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    Matthieu Renault et Guillaume Sibertin-Blanc, Se réapproprier Spinoza. Usages et mésusages d’un philosophe à la mode

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Matthieu Renault et Guillaume Sibertin-Blanc, Se réapproprier Spinoza. Usages et mésusages d’un philosophe à la mode Empty Matthieu Renault et Guillaume Sibertin-Blanc, Se réapproprier Spinoza. Usages et mésusages d’un philosophe à la mode

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 2 Mar - 10:29


    "À la fin des années 1970, déambulant dans les couloirs de l’ENS, on aurait pu croiser un philosophe italien d’une quarantaine d’années qui n’en était pas à son premier séjour en France et y trouverait refuge au début de la décennie suivante. Antonio Negri, figure de proue de l’opéraïsme et de l’Autonomie italienne, avançait riche d’une expérience au sein des organisations révolutionnaires dont beaucoup de ses aînés auraient aimé pouvoir se targuer. Il assurait alors, à l’invitation d’Althusser, un cours sur les Grundrisse de Marx qui donna lieu à la publication en 1979 de Marx oltre Marx (Marx au-delà de Marx), souvent considéré comme le manifeste philosophique de l’Autonomie. Mais 1979 est aussi l’année où Negri fut incarcéré en raison d’une participation présumée à l’assassinat du député Aldo Moro. Des milliers de militants suspectés d’appartenir aux Brigades rouges peuplèrent les prisons italiennes. « L’Autonomie avait été défaite » se remémore-t-il : il fallait « découvrir la nécessité de ce que l’on était en train de vivre », « retrouver quelque chose de solide alors que tout était en train de s’effondrer ». Selon Negri, chez qui les problèmes politiques semblent être immédiatement convertibles en problèmes métaphysiques et inversement, cette quête d’un sol ferme n’engageait rien de moins qu’une « reconstruction du marxisme sur des bases ontologiques », « au-delà de la critique de l’économie politique », au-delà de Marx encore ; non plus cependant à partir de Marx lui-même, mais d’un philosophe dont la pensée était apte à révéler les « formes d’être qui sous-tendaient notre action » : Spinoza [17]
    [17]
    Entretien avec Antonio Negri, 16 janvier 2018..

    16Écrit en prison, L’Anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez Spinoza parut en italien en 1981. Se nourrissant des travaux des néo-spinozistes français – Matheron, ce « Maître universitaire », et plus encore Deleuze – sans ignorer la tradition du spinozisme italien, la perspective de Negri n’en restait pas moins fermement ancrée dans un matérialisme historique dont il avait engagé la refondation dès 1970 dans un ouvrage séminal (non traduit à ce jour en français) : Descartes politique [18]
    [18]
    Ibid.. Au centre du complexe narrativo-théorique mis en place par Negri, la thèse que la philosophie de Spinoza aurait connu deux « fondations » successives, dont la césure serait manifestée par l’interruption brutale de l’écriture de l’Éthique au profit de celle du Traité théologico-politique. Découvrant l’imagination comme pouvoir de production du réel plutôt que comme son reflet dégradé, cet essai ouvrait la voie à un renversement du rapport entre la substance (une) et les « modes » (multiples), c’est-à-dire les êtres-individus singuliers, désormais « hégémoniques » dans le système spinozien. S’orientant vers un immanentisme toujours plus radical, une pure philosophie de l’affirmation, Spinoza rompait avec toute pensée de la médiation et du pouvoir (potestas) au profit d’une pensée, sauvage, de la constitution et de la puissance (potentia), ou de ce que l’on pourrait appeler une « métaphysique par en bas ». Là où le « premier Spinoza » était un « promoteur de l’ordre du capitalisme », le second participait déjà à la « fondation du matérialisme révolutionnaire », non à l’instar d’un précurseur, depuis dépassé, mais comme l’auteur d’une « philosophie de l’avenir », jamais aussi actuelle qu’en cette fin de xxe siècle [19]
    [19]
    A. Negri, L’Anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez….

    17C’est dans l’Anomalie sauvage, sur sa fin, qu’apparaît le concept de multitude ; car tel aurait été le fin mot de Spinoza lui-même dans le Traité politique. La multitude (multitudo), qui avait toujours été considérée négativement, comme informe et incapable de se réformer, était en réalité la condition positive de l’autoconstitution (immanente) de la communauté politique, invalidant toute théorie (transcendante) du contrat social et de l’État bourgeois. Via cette réhabilitation, Spinoza se voyait indissociablement mis au service d’une critique de la catégorie de classe ouvrière, substituant à l’ouvrier-masse (indifférencié) l’ouvrier-social (singularisé) et impliquant la formation d’une nouvelle « ontologie du commun » ; projet qui occupera Negri et les « négristes » au cours des décennies suivantes, dans un dialogue ininterrompu avec Spinoza – dont l’intéressé admet avoir toujours eu une « conception instrumentale [20]
    [20]
    Entretien avec Antonio Negri, 16 janvier 2018. » : qu’il suffise ici de citer Le Pouvoir constituant et le recueil Spinoza subversif parus dans les années 1990, le colossal chantier entrepris avec Michael Hardt en 2000 avec la publication d’Empire, ou encore la fondation la même année de la revue Multitudes qui, dans son deuxième numéro, célébrait « L’événement Spinoza » en promettant d’y « reven[ir] souvent avec ténacité [21]
    [21]
    J. Ceccaldi, « L’événement Spinoza », Multitudes, n° 2,… ».

    18La traduction française de L’Anomalie sauvage parut un an après l’original, assortie de préfaces signées par Deleuze, Macherey et Matheron. Il n’en fallait pas moins pour afficher un soutien politique inconditionnel à son auteur, toujours incarcéré."

    "Dans la texture réticulaire et acentrée qu’aménage l’« ordre géométrique » de l’Éthique, avec son système de renvois entre propositions, démonstrations et scolies, certains se plaisent aujourd’hui à reconnaître une préfiguration des structures hypertextuelles que le World Wide Web nous a rendues familières."
    -Matthieu Renault et Guillaume Sibertin-Blanc, « Se réapproprier Spinoza. Usages et mésusages d’un philosophe à la mode », Revue du Crieur, 2018/2 (N° 10), p. 144-159. DOI : 10.3917/crieu.010.0144. URL : https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2018-2-page-144.htm



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