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    Christopher Booker & Richard North, La Grande Dissimulation

    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Mer 26 Oct - 17:35

    "La guerre civile est bien la pire des guerres."
    -Jacques Sapir, préface à Christopher Booker & Richard North, La Grande Dissimulation, L'Artilleur, coll. "Interventions", 2016 (2003 pour la première édition anglaise), 832 pages, p.10.

    "Ce livre narre l'histoire du projet politique le plus extraordinaire de l'histoire. Modeste au départ, il prit de l'ampleur jusqu'à rassembler, à l'aube du XXIème siècle, plus des deux tiers des pays d'Europe au sein d'une construction radicalement nouvelle." (p.20)

    "Le 11 novembre 1918, le monde d'hier n'était plus que ruine. Quatre grands empires avaient mordu la poussière: l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Russie et l'Empire ottoman avaient sombré." (p.27)

    "Au milieu des années 1920, l'humanité semblait se diriger vers un nouveau monde. Baignant dans un idéalisme euphorique, des politiciens de premier plan, des hommes d'affaires et des intellectuelles furent saisis d'une vision enivrante: construire des "Etats-Unis d'Europe". En 1918, avant même que la guerre fût achevée, l'industriel italien Giovanni Agnelli, fondateur de l'empire Fiat, avait publié un livre intitulé Fédération européenne ou Ligue des Nations ? Pour lui, seule une Europe fédérale pourrait protéger du nationalisme destructeur.
    Le jeune comte Richard Coudenhove-Kalergi, né à Tokyo en 1894 d'un diplomate de l'ambassade d'Autriche-Hongrie et d'une mère japonaise, sut saisir l'esprit du temps. En 1922, alors qu'il n'avait pas trente ans, il publia son ouvrage Paneuropa, lançant le mouvement du même nom. A l'instar de Louis Loucheur, il voyait dans la fusion des industries de charbon et d'acier allemandes et françaises la base pour la création d'une industrie "paneuropéenne" unique. Ceci constituerait le socle pour des "Etats-Unis d'Europe" fédéraux, sur le modèle américain. Deux ans plus tard, il fit sienne l'idée d'un économiste français: Charles Gide: l'Europe devrait former une union douanière. Pour Coudenhove, le but de sa fédération n'était pas d'éradiquer les identités nationales, ni même de réduire la souveraineté de ses membres, mais de célébrer "l'esprit de l'Europe", en créant une structure de coopération au service du bien commun. Il reçut le soutien de Kurt Tucholsky, un des intellectuels de gauche dominants de la République de Weimar.
    Le plus grand succès pour Condenhove fut de séduire les politiciens, qu'ils fussent au Gouvernement ou demeurassent simples édiles, tel le maire de Cologne, Konrad Adenauer. Gustav Stresemann se rallia bien sûr au projet. Son parti accepta d'intégrer le projet des "Etats-Unis d'Europe" à son programme officiel. Il fut rejoint dans cette cause par le Premier ministre français Edouard Herriot, jadis brièvement ministre des Munitions pendant la bataille de Verdun (en 1931, ce dernier publia un livre intitulé
    Les Etats-Unis d'Europe) ainsi que par Léon Blum. Cependant, le défenseur le plus acharné de la Pan-Europe fut Aristide Briand, qui fût onze fois président du Conseil.
    Ce fut l'engagement de ces deux acteurs de premier plan unis dans une vision commune paneuropéenne qui inspira à Winston Churchill, alors chancelier de l'Échiquier, ce discours à la chambre des communes du 25 juin 1925: "[...] l'objectif de clore la querelle millénaire entre la France et l'Allemagne semblait être une nécessité impérieuse. Si seulement nous pouvons lier le Gaulois et le Teuton de manière si intime sur le plan économique, social et moral afin d'empêcher l'émergence de nouvelles querelles et pour liquider les antagonismes d'antan en permettant la réalisation de la prospérité mutuelle et de l'interdépendance, l'Europe renaîtrait de ses cendres.".
    " (p.31-32)

    "En 1318, exilé de Florence, le poète et d'Etat Dante Alighieri avait étudié dans son traité De Monarchia la manière dont l'Europe pourrait surmonter les guerres incessantes. En tant qu'admirateur du Saint Empire romain germanique, il suggéra qu'il devrait exister un "empire" qui dominerait les nations et aurait le pouvoir de contrôler leurs actions dans l'intérêt commun. Un tel pouvoir serait "supranational".
    Au fil des siècles suivants, de nombreux penseurs réfléchirent à l'unification de l'Europe. Le dernier fut le révolutionnaire Proudhon. A la fin de sa vie, il publia
    Le Principe fédéral (1863). Il y attaquait le nationalisme comme un mal suprême conduisant à la guerre et y estimait que les Etats-nations devraient être démembrés pour être remplacés par des Gouvernements régionaux." (p.35)

    "Monnet est né à Cognac en 1888 d'un père distillateur de cognac aisé. Il quitta l'école à 16 ans sans diplôme pour travailler dans l'entreprise de son père, J.G. Monnet. Après un court apprentissage, il en devint le représentant à l'étranger, passant plus de temps en Amérique du Nord, en Angleterre, en Scandinavie, en Russie et en Égypte qu'en France." (p.37)

    "En 1916, l'année de Verdun, Monnet travaillait à Paris en tant que chef de cabinet du ministre de l'économie français Clémentel. Plus tard, il raconta son choc à la découverte de l'état de désorganisation dans lequel se trouvait la marine commerciale française. Loucheur dressait le même constat en matière de production des munitions. Le Gouvernement français n'avait même pas réussi à s'arroger le pouvoir de réquisitionner des navires pour l'effort de guerre. Monnet explique comment il acquis la conviction que l'organisation des convois était devenue "le nerf central de l'organisation économique des Alliés".
    En 1917, des réunions se tinrent à Paris pour améliorer la situation. Monnet en profita pour revoir Salter, qui se remémora ultérieurement leur rôle central lors d' "un diner en petit comité en octobre 1917". La principale mesure qui y fut prise fut la création d'un Conseil interallié des Transports maritimes, chargé de la coordination des convois alliés grâce à la coopération entre les Gouvernements britanniques, français et américains. Monnet aurait voulu aller plus loin. Il plaida pour la création d'un "conseil international" doté des pleins pouvoirs pour gérer les transports maritimes des alliés. Bien qu'il n'obtient pas satisfaction, il avait conçu pour la première fois de sa vie une entité "supranationale". Il était particulièrement séduit par cette idée. [...]
    Lorsque la guerre s'acheva et que les hommes d'Etat et les fonctionnaires des puissances victorieuses se réunirent à la conférence de paix de Paris, Monnet réussit à se trouver de nouveaux alliés, tels le juriste américain John Foster Dulles. A force de grenouillages, le Français devint le secrétaire général adjoint de la jeune Société des Nations, sous les ordres du Britannique sir Eric Drummond
    ." (p.38-39)

    "En 1932, son rôle de banquier l'amena à passer une année en Chine. Salter s'y était déjà rendu au nom de la Société des Nations pour conseiller le Gouvernement et réorganiser le système ferroviaire. Monnet assura le montage financier de ce projet. Dans le monde effréné et corrompu du Shanghai des années 1930, Monnet négocia des crédits substantiels octroyés au Gouvernement de Tchang Kaï-chek. Certaines de ces opérations étaient clairement douteuses. Lorsqu'il constata l'impuissance de la Société des Nations à empêcher la Chine de sombrer dans la chaos, il réaffirma sa conviction selon laquelle la paix et la sécurité internationales ne pourraient être garanties que par des institutions supranationales.
    Si Monnet s'était plongé dans l'affairisme, Salter réfléchissait aux moyens de créer les "Etats-Unis d'Europe". En 1931, il publia une collection d'essais sous le titre
    The United States of Europe. Il y évoquait la possibilité de bâtir une Europe fédérale à l'intérieur même des structures de la Société des Nations, devenue européanocentrée. Salter espérait en faire le noyau d'une Europe politiquement unie. Dans un essai intitulé The United States of Europe's Idea, il mentionnait le cas de l'unification politique allemande du XIXème siècle suite à un Zollverein, un "marché commun"." (p.41)

    "Salter avait même envisagé d'éroder le nationalisme en divisant les Etats membres en régions. Il modifia juste le terme de "Secrétariat" pour adopter celui de "Commission européenne", emprunté à l'initiative de Briand." (p.43)

    "Le 13 décembre 1941, alors que les armées d'Hitler étaient aux portes de Moscou, le magazine Picture Post, hebdomadaire britannique alors à son apogée, mit en exergue un article de son propriétaire Edward Hulton intitulé "Comment les nazis promettent à l'Europe un nouveau paradis".
    Dans cet article, Hulton décrivait "une grande assemblée d'Etats fantoches" à Berlin. Les nazis y avaient évoqué leur intention "d'unifier l'Europe afin d'en faire l'entité économique la plus riche du monde". Un des principaux décideurs économiques allemand, Werner Daitz, avait ainsi déclaré: "Jusqu'à maintenant, l'Europe a été incapable de tirer tous les avantages de ses opportunités naturelles admirables. Ceci est dû au refus des Etats de travailler ensemble". Néanmoins, sous la tutelle de "l'ordre nouveau" nazi, une Europe unie "userait de sa force économique comme d'un levier politique" pour prendre la place qui lui revenait sur la scène mondiale. Afin d'illustrer le plan nazi pour une "nouvelle Europe", le magazine publia une carte d'un système ferroviaire transnational tout en citant Joseph Goebbels: "une Europe sans frontières pourra employer à bon escient ses infrastructures de communication".
    " (p.44-45)

    "Coudenhove rencontrait toujours plus de difficultés pour mener campagne en faveur des "Etats-Unis d'Europe" bien qu'il ait continué sans faiblir, même après l'Anschluss. Alors que la montée en puissance du nazisme chassait l'idée fédérale en dehors de l'Europe continentale, cette idée refusait de mourir. Elle se réfugia plutôt en Grande-Bretagne. [...]
    Le "groupe Milner", largement constitué de hauts fonctionnaires, avait popularisé en 1910 l'idée de fédéraliser l'empire britannique à travers son journal
    Round Table. Son éditeur, Philip Kerr (plus tard connu sous le nom de lord Lothian), était persuadé qu'il s'agirait de la première étape vers la constitution d'un fédéralisme mondial. D'autres personnalités célèbres, tels Bertrand Russell et H.G. Wells, avaient souligné la nécessité d'établir un Gouvernement mondial, organisé sur une base fédérale.
    Un des membres du groupe Milner les plus influents était Lionel Curtis. Il fut en 1919 un des membres clés de la délégation britannique à la conférence de Paris. A cette occasion, il avait invité un nombre important de délégués britanniques et américains à former la société anglo-américaine. Deux "comités de réflexion" en émergèrent. Ils jouèrent un rôle majeur pour populariser l'idée de l'intégration européenne dans les décennies qui suivirent. Le premier de ces comités était le Royal Institute of International Affairs, connu sous le nom de Chatham House, et établi par Curtius à Londres en 1920. Son homologue à Washington était le Council on Foreign Relations (CFR).
    En 1940, Coudenhove s'exila à New York. Ce fut le CFR qui lui décrocha un poste à l'Université de New York. Il y fut chargé des séminaires sur la question de la fédération européenne. Grâce à ses amis du CFR, il bénéficia d'une bonne couverture de la part du
    New York Times et du New York Herald Tribune. Il familiarisa ainsi l'opinion publique américaine avec l'idée des "Etats-Unis d'Europe". [...]
    Dès 1933, un universitaire socialiste, Harold Laski, publia un tract,
    The Intelligent Man's Way to Prevent War. Pour lui, la paix ne "pourrait pas être construite en s'appuyant sur un système d'Etats souverains séparés"." (p.47-48)

    "A la suite de l'accord de Munich et de l'abandon par Chamberlain de la Tchécoslovaquie, l'idée de créer une union fédérale gagna en popularité en Angleterre. Curtis, Lothian et l'historien Arnold Toynbee, alors directeur des études à Chatham House, la défendirent. En juillet 1939, Toynbee écrivit un mémorandum, First Thoughts on a Peace Settlement: face à l'imminence de la guerre, l'Angleterre et la France devraient fusionner en une union politique. [...]
    Le ministre des Affaires étrangères, lord Halifax, comme son sous-secrétaire d'Etat sir Alexander Cadogan et le Premier Ministre Chamberlain approuvèrent ce texte. Le président du Conseil français Edouard Daladier en accepta le principe mais sa chute coupa court aux négociations.
    ." (p.49-50)

    "Au début de la guerre, selon Salter, Keynes le rencontrait chaque semaine à son domicile. Ils étaient rejoints par William Beveridge, fonctionnaire, futur père de l'Etat-providence de l'après-guerre, ainsi que l'économiste Walter Layton, ancien collaborateur de Salter à la SDN. De 1923 à 1939, Layton, un libéral, avait été un rédacteur en chef influent de The Economist. Il demeurait fervent partisan d'une Europe fédérale et n'abandonnerait pas cette croisade dans l'après-guerre." (p.50)

    "Entre 1940 et 1943 (puis en 1944-195), Monnet vivait à Washington où sa facilité à établir des contacts fit merveille pour se concilier le juge de la Cour suprême Felix Frankfurter ainsi que Dean Acheson, futur secrétaire d'Etat américain. Les deux hommes seraient des soutiens actifs à la campagne intégrationniste européenne de l'après-guerre. Monnet y rencontra Paul-Henri Spaak, Premier ministre belge de l'avant-guerre, et lui expliqua de manière grossière ses plans pour une union du charbon et de l'acier. Ce fut le début d'une alliance personnelle qui façonnerait l'Europe de l'après-guerre." (p.54)

    "Des personnes de moindre importance dans la hiérarchie nazie réfléchissaient au type d'unité à laquelle l'Europe pourrait aspirer une fois la guerre terminée. Parmi elles, Werner Daitz, un économiste nazi de premier plan. Il lança une société pour la planification économique européenne et la macroéconomie (Grossraumwirtschaft) et publia un livre: Ce que l'ordre nouveau en Europe apporte aux peuples européens. Il fut également l'un des principaux idéologues de l'époque en attaquant les notions "démodées" de la souveraineté nationale et de l'Etat-nation.
    Un autre fervent partisan de l'unité européenne était le ministre des Affaires étrangères d'Hitler, Joachim von Ribbentrop. En mars 1943, il proposa d'inviter l'ensemble des chefs d'Etats des pays occupés, ainsi que Franco, pour signer un document instaurant une "confédération européenne
    ". (p.56-57)

    "Goebbels reconnut que la rhétorique de "l'européisme" pourrait être un outil de propagande efficace. [...]
    Selon lui, il fallait créer une "identité européenne" en opposition aux cultures étrangères, qu'il s'agit de l'Angleterre, des Etats-Unis ou surtout de l'URSS de Staline. Plus la situation militaire allemande s'obscurcissait, plus de thème prit de l'ampleur. L'Allemagne fut présentée comme la protectrice de la culture européenne contre les barbares de l'Est. Un tel enthousiasme pour l'idéal européen relevait du stratagème pour encourager les pays occupés à fournir des volontaires à la Waffen-SS et pour mobiliser leurs économies contre les hordes bolcheviques dans une "guerre européenne de libération".
    " (p.59)

    "Un opposant fasciste à l'Etat-Nation, Camillo Pellizzi, rédacteur en chef du magazine [italien] Civilita Fascista, écrivait sous le titre: "L'idée de l'Europe":
    "L'Axe est, ou peut être, la première étape décisive pour dépasser [...] ce phénomène européen typique que nous appelons la nation [...] Il est impossible de "créer l'Europe" sans les nations ou contre elles: nous devons la créer à partir des nations différentes tout en détruisant les particularismes nationaux autant que nécessaire".
    Dans les territoires occupés, nombreux furent les partisans de longue date de l'unité européenne qui étaient désormais convaincus que la collaboration était un moyen pour arriver à leurs fins. Ce fut le cas de Jacques Benoist-Méchin, secrétaire d'Etat pour les relations franco-allemandes de juin 1941 à septembre 1942 mais aussi de l'écrivain et philosophe [sic) Pierre Drieu La Rochelle, thuriféraire de l'unité européenne depuis le début des années 1920
    ." (p.61)

    "Les partisans les plus virulents de l'unité européenne furent les communistes italiens qui formaient le noyau dur du mouvement antifasciste.
    La figure majeure qui devait à terme apporter une contribution très significative au développement de l'Union européenne fut Altioro Spinelli. Né à Rome en 1907, il rejoignit les communistes à l'âge de 17 ans et s'opposa au fascisme de Mussolini. En 1928, il fut arrêté et emprisonné. Deux ans plus tard, il fut finalement envoyé dans une prison sur l'île méditerranéenne de Ventotene, à l'est de Naples.
    En prison, il rompit avec le communisme et embrassa la cause de l'unité européenne. Avec l'aide de son camarade de prison, Enersto Rossi, il rédigea en 1941 le texte qui devait rester sous le nom de
    "Manifeste de Ventotene". Celui-ci devint l'un des textes fondateurs du fédéralisme européen." (p.62)

    "Dans l'idée de Spinelli, la démocratie était réduite à la portion congrue. "Pendant des périodes révolutionnaires, lorsque les institutions ne sont simplement administrées mais créées, martelait-il, les procédures démocratiques sont condamnées à un échec lamentable". [...]
    En d'autres termes, le peuple ne devait pas être impliqué dans le processus de construction du nouvel Etat
    ." (p.64-65)

    "En juillet 1941, le manifeste de Spinelli fut diffusé sous le manteau sur tout le continent. La résistance italienne, dominée par le Parti communiste, l'adopta. En 1943 naquit le mouvement fédéraliste européen. Il transmit le message à d'autres groupes, organisant une série de rencontres en Suisse pour aboutir à la première conférence majeure à Genève en juillet 1944." (p.65)

    "Monnet put retourner en France en novembre 1945. En charge du nouveau commissariat au Plan, il pilota le programme de reconstruction et de modernisation sur quatre ans. [...] le "plan Monnet" était fondé sur la planification étatique, les contrôles et une nationalisation de grande ampleur touchant notamment la Banque de France et les réseaux ferrés. Après que de Gaulle eut abandonné son poste en janvier 1946, Monnet devint l'homme le plus puissant en France." (p.74)

    "En 1946 l'une des équipes de chercheurs du CFR [Council on Foreign Relations], dirigée par David Rockefeller et Charles M. Spofford, un avocat émérite, élabora un document intitulé La Reconstruction de l'Europe. Celui-ci circula très largement au sein des cercles gouvernementaux américains. En mars 1947, à la demande insistante de Coudenhove, deux sénateurs, William Fulbright et Elbert D. Thomas, pilotèrent l'adoption d'une résolution pour que "le Congrès soit favorable à la création des Etats-Unis d'Europe".
    Afin d'attirer les bonnes grâces du public, les membres du CFR orchestrèrent une campagne médiatique intense. Le 17 mars, le magazine
    Life, dont le rédacteur en chef, Henry Luce, était un membre de premier plan du CFR, claironnait: "notre politique devrait être d'aider les nations de l'Europe à se fédéraliser comme nos Etats se sont fédéralisés en 1787". Sumner Welles (CFR) du Washington Post, écrivit à Eugene Meyer, un autre membre du CFR: "L'Europe a désespérément besoin d'une forme de fédération politique et économique efficace". Le Christian Science Monitor de Boston, un autre fervent partisan du CFR, fit remarquer que: "les Etats-Unis ne pourraient certes pas imposer un Gouvernement fédéral à l'Europe mais [qu'] ils pourraient la mettre sur la voie [...] ils pourraient modeler ses politiques d'occupation et de prêt pour créer une économie continentale unique". Le New York Times, le porte-parole le plus influent du CFR, publia le 18 avril un éditorial sentencieux clamant que "l'Europe doit se fédérer ou mourir"
    ." (p.75-76)

    "On généralement dans le plan Marshall un geste altruiste des Etats-Unis pour aider leurs alliés occidentaux. Des intérêts commerciaux puissants le sous-tendaient cependant. L'Europe représentait pour l'Amérique un "marché énorme de plusieurs centaines de millions de personnes". Le soutenir ouvrait des occasions pour les industriels et fournisseurs américains à la recherche de débouchés une fois les dépenses d'armements taries. L'aide annoncée n'était pas uniquement financière. Elle incluait du blé, des machines et des véhicules fabriqués aux Etats-Unis. Les firmes américaines y virent une chance d'acquérir des ressources européennes à des prix minimes ; de Gaulle s'en émut. La faiblesse économique de l'Europe permettait au Gouvernement américain d'exercer une pression sur les Gouvernements européens afin qu'ils adoptent des règles de commerce plus "libérales".
    Dès ses origines, le plan Marshall compotait un volet politique majeur. Les conditions imposées aux pays bénéficiaires visaient délibérément à promouvoir une Europe fédérale, dont la création était devenue une sorte de Graal pour le département d'Etat américain. Les Etats-Unis en étaient devenus les propagandistes les plus zélés
    ." (p.80-81)

    "Pour les agents d'influence européistes [...] prétendre protéger l'Europe de la menace du communisme permettait de manipuler l'opinion politique américaine. John McCloy, futur Haut commissaire américain pour l'Allemagne (et futur président du CFR de 1953 à 1970), l'admit: "l'une des manières de s'assurer qu'un point de vue obtient l'attention qu'il mérite est de le reformuler en utilisant la rhétorique de la lutte contre l'expansion du communisme"." (p.83)

    "Peu de temps après [la conférence eurofédéraliste de] La Haye [de mai 1948], Retinger et Sandys partirent en quête de soutien aux Etats-Unis. Ils y rencontrèrent deux figures clés: l'un des fondateurs de la CIA, William J. Donovan, surnommé "Wild Bill", et son collègue Allen Dulles, futur chef de la CIA sous Eisenhower. Ces deux membres très expérimentés du renseignement américain avaient auparavant épaulé Coudenhove pour former un Comité pour une Europe libre et unie. A la suite de leur rencontre avec Sandys et Retinger, Coudenhove fut lâché. Le nouveau Comité américain pour une Europe unie (ACUE) fut porté sur les fonds baptismaux. Comme les recherches universitaires récentes l'ont prouvé, l'ACUE fut utilisée comme couverture pour transférer des fonds de la CIA, ainsi que des contributions de fondations privées (Ford ou Rockefeller), pour financer l'obsession du département d'Etat en faveur d'une Europe unie. [...]
    Les fonds de l'ACUE furent secrètement répartis entre de nombreux individus et organisations européistes. En bénéficièrent Paul-Henri Spaak, des syndicats ou des magazines britanniques très influents comme
    The Economist de lord Layton ou le mensuel intellectuel Encounter. Le principal récipiendaire des fonds de l'ACUE demeura le Mouvement européen. Entre 1949 et 1960, il fut maintenu à flot grâce aux 4 millions de dollars versés par la CIA, soit près des deux tiers de ses revenus." (p.86-87)

    "Pour l'Allemagne, le plan [Schuman] était un moyen de reprendre un contrôle partiel de son industrie. [...]
    En mars 1950, Adenauer avait proposé que la France et l'Allemagne s'unissent pour former une nation. Leurs économies seraient gérées en commun, leurs parlements fusionneraient et leur citoyenneté serait partagée
    ." (p.100)

    "Le ministre de la Défense [britannique] s'inquiétait de la menace que faisait peser le plan [Schuman] sur le potentiel guerrier du pays. Bevin opina, craignant qu'une économie britannique trop intégrée au continent ne puisse plus fonctionner si celui-ci était envahi. Le risque était trop important. Les objectifs centraux du plan qui le rendait si attractif pour ses partisans -l'élimination de la capacité militaire indépendante pour ses partisans- répugnaient aux Britanniques. Ce manque d'enthousiasme était très loin d'être irrationnel." (p.102)

    "Le "projet" développa bientôt son mythe des origines, ramenées à l'année 1945. Il prétendit ainsi avoir mis fin aux guerres européennes et se présenta comme une création moderne, plutôt que comme la manifestation d'un rêve ayant échoué dans les années 1920. Il usurpait les oripeaux de la nouveauté et du progrès, ce qui le poussa à cacher sa véritable origine.
    Dans les récits officiels, l'hagiographie règne. Monnet devint une figure visionnaire apparue au bon moment. Sa seule préoccupation avait été d'obtenir une paix durable. Spinelli fut présenté comme l'homme qui avait transformé l'UE en démocratie. Schuman fut honoré d'une plaque révérencieuse au Parlement européen de Strasbourg, le présentant comme le "père de l'Europe" plutôt que comme l'éphémère homme de paille de Monnet
    ." (p.110)

    "Monnet avait décidé que le plan Schuman devrait être élargi à la défense. Il planifia la future Communauté européenne de défense (CED). Celle-ci aurait créé une armée européenne, avec un ministre européen de la Défense, un Conseil des ministres et un budget et des armements communs. L'Allemagne aurait seulement le droit de participer à l'armée européenne alors que les autres puissances auraient pu maintenir des forces armées propres.
    Monnet négligea cette fois-ci Schuman, trop hostile au réarmement de l'Allemagne. Il se tourna vers René Pleven, jadis son assistant quand il était banquier. Heureusement pour Monnet, son ancien subordonné jouissait désormais d'une position d'autorité: il était devenu le Premier ministre français.
    La manipulation habituelle se répéta. Bien que la proposition fût entièrement de la main de Monnet, son idée devint le "plan Pleven". Pleven présente celui-ci à l'Assemblée nationale le 24 octobre 1950, où il fut approuvé à raison de 343 votes contre 220. [...]
    A la différence du plan Schuman, le plan Pleven ne fut pas bien reçu à l'étranger. Les Allemands préféraient que leurs forces fissent parties de l'Otan. Monnet voyait dans la CED "un Gouvernement capable de prendre les décisions suprêmes au nom des Européens". Pour cette même raison, De Gasperi, le Premier ministre italien, était favorable au nouveau plan. Pour lui, "l'armée européenne n'est pas une fin en soi ; c'est l'instrument d'une politique étrangère patriotique. Mais le patriotisme européen ne peut se développer que dans une Europe fédérale".
    Encore une fois, les Américains intervinrent par l'intermédiaire d'Eisenhower, désormais commandant suprême des forces terrestres de l'Otan. Rencontrant Monnet le 21 juin 1951, il accorda que la réconciliation franco-allemande ne serait atteinte qu'à travers une armée européenne. La guerre de Corée était entrée dans une phase critique. Comme prévu, la pression américaine en faveur du réarmement allemand s'était renforcée. Adenauer disposait d'une très large marge pour négocier. Il choisit de l'exploiter, proposant en échange de son soutien à la CED un "traité général". Ce texte reconnaîtrait la souveraineté allemande, accepterait que les contingents allemands dans la CED fussent traités sur un pied d'égalité, autoriserait l'adhésion de l'Allemagne de l'Ouest dans l'Otan, ferait cesser l'occupation alliée de son pays et conclurait un traité de paix. Bien que cette proposition fût ambitieuse, les Alliés l'acceptèrent rapidement et, fin novembre 1951, un projet de traité était prêt
    ." (p.113-114)

    "De Gaulle vitupérait contre "toutes les autres monstruosités supranationales" ainsi que contre "leur inspirateur", Jean Monnet. Parodiant amèrement Monnet, il persifla: "puisque la France victorieuse dispose d'une armée et que l'Allemagne vaincue n'en a pas, supprimons l'armée française". Il continua:
    "Après cela, nous devrons créer une armée de Français et d'Allemands sans Etat et comme il ne doit pas y avoir de Gouvernement au-dessus de cette armée, nous ferons un gouvernement sans Etat, une technocratie. Comme tout ceci ne plaira pas à tout le monde, nous peindrons une nouvelle enseigne et la nommerons "communauté" ; cela n'aura aucune espèce d'importance de toute façon dans la mesure où "l'armée européenne" sera placée à l'entière disposition du Commandant en chef américain."
    La défaite de Diên Biën Phu précipita la décision, le 7 mai 1954. Ce désastre entraîna la chute du Gouvernement. Le 17 juin, Laniel avait été remplacé par Mendès France, un homme qui avait une position très ambiguë vis-à-vis de la CED. Le traité fut proposé aux Six à Bruxelles le 3 août. Adenauer le rejeta immédiatement. Spaak, qui présidait la conférence, se livra à un plaidoyer quasi hystérique à destination de Mendès France afin qu'il apporte son soutien au traité, le saisissant par le bras, l'adjurant de modifier sa position:
    "La France sera complètement isolée... Vous serez seuls. Est-ce vraiment ce que vous voulez ? Nous devons, devons faire l'Europe. L'aspect militaire n'est pas le seul. Ce qui est important c'est l'intégration de l'Europe. La CED n'est que la première étape dans cette direction mais s'il n'y a pas de Ced, tout s'écroulera."
    Balayant d'un revers de main les accusations de Spaak selon lesquelles il n'aurait pas été un "bon Européen", Mendès France ignora également les objurgations des Américains et même de Churchill [...] Il présenta donc le traité à une assemblée hostile le 30 août 1954 sans lui accorder le moindre crédit. Après un débat orageux, où la question supranationale fut dominante, il fut rejeté par 319 votes contre 264. Le gouvernement de Mendès France s'abstint. La majorité triomphante chanta
    La Marseillaise à gorge déployée. La CED était morte. L'idée d'une Communauté politique retourna bientôt dans les limbes. Monnet et son supranationalisme avaient essuyé une défaite retentissante." (p.120-121)

    "Le président Eisenhower entra en scène à la demande de Monnet. Les Etats-Unis avaient conservé une distance bienveillante vis-à-vis d'Euratom. Un rôle trop actif aurait pu contrarier le Gouvernement français qui voyait dans le projet un moyen d'égaler la puissance industrielle américaine. Eisenhower annonça le 22 février 1956 que les Etats-Unis offriraient 20 tonnes d'uranium enrichi (soit l'équivalent de 40 millions de tonnes de charbon). Il fit clairement comprendre que l'uranium serait offert selon des termes préférentiels à Euratom. La condition en était qu'Euratom "exerçât une autorité commune et pût satisfaire aux obligations et aux responsabilités au même titre (sic) que des gouvernements nationaux". Encore une fois, les Etats-Unis avaient soutenu le supranationalisme." (p.138-139)

    "En France, lors de l'élection du 2 janvier [1956], les gaullistes perdirent 100 de leurs 120 sièges. Leur influence se réduisit comme peau de chagrin. Guy Mollet, le nouveau Premier ministre socialiste, était un supranationaliste engagé, ancien président de l'Assemblée du Conseil de l'Europe et membre actif du Comité d'Action de Monnet. Christian Pineau, son ministre des Affaires étrangères, était au diapason. Pourtant, la rébellion en Algérie détournait l'attention du public du marché commun. Le 7 février, Pineau annonça à l'ambassadeur américain "qu'un marché commun ne serait pas possible [...] à moins de pratiquer une pédagogie intensive à destination des Français."." (p.140)

    "[Fin décembre 1955] L'ensemble des ambassades britanniques reçurent comme instructions de soutenir le marché commun, pour complaire à Washington." (p.147)

    "Les traités d'Euratom et du marché commun furent signés par les représentants des six Gouvernements le 25 mars 1957, en un lieu soigneusement choisi: le Capitole à Rome, la cité qui pendant deux milles ans, sous l'Empire romain et la papauté, s'était trouvé au centre de l'histoire européenne.
    Le préambule débutait par une déclaration exprimant la détermination des "parties contractantes d'apposer les fondations d'une union toujours plus étroite entre les peuples d'Europe". Par bien des aspects, ce qui suivait prenait la forme non pas d'un traité mais d'une constitution. Les institutions d'un nouveau type de gouvernement y étaient définies, ainsi que leurs objectifs et leurs pouvoirs
    ." (p.151-152)

    "Le premier but de la "Communauté économique européenne" était d'établir un "marché commun" entre ses six membres. Il s'appuyait sur les "quatre libertés": liberté de mouvement à l'intérieur de ses frontières, des biens, des services, des gens et du capital. Mais ce nouveau "marché intérieur" ne fut jamais conçu dans l'optique de devenir une "zone de libre-échange". Les quatre libertés seraient mises en place de manière interne par un système de régulation sans cesse plus développé.
    Ce que le traité de Rome instituait ne fut jamais considéré par ses fondateurs comme autre chose qu'un embryonnaire "gouvernement de l'Europe". Son but ultime était bien l'intégration politique totale. Il entendait étendre les pouvoirs supranationaux afin d'atteindre ce but ultime. Il userait de moyens inspirés de la tactique de Monnet et de Spaak dite "de l'engrenage": une montée en puissance graduelle du processus d'intégration s'étendant dans des domaines toujours plus étendus
    ." (p.154-155)

    "A la fin de l'année 1958, un millier de fonctionnaires étaient à l'œuvre." (p.157)

    "L'enthousiasme de Kennedy en faveur de l'entrée de l'Angleterre fournissait à Macmillan la solution miraculeuse à ce qui avait semblé être un problème insoluble. L'entrée dans la CEE, loin d'être un obstacle à des relations étroites avec les Etats-Unis, semblait renforcer cette alliance." (p.180)

    "Curieusement, l'Angleterre ne fut pas le premier pays à demander d'adhérer aux "Six". La Turquie s'était portée candidate en juillet 1959." (p.182)

    "De Gaulle différait des dirigeants européens de l'après-guerre. Churchill voyait en lui le "connétable de France" ayant sauvé par deux fois son pays, lors du second conflit mondial et pendant la guerre d'Algérie, tout en y réinstaurant la dignité nationale. Il était cependant conscient qu'à tout moment la France pouvait à nouveau plonger dans un chaos violent. En onze ans, de Gaulle échappa à 34 tentatives d'assassinat, soit plus que tout autre homme d'Etat dans l'histoire." (p.186-187)

    "On néglige aujourd'hui l'importance pour la France de son agriculture, qui représentait encore, en 1961, 25% des emplois, contre 4% au Royaume-Uni. Dans l'immédiat après-guerre, l'ensemble des pays européens avaient subventionné leur agriculture pour empêcher le retour des dépressions agricoles des années 1930. En France, ce système était devenu un enjeu politique majeur.
    Malgré l'essor de la production grâce aux subventions, les prix étaient à la baisse. La viabilité économique des fermes françaises, modestes et peu productives, s'en trouvait menacée. Ce fut le cauchemar des politiciens français: le départ de millions de petits paysans de la campagne pour les villes déjà saturées. Dans un pays où le Parti communiste recevait le plus de suffrages, la prise de pouvoir par les communistes grâce au vote des salariés agricoles n'était pas une simple vue de l'esprit. On ne pouvait même pas exclure une révolution armée. Il était vital pour la survie même de l'Etat que les agriculteurs et leurs familles demeurassent à la campagne.
    La IVème République avait subventionné à tout-va, si bien que l'Etat s'acheminait vers la faillite. Les subventions ne faisaient qu'exacerber le problème. Elle poussaient à produire dans des campagnes peu rentables alors que l'augmentation des revenus encourageait l'investissement dans des engins agricoles. En 1950, les Six possédaient 370 000 tracteurs. En 1962, leur nombre se montait à 2 300 000. La production de céréales avait été multipliée par huit. La production de sucre et de vin avait augmenté de 300%. Les stocks augmentaient malgré les subventions à l'exportation.
    Au début des années 1960, la production grossissait encore de 20% par an. Onze millions des 24 millions de vaches laitières des Six étaient françaises, alors qu'elles produisaient quatre fois moins de lait que les bêtes hollandaises. Les subventions pour le lait coûtaient à elles seules au contribuables français 1,35 milliards de francs. Des millions servaient à écouler du lait en poudre à bas prix sur les marchés indiens et mexicains. Des sommes encore plus importantes étaient dépensées pour les stocker. La "montagne de beurre" en surplus pesait 200 000 tonnes. La politique agricole française était évidemment insoutenable. Politiquement, elle était cependant essentielle.
    Quarante ans plus tard, le professeur américain Andrew Moravcsik étudia l'importance de la question pour l'avenir de la France et de la Communauté européenne. En 1958, les surplus agricoles français étaient problématiques. Toute tentative de réforme se heurterait à l'opposition de l'électorat. Or, le Gouvernement français ne pouvait plus se permettre de telles largesses. Lors d'une réunion de crise en août 1962, de Gaulle indiqua que la "stabilisation" de l'agriculture était "le problème majeur" à résoudre. Sinon, nous "aurons peut-être une nouvelle Algérie sur notre sol".
    Deux solutions étaient possibles: trouver de nouveaux marchés à l'export ou capter une source de financement additionnelle pour les subventions. La CEE était dans les deux cas la clé. Il fallait mettre en place une politique agricole donnant aux agriculteurs français accès à des marchés externes et à des financements supplémentaires, notamment allemands. Une telle politique devait avant tout servir les intérêts de la France. Malgré son dédain à l'encontre des institutions supranationales, de Gaulle vit dans la CEE l'instrument essentiel pour accomplir l'intérêt national de la France.
    L'idée d'une "Politique agricole commune" trouvait son origine dans le rapport Spaak de 1955. Mais elle se résumait à quelques déclarations vagues et contradictoires. En 1958, une conférence s'était tenue à Stresa en Italie afin de commencer à l'élaborer. Il fallut encore attendre onze ans avant qu'un accord règle épineuse question des arrangements financiers. Cette querelle motiva la France à chercher à faire plier ses partenaires.
    En 1960, Sicco Mansholt, commissaire à l'agriculture, produisit un document prévoyant un accord pour fin 1961. Le "plan Mansholt" entendait remplacer l'ensemble des subventions nationales directes par un système de prix de soutien et de taxes variables, sous le contrôle centralisé de la Commission. Pendant deux ans, l'Allemagne le bloqua. Les subventions agricoles allemandes étaient les plus élevées des Six. Toute tentative de rationaliser et d'harmoniser la structure de soutien désavantagerait ses agriculteurs. Le 14 février 1962, selon Hallstein, après "137 heures de discussion, 214 heures de sous-comités, 582 000 pages de documents et 3 crises cardiaques" les Allemands cédèrent et donnèrent à la Pac une existence légale. Les conclusions furent antidatés afin de respecter la date butoir symbolique du 31 décembre.
    Il restait à en créer les mécanismes financiers. Sur l'insistance de la France, faiblement importatrice, les taxes sur les biens importés devaient représenter la principale source de revenus. La France joua son jeu avec une subtilité infinie. Ce système obligerait ses partenaires à verser la contribution maximale. L'Angleterre, important sa nourriture du Commonwealth, allait être saignée à blanc par un tel système. Elle serait en outre contrainte de devenir le principal marché à l'exportation des agriculteurs français. Cependant, l'Angleterre, avec la productivité bien plus importante de son secteur agricole, avait des réticences à payer pour l'agriculture française. C'est pourquoi, après 1966, il fut arbitré que les décisions sur l'avenir de la Pac seraient prise au vote à majorité qualifiée.
    Si l'Angleterre entrait dans la CEE avant que les arrangements financiers pour la Pac n'aient été fixés, elle risquait d'y soutenir l'Allemagne. Il fallait donc l'en exclure temporairement
    ." (p.190-194)

    "Le Bundestag [n'] accepta [le Traité de l'Élysée de 1963] que dôté d'un préambule touffu -rédigé par Monnet- qui rendait en réalité le traité nul et non advenu. [...]
    De Gaulle, informé de la tournure des événements, se fit dédaigneux: "Les traités, voyez-vous, sont comme les jeunes filles et les roses: ça dure ce que ça dure.".
    " (p.208)

    "Capitalisant sur la faiblesse de De Gaulle, Hallstein proposa qu'un accord sur les finances de la Pac soit lié à l'établissement de ressources communautaires propres et à un renforcement des pouvoirs de l'Assemblée. Pour lui, sous la pression des autres Etats membres, de Gaulle serait obligé d'accepter l'ensemble. Les Six s'étaient déjà mis d'accord pour régler la question du financement de la Pac en Conseil des ministres, au plus tard le 30 juin. Avant la rencontre de Bruxelles, les 28 et 30 juin, Hallstein commit une autre erreur tactique. Il soumit la proposition de loi générale à l'Assemblée qui l'avalisa avec enthousiasme.
    Lorsque la proposition fut présentée au Conseil le 28 juin, les Français voulurent découpler le financement de la Pac du reste des textes. Leurs partenaires refusèrent. On se trouva dans l'impasse. La commission proposa de "geler l'horloge". Les représentants français refusèrent de jouer le jeu. De Gaulle ordonna à ses représentants permanents de quitter Bruxelles. Il annonça le boycott par la France de l'ensemble des rencontres de la CEE. On entrait dans la "crise de la chaise vide".
    Alors que les élections présidentielles françaises approchaient, Monnet se déclara ouvertement opposé à de Gaulle, annonçant qu'il voterait contre lui. Les pressions combinées mirent de Gaulle dans la position humiliante de remporter moins de 44% des suffrages lors du premier tour. Monnet soutint alors Mitterrand, candidat de l'opposition, et de Gaulle remporta les élections avec une marge de 55% contre 45%, bien loin des plébiscites auxquels il était accoutumé.
    Une fois réélu, de Gaulle demanda à la Commission de modifier son nom, de s'interdire de posséder un service d'information, d'abandonner les missions diplomatiques, de cesser de critiquer en public les politiques des Etats membres, de soumettre ses proposition en Conseil avant de les rendre publiques et de rédiger des directives moins précises. Il exigea une reconnaissance explicite du droit des Etats membres au veto contre toute décision prise par un vote à majorité qualifiée (VMQ) si leurs "intérêts vitaux" étaient en jeu
    ." (p.214-215)

    "Un détail vital devait être réglé avant que Pompidou pût accepter une adhésion de l'Angleterre ou des trois autres candidats potentiels -l'Irlande, le Danemark et la Norvège: il fallait garantir le financement de la Pac. Lors de sa première conférence de presse en tant que président, le 10 juillet 1969, il déclara qu'il n'avait aucune objection de principe à l'adhésion britannique. Les Six devaient "se mettre d'accord entre eux". Pompidou accepta l'idée lancée par Willy Brandt et les autres dirigeants des Six d'un sommet qui devrait se tenir à La Haye en décembre. Là-bas, il espérait voir la finalisation des arrangements.
    Les Six devaient trancher une importante question. L'idée que la CEE devrait tendre vers une Union économique et monétaire gagnait en popularité. Au début des années 1960, Monnet et Pierre Werner, le Premier ministre du Luxembourg, s'en étaient faits les défenseurs. Le Conseil des ministres avait posé les fondations d'une politique économique commune avec la création de comités. [...]
    En janvier 1968, Werner soumit formellement aux Six l'idée d'une Union économique et monétaire. Giscard d'Estaing et la Commission allèrent dans ce sens. Pompidou proposa que le sommet de La Haye dont la date avait été fixée aux 1er et 2 décembre lie les négociations sur le budget et la Pac à des discussions sur l'intégration monétaire et "l'élargissement".
    Lorsque le sommet débuta, Brandt mit immédiatement Pompidou sur la sellette en indiquant qu'il n'y aurait pas d'accord sur le budget si les pays candidats n'étaient pas traité de manière "équitable". Piet de Jong, le Premier ministre hollandais, évoqua l'élargissement. Selon Kitzinger:
    "Pompidou, dans une surprise douloureuse, rétorqua que l'agriculture devait être abordée en premier. On se mit d'accord. Chacun savait à cette époque que c'était le prix à payer à la France pour qu'elle lève son veto"
    ." (p.224-225)

    "Le président Pompidou proposait que les Etats membres passassent un accord solennel afin "d'aller de manière irrévocable vers l'Union économique et monétaire à l'horizon 1980."." (p.241)

    "Pompidou était particulièrement friand du terme d' "Union européenne". Quand on lui en demanda la signification, Pompidou rayonnant rétorqua: "Rien... et c'est ce qui en fait la beauté"." (p.268)

    "Thatcher et Heath, bien qu'ils fussent tous deux réticents à partager le processus de décision (la "souveraineté") avec le peuple britannique, semblait être satisfait de le partager avec un corps non élu à Bruxelles." (p.278)

    "Le traité de Rome stipulait que la Communauté devrait avoir un Parlement élu par le peuple de l'Europe.
    Le président Giscard l'intégra à son programme. Lors d'un Conseil européen en septembre 1974, on fixa la date des premières élections à 1978. Pour des raisons de politique intérieure, il avait besoin du soutien de petits partis politiques à l'Assemblée nationale qui voyait dans "l'engagement en faveur de l'intégration européenne un article de foi". La perspective d'un Parlement européen élu suffisait pour les convaincre de participer à sa coalition gouvernementale
    ." (p.293)

    "Delors voulut à tout prix inclure l'union économique et monétaire sous la forme d'un nouveau chapitre dans le traité. Thatcher s'y opposa résolument. Elle pensait pouvoir compter sur le soutien de l'Allemagne [...]
    Delors protesta contre les avanies subies par son "espace sans frontières". Lors d'une rencontre des ministres des Affaires étrangères, les 25 et 26 novembre 1985, il se plaignit de ce que ses textes avaient "désormais plus de trous que de gruyère" et voulut rencontrer Kohl et Mitterrand. Lors de la rencontre des ministres qui suivit, une initiative franco-allemande avait remis en selle les propositions de Delors.
    Pour Thatcher, les choses allaient de mal en pis. Lors des rencontres de Luxembourg, les 2 et 3 décembre 1985, l'axe franco-allemand avait conclu un accord avec Delors sur la question de l'Union monétaire. L'Allemagne accepta qu'une mention à l'Union Économique et Monétaire apparût dans le traité. Delors inséra dans le préambule du nouveau traité un engagement en faveur de la "réalisation progressive de l'Union économique et monétaire". L'inclusion de cette phrase poussa Thatcher à envisager d'utiliser son veto contre le traité, mais le
    Foreign Office la persuade de le valider." (p.358-359)

    « [Thatcher] était déterminée à « brandir le drapeau de la souveraineté nationale, du libre-échange et de la libre entreprise ». En ceci, elle savait qu’elle serait isolée au sein de la Communauté […] Ainsi débuta une guerre d’usure marquant les trois dernières années de son Gouvernement. » (p.372-373)

    "Au G7 de Toronto le 18 juin 1988, [Thatcher] réaffirma à Kohl son "hostilité éternelle" au concept même d'une banque centrale européenne." (p.379)

    "Pour [Thatcher], Delors "s'était détaché de sa laisse de fonctionnaire pour devenir un porte-parole politique avoué du fédéralisme". Le moment de "frapper" contre ce qu'elle considérait être "l'érosion de la démocratie par la centralisation et la bureaucratie" était venu pour proposer une vision alternative de l'avenir de l'Europe. Elle fit dresser une liste précise des empiétements de la Commission dans de nombreux domaines, notamment la culture, l'éducation, la santé et la sécurité sociale. [...]
    Ce fut son célèbre discours de Bruges [...] le 20 septembre 1988, dans le grand hall du Collège d'Europe de Bruges, au cœur même de l'eurofédéralisme. Afin de souligner qu'elle voulait y parler de la civilisation européenne au sens large, sans réduire l'Europe à la Communauté, elle déclara:
    "L'Europe n'est pas la création du traité de Rome. De même que l'idée européenne n'est pas la propriété d'un groupe ou d'une institution. Nous autres, Britanniques, sommes aussi bien les héritiers de la culture européenne que n'importe quelle autre nation. Nos liens avec le reste de l'Europe, le continent de l'Europe, ont été le facteur dominant dans notre histoire. Pendant près de trois cents ans, nous fîmes partie de l'Empire romain et nos cartes dessinent encore les lignes droites des routes que les Romains bâtirent. Nos ancêtres -celtes, saxons et danois- venaient du continent."
    Prenant de la hauteur, elle rappela à son auditoire que l'Europe incluait aussi les pays à l'est du Rideau de fer.
    "Nous devons toujours regarder en direction de Varsovie, de Prague et de Budapest et y voir de grandes cités européennes. [...] Il est ironique qu'au moment où ces pays, tout comme l'URSS, qui ont tenté de tout gérer de manière centralisée, apprennent que le succès naît de la répartition du pouvoir et des décisions à la périphérie, que certaines personnes au sein de la Communauté veuillent suivre le chemin inverse. Nous n'avons pas repoussé avec succès les frontière de l'Etat en Angleterre pour nous les voir réimposées à un niveau européen, avec un super-Etat européen exerçant une nouvelle domination de Bruxelles."
    En sus, il existait, écrivit-elle, des raisons échappant au domaine économique stricto sensu pour conserver la souveraineté. Elle présenta sa vision pour l'avenir:
    "Une coopération active et volontaire entre des Etats souverains indépendants est la meilleure manière de construire une Communauté européenne réussie [...] L'Europe sera plus forte justement parce qu'elle intégrera la France en tant que France, l'Espagne en tant qu'Espagne, l'Angleterre en tant qu'Angleterre, chacune avec ses propres coutumes, ses propres traditions et sa propre identité. Ce serait folie de les forcer à adopter une sorte de kit identitaire pour développer une personnalité européenne".
    Thatcher reconnaît n'avoir pas anticipé la fureur que suscita son discours. [...]
    Thatcher avait semé à Bruges les graines de la division à l'intérieur de son propre parti, pour le conduire au bord de l'autodestruction
    ." (p.383-388)

    "Les Conservateurs avaient leurs propres problèmes intérieurs. L'impôt par capitation suscitait le mécontentement provoquant une émeute autour de Trafalgar Square le 31 mars. Le parti fit une contre-performance aux élections locales. Ces événements, montés en épingle par les europhiles du Parti, diffusaient l'idée que "Thatcher doit partir" [...]
    Thatcher était de plus en plus isolée.
    Son ministre du Commerce et de l'industrie, Nicholas Ridley, accorda au jeune rédacteur en chef du Spectator -Dominic Lawson, fils de Nigel- une entrevue particulièrement franche sur les questions européennes. Lors de cet entretien, publié le 13 juillet 1990, il fit remarquer entre autres que "Je n'ai rien contre le fait d'abandonner une partie de ma souveraineté. Mais pas à ces types. Vous pourriez aussi bien la donner à Adolf Hitler, franchement". Le scandale fut tel que Ridley fut poussé à la démission, ce qui priva Thatcher de son dernier soutien au sein de son cabinet. Le 30 juillet, Ian Gow, son ami de longue date et fidèle allié politique, fut assassiné lors d'un attentat de l'IRA à la voiture piégée. [...]
    A la manière d'un infidèle embrassant la foi chrétienne sous la menace d'une mort atroce, Thatcher accepta que l'Angleterre rejoigne le Serpent monétaire. [...]
    La décision [...] rencontra immédiatement un bon écho au sein du Labour, des Démocrates libéraux, des syndicats et de la Confederation of British Industry. Seul Delors était furieux. Sa principale préoccupation était de se débarrasser de sa plus formidable ennemie: la seule qui pouvait mettre en cause ses plans pour un nouveau traité
    ." (p.404-405)

    "Heseltine lança sa campagne pour s'emparer de la direction, plongeant le Parti conservateur parlementaire dans le désarroi. Pendant des jours, les médias se repurent du spectacle des députés tory qui plongeaient leur poignard dans le dos de la femme dont la force de personnalité et de conviction les avait dominés pendant si longtemps. Emma Nicholson, Hugh Dykes et Peter Temple-Morris furent les plus carnassiers dans cette curée des européistes. Sept ans plus tard, ils étaient tous dans d'autres partis.
    Après avoir battu Heseltine avec seulement 204 votes contre 185 au premier tour, Thatcher sentit qu'il ne lui restait pas d'autre option que la démission, ce qu'elle fit le 22 septembre 1990. Lorsque la nouvelle retentit, Heath appela son bureau en s'exclamant joyeusement: "C'est la fête ! C'est la fête" et il sabla le champagne. Heseltine, qui avait porté l'estocade, ne devait pas obtenir le poste. La place lui fut arrachée par John Major, le poulain de Thatcher.
    Howe avait obtenu précisément ce qu'il avait espéré. Dans la dernière page de ses mémoires, il relève à quel point il souhaitait "transformer les politiques et non pas le chef. Mais si cela signifiait que le chef devait partir, qu'il en soit ainsi. Je ne pas le moindre regret d'avoir résolu le conflit de loyauté de cette manière.".
    " (p.415-416)

    "Thatcher fit une contribution éclairante [lors du débat aux Communes des 20 et 21 novembre, relatif au futur traité de Maastricht]. En s'emparant de l'idée de Tony Benn d'un référendum sur la monnaie unique, elle souligna que si, à l'avenir, les trois partis politiques principaux devaient s'accorder sur l'Union monétaire, le peuple britannique n'aurait pas voix au chapitre sur cette question. Pourtant, les implications constitutionnelles étaient sérieuses. En citant le grand théoricien constitutionnaliste A. V. Dicey, elle estima qu'il serait "nécessaire de tenir un référendum". "Il faut laisser le peuple s'exprimer", conclut-elle. Hurd, Kenneth Clarke et Michael Portillo n'étaient pas d'accord." (p.431)

    "[A Maastricht] Kohl expliqua aux chefs de Gouvernement que la monnaie unique était "cruciale" et devait être "irréversible"." (p.433)

    "Chez les Conservateurs [...] un clivage se dessinait entre les militants de base, très largement eurosceptiques, et les instances dirigeantes du parti." (p.442)

    "A la télévision, Mitterrand, faisant campagne pour le "oui" [à Maastricht], avait habilement réécrit le traité, prétendant que le Conseil des ministres pourrait exercer un contrôle sur la Banque centrale européenne." (p.448)

    "Les contributions apportées au processus législatif par les fonctionnaires nationaux seraient coordonnées par le biais du Coreper, le Comité des représentants permanents. Il faisait partie du noyau de la structure communautaire depuis 1958. Composé d'équipes de fonctionnaires de chaque Etat membre, il exerçait un pouvoir sans équivalent à Bruxelles. Par l'entremise du Coreper, chaque régulation ou nouvelle directive était validée, sauf cas rare de désaccord fondamental. C'est seulement alors qu'elle était prête à être soumise à l'approbation des ministres concernés siégeant au Conseil des ministres. L'ensemble du processus démocratique y trouvait théoriquement sa légitimité.
    Une étude serrée des travaux du Conseil des ministres révéla que ce dernier n'avait strictement rien de "démocratique". Non seulement ses rencontres n'étaient pas publiques mais il était impossible de savoir comment les ministres avaient voté (comme dans les processus législatifs de Cuba, de la Corée du Nord et de l'Irak). Près de 80% des propositions présentées au Conseil avaient déjà été validées par les fonctionnaires au Coreper et placées sur la "liste A". Les ministres pouvaient se dispenser de les examiner. Elles étaient entérinés d'un hochement de tête. Les 20% de propositions restantes formaient la "liste B". Les ministres devaient les examiner plus en détail. Parmi elles, seule une infime fraction, distinguée par une étoile, étaient considérées comme suffisamment contentieuses pour nécessiter le débat.
    L'une des rares descriptions des travaux du Conseil des ministres par un participant nous vient d'Alan Clark, ministre du Commerce de fraîche date, en février 1986. Il commença à être coaché avant la rencontre par une fonctionnaire d'UKRep, la représentation permanente du Royaume-Uni à Bruxelles. Puis, elle réécrivit le discours qu'il avait l'intention de prononcer:
    "Ce qu'un ministre sait n'a pas la moindre incidence sur la manière dont la réunion se conclut [...] tout est décidé, négocié par les officiels du Coreper [...] Les ministres entrent en scène au dernier moment, fatigués, malades, en sueur, voire saouls (parfois ils sont tout cela en même temps), déclament leur texte avant de tirer leur révérence.".
    Un autre ministre, lorsqu'il arriva à son premier Conseil, fut étonné de voir que la première entrée sur son ordre du jour comportait le communiqué qui devait être publié une fois la rencontre achevée. Lorsqu'il s'en émut auprès de ses fonctionnaires, on lui répondit de manière condescendante: "Oh non, monsieur le Ministre, l'ensemble des autres sujets ont déjà fait l'objet d'un accord la semaine précédente à la Coreper.".
    " (p.462)

    "Le pouvoir de faire des lois avait été transféré des politiciens vers les hauts fonctionnaires. Les politiciens ne servaient qu'à lui conférer un mince vernis de légitimité démocratique." (p.465)

    "Peu importe les intentions de la Communauté, elle obtenait toujours le résultat contraire. Le marché unique prétendait "déréguler" et avait produit le plus grand nombre de règles de l'histoire humaine. Une "réforme" de la Pac visant à diminuer la surproduction et les gaspillages de crédits eut pour conséquence une augmentation de la production de nourriture inutile pour un coût encore plus grand. La Politique commune de la pêche, aspirant à "conserver les réserves halieutiques européennes", avait entraîné une crise écologique.
    On aurait pu imaginer que le marché unique avait stimulé la croissance et créé des emplois. C'était encore un mirage. Avant son lancement, la croissance moyenne des trois dernières années de l'UE languissait à 2.3%. Le taux de chômage moyen était de 8.5%. Après janvier 1993, le taux de croissance dévissa à 1.67% pendant quatre ans -le pire résultat enregistré par un des blocs économiques à la surface du globe- tandis que le chômage culminait à 10.9%, soit 20 millions de chômeurs.
    Il était désormais possible de comparer les réussites pratiques du projet européen avec les promesses mirobolantes dont les populations avaient été abreuvées
    ." (p.470)

    "Europol est une nouvelle illustration de la "méthode Monnet": une nouvelle initiative importante devait d'abord être présentée comme anodine pour ne pas susciter les oppositions. Elle serait ensuite graduellement élargie, pour donner corps à une politique communautaire. Pour lutter contre le trafic de drogue international, Europol avait originellement été constitué sur une base informelle à La Haye en 1993, en tant qu'unité de renseignement européenne sur les drogues. En 1995, elle disposait d'un effectif de 80 personnes et d'un budget de 2.8 millions de livres. Désormais, elle obtenait un statut permanent de "Bureau de police européenne" couvrant plus de vingt domaines du "crime transnational", allant de l'immigration illégale jusqu'à la fraude à la carte bancaire. Lorsque la convention pour établir Europol fut signée le 29 juillet, tout était désormais en place pour donner à l'UE sa propre force de police fédérale." (p.490-491)
    -Christopher Booker & Richard North, La Grande Dissimulation, L'Artilleur, coll. "Interventions", 2016 (2003 pour la première édition anglaise), 832 pages.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mar 8 Nov - 21:40, édité 1 fois
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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 4 Nov - 11:23

    "Il y eut également une nouvelle preuve des dégâts infligées par la Pac à l'industrie de pèche britannique. Le 30 avril, une réponse au Parlement révéla qu'en l'espace de quatre ans, entre 1993 et 1997, le nombre de bateaux de pêche sur les registres anglais avait fondu de près d'un tiers, passant de 11 108 à 7809. Le tonnage des "bateaux sous pavillon" possédés par des investisseurs espagnols ou hollandais avait quant à lui augmenté, alors que 3300 navires britanniques plus petits furent mis hors service, avec leur équipage.
    Le 14 juin [1998], l'apogée de la présidence de Blair fut le Conseil européen de Cardiff. Son slogan "Rapprocher l'Europe du peuple" semblait particulièrement ironique tandis que la ville faisait l'objet de mesures sécuritaires féroces, visant à tenir les manifestants potentiels à une distance d'au moins un kilomètre du lieu de la conférence. Afin de créer l'illusion d'une liesse populaire à l'intention des caméras, les enfants des écoles furent transportés en bus de l'ensemble du pays de Galles du Sud et se virent donner des drapeaux "avec le cercle d'étoiles" afin qu'ils pussent les agiter en direction qui se réunissent autour d'une table ronde confectionnée pour l'occasion, au prix de 50 000 livres
    ." (p.516)

    "L'histoire de la manière dont la régionalisation avait joué un rôle central dans l'intégration européenne était complexe. L'impulsion originale, dans les années 1950, était venue des élus publics locaux en France et en Allemagne, travaillant par l'intermédiaire du Conseil de l'Europe et plus tard par ses corps subsidiaires, le Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE), dont Giscard d'Estaing était le président. Puis en 1972-1973, Heath avait plaidé en faveur d'une "politique régionale" en compensation des pertes importantes que la Pac ferait subir à l'Angleterre ; en 1975, le rapport Tindemans avait souligné le besoin de développer une structure régionale au sein de la CEE, arguant que c'était une condition préalable essentielle pour l'union monétaire, afin de donner les moyens de redresser les déséquilibres économiques entre les régions les plus pauvres et les régions les plus riches.
    Le tournant néanmoins vint à la fin des années 1980, lorsque Delors avait finalement insisté pour que la régionalisation devienne une politique centrale dans le cadre de l'Acte unique européen. Il avait ensuite introduit la régulation-cadre 2052/88 en 1988, autorisant les autorités régionales et locales à négocier directement avec la Commission pour l'obtention de fonds structurels. Ce fut ce nouveau système, nécessitant que les autorités régionales fussent en place pour pouvoir prétendre à des subventions de Bruxelles, qui conduisit en 1994 John Gummer, en tant que ministre de l'Environnement, à établir un "Bureau gouvernemental" dans chacune des "régions" anglaises, les créant ainsi formellement.
    " (p.521)

    "Le 30 septembre 1998, un séisme politique eut lieu en Allemagne. Le Parti chrétien-démocrate du chancelier Kohl, connut une défaite électorale cinglante face à l'alliance du SPD social-démocrate et des Verts. [...]
    Avant l'élection, le nouveau chancelier Gerhard Schröder avait mis en valeur une position eurosceptique, faisant souvent référence à l'euro comme étant "un enfant prématuré malade né d'une union monétaire précipité". Mais après sa victoire, ayant été obligé de nommer le représentant de l'aile gauche de son parti Oskar Lafontaine en tant que ministre des Finances, alors que son partenaire de coalition Joschka Fischer était ministre des Affaires étrangères, tous deux vibrants intégrationnistes, la position de Schröder sembla changer. Lors de son discours inaugural devant le Parlement fédéral le 10 novembre, il parla de la monnaie unique comme d'une "étape importante sur la route de l'intégration européenne".
    " (p.524-525)

    "Le 3 décembre 1998, quatre jours seulement après que Chirac eût rencontré Schröder à Postdam afin de réaffirmer la force de l'alliance franco-britannique, Blair arrive à Saint-Malo pour participer à un "sommet" avec Chirac. Il en sortit une déclaration commune selon laquelle:
    " [...] L'Union (UE) doit être dotée des structures appropriées et d'une capacité d'analyse à pratiquer la planification stratégique, sans entraîner de doublons non nécessaires [...] Dans cette perspective, l'Union européenne aurait aussi besoin d'avoir recours aux moyens militaires adéquats."
    Le communiqué soulignait que l'UE devait être capable d'utiliser sa nouvelle capacité autonome militaire 'en dehors du cadre de l'Otan" quand cela était nécessaire.
    Bien qu'il fallût plusieurs années afin que les implications gigantesques de l'accord de Saint-Malo ne surgissent au grand jour, ce texte marqua un tournant historique dans les relations militaires qui avaient permis de préserver la paix en Europe pendant toute la période de l'après-guerre. [...] Blair était désormais prêt à offrir les forces armées britanniques afin qu'elles constituent le noyau d'une structure militaire européenne complète
    ." (p.534-535)

    "Le 1er janvier 1999, plus de 30 000 personnes organisèrent une fête dans la rue devant la BCE à Francfort pour célébrer le lancement de l'euro et la naissance de la première union économique en Europe depuis l'Empire romain." (p.536)

    "L'industrie agricole britannique, jadis la plus efficace et la plus prospère dans l'UE, avait déjà été plongée dans la pire dépression de son histoire. La quasi-totalité des secteurs de l'élevage anglais luttaient pour survivre. Le problème principal venait de ce que les agriculteurs britanniques étaient incapables de concurrencer des agriculteurs de pays bénéficiant de subventions bien plus généreuses, comme la France et l'Irlande, dont les Gouvernements avaient utilisé la PAC avec plus d'adresse pour la défense de leurs intérêts nationaux. La subvention moyenne que recevaient les agriculteurs irlandais était deux fois supérieure à celle payée à leurs collègues britanniques, et la France à elle seule exportait deux fois plus de nourriture en Angleterre que l'Angleterre n'en vendait à la France. Par conséquent, 25 000 agriculteurs britanniques quittaient désormais le métier chaque année. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'année où les revenus agricoles au Royaume-Uni avaient été les plus hauts remontait à 1973, date de l'adhésion à la Pac. A présent, il fallait payer le prix de décennies de dilapidation de sommes gigantesques pour donner deux fois plus de subventions aux paysans d'autres parties de l'UE qu'aux paysans britanniques." (p.595-596)

    "Le 11 septembre 2001, le World Trade Center à New York fut détruit par l'attaque terroriste la plus spectaculaire de l'histoire. Dans une démonstration sans précédent de solidarité, Le Monde clama que "Nous sommes tous américains", alors que les Etats-Unis déclaraient la guerre à l' "axe du mal" et se préparaient à lancer une action militaire en Afghanistan." (p.605)

    "Le matin du 28 février 2002, une masse de politiciens, de responsables et de journalistes affluèrent dans le complexe du Parlement européen à Bruxelles pour assister à l'ouverture de la convention qui devait rédiger "une Constitution pour l'Europe". La plupart entrèrent dans le vaste bâtiment de bureaux du Parlement, qui portait fort à propos le nom d'Altiero Spinelli, l'homme qui avait le premier proposé, soixante et un ans plus tôt, que la rédaction d'une constitution vînt couronner la création des "Etats-Unis d'Europe"." (p.614)

    "A ce moment historique, il y avait déjà eu de nombreuses discussions rappelant la Convention de Philadelphie en 1787 qui rédigea pendant cinq mois la Constitution pour les Etats-Unis d'Amérique. Giscard [d'Estaing] lui-même fut le premier à établir ce parallèle en 1997, et recommença à Washington en février 2003." (p.616)

    "A la différence des Français des années 1960, les Polonais ne disposaient d'un coussin pour amortir les chocs subis par leur paysans. Ils devaient être confrontés à toute la rigueur d'une compétition que leur livreraient des produits communautaires hautement subventionnés transportés à moindre coût par le Réseau transeuropéen vers Varsovie, et plus rapidement que par les routes reliant les paysans locaux qui n'avaient donc aucune chance de survivre à cette concurrence. Le seul résultat d'une telle politique serait un exode massif vers les villes. Pourtant, l'UE contraignit également la Pologne à "rationaliser" les industries vitales aux intérêts polonais, comme la sidérurgie, accentuant un chômage qui était déjà élevé et éradiquant tous les emplois potentiels vers lesquels les paysans ruinés pourraient se rabattre. L'émigration deviendrait la seule option possible, ce dont avaient conscience les Etats membres de l'UE. Cela les avait poussés à refuser pendant sept ans aux ressortissants polonais le droit de s'établir chez eux." (p.656)

    "Bien que les dirigeants de l'Union européenne fussent censés s'être mis d'accord le 18 juin 2004 sur leur "traité établissant une Constitution pour l'Europe" (TCE), aucun ne l'avait lu: il n'en existait aucune version intégrale. Le texte complet, fort de 844 pages dactylographiées, ne fut disponible qu'en novembre, bien après sa signature." (p.707)

    "En France, la campagne du référendum divisait la gauche de manière si profonde qu'un ancien ministre socialiste prétendit que l'ambiance dans le parti était "terrible, dramatique, la pire que j'ai connue en vingt ans". Les socialistes opposés à la Constitution huèrent le chef socialiste du camp du "oui", François Hollande. L'ancien secrétaire général du parti, Henri Emmanuelli, affirma que tout socialiste votant "oui" ferait une erreur aussi grave que le soutien des socialistes à Pétain en 1940. Alors que des manifestations gigantesques paralysaient les villes françaises, il apparut clairement que l'opposition de gauche à la Constitution était composée à part égale d'une hostilité véhémente à Chirac, d'une méfiance à l'encontre de la "prise de contrôle anglo-saxonne" de "l'Europe" sapant le "modèle social" française et la crainte d'un élargissement futur, qui permettrait notamment l'adhésion de la Turquie." (p.734)

    "Lors d'une conférence de presse à Bruxelles, Juncker se montra incrédule [du résultat du référendum français du 29 mai 2005]. Il expliqua à des journalistes stupéfaits que "de nombreuses personnes parmi celles qui ont voté "non" votaient en réalité pour plus d'Europe. Si certains de leurs suffrages avaient été ajoutés aux votes "oui", nous aurions gagné"." (p.748)

    "Il revint à un correspondant à Dublin du courrier des lecteurs du Daily Telegraph, Jonathan Wilson, de résumer la conclusion probable de ces événements: "Le "non" français n'arrêtera pas l'UE et n'a que peu de chances de la faire se raviser, écrivit-il. Le cœur de l'UE est constitué de son mépris pour la démocratie et la volonté populaire, considérées comme inconvenantes. L'UE ira toujours de l'avant, quoi qu'il advienne. Lorsque nous autres Irlandais avons voté "non", nous fûmes en pratique envoyés au lit privés de dessert et on nous morigéna afin que nous votions de manière correcte la fois suivante, ce que nous fîmes, pour notre plus grande honte"." (p.749)

    "La débâcle de l'été 2005 avait plongé le "projet" dans une crise bien plus profonde que celles qu'il avait déjà traversées. [...] Les sondages d'opinion notaient un affaissement sans précédent du support populaire en faveur du "projet" en général, même dans les pays qui avaient jusqu'alors témoigné du plus de ferveur." (p.762-763)

    "L'une des méthodes [de propagande] les plus efficaces fut de faire du mot "Europe" un synonyme de cette forme naissante de Gouvernement ; ainsi, toute critique de "l'Europe" politique pouvait être clouée au pilori, accusée d'hostilité xénophobe pour tout ce qui était représenté par l'Europe géographique plus large, avec tous ses peuples et ses diverses cultures.
    Soutenir le "projet" permettait ainsi de devenir un "proeuropéen", c'est-à-dire d'être dans le camp internationaliste, progressiste, optimiste et ouvert vers l'extérieur qui avait un pied dans l'avenir. Tout "antieuropéen" pouvait être décrié comme recroquevillé sur lui-même, pessimiste, inquiet des changements, faisant preuve d'un nationalisme étroit et demeuré prisonnier du passé. Les sympathisants de l'Union européenne se décrivaient eux-mêmes comme des "europhiles" ce qui sonnait moderne et sympathique. Ceux qui s'y opposaient étaient des "europhobes", dévorés de négativité. De l'intérieur de la "bulle proeuropéenne", même les doutes les plus rationnels à l'encontre du "projet" faisaient passer l'hérétique pour un "hystérique", "aigri" et "fanatique".
    " (p.782-783)

    "La propagande la plus efficace passait néanmoins par l'ensemble des formes d'aides régionales dont Bruxelles arrosait des dizaines de milliers de projets chaque année dans toute l'UE, pour des montants atteignant les 20 milliards de livres (26 milliards d'euros), afin de subventionner n'importe quoi -des autoroutes grecques jusqu'aux championnats de voile pour les handicapés dans le Rutland, en passant par un restaurant deux étoiles au guide Michelin dans le Var. Une clause pour recevoir l'argent de Bruxelles était invariablement que le projet devait d'une manière ou d'une autre exhiber un "cercle d'étoiles", afin de faire passer le message subliminal que cette œuvre de salubrité publique n'aurait jamais pu exister sans la bienveillance de l'Union européenne. Cette publicité obligatoire ne révéla néanmoins jamais en Angleterre que pour chaque livre reçue de Bruxelles, le contribuable britannique devait en verser deux, et même une troisième pour le cofinancement. Du point de vue de la Commission, c'était donc une forme de publicité très peu onéreuse. Mais c'était également une forme parfaitement délibérée de tromperie." (p.790)

    "Le processus extraordinairement complexe et opaque par lequel la Commission pouvait à elle seule générer des nouvelles propositions de lois ouvrait inévitablement la voie à un potentiel de corruption à une échelle colossale. Y contribuait aussi le fait qu'elle fût chaque année responsable de la distribution de dizaines de milliards d'euros issus des poches des contribuables européens, souvent à la discrétion de petits groupes de dignitaires par essence irresponsables envers quiconque." (p.797)

    "Une chose était sûre, c'est que le "projet" ne pourrait en aucun cas être (parce que par définition, il n'avait jamais aspiré à le devenir), une démocratie, même dans l'acceptation la moins exigeante de ce mot. Le seul but d'une institution supranationale est de se placer au-dessus des souhaits des peuples et des nations. Lorsque Monnet et Salter conçurent en premier leur idée "d'Etats-Unis d'Europe" supranationaux, il ne leur vint jamais à l'esprit que les souhaits des peuples pourraient être pris en compte. C'était des technocrates, qui pensaient que l'avenir de l'Europe se placerait sous de bien meilleurs auspices en étant sous l'égide d'un Gouvernement de technocrates comme eux, d'hommes dont le seul intérêt était la coopération efficace pour atteindre un but commun, qui n'était pas souillé par le recours à des élections salement imprévisibles.
    La démocratie est faite pour les Etats-Nations, pour les peuples qui vivent toujours dans l'illusion que les affaires humaines sont mieux tranchées dans la rivalité et dans le conflit entre des partis politiques en concurrence. Et de la même manière que la technocratie transnationale avait transcendé les rivalités entre nations, elle s'était dégagée de cette lutte pour le pouvoir ouvertement déclarée entre différents groupes et différentes idéologies dans la société, qui constitue l'essence de la démocratie
    ." (p.800-801)

    "On ne peut nier que Monnet ait mis en route l'un des projets politiques les plus audacieux de l'histoire. Peu importe l'échec de la dernière Constitution, il avait créé un système de Gouvernement immensément puissant et totalement irresponsable, régnant sur les vies de 450 millions de personnes et dont les racines avaient tellement pénétré le fonctionnement de leurs pays qu'il était difficile d'imaginer comment arriver à le démanteler de manière pacifique.
    Le prix en était très lourd. Ce système avait permis l'émergence dans chaque pays d'une "classe politique" séparée des peuples au nom desquels elle avait le pouvoir, grâce à un fossé toujours plus large. L'une des caractéristiques les plus évidentes de cette élite était la préoccupation tournant à l'obsession qui la saisissait de respecter le fonctionnement intérieur du "projet". Celui-ci constituait leur seul univers, alors qu'au-delà de leur "petite Europe", il existait un monde extérieur bien plus grand qui continuait sa route sans eux
    ." (p.815)
    -Christopher Booker & Richard North, La Grande Dissimulation, L'Artilleur, coll. "Interventions", 2016 (2003 pour la première édition anglaise), 832 pages.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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