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    Lina Molokotos Liederman, L'expression des appartenances religieuses à l'école en France et en Angleterre

    Johnathan R. Razorback
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    Lina Molokotos Liederman, L'expression des appartenances religieuses à l'école en France et en Angleterre Empty Lina Molokotos Liederman, L'expression des appartenances religieuses à l'école en France et en Angleterre

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 23 Juin - 8:26



    "La législation relative à la neutralité des élèves concerne la neutralité politique, et notamment l'interdiction de la propagande politique, mais autorise l'information par l'intermédiaire des associations socio-éducatives d'élèves ; la législation sur la neutralité religieuse des élèves interdit le prosélytisme (circulaire du 15 mai 1937), mais reconnaît la liberté d'expression des jeunes dans le respect du pluralisme (loi d'orientation de l'éducation du 10 juillet 1989)."
    -Lina Molokotos Liederman, "L'expression des appartenances religieuses à l'école en France et en Angleterre", Agora débats/jeunesses, Année 2002, 28, pp. 114-130 : https://www.persee.fr/doc/agora_1268-5666_2002_num_28_1_1983

    "le plus délicat,
    c’est, dans l’enseignement moral, la question des « devoirs envers Dieu ».
    En effet, au moment de la discussion au Sénat du projet de loi sur la
    laïcité de l’école primaire (1882), Jules Ferry s’est opposé à ce que ces
    devoirs soient inscrits dans la loi mais il a accepté qu’ils prennent place
    dans les programmes d’enseignement moral. Comment concilier la
    neutralité confessionnelle avec l’enseignement des « devoirs envers
    Dieu » ? Le Conseil supérieur de l’instruction publique chargé des
    programmes scolaires (Buisson en fait partie et y défend l’enseignement
    des « devoirs envers Dieu ») pensa résoudre le problème par une note
    explicative qui excluait tout cours de métaphysique sur la nature et les
    attributs de Dieu et limitait cet enseignement déiste au respect du nom de
    Dieu (associé à l’idée de Cause première et d’Être parfait), à la tolérance
    envers les différentes croyances et à la morale pratique. « Enseignez à
    l'enfant, dit la note explicative, qu'il y a bien des manières de croire en
    Dieu et de servir Dieu, mais qu'il n'y en a qu'une sur laquelle tout le
    monde soit d'accord, c'est l'obéissance aux lois de la conscience et aux
    lois de la raison. » (Buisson, 1911). Mais, et Buisson en convient, ces
    recommandations n’ont pas été comprises par une grande partie des
    instituteurs et les « devoirs envers Dieu » sont assez rapidement devenus
    lettre morte (ils seront définitivement supprimés des programmes de
    l’école primaire en 1923)."

    "Inquiets de la montée du socialisme et de la syndicalisation chez les instituteurs, les bourgeois républicains conservateurs « mettent en place (en coupe-feu) une conception neutralisante de la laïcité » (Lelièvre, 1990, p. 102). À partir d’une étude de la presse picarde (la lecture de 46000 numéros de 7 journaux), Claude Lelièvre a montré que la guerre scolaire entre 1906 et 1914 a été menée sur deux fronts, la lutte de la bourgeoisie conservatrice contre la progression de la laïcité socialiste. constituant le front principal et celle de l’Église et du parti clérical le front secondaire. Selon l’historien, le conflit avec l’Église a occulté la lutte acharnée contre le mouvement de syndicalisation des instituteurs et la progression du socialisme : « En définitive, écrit Lelièvre, l’ensemble des luttes sur les deux fronts se solde par la mise en avant d’une conception neutralisante de la laïcité (concentrée terminologiquement dans l’adjectif « scolaire », « la neutralité scolaire ») » (ibid., p. 105). La laïcité change de sens, on passe de la neutralité ‘religieuse’ à la neutralité ‘scolaire’ : « Loin d’être un principe de l’école laïque, écrit Olivier Reboul, la neutralité fut une arme aux mains de ses adversaires ; ou mieux : le carcan dans lequel ils voulurent l’enfermer » (Reboul, 1977, p.
    62). La neutralité n’est pas un principe laïque, elle est ce que réclament l’Église et les républicains conservateurs pour contrer la laïcité émancipatrice et socialiste."

    "Jaurès intervient sur la question de la neutralité en exprimant sa pensée dans des articles qui paraissent en 1908-1909 dans la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, notamment : « Protégés », « Neutralité et impartialité », « De la neutralité », « La valeur des maîtres », « La prochaine bataille » (cf. Jaurès, 2012, p. 248-270). La REPPS, revue à la fois pédagogique, professionnelle et politique, fait pénétrer les idées socialistes dans le milieu enseignant. Jaurès y collabore depuis juillet 1905 et sans interruption jusqu’à son assassinat ; il y publiera plus de deux cents articles. Les débats sur la neutralité ont lieu aussi à la Chambre et Jaurès y prononce son grand discours appelé « Pour la laïque » les 21 et 24 janvier 1910."

    "Le maître n’enseigne pas ce qu’il sait, au sens d’un savoir prétendument neutre ; le maître ne peut pas être neutre car il enseigne ce qu’il est, c’est-à-dire ce qui l’anime et qui anime aussi son rapport au savoir. Il enseigne ce qu’il est en enseignant les savoirs et en les faisant vivre par ce qu’il est. L’être du maître se manifeste aussi par les affects et Jaurès préconise, dans « Neutralité et impartialité », une méthode pédagogique à la fois « enthousiaste et objective » (Jaurès, 2012, p. 258). L’instituteur fait preuve d’objectivité en s’effaçant derrière les faits et en s’efforçant d’exposer tous les faits, mais il ne fait œuvre d’éducation qu’en montrant le sens de ces faits (c’est-à-dire en les situant dans le mouvement de l’histoire et l’évolution de l’univers) et en s’engageant avec sensibilité et émotion, avec tout son être, dans le savoir objectif qu’il donne. [...] Il y a donc à la fois un engagement et un retrait, une présence et un effacement du maître."

    "C’est d’abord le jeune philosophe allemand Paul-Louis Landsberg qui introduit en France, dans le milieu personnaliste de la revue Esprit, le thème de l’engagement. Il y a un paradoxe de l’engagement : nous devons nous engager parce que nous sommes engagés. Nous devons nous engager de manière réfléchie et volontaire parce que nous sommes inconsciemment et involontairement engagés, pris dans la vie et dans l’histoire, dans le jeu du monde. Ces deux faces de l’engagement (l’engagement au sens éthique et l’engagement au sens ontologique) apparaissent déjà chez Pascal, qui, dans son fameux argument du pari."

    "Dans ses Réflexions sur l’engagement personnel (texte paru dans Esprit en novembre 1937 et réédité par les éditions Allia en 2018), Landsberg, mort en 1944 au camp de concentration d’Orianenburg, montre que c’est notre condition historique qui exige l’engagement : « l’engagement réalise l’historicité humaine […], écrit Landsberg. Nous connaissons tous le désir de nous débarrasser du poids de l’historicité responsable, mais nous savons aussi bien que cette élusion est impossible […] l’engagement est essentiellement l’identification du sujet avec une force historique transsubjective » (Landsberg, 1952, p. 29-31). Nous devons choisir entre des forces et des mouvements historiques réels et non pas entre des principes abstraits et des idéologies. Landsberg conçoit une théorie de la connaissance par l’engagement : loin d’être un obstacle dans la recherche de la vérité, l’engagement est au contraire ce qui nous permet de connaître intimement le réel. Il critique l’intellectualisme qui réduit le monde à des faits (des faits biologiques, psychologiques, sociologiques, historiques, etc.), des faits objectivement constatables et explicables par d’autres faits. Il écrit : « Si le monde n’était qu’une somme de faits et si l’intelligence n’était qu’un instrument destiné à leur constatation et à leur désignation univoque, la dignité et la justesse de la pensée dépendraient alors de sa neutralité non engagée » (ibid., p. 34). S’il n’y avait que des faits, la position de surplomb, de neutralité et de pure objectivité serait non seulement possible mais nécessaire et serait la voie d’accès à l’universel, à ce que Merleau-Ponty appelle « l’universel de surplomb d’une méthode strictement objective » (Merleau-Ponty, 1960, p. 157). Comme sujet historique, l’individu se trouve toujours engagé dans une situation déterminée qui a des enjeux éthiques. « Les valeurs, écrit Landsberg, ne sont pas des faits que nous pourrions constater comme d’autres faits, et la situation, elle non plus, n’est pas un tel fait. Sa vérité ne m’est accessible que par une participation intégrale à sa structure » (Landsberg, 1952, p. 36). Seul l’engagement pour une cause historique qui incarne des valeurs rend possible « un savoir de l’historicité que nous vivons » (idem. Les italiques sont de Landsberg). Cette connaissance par engagement de la situation dans sa totalité et sa division permet de comprendre « les antagonismes déchirants que contient la situation » (ibid., p. 37) ; « Qui choisit une cause sans avoir connu ce déchirement préalable ne s’engage pas d’une façon libre et juste » (idem). Cette connaissance par engagement et participation, qu’on pourrait aussi appeler une connaissance éthique, n’invalide pas la connaissance réfléchie et rationnelle ; mais, de même que la « géographie », comme dit Merleau-Ponty dans l’avant-propos de la Phénoménologie de la perception, dépend « du paysage où nous avons d’abord appris ce que c’est qu’une forêt, une prairie ou une rivière » (Merleau-Ponty, 1945, p. III), de même la connaissance historique et sociologique rationnelle dépend de la connaissance par engagement où nous avons d’abord appris ce que c’est que notre situation historique. Ceci est d’autant plus vrai que nous vivons aujourd’hui une situation de crise, voire de catastrophe. L’intellectualisme pur, écrit encore Landsberg, « […] ne peut plus contenter les hommes à une époque de crise historique et sociale [rappelons qu’il écrit cela en 1937] devenant tôt ou tard la crise personnelle de chacun. […] Cette intelligence qui reste absente partout où elle devrait assumer des responsabilités, livre à la fin, nécessairement, l’empire du monde aux forces les plus aveugles, toute prête qu’elle est à expliquer après coup, et de façon bien neutre, les destructions que ces forces ne peuvent pas ne pas engendrer. »."
    -Jean-Marc Lamarre, De la neutralité, de l’engagement et de la laïcité : penser avec Jaurès, La Pensée d'Ailleurs, n°2, Décembre 2020 : https://www.ouvroir.fr/lpa/index.php?id=123&file=1

    « La vie de l’esprit ne peut être séparée de la vie sociale ».
    -Jean Jaurès, La Dépêche de Toulouse, 1er janvier 1891.

    « La domination d’une classe est un attentat à l’humanité. Le socialisme, qui abolira toute primauté de classe et toute classe est donc une restitution de l’humanité. Dès lors c’est pour tous un devoir de justice d’être socialiste. »
    -Jean Jaurès, « Le socialisme et la vie » (1901).

    « L’âme enfantine est pleine d’infini flottant, et toute l’éducation doit tendre à donner un contour à cet infini qui est dans nos âmes », écrit Jaurès, en 1892, dans « L’instruction morale à l’école »




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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