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    André Burguière, L'École des Annales - Une histoire intellectuelle

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    André Burguière, L'École des Annales - Une histoire intellectuelle Empty André Burguière, L'École des Annales - Une histoire intellectuelle

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 22 Fév - 21:25

    « Citer les fondateurs sert à conforter la cohésion du groupe mais aussi à légitimer les évolutions nécessaires.
    Pourtant l’école des Annales n’a pas eu le destin de bien des courants de pensée qui se sont appuyés sur le charisme du fondateur et la fidélité proclamée des disciples. Elle a survécu à ses deux fondateurs Lucien Febvre et Marc Bloch alors que les groupes centrés sur l’œuvre fondatrice d’un maître ont rarement survécu sans conflit à la première génération de disciples. Et elle a survécu sans hérésies ni exclusions. On peut dire qu’elle est arrivée à s’imposer dans le milieu des historiens si l’on compare l’audience encore bien modeste dont dispose à la veille de la Seconde Guerre mondiale la jeune revue à ouverture bleue fondée en 1929 à l’ampleur de son influence actuelle. » (pp.9-10)

    « [Rayonnement] minoritaire chez les historiens du XXe siècle, nombreux à privilégier une approche événementielle des faits politiques. » (p.11)

    « Marc Bloch et Lucien Febvre ont compris qu’en adoptant les exigences scientifiques que les durkheimiens reprochent aux historiens d’ignorer (l’étude des structures économiques et sociales, la constitution de séries pour identifier les régularités) l’histoire gagne en rigueur mais perd sa raison d’être. Durkheim l’avait déjà noté à propos de l’analyse comparée qui permet d’échapper à l’insuffisance du cas unique ou de l’événement qui n’arrive qu’une fois. « A partir du moment où l’histoire se met à comparer, écrit-il, l’histoire devient indistincte de la sociologie » [Durkheim, « Préface », L’Année sociologique, 1896-1897, n°1]. Si l’histoire se donne comme objectif l’étude du fonctionnement des sociétés pour entrer dans le concert des sciences sociales, elle n’apporte que les autres disciplines ne puissent produire.
    L’histoire n’est pas la science des sociétés comme l’affirme Fustel de Coulanges. Elle est d’abord, Marc Bloch le rappelle souvent, « la science d’un changement ». L’historien doit cette vocation particulière à l’exploration du passé qui lui donne à voir des processus achevés ou engagés depuis longtemps. Le passé lui offre ainsi un observatoire privilégié pour analyser le mouvement des sociétés. Mais pour en tirer profit, l’historien doit aborder le passé avec le sens de l’écart, de la distance au présent. C’est à quoi peut servir l’étude des mentalités. En plaçant son observatoire « dans la conscience des hommes vivant en société », comme l’écrit Lucien Febvre, l’historien cherche à retrouver le mouvement de la vie (la métaphore vitaliste est fréquente chez les fondateurs des Annales), mais aussi à restituer à l’époque qu’il étudie sa cohésion d’ensemble, sa singularité.
    La possibilité d’analyser une société de l’intérieur que permet l’étude des mentalités ne s’appuie pas sur le sentiment de commune humanité avec les hommes d’un autre temps qui fonde chez un Dilthey, par exemple, le principe de compréhension. C’est un travail méthodique de déchiffrement, non une herméneutique de l’unité de l’expérience humaine. C’est aussi une opération de totalisation pour restituer la cohérence interne, l’unité psychologique d’une époque. » (p.13)

    « La microstoria lancée par les historiens italiens réunis autour de la revue Quaderni storici et proches de l’école des Annales peut offrir un démenti, par son succès international, à l’idée d’un enfermement national des enjeux et des parcours historiographiques. Mais dans le contexte italien, elle a confirmé la rupture avec la tradition d’une histoire centrée sur le problème de la construction de l’Etat, répandue y compris chez les historiens marxistes. Elle a permis également au groupe de Quaderni storici de s’émanciper de l’école des Annales qu’il avait rallié avec un enthousiasme de converti au moment où elle était dominée par les contraintes quantitatives de l’histoire socio-économique labroussienne. A bien des égards, la microstoria reproduit l’émancipation intellectuelle des disciples français de Labrousse qui les a mis sur le chemin de l’anthropologie historique. » (p.15)

    « Conviction héritée des Lumières et présente à chaque détour de leur pensée que le monde social est intégralement compréhensible. » (p.19)

    « Génération historienne sans pareille [du lendemain de la Libération], la plus brillante sans doute depuis les deux grandes floraisons des années 1820 et des années 1860. » (p.19)

    « Il faut savoir imiter pour devenir soi-même. Marc Bloch et Lucien Febvre se réclament, dès les premiers numéros de leur revue, d’un esprit des Annales sans jamais dire en quoi il consiste, comme s’il s’agissait d’un courant de pensée déjà connu et bien installé. On trouve le même procédé autoréférentiel dans les premiers numéros de L’Année sociologique, la revue d’Émile Durkheim que nos deux historiens ont admirée et à laquelle ils ont emprunté plus d’un trait éditorial. En s’inventant une tradition, les durkheimiens souhaitaient apparaître comme un courant scientifique légitime, alors que l’Université les tenait à l’écart. » (p.23)

    « Les premières Annales doivent leur allure particulière à la Revue de Synthèse historique et à L’Année sociologique qui avaient incarné au début du siècle l’effort de réflexion épistémologique et de dialogue au sein des sciences humaines. Marc Bloch et Lucien Febvre se réclament de leur héritage. A la revue d’Henri Berr, ils empruntent l’idée des enquêtes collectives comme traduction expérimentale du projet scientifique et interdisciplinaire qu’ils entendent promouvoir. De la revue des durkheimiens, ils retiennent la fonction stratégique leurs propres conceptions en les confrontant à ce qui se publie. Loin de considérer ce travail comme une tâche bibliographique que l’on confie à la bonne volonté de certains collaborateurs, les directeurs des Annales en assument eux-mêmes une grande part.
    C’est dans ce labeur considérable de recension des deux directeurs qu’il faut chercher l’exposé le plus approfondi de leur pensée beaucoup plus que dans les essais où ils ont voulu synthétiser leur conception de l’histoire. » (p.25)

    « Ils délaissent les politesses et l’onction universitaires pour aller à l’essentiel : souligner la nouveauté et la qualité de l’analyse ou au contraire déplorer l’insuffisance de la conceptualisation. » (p.26)

    « Ils critiquent les recherches sans perspective qui considèrent l’érudition comme une fin en soi. » (p.26)

    « Subvertir la religion chartiste du document écrit déposé dans les fonds d’archives en inventant de nouveaux types de sources. Néanmoins à leurs yeux, ce ne sont pas les sources qui renouvellent le point de vue de l’historien mais les questions qu’on leur pose. » (p.26)

    « Ils font largement appel aux économistes en premier lieu, aux géographes, aux sociologues, c’est-à-dire aux spécialistes de disciplines avec lesquelles les historiens doivent apprendre à dialoguer. Après la Seconde Guerre mondiale, les Annales ne retrouveront jamais une telle couverture pluridisciplinaire. Dans le public qu’ils visent comme dans les collaborations qu’ils sollicitent, ils s’efforcent également de déborder le milieu universitaire. » (p.27)

    « Marc Bloch et Lucien Febvre sont l’un et l’autre profondément républicains et attachés aux valeurs de la démocratie. Ce sont des hommes de gauche de sensibilité socialiste. » (p.30)

    « Le raisonnement historique peut aider le citoyen à comprendre les enjeux collectifs sur lesquels il est invité à se prononcer, mais aussi à évaluer à partir de la connaissance des formes du changement ce qui doit être respecté ou au contraire refusé dans l’état de la société. Et à ceux qui doivent prendre des décisions engageant le destin des autres, l’éclairage de l’analyse historique permet de mieux mesurer la portée de leurs choix. […]
    L’histoire ainsi entendue peut aider à comprendre et à réformer le monde social comme les sciences physiques et le savoir technique permettent d’agir sur le monde physique. » (p.31)

    « Dans l’intelligentsia française la dénonciation de la science et du règne de la technique fait recette. […] [A contrario,] la revue s’intéresse à la fois à l’Union soviétique et aux Etats-Unis ; deux sociétés plutôt négligées, voire méprisées à l’époque par les milieux intellectuels et universitaires français. » (p.33)

    « C’est le goût du présent, la volonté de comprendre ce qui nous est contemporain qui fait l’historien. C’est lui qui donne de l’intérêt à son exploration du passé. Un souci du très contemporain que l’on ne retrouvera plus au même niveau dans la revue après la Seconde Guerre mondiale marque le choix des enquêtes. » (p.38)

    « Quand les deux historiens arrivent à l’université de Strasbourg dans l’euphorie du retour à la vie civile, bien décrite par Lucien Febvre, heureux d’être là dans une ville redevenue française, mais surtout d’après survécu, l’expérience de la guerre a-t-elle infléchi leur conception de l’histoire ? » (p.41)

    « Cette capacité d’observation et d’autoanalyse, qu’il conserve dans les moments les plus éprouvants, révèle chez lui [Marc Bloch] un véritable dédoublement de la conscience qui permet à l’historien et à l’observateur de la réalité sociale de rester en éveil au cœur même de l’engagement personnel le plus total. » (p.42)

    « Comme l’expérience du front quinze ans plus tôt, la grande dépression va servir de laboratoire à la notion de mentalités que les directeurs des Annales veulent annexer au raisonnement historique. » (p.45)

    « S’il hésite [Marc Bloch] à signer l’appel du comité de vigilance anti-fasciste qui s’est constitué en réaction aux manifestations factieuses du 6 février 1934, comme l’y invite Lucien Febvre, c’est à cause du patronage d’Alain dont le pacifisme le hérisse. […] Il est jauressien, mais pour le Jaurès de L’Armée nouvelle. » (pp.46-47)

    « La première situation d’affrontement surprend Lucien Febvre au moment même où les deux amis s’employaient à lancer leur nouvelle revue, en 1929, quand il découvre que Marc Bloch s’est mis en campagne pour une candidature au Collège de France, auquel lui-même est candidat.
    Leurs candidatures respectives ayant fait long feu, Lucien Febvre apprend que Marc Bloch envisage de se présenter à la IVe section des Hautes Études sur un poste qui pourrait lui-même l’intéresser. Il hésite néanmoins à postuler à un poste qui représenterait une baisse de salaire plus difficilement supportable pour lui plus que pour Marc Bloch qui bénéficie d’une aisance personnelle grâce à sa femme Simone Vidal, issue d’une famille fortunée. Mais le seul fait que son ami postule à un poste qui aurait pu le tenter lui-même pour revenir à Paris lui apparaît comme un geste inamical et déloyal. A défaut de pouvoir se faire reconnaître par Marc Bloch une sorte de droit d’aînesse […] il arrive à le convaincre que leur intérêt est de s’entendre sur une stratégie commune au lieu de s’affronter dans une concurrence néfaste.
    Marc Bloch laisse le champ libre à Lucien Febvre pour l’élection suivante au Collège de France où celui-ci l’emporte sans trop de mal. Une fois au Collège, Lucien Febvre va se donner beaucoup de mal pour faire élire Marc Bloch comme il l’avait promis, mais sans succès. Contrairement à ce qu’on a prétendu, il s’y est voué sans réserve, même quand ce soutien allait contre la candidature d’un ami proche comme Henri Wallon, par exemple. Il ne se contente pas de solliciter des appuis. Il rédige de véritables argumentaires pour des collègues décidés à soutenir Marc Bloch, ainsi ceux qu’il adresse à Étienne Gilson. Quand Marc Bloch, prenant acte de ses échecs au Collège, décide d’être candidat à la succession de Hauser à la Sorbonne, Lucien Febvre repart en campagne.
    Comme Gaston Roupnel plein d’admiration pour Michelet, qui a vu chanceler son idole le jour où il a supris dans sa correspondance des démarches révélant un carrièrement peu glorieux, on ne peut éviter un sentiment de malaise et, disons-le, de déception quand on découvre à quel point les campagnes électorales de Marc Bloch envahissent sa correspondance avec Lucien Febvre. Lettre après lettre, il détaille ses voyages à Paris, ses visites, sonde les arrière-pensées de ses interlocuteurs, assaille son ami de questions et de demandes d’interventions auxquelles celui-ci répond avec une patience infinie. Cette patience apparaît moins exceptionnelle quand on découvre que Lucien Febvre, quelques années plus tôt, harcelait de la même manière Henri Berr qui mettait autant de bonne volonté à être son agent électoral dans le milieu universitaire parisien. » (pp.55-56)

    « Lucien Febvre renonce à l’idée de continuer les Annales d’histoire sociale sous une forme « aryanisée » cédant à Marc Bloch et à force des choses puisque la censure allemande refuse l’imprimatur aux Annales, classées pourtant par le ministère de l’Éducation de Vichy parmi les revues savantes à autoriser en urgence. » (p.60)

    « A la différence de Hauser, Marc Bloch fait partie du petit nombre de fonctionnaires soustraits aux mesures de radiation contre les juifs pour services exceptionnels rendus à la nation. » (p.60)

    « Marc Bloch garde un respect amical pour Charles Seignobos, son vieux maître, que Lucien Febvre considère comme le principal ennemi des Annales. Il est agacé par le romantisme rural de Gaston Roupnel que Lucien Febvre porte aux nues. » (p.62)

    « [Bloch] a demandé à être versé dans le service actif à la déclaration de guerre, en 1939, alors que son âge l’en dispensait. » (p.64)

    « Songeons au Problème de l’incroyance au XVIe siècle… qu’il [Lucien Febvre] construit sur une collecte très érudite des textes humanistes marqués par le matérialisme antique. » (p.66)

    « Malgré son succès qui se confond avec celui du courant des Annales, le concept de mentalités n’a été adopté par aucune autre discipline, ni en France ni à l’étranger où les historiens. » (p.71)

    « La réduction [durkheimienne] de la science de l’Homme à l’étude du social est contestée par Henri Berr dans la présentation de sa Revue de Synthèse historique. « Si légitime et si importe que soit la sociologie […] épuise-t-elle toute l’Histoire ? Nous ne le croyons […] La sociologie est l’étude de ce qui est social dans l’Histoire : mais tout y est-il social ? ». L’historien, selon lui, doit rester attentif « aux particularités individuelles […] par lesquelles s’expliquent les transformations même les plus générales des sociétés », la part de l’individuel augmentant avec le développement des sociétés. On retrouve chez ce philosophe kantien le besoin de préserver l’individualité de la conscience particulièrement dans ses formes d’activité les plus élevées, c’est-à-dire l’activité intellectuelle. […]
    C’est dans les mêmes termes que Lucien Febvre conçoit l’histoire des mentalités. On serait donc tenté de rattacher sa manière d’aborder la vie mentale à la psychologie historique préconisée par Henri Berr et celle de Marc Bloch auquel Lucien Febvre reproche de verser dans le sociologisme à la filiation de la sociologie durkheimienne. » (p.75)

    « On a négligé le fait que L’Introduction aux études historiques, le livre de Charles Victor Langlois et Charles Seignobos qui a déclenché la polémique, était lui-même un livre de circonstance ; les auteurs réagissent contre l’annexionisme de la sociologie qui laisse aux historiens un rôle de documentalistes. C’est en revendiquant pour l’histoire une singularité épistémologique hasardeuse, celle d’être la science de ce qui n’arrive qu’une fois, qu’ils espèrent la protéger de l’absorption par la sociologie. » (p.83)

    « Certains spécialistes d’histoire économique et sociale font partie du mouvement durkheimien comme Paul Mantoux, Hubert Bourgin et surtout François Simiand. » (p.84)

    « [Proche de Simiand, Paul Lacombe] combat à la fois le refus historisant [méthodiste] de toute généralisation et le déterminisme biologisant de la psychologie des foules. » (p.84)

    « Bien des historiens plus traditionnels montrent qu’ils savent faire bon usage des critiques de Simiand […] Pierre Caron, le spécialiste de la Terreur, invite les historiens à « écarter l’idole individuelle pour envisager les masses. » » (p.84)

    « Tocqueville a été assez vite écarté par l’historiographie universitaire de la Révolution française. Il ne sortira de cet oubli que dans la seconde moitié du XXe siècle. Fustel a eu au contraire une grande influence sur le milieu historien de son temps. » (p.88-89)

    « A l’encontre du déterminisme biologique qui domine l’anthropologie française à son époque et séduit l’élite intellectuelle républicaine par son allure scientiste, [Fustel] récuse les interprétations naturalistes de la famille. En affirmant que le lien social a besoin pour exister de « quelque chose de plus puissant » que la force des mécanismes naturels, il pose le principe d’une discontinuité entre le monde naturel et le monde social qui rend aux sciences sociales leur autonomie conceptuelle. […] La leçon a été retenue par Durkheim. Elle a été bien oubliée par Seignobos. » (pp.92-93)

    « des entassements de croyances, de représentations où l’ancien se mêle au plus récent. » (p.97)

    « Fernand Braudel considère Fustel de Coulanges comme l’un des grands précurseurs de la longue durée. » (p.98)

    « Les historiens ont eu besoin de s’éloigner de la notion de mentalités pour éprouver le besoin de la retrouver et de se la réapproprier à nouveaux frais. Cet éloignement correspond aux années 1950 et 1960, au moment où l’histoire économique et sociale, convertie sous l’influence d’Ernest Labrousse aux procédures rigoureuses de l’analyse sérielle, a connu son plus fort développement. La désaffection pour l’histoire des mentalités ne fut pas générale. Elle fut peu marquée chez les spécialistes du monde antique ou médiéval, mal pourvus en sources de caractère sériel donc moins tentés par l’histoire quantitative. » (p.131)

    « En faisant apparaître des rythmes d’évolution et des processus insoupçonnés, l’histoire quantitative a fait surgir de nouvelles interrogations auxquelles seule l’étude des mentalités pouvait répondre. Nulle autre procédure que l’analyse statistique n’aurait pu mettre en évidence un changement d’attitude aussi décisif pour la régulation des flux démographiques et pour le devenir de l’Europe occidentale que la tendance générale à retarder l’âge au mariage des filles apparue au cours du XVIe siècle ou bien dans le cas français la conversion précoce, dès la fin du XVIIe siècle, de certains secteurs de la population au contrôle des naissances. Ces changements ignorés ou tus par les témoignages de l’époque doivent leur signification historique à leur caractère massif que révèle l’analyse sérielle.
    Pour comprendre les raisons de ces changements que l’histoire quantitative a été capable de découvrir, de mesurer, de localiser et de dater avec précision mais incapable d’expliquer les historiens ont eu besoin de quitter la précision du comptage pour l’imprécision de l’analyse anthropologique. Ils ont dû explorer le contexte psychologique particulier qui a produit ces changements. Il a fallu passer de la démographie historique à l’anthropologie historique de la famille et de la sexualité. On retrouverait le même cheminement historiographique dans le passage d’une histoire de la consommation à une anthropologie des habitudes alimentaires ou dans le passage d’une histoire de l’alphabétisation à une histoire de la pénétration de la culture écrite, etc. L’anthropologie historique ne doit pas son essor au rejet mais aux acquis de l’histoire quantitative. » (pp.132-133)

    « Au lieu de s’attacher [comme Labrousse] aux déséquilibres du système qui ont conduit à sa désintégration, cette nouvelle génération d’historiens de la France et de l’Europe modernes s’est appliquée à décrire le fonctionnement de l’Ancien Régime économique et à désigner les mécanismes qui ont assuré sa survie durant une si longue période. Les thèses de Pierre Goubert sur le Beauvaisis et d’Emmanuel Le Roy Ladurie sur le Languedoc sont caractéristiques, parmi d’autres, de ce recentrage chronologique et problématique. […] La crise elle-même, définie par la pénurie, la famine, les épidémies, des traits qui l’enferment dans un régime économique de type ancien, n’est plus perçue comme le révélateur des contradictions du système et le point de rupture qui inverse la tendance mais comme le régulateur qui assure une stabilité générale sans croissance. » (p.140)

    « La terrible peste de Marseille de 1720 clôt pour la France et peut-être pour toute l’Europe occidentale le long cycle des pestes. » (p.143)

    « Tout modèle est par principe insuffisant face à la complexité et à la richesse débordante de la réalité observée. » (p.161)

    « Marqué comme Marc Bloch et Lucien Febvre par la tradition géographique française, [Braudel] en critique comme eux l’inspiration déterministe centrée sur l’idée d’une adaptation des réalisations humaines au milieu naturel. Il ne conçoit pas l’espace comme un champ d’observation que l’on calibre selon le cadre monographique choisi mais comme l’autre dimension de l’histoire qui se conjugue à sa temporalité, et comme sa dimension la plus aléatoire donc la plus créatrice. L’histoire des sociétés n’est soumise ni aux caractères intangibles d’une nature humaine comme le postule une conception transcendantale de l’homme, ni aux contraires d’une unité biologique de la planète comme le voudrait une approche naturaliste. » (p.169)

    « La revue Social History, s’est fait l’écho en 1993 et en 1994 d’un débat très animé au sein des spécialistes anglais de l’histoire sociale, suscité par le livre de Gareth Stedman Jones, Languages of Class. Studies in English Working Class History […] 1983. Ce débat, qui consacre le ralliement d’une partie de l’école historique britannique au Linguistic Turn, voit s’affronter également plusieurs tendances du marxisme académique anglais. » (note 12 p.321)

    -André Burguière, L’école des Annales. Une histoire intellectuelle, Odile Jacob, 2006, 366 pages.





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