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    Étienne Balibar, De Charonne à Vitry + Cinq études du matérialisme historique

    Johnathan R. Razorback
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    Étienne Balibar, De Charonne à Vitry + Cinq études du matérialisme historique Empty Étienne Balibar, De Charonne à Vitry + Cinq études du matérialisme historique

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 5 Jan - 11:22

    https://archive.is/eN2Bg

    "Et l’on aboutit à ces « bavures » de Vitry, de Montigny-lès-Cormeilles et d’ailleurs, dont chacun voit bien qu’elles ne sont ni isolées ni le fait du hasard, puisque, aussi bien, la direction du Parti les couvre et les revendique comme symboles de sa politique, si même elle ne les planifie pas en fonction d’un calcul électoral d’une effroyable inconscience. Ce que l’on escompte ainsi, manifestement, c’est de détourner au profit du Parti, dans la phase difficile qu’il traverse, ce courant de peur, d’autodéfense et de repli sur le « chacun pour soi » des avantages acquis que nous sentons monter autour de nous, jusque chez nos voisins, nos amis ou nos collègues, et que la loi « Sécurité et Liberté » a pour fin déclarée de ranger derrière le gouvernement. C’est sur ce terrain désormais que risque de s’exercer la concurrence des appareils politiques. C’est cette démission, cet abandon au racisme et au populisme, ce peyrefittisme du pauvre que manifestent soudain au grand jour les opérations bulldozer, les « quotas » administratifs destinés à imposer le « seuil de tolérance » là où nous en avons le pouvoir, et le risque pris sans hésiter d’assimiler dans l’opinion tout Maghrébin à un trafiquant de drogue en puissance ! Déjà le Parti a repris à Stoleru - en lui offrant du même coup, ce qui est vraiment un comble, le beau rôle de « défenseur des immigrés » - son langage et son mot d’ordre d’arrêt immédiat de l’immigration, sans spécifier aucune condition qui permette l’intervention et l’expression des immigrés eux-mêmes, alors qu’on sait bien que ce mot d’ordre sert en pratique à justifier toutes les expulsions arbitraires. Combien de temps faudra-t-il au Parti, dans ces conditions, pour passer à l’étape suivante : « Qu’ils rentrent chez eux, ils nous prennent notre travail » ? Ici et là, écoutez la rumeur, c’est la conséquence qu’on en tire déjà. Quitte à utiliser au besoin comme alibi, et pour calmer l’émotion suscitée dans les rangs mêmes du Parti, le combat exemplaire d’un Moussa Konaté ou les secours collectés pour les sinistrés d’El-Asnam. La gangrène pénètre, lentement mais sûrement. Une fois qu’elle a mordu, si rien ni personne ne l’arrête, nul ne sait où elle s’arrêtera mais on peut savoir à coup sûr à qui elle profitera : s’il s’agit de mobiliser les nostalgiques de « la France aux Français », d’autres sont mieux armés et plus crédibles que les communistes. Leurs affiches s’étalent déjà sur les murs."

    "Et voici que les municipalités communistes, ou plutôt certaines d’entre elles, qui appréhendent de payer aux élections de 1983 la note de la rupture de l’Union de la gauche, sont de plus en plus tentées de rechercher une nouvelle base électorale, en exploitant les craintes et les préjugés qu’elles ne croient plus pouvoir combattre."

    "Une grande crise sociale, comme celle dans laquelle nous sommes entrés depuis quelques années déjà, aboutit toujours à une transformation de toutes les classes sociales : des conditions de vie, des conditions de travail, des idéologies et « mentalités », des organisations représentatives. Quoi qu’il puisse projeter pour y échapper, le parti communiste n’en sortira pas indemne. Face à une classe ouvrière de moins en moins semblable aux stéréotypes du marxisme dogmatique, les monopoles politico-idéologiques autoproclamés achèveront de voler en éclats. Et c’est tant mieux. Mais ce n’est pas pour autant que les travailleurs pourront se passer des organisations existantes. Pris collectivement, ils n’ont pas de libre choix idéal. Contraints, s’ils veulent se défendre, d’imposer eux-mêmes une issue progressiste à la crise, ils ne peuvent pratiquer la politique du pire ni celle de la table rase. Dès lors, pour une part importante, la classe et le Parti évolueront ensemble. Mais dans quel sens ? Il n’y a pas de fatalité. Il n’y a que des conditions matérielles plus ou moins défavorables. Il dépend de nous, communistes, d’enrayer la double spirale qui conduit, d’un côté, une fraction de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie vers une idéologie défensive, corporatiste, xénophobe et d’ordre moral, cependant que, de l’autre, le Parti (et avec lui la CGT - à moins que cette évolution, qui lui a déjà fait perdre des centaines de milliers d’adhérents, ne conduise à son éclatement) fournirait à cette régression historique la couverture d’une phraséologie « révolutionnaire »."
    -Étienne Balibar, "De Charonne à Vitry", Le Nouvel Observateur, n° 852 du 9 mars 1981.

    https://b-ok.cc/book/891112/2ec8f0



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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