgeois cultivés, aptes à créer et proclamer le mythe de la guerre. En 1793, seulement 11% des volontaires provenaient de la classe moyenne urbaine ; 68% étaient des paysans.
    Les volontaires n’étant pas assez nombreux pour repousser la coalition royaliste qui envahissait la France, en 1793, l’Assemblée législative proclama la levée en masse, c’est-à-dire la conscription générale de la population masculine capable de porter les armes. » (p.20-21)

    « La légende des engagés bourgeois maîtrissant la culture et la parole, particulièrement forte en Allemagne, date de 1813 avec la guerre de libération contre Napoléon où se battirent trente mille volontaires. La réalité était différente : seuls 12% d’entre eux appartenaient aux classes cultivées ; 40% étaient des artisans, 15% des paysans ou forestiers. » (p.21)

    « Si dans l’ancienne France, des pancartes avaient interdit l’entrée des lieux publics aux « chiens, aux prostituées et aux soldats », un placard jacobin proclamait que « la profession des armes, autrefois considérée comme indigne, est aujourd’hui honorable ». » (p.23)

    « Dans son poème « L’appel aux armes » (Aufruf, 1813), Theodor Körner déclare que la guerre allemande de Libération fut une croisade menée par le peuple, étrangère aux intérêts monarchiques. Bien que cela ne correspondit nullement à la réalité des faits (après tout, les volontaires avaient attendu la déclaration de guerre du roi de Prusse pour se battre), Frédéric-Guillaume III dut faire face à ce mythe puissant. […] Le loyalisme des hommes se déplaça de la dynastie régnante vers la patrie. » (p.25)

    « A l’époque, les sentiments et les émotions étaient moins enfouis qu’aujourd’hui et l’expression de l’amour, de la joie et de la tristesse moins retenue. » (p.27)

    « L’idéal de virilité, en tant que symbole de régénération personnelle et nationale, va nous accompagner tout au long de ces pages. » (p.28)

    « Le mythe de la camaraderie de guerre était prometteur d’un mode de relations pleines de sens, dans une société de plus en plus abstraite et anonyme. » (p.31)

    « Ce désir de vivre l’exceptionnel, d’accomplir une mission sacrée transcendant le moderne quotidien se retrouve tout au long de l’histoire de l’engagement volontaire. » (p.32)

    « Schiller, dans son Reiterlied, écrivit que le soldat est le seul être libre (puisqu’il affronte la mort) dans un monde divisé entre maîtres et esclaves. » (p.34)

    « La valeur morale que les Romains accordaient aux morts pro patria fut reprise [pour la Révolution française], pour définir ainsi un patriotisme non entaché de christianisme.
    L’Allemagne, en revanche, puisa dans le seul christianisme des thèmes propres à justifier la guerre de Libération et à masquer sa réalité. » (p.43)

    « Cette nationalisation de la mort marqua une étape importante dans la création du culte du soldat tombé au champ d’honneur. Le projet d’un immense tombeau collectif conçu par l’architecte français Pierre Martin Giraud (1801) illustre bien cette tendance. » (p.46)

    « Pour la première fois, le simple soldat était l’objet d’un culte et non plus seulement les généraux, les rois ou les princes. » (p.47)

    « Les citadins avaient vécu dans la familiarité de la mort mais le besoin de la bannir et de la masquer fut un des facteurs qui, à la fin du XVIIIe siècle, fit sortir les cimetières du cœur des villes et des enclos des églises. Ce déplacement accompagnait un changement d’attitude face à l’hygiène et une nouvelle conception de la mort. » (p.48)

    « L’influence du siècle des Lumières, qui voyait dans la mort un repos et non un passage vers de terribles épreuves, se conjugua avec celle du romantisme. Au Père-Lachaise [ouvert en 1804, devenant un modèle pour toute l’Europe], la mort, intégrée à un paysage enchanteur, perdit son dard douloureux. » (p.50)

    « Par une loi du 29 décembre 1915, la France devint le premier pays d’Europe à attribuer une sépulture à tous les morts de guerre ; les autres nations suivirent bientôt son exemple. […] Le cimetière militaire, réservé aux héros de la nation, devint dans bien des cas le symbole crucial du mythe de la guerre. » (p.56-57)
    -George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, 1999 (1990 pour la première édition britannique), 291 pages.



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