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    Hélène Védrine, Les grandes conceptions de l'imaginaire. De Platon à Sartre et Lacan

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Hélène Védrine, Les grandes conceptions de l'imaginaire. De Platon à Sartre et Lacan Empty Hélène Védrine, Les grandes conceptions de l'imaginaire. De Platon à Sartre et Lacan

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 22 Mai - 15:55



    "C'est avec Kant et le schématisme que s'ouvriront les voies de la modernité. L'imagination s'émancipe enfin du leurre, elle donne à penser, elle devient constructive. Enfin débarrassée de la perception, elle inspire l'esthétique concrète d'un Bachelard." (p.6)

    "En opposant la réceptivité de la sensibilité et l'activité de l'entendement, l’imagination apparaissait d’abord, très classiquement, comme un cntre-deux, un pont. Mais avec le schématisme, elle devient puissance de synthèse. Le schème « est un procédé général de l'imagination pour procurer à un concept son image ». Dans la première édition de la Critique de la raison pure (1781), on peut croire à un certain moment que l'imagination, parce qu’elle rend les concepts représentables, est la principale faculté de synthèse. On sait qu'effrayé par ces audaces, Kant fera machine arrière dans la deuxième édition et soumettra l’imagination à l'unité de l'aperception transcendantale. Mais le caractère constructif de l'imagination est maintenu. Elle ne travaille pas seulement par association comme chez Hume, c'est elle qui permet aux différentes synthèses a priori de s'effectuer. Elle fonde donc en quelque sorte la possibilité de l’objectivité. Travail de rassemblement que développera la Critique du jugement, insistant sur le libre jeu de l'imagination, qui produit du plaisir, et ajoutant quelque chose qui n’est pas une connaissance mais donne « à penser plus » ($ 49). Tout se passe comme si une vérité plus originaire sous-tendait les analyses le Beau.

    Le schématisme sans concept de la troisième Critique débouche sur ce qui dépasse l'imaginable : le sublime." (pp.16-17)

    "Le problème de l'image se trouve stratégiquement au cœur du platonisme, parce qu'il engage non seulement la question des rapports du paraître et de l'être, mais surtout le statut du politique, conçu par les sophistes comme le discours du vraisemblable et du probable.

    Critiquer l’image c'est d’abord montrer l'ambiguïté d'une mimesis qui entraîne les hommes, soit sous l'effet de la passion, soit « sous l'effet de l'opinion et du simulacre. L'imitateur n'entend rien à la réalité, il ne connaît que l'apparence » (Rép., 601 c). Poètes et sophistes renvoient à la même dégradation de l'eidos en copie ou simulacre. Et pourtant cette dévalorisation de l'image qu'on attribue trop facilement à Platon n'est pas totale. Car l’image réfère aussi au symbolique, aux mythes. Et quelle cité pourrait survivre sans mythes fondateurs ? Quant au penseur, il est bien obligé de combler les vides du concept par un recours aux récits immémoriaux: mythes du Timée, du Phédon, de La République, etc. Platon est le premier sans doute à avoir pris conscience des difficultés inextricables de toute recherche sur l'image et l'imagination. Certes, l’image s’articule sur l'apparaître, mais elle définit d’abord la situation de l'homme ordinaire ballotté centre des images-copies, des images-simulacres, des effets de miroirs, d’ombres et de reflets. Mettre de l'ordre dans ce foisonnement, telle est une des tâches du philosophe.

    Pour un Grec, l'image psychophysiologique n'a pas le même statut que pour un contemporain. Comme l'affirme le Timée, les yeux sont « porteurs de lumière » (45 b). La vision « jaillit » d'une rencontre entre le flux visuel et le flux de la lumière. « Le feu qui jaillit des yeux [...] rencontre et choque celui qui provient des objets extérieurs. Il se forme ainsi ensemble qui à des propriétés uniformes dans toutes ses parties grâce à la similitude » (45 c). La théorie de l'émission du rayon visuel nous semblera extravagante, mais elle ne choque en rien un Grec qui la trouve plus probante que la théorie des simulacres émis par les corps. L'atomisme est récusé parce que incompréhensible: comment expliquer la vision d'une montagne où du ciel si nos yeux dont la grandeur est limitée reçoivent des simulacres extérieurs ? En revanche, la rencontre entre les deux flux intérieur et extérieur produit la vision grâce à la similitude et la ressemblance. Par là s'expliquent les effets énigmatiques constatés lorsqu'on regarde dans un miroir et qu'on est en présence de l'inversion des images. En effet, « c'est sur les parties opposées du feu visuel que viennent s'appliquer les parties opposées du feu extérieur, contrairement à ce qui a lieu dans l'émission » (46 b).

    Cette « conceptualisation » de l’image à partir de deux feux a eu la vie dure. Elle s'est perpétuée à travers les âges dans la culture populaire et savante. Combien de miroirs ternis par les regards d'une femme enceinte ?" (pp.20-22)

    "Selon l'affirmation constante de Platon, l’image reproduit en quelque manière l’idée qui la fonde. [...] Le Dieu comme le menuisier produisent et, même si le menuisier ne possède qu’une opinion droite, il a en commun avec le Démiurge cette activité créatrice. Alors que le peintre, contrairement à ce que nous pourrions croire d’un point de vue moderne, ne produit pas. Il ne fait qu'imiter les objets tels qu'ils paraissent et ne tels qu'ils sont." (pp.21-22)

    "L'image n'est plus une copie, mais un non-étant, un non-être irréel. Mais le prix à payer est exorbitant: il a fallu réintroduire une forme de non-être. Et « établir que le non-être est sous un certain rapport et que l’être en quelque façon n'est pas » (241 a). Il ne faut rien moins qu'une révolution ontologique pour se libérer de l'image-simulacre. La critique de la sophistique devient alors l'occasion d’une critique plus fondamentale: celle de l'Un parménidien." (p.25)

    "Il ne faut pas attribuer à Platon une théorie de l'imagination créatrice. Très souvent, il définit l'imagination comme « une sensation liée à une opinion » (Sophiste). Par là, elle ne participe pas de la science. Mais, comme [l'a montré J.P. Vernant], Platon hésite entre l’image-double de la Grèce archaïque, sorte de fantôme d'une présence-absence et une théorie de l'être de l'apparaitre." (p.26)

    "L'opposition entre les cités vertueuses (paysannes et guerrières) ct les cités maritimes (commerçantes et immorales) est une des constantes du platonisme. Polémique nostalgique qui permet de rappeler que « anciens étaient meilleurs que nous » (Phèdre, 274 c) et que la cité est corrompue." (pp.28-29)

    "Avec Aristote, l'imagination se dégage de la mimesis. Elle ne se pense plus en terme de rapports entre un modèle et une copie, mais elle se développe comme intermédiaire, comme médiation entre le sensible et l'intelligible.

    Elle n’est plus, comme chez Platon, une sorte de non-être toujours susceptible de déchoir dans la manipulation sophistique ou dans le trompe-l'œil du peintre. Elle devient ce milieu où s'effectuent les opérations les plus complexes de l'âme : d’une part elle dépend de la sensation, de l’autre elle touche à la pensée. Or il n'y a pas de pensée sans images, que ce soit lors des activités pratiques, quand entre en jeu la délibération, ou au niveau infiniment plus complexe de la connaissance des intelligibles. À la fois distincte de la sensation pure et de l'intellection, l'imagination semble échapper à toute analyse. [...]
    Bien que liée à la sensation, l'imagination a une certaine autonomie, comme le montrent les cas nombreux où nous pouvons faire varier les images, les combiner ou les subir." (pp.29-30)

    "Toute sensation implique la douleur et le plaisir ou, ce qui revient au même, le désir de chercher comme de fuir ce qui convient le mieux à chaque vivant." (p.32)

    "L'imagination est liée à une mémoire élémentaire qui permet de s'adapter et de s'organiser pratiquement dans l'environnement immédiat : « Quoiqu'il en soit, les animaux autres que l’homme vivent réduits aux images et aux souvenirs » (Métaphysique, 980 b, 25). À cette adaptation proprement biologique se superpose, chez l’homme, le jeu du raisonnement qui conduit, à partir de la sélection des images de la mémoire, à l'expérience, puis à la science et à l’art (Métaphysique, 981 a)." (p.33)

    "La sensation est toujours vraie, alors que l’image peut être trompeuse, soit qu'elle décolle de la sensation comme dans le rêve, soit qu’elle soit maniée librement par l'artiste, soit qu'elle soit composée volontairement pour aider la mémoire comme dans les techniques d’Ars memoriae. Par sa plasticité, elle déborde de partout la sensation. Mais l'imagination n'est pas la pensée, puisque cette dernière est propre aux hommes, alors que les animaux supérieurs possèdent, selon Aristote, une forme élémentaire d'imagination.  À l'encontre de Platon, le Stagirite refuse de lier l'imagination à l'opinion. « L'opinion entraîne la conviction »." (p.37)

    "Le monde de Bachelard est rempli de positivité, de travailleurs heureux de polir, de sertir, de raboter. Cet homme qui connut dans sa jeunesse la dureté de la vie quotidienne ignore le misérabilisme." (p.117)

    "Trop intellectualiste, la phénoménologie husserlienne reste une philosophie du voir ; elle risque de délester les objets de leur poids. C’est pourquoi Bachelard ne s'intéresse ni à la réduction, ni au dégagement des essences." (p.118)

    "Dès L’Imaginaire (1940), Sartre est en possession de sa thèse : l'imagination est production d’irréel, c’est pourquoi elle se distingue radicalement de la perception toujours engluée dans le réel, et travaille en néantisant le monde et l'attitude naturelle. Elle fait venir à l'être ce qui n'existait pas encore. Ce n'est pas le rouge du tapis de Matisse que j'admire mais le « caractère laineux » de ce rouge. Je le saisis comme irréel. Pour Sartre, la rêverie ne prolonge pas le monde des objets en proposant d’infinies variations. Si elle est créatrice de choses neuves, « d'objets que je n'ai jamais vus ni ne verrai jamais », l'imagination n’est pas arbitraire ; elle travaille sur un fond de monde, mais pour que j'imagine le centaure, il faut d'abord que je me donne un monde où le centaure n'existe pas. « Ainsi, l’acte imaginatif est à la fois constituant, isolant et anéantissant. » Bachelard accepterait les termes d'isolant et de constituant, mais il récuserait celui d'anéantissant parce que, pour lui, « tout l'être du monde s’amasse poétiquement autour du rêveur »." (p.124)
    -Hélène Védrine, Les grandes conceptions de l'imaginaire. De Platon à Sartre et Lacan, Paris, Librairie Générale Française, 1990, 160 pages.




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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