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    Victor Cousin, Du beau et de l’art, et autres textes

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Victor Cousin, Du beau et de l’art, et autres textes Empty Victor Cousin, Du beau et de l’art, et autres textes

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 5 Oct - 17:49

    https://books.google.fr/books?id=8x4RAAAAYAAJ&pg=PA394&lpg=PA394&dq=victor+cousin+Le%C3%A7ons+sur+la+philosophie+de+Kant&source=bl&ots=DMKJo_Wu1c&sig=bOjJ5gVSawCxgJLmpg0Hj-ZoGkA&hl=fr&sa=X&ved=0CEgQ6AEwCGoVChMInabtodvdyAIVRn4aCh3qvAyM#v=onepage&q=victor%20cousin%20Le%C3%A7ons%20sur%20la%20philosophie%20de%20Kant&f=false

    http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207991k

    https://fr.wikisource.org/wiki/Du_fondement_de_la_morale

    https://fr.wikisource.org/wiki/Du_beau_et_de_l%E2%80%99art

    "N’est-ce pas un fait incontestable qu’en face de certains objets, dans des circonstances très diverses, nous portons ce jugement : Cet objet est beau ? Cette affirmation n’est pas toujours explicite. Quelquefois elle ne se manifeste que par un cri d’admiration ; quelquefois elle s’élève silencieusement dans l’esprit qui à peine en a conscience. Les formes de ce phénomène varient, mais le phénomène est attesté par l’observation la plus vulgaire et la plus certaine, et toutes les langues en portent témoignage.

    Quoique les objets sensibles soient ceux qui, chez la plupart des hommes, provoquent le plus souvent le jugement du beau, ils n’ont pas seuls cet avantage ; le domaine de la beauté est plus étendu que le monde physique exposé à nos regards ; il n’a d’autres bornes que celles de la nature entière, de l’ame et du génie de l’homme. Devant une action héroïque, au souvenir d’un grand dévouement, même à la pensée des vérités les plus abstraites puissamment enchaînées entre elles dans un système admirable à la fois par sa simplicité et par sa fécondité, enfin devant des objets d’un autre ordre, devant les œuvres de l’art, ce même phénomène se produit en nous. Nous reconnaissons dans tous ces objets, si différens qu’ils soient, une qualité commune sur laquelle tombe notre jugement, et cette qualité nous l’appelons la beauté.

    En vain on a tenté de réduire le beau à l’agréable.

    Sans doute la beauté est presque toujours agréable aux sens, ou du moins elle ne doit pas les blesser. La plupart de nos idées du beau nous viennent par la vue et par l’ouïe, et tous les arts, sans exception, s’adressent à l’ame par le corps. Un objet qui nous fait souffrir, fût-il le plus beau du monde, bien rarement nous paraît tel. La beauté n’a point de prise sur une ame occupée par la douleur.

    Mais si une sensation agréable accompagne souvent l’idée de la beauté, il n’en faut pas conclure que l’une soit l’autre.

    L’expérience prouve que toutes les choses agréables ne nous paraissent pas belles, et que parmi les choses agréables celles qui le sont le plus ne sont pas les plus belles : marque assurée que l’agréable n’est pas le beau, car si l’un est identique à l’autre, ils doivent toujours être proportionnés l’un à l’autre, et ils ne peuvent être séparés.

    Or, tandis que tous nos sens nous donnent des sensations agréables, deux seulement ont le privilége d’éveiller en nous l’idée de la beauté. A-t-on jamais dit : Voilà une belle saveur, voilà une belle odeur ? Cependant on le devrait dire, si le beau est l’agréable. D’un autre côté, il est certains plaisirs de l’odorat et du goût qui ébranlent plus la sensibilité que les plus grandes beautés de la nature et de l’art, et même, parmi les perceptions de l’ouïe et de la vue, ce ne sont pas toujours les plus vives qui excitent le plus en nous l’idée de la beauté. Des tableaux d’un coloris médiocre, ceux de notre admirable Lesueur, par exemple, ne nous émeuvent-ils pas plus profondément que telles œuvres éblouissantes, plus séduisantes aux yeux, moins touchantes à l’ame ? Je dis plus : non-seulement la sensation ne produit pas l’idée du beau, mais quelquefois elle l’étouffe. Qu’un artiste se complaise dans la reproduction de formes voluptueuses, en agréant aux sens, il trouble, il révolte en nous l’idée chaste et pure de la beauté. L’agréable n’est donc pas la mesure du beau, puisqu’en certains cas il l’efface et le fait oublier ; il n’est donc pas le beau, puisqu’il se trouve, et au plus haut degré, où le beau n’est pas.

    Ceci nous conduit au fondement essentiel de la distinction de l’idée du beau et de la sensation de l’agréable, à savoir la différence de la sensibilité et de la raison.

    Quand un objet vous plaît, si l’on vous demande pourquoi, vous ne pouvez rien répondre sinon que telle est l’impression que vous éprouvez en ce moment ; et si on vous avertit que ce même objet produit sur d’autres une impression différente et leur déplaît, vous ne vous en étonnez pas beaucoup, parce que vous savez que la sensibilité est diverse, et qu’il ne faut pas disputer des sensations. En est-il de même lorsqu’un objet ne vous plaît pas seulement, mais lorsque vous jugez qu’il est beau ? Lorsque vous prononcez, par exemple, que cette figure est noble et belle, que ce lever ou ce coucher de soleil est beau, que le désintéressement et le dévouement sont beaux, que la vertu est belle, si l’on vous conteste la vérité de ces jugemens, alors vous n’êtes pas aussi accommodant que vous l’étiez tout à l’heure ; vous n’acceptez pas le dissentiment comme un effet inévitable de sensibilités différentes ; vous n’en appelez plus à votre sensibilité, qui naturellement se termine à vous ; vous en appelez à une autorité qui est faite pour les autres comme pour vous, celle de la raison. Vous vous croyez le droit d’accuser d’erreur celui qui contredit votre jugement ; car ici votre jugement ne repose plus sur quelque chose de variable et d’individuel, comme une sensation agréable ou pénible. L’agréable se renferme pour nous dans l’enceinte de notre propre organisation, où il change à tout moment, selon les révolutions perpétuelles de cette organisation, selon la santé et la maladie, l’état de l’atmosphère, celui de nos nerfs, etc. Mais il n’en est pas ainsi de la beauté : la beauté, comme la vérité, n’appartient à aucun de nous ; c’est le bien commun, c’est le domaine public de l’humanité ; personne n’a le droit d’en disposer arbitrairement ; et quand nous disons : Cela est vrai, cela est beau, ce n’est plus l’impression particulière et variable de notre sensibilité que nous exprimons, c’est le jugement absolu que la raison impose à tous les hommes.

    Confondez la raison et la sensibilité ; réduisez l’idée du beau à la sensation de l’agréable, le goût n’a plus de loi, la distinction du bon et du mauvais goût est abolie. Si je n’aime pas l’Apollon du Belvédère, vous me dites que je n’ai pas de goût. Qu’est-ce à dire ? n’ai-je pas des sens comme vous ? l’objet que vous admirez n’agit-il pas sur moi comme sur vous ? l’impression que j’éprouve n’est-elle pas aussi réelle que celle que vous éprouvez ? D’où vient donc que vous avez raison, vous qui ne faites qu’exprimer l’impression que vous ressentez, et que j’ai tort, moi qui fais précisément la même chose ? Est-ce parce que ceux qui sentent comme vous sont plus nombreux que ceux qui sentent comme moi ? Mais le nombre des voix n’est pour rien ici. Le beau étant défini ce qui produit sur les sens une impression agréable, une chose qui plaît, fût-ce à un seul homme, fût-elle affreusement laide aux yeux du genre humain tout entier, doit être cependant et très légitimement appelée belle par celui qui en reçoit une impression agréable, car pour lui elle satisfait à la définition. Il n’y a plus alors de vraie beauté, il n’y a plus que des beautés relatives et changeantes, des beautés de circonstance, de coutume, de mode, et toutes ces beautés, quelque différentes qu’elles soient, seront toutes légitimes, pourvu qu’elles rencontrent des sensibilités auxquelles elles agréent. Et comme il n’y a rien en ce monde, dans l’infinie diversité de nos dispositions, qui ne puisse plaire à quelqu’un, il n’y aura rien qui ne soit beau, ou pour mieux parler il n’y aura ni beau ni laid, et la Vénus des Hottentots égalera la Vénus de Médicis. L’absurdité des conséquences démontre l’absurdité du principe. Il n’y a qu’un moyen d’échapper à ces conséquences, c’est de répudier le principe, et de reconnaître que le jugement du beau est un jugement absolu, et, comme tel, radicalement différent de la sensation.

    Enfin, et c’est ici le dernier écueil de la philosophie qui tire toutes nos idées des sens, n’y a-t-il en nous que l’idée d’une beauté imparfaite et finie, et en même temps que nous admirons les beautés réelles que nous présente la nature, ne nous élevons-nous pas à l’idée d’une beauté supérieure que Platon appelle excellemment l’idée du beau, et que, d’après lui, tous les hommes d’un goût délicat, tous les artistes appellent l’idéal ? Si nous établissons des degrés dans la beauté des choses, n’est-ce pas parce que nous les comparons, souvent sans nous en rendre compte, à cet idéal qui nous est la mesure et la règle de tous nos jugemens sur les beautés particulières ? Comment cette idée de la beauté absolue enveloppée dans tous nos jugemens sur le beau, comment cette beauté idéale, que nous ne pouvons réaliser, mais qu’il nous est impossible de ne pas concevoir, nous serait-elle révélée par la sensation, par une faculté variable et relative comme les objets qu’elle aperçoit ?

    Après avoir distingué l’idée du beau de la sensation de l’agréable, nous pouvons aborder un phénomène d’un autre ordre, qui est attaché à l’idée du beau, et y tient par des liens si intimes, que les meilleurs juges l’ont très souvent confondu avec elle.

    N’est-il pas certain qu’en même temps que vous jugez que tel ou tel objet est beau, vous sentez aussi sa beauté, c’est-à-dire que vous éprouvez à sa vue une émotion délicieuse, et que vous êtes attiré vers cet objet par un sentiment de sympathie et d’amour ? Dans d’autres cas, vous jugez autrement, et vous éprouvez un sentiment contraire à celui-là. L’aversion accompagne le jugement du laid, comme l’amour le jugement du beau.

    Plus l’objet est beau, plus la jouissance qu’il procure à l’ame est vive, et l’amour profond sans être passionné. Dans l’admiration, le jugement domine, mais animé par le sentiment. L’admiration s’accroît-elle à ce point d’imprimer à l’ame un mouvement, une ardeur qui semblent excéder les limites de la nature humaine, ce degré suprême de l’admiration et de l’amour s’appelle l’enthousiasme.

    La philosophie de la sensation n’explique le sentiment comme l’idée du beau qu’en le dénaturant : elle le confond avec la sensation agréable, et par conséquent pour elle l’amour de la beauté n’est que le désir. Il n’y a pas de théorie que les faits contredisent davantage.

    D’abord l’émotion intime attachée à la perception du beau se distingue de la sensation agréable à ce signe manifeste que cette émotion suit le jugement du beau, et que la sensation le précède[3].

    En second lieu, qu’est-ce que le désir ? Un mouvement de l’ame qui a pour fin, avouée ou secrète, la possession de son objet. Mais le sentiment du beau ne se rapporte pas à la possession. L’admiration est de sa nature respectueuse, tandis que le désir tend à profaner son objet.

    Le désir est fils du besoin. Il suppose donc en celui qui l’éprouve un manque, un défaut, et jusqu’à un certain point une souffrance. Le sentiment du beau est sa propre satisfaction à lui-même.

    Le désir est enflammé, impétueux, douloureux. Le sentiment du beau, libre de tout désir et en même temps de toute crainte, élève et échauffe l’ame, et peut la transporter jusqu’à l’enthousiasme sans lui faire connaître les troubles de la passion. L’artiste n’aperçoit que le beau là où l’homme sensuel ne voit que l’attrayant ou l’effrayant. Sur un vaisseau battu par la tempête, quand les passagers tremblent à la vue des flots menaçans et au bruit de la foudre qui gronde sur leur tête, l’artiste demeure absorbé dans la contemplation de ce sublime spectacle. Vernet se fait attacher à un mât pour contempler plus long-temps l’orage dans sa beauté majestueuse et terrible. Dès qu’il connaît la peur, dès qu’il partage l’émotion commune, l’artiste s’évanouit, il ne reste plus que l’homme.

    Le sentiment du beau est si peu le désir que l’un et l’autre s’excluent.

    Laissez-moi prendre un exemple vulgaire. Devant une table chargée de mets et de vins délicieux, le désir de la jouissance s’éveille, mais non pas le sentiment du beau. Je suppose qu’au lieu de songer au plaisir que me promettent toutes les choses étalées sous mes yeux, j’envisage seulement la manière dont elles sont arrangées et disposées sur la table et l’ordonnance du festin : le sentiment du beau pourra naître en quelque degré ; mais, assurément, ce ne sera ni le besoin ni le désir de m’approprier cette symétrie, cette ordonnance.

    Le propre de la beauté n’est pas d’irriter et d’enflammer le désir, mais de l’épurer et de l’ennoblir. Plus une femme est belle, non pas de cette beauté commune et grossière que Rubens anime en vain de son ardent coloris, mais de cette beauté idéale que l’antiquité et l’école romaine et florentine ont seules connue, plus, à l’aspect de cette noble créature, le désir est tempéré par un sentiment exquis et délicat, quelquefois même remplacé par un culte désintéressé. Si la Vénus du Capitole ou la sainte Cécile excitent en vous des désirs sensuels, vous n’êtes pas fait pour sentir le beau.

    Le sentiment du beau est donc un sentiment spécial, comme l’idée du beau est une idée simple. Mais ce sentiment un en lui-même ne se manifeste-t-il que sous une seule forme et ne s’applique-t-il qu’à un seul genre de beauté ? Ici encore, ici comme toujours, interrogeons l’expérience.

    Quand vous avez sous les yeux un objet dont les formes sont parfaitement déterminées et l’ensemble facile à embrasser, une belle fleur, une belle statue, un temple antique d’une médiocre grandeur, chacune de vos facultés s’attache à cet objet et s’y repose avec une satisfaction sans mélange ; vos sens en perçoivent aisément les détails ; votre raison saisit l’heureuse harmonie de toutes ses parties. Cet objet a-t-il disparu, vous vous le représentez distinctement tout entier, tant les formes en sont précises et arrêtées. L’ame, en le contemplant, ressent une joie douce et tranquille, une sorte d’épanouissement.

    Considérez au contraire un objet aux formes vagues et indéfinies, et qui pourtant soit très beau ; l’impression que vous éprouvez est sans doute encore un plaisir, mais c’est un plaisir d’un autre ordre. Cet objet ne tombe pas sous toutes vos prises comme le premier. La raison le conçoit, mais les sens et l’imagination s’efforcent en vain d’atteindre ses dernières limites : vos facultés s’agrandissent, elles s’enflent pour ainsi dire afin de l’embrasser ; mais il leur échappe et les surpasse infiniment. Le plaisir que vous ressentez vient de la grandeur même de cet objet, mais en même temps cette grandeur fait naître en vous je ne sais quel sentiment mélancolique, parce qu’elle vous est disproportionnée. À la vue du ciel étoilé, de la mer immense, de montagnes gigantesques, l’admiration est mêlée de tristesse. C’est que ces objets, finis en réalité comme le monde lui-même, nous semblent infinis dans l’impuissance où nous sommes de comprendre leur immensité, et, en imitant ce qui est vraiment sans bornes, éveillent en nous l’idée de l’infini, cette idée qui relève à la fois et confond notre intelligence. Le sentiment correspondant que l’ame éprouve est un plaisir austère.

    Voilà deux sentimens très différens. Aussi leur a-t-on donné des noms différens ; l’un a été appelé singulièrement le sentiment du beau, l’autre celui du sublime.

    Il intervient encore dans la perception du beau une autre faculté, non moins nécessaire que le jugement et le sentiment, qui les anime et les vivifie, l’imagination.

    Lorsque la sensation, le jugement et le sentiment se sont produits en moi à l’occasion d’un objet extérieur, ils se reproduisent en l’absence même de cet objet ; c’est là la mémoire.

    La mémoire est double : non-seulement je me souviens que j’ai été en présence d’un certain objet, ce qui me suggère l’idée du passé, mais encore je me représente cet objet absent tel qu’il était, tel que je l’ai vu, senti, jugé ; le souvenir est alors une image. Dans ce dernier cas, la mémoire a été appelée mémoire imaginative. C’est là le fond de l’imagination, mais l’imagination est plus encore.

    L’esprit, s’appliquant aux images fournies par la mémoire, les décompose, choisit entre leurs traits différens, en forme des combinaisons et des images nouvelles. Sans ce nouveau pouvoir, l’imagination serait captive dans le cercle de la mémoire, tandis qu’elle doit disposer à son gré du passé et de l’avenir, du réel et du possible.

    Le don d’être affecté fortement par les objets et de reproduire leurs images évanouies, et la puissance de modifier ces images pour en composer de nouvelles, épuisent-ils ce que les hommes appellent l’imagination ? Non, ou du moins, si ce sont bien là les élémens propres de l’imagination, il faut que quelque autre chose s’y ajoute et les féconde, à savoir le sentiment du beau en tout genre. C’est à ce foyer que s’allume et s’entretient la grande imagination. Suffisait-il à Corneille, pour faire Horace, d’avoir lu Tite-Live, de s’en représenter vivement plusieurs scènes, d’en saisir les principaux traits et de les combiner heureusement ? Il lui fallait en outre le sentiment, l’amour du beau, surtout du beau moral ; il lui fallait ce grand cœur d’où est sorti le mot du vieil Horace.

    Maintenant il est assez clair qu’on ne peut borner l’imagination aux images proprement dites et aux idées qui se rapportent à des objets physiques, ainsi que le mot paraît l’exiger. Se rappeler des sons, choisir entre eux, les combiner pour en tirer des effets nouveaux, n’est-ce pas là aussi de l’imagination, bien que le son ne soit pas une image ? Le vrai musicien ne possède pas moins d’imagination que le peintre. On accorde au poète de l’imagination lorsqu’il retrace les images de la nature : lui refusera-t-on cette même faculté lorsqu’il retrace des sentimens ? Mais, outre les images et les sentimens, le poète ne fait-il pas emploi des hautes pensées de la justice, de la liberté, de la vertu, en un mot de toutes les idées morales ? Dira-t-on que dans ces peintures morales, dans ces tableaux de la vie intime de l’ame, ou gracieux ou énergiques, il n’y a pas d’imagination ?

    Vous voyez quelle est l’étendue de l’imagination ; elle n’a point de bornes. Son caractère distinctif est d’ébranler fortement l’ame en présence de tout objet beau, et de l’ébranler tout aussi fortement par le seul ressouvenir, ou même à l’idée d’un objet imaginaire. On la reconnaît à ce signe, qu’elle produit à l’aide de ses représentations la même impression, et même une impression plus vive, que la nature à l’aide des objets réels. Si la beauté absente ou rêvée n’agit pas sur vous autant et plus que la beauté présente, vous pouvez avoir mille autres dons ; celui de l’imagination vous a été refusé.

    Aux yeux de l’imagination, le monde réel languit auprès de ses fictions. On peut sentir que l’imagination devient la maîtresse à l’ennui des choses réelles et présentes. Les fantômes de l’imagination ont un vague, une indécision de formes qui émeut mille fois plus que la netteté et la distinction des perceptions actuelles. Et puis, à moins d’être entièrement fou, et la passion ne nous rend pas toujours ce service, il est très difficile de voir la réalité autrement qu’elle n’est, c’est-à-dire très imparfaite. On fait au contraire de l’image tout ce qu’on veut, on l’embellit à son insu, on la transfigure à son gré. Il y a dans le fond de l’ame humaine une puissance infinie de sentir et d’aimer, à laquelle le monde entier ne répond pas, encore bien moins une seule de ses créatures, si charmante qu’elle puisse être. Toute beauté mortelle vue de près ne suffit pas à cette puissance insatiable qu’elle excite et ne peut satisfaire ; mais de loin les défauts disparaissent ou s’affaiblissent, les nuances se mêlent et se confondent dans le clair-obscur du souvenir et du rêve, et les objets plaisent mieux parce qu’ils sont moins déterminés. Le propre des hommes d’imagination est de se représenter les choses et les hommes différemment de ce qu’ils sont, et de se passionner pour ces images fantastiques. Ce qu’on appelle les hommes positifs, ce sont les hommes sans imagination, qui n’aperçoivent que ce qu’ils voient, et traitent avec la réalité telle qu’elle est, au lieu de la transformer. Ils ont, en général, plus de raison que de sentiment, et ils sont plus capables de calcul que d’entraînement. Ils peuvent être sérieusement et profondément honnêtes, ils ne seront jamais ni poètes ni artistes. Ce qui fait l’artiste et le poète, c’est, avec un fonds de bon sens et de raison sans lequel tout le reste est vain, un cœur sensible, irritable même, surtout une vive, une puissante imagination.

    Si le sentiment agit sur l’imagination, on le voit, l’imagination le lui rend avec usure.

    Disons-le : cette passion pure et ardente, ce culte de la beauté qui fait le grand artiste, ne se peut rencontrer que dans un homme d’imagination. En effet, le sentiment du beau peut s’éveiller en chacun de nous devant tout objet beau ; mais quand cet objet a disparu, si son image ne subsiste pas vivement retracée, le sentiment qu’il a un moment excité s’efface peu à peu : il pourra se ranimer à la vue d’un autre objet, mais pour s’éteindre encore, mourant toujours pour renaître par hasard ; n’étant pas nourri, accru, exalté par la reproduction vivace et continue de son objet dans l’imagination, il manque de cette puissance inspiratrice, sans laquelle il n’y a ni artiste ni poète.

    Un mot encore sur une faculté qui n’est pas une faculté simple, mais un heureux mélange de celles qui viennent d’être rappelées, le goût, si maltraité, si arbitrairement limité dans toutes les théories.

    Si, après avoir entendu une belle œuvre poétique ou musicale, admiré une statue, un tableau, vous pouvez vous retracer vivement ce que vos sens ont perçu, voir encore le tableau absent, entendre les sons qui ne retentissent plus ; en un mot, si vous avez de l’imagination, vous possédez une des conditions sans lesquelles il n’y a point de vrai goût. Pour goûter les œuvres de l’imagination, ne faut-il pas en avoir soi-même ? N’a-t-on pas besoin pour sentir un auteur, non de l’égaler sans doute, mais de lui ressembler en quelque degré ? Un esprit sensé, mais sec et austère, comme Le Batteux, comme Condillac, ne sera-t-il pas insensible aux plus heureuses audaces du génie, et ne portera-t-il pas dans la critique une sévérité étroite, une raison très peu raisonnable, puisqu’elle ne comprend pas toutes les parties de la nature humaine, une intolérance qui mutile et flétrit l’art en croyant l’épurer ?

    Si donc vous ne vous représentez pas vivement les belles choses, vous ne les jugerez pas comme il faut ; mais, d’un autre côté, ce n’est pas cette faculté de représentation elle-même qui prononce sur leur beauté. Et puis cette vivacité d’imagination, si précieuse au goût quand elle est un peu contenue, ne produit, lorsqu’elle domine, qu’un goût très imparfait, qui, n’ayant pas la raison pour fondement, n’en tient pas compte dans ce qu’il apprécie, et risque de mal comprendre la plus grande beauté, la beauté réglée. L’unité dans la composition, l’harmonie de toutes les parties, la juste proportion des détails, l’habile combinaison des effets, le choix, la sobriété, la mesure, sont autant de mérites qu’il sentira peu et qu’il ne mettra point à leur place. L’imagination est pour beaucoup sans doute dans les ouvrages de l’art, mais enfin elle n’est pas tout. Ce qui fait d’Athalie et du Misanthrope deux merveilles incomparables, est-ce seulement l’imagination ? N’y a-t-il pas aussi dans la simplicité profonde du plan, dans le développement mesuré de l’action, dans la vérité soutenue des caractères, une raison supérieure, différente de l’imagination qui fournit les couleurs, et de la sensibilité qui donne la passion ?

    Outre l’imagination et la raison, l’homme de goût doit posséder le sentiment et l’amour de la beauté. Il faut qu’il se complaise à la rencontrer, qu’il la cherche, qu’il l’appelle. Comprendre et démontrer qu’une chose n’est pas belle, plaisir médiocre, tâche ingrate ; mais discerner une belle chose, s’en pénétrer, la mettre en évidence, faire partager à d’autres son sentiment, jouissance exquise, tâche généreuse. L’admiration est à la fois, pour celui qui l’éprouve, un bonheur et un honneur. C’est un bonheur de sentir profondément ce qui est beau ; c’est un honneur de savoir le reconnaître. L’admiration est le signe d’une raison élevée, servie par un noble cœur. Elle est au-dessus de la petite critique, sceptique et impuissante ; mais elle est l’ame de la grande critique, de la critique féconde ; elle est, pour ainsi dire, la partie divine du goût.
    " (p.774-783)

    "Il arrive même quelquefois qu’après avoir admiré la beauté d’un objet, nous n’en pouvons deviner l’usage, bien qu’il en ait un. L’utile est donc entièrement différent du beau, loin d’en être le fondement." (p.784)

    "On a cru trouver le beau dans la proportion, et c’est bien là, en effet, une des conditions de la beauté ; mais ce n’en est qu’une. Il est certain qu’un objet mal proportionné ne peut être beau. Il y a dans tous les objets beaux, quelque éloignés qu’ils soient de la forme géométrique, une sorte de géométrie vivante. Mais, je le demande, est-ce la proportion qui domine dans cet arbre élancé, aux branches flexibles et gracieuses, au feuillage riche et nuancé ? Qui fait la beauté terrible d’un orage, qui fait celle d’une grande image, d’un vers isolé ou d’une ode sublime ? Ce n’est pas, je le sais, le manque de loi et de règle, mais ce n’est pas non plus la règle et la loi ; souvent même ce qui frappe d’abord est une apparente irrégularité. Il est absurde de prétendre que ce qui nous fait admirer toutes ces choses et bien d’autres est la même qualité qui nous fait admirer une figure géométrique, c’est-à-dire l’exacte correspondance des parties.

    Ce que nous disons de la proportion, on le peut dire de l’ordre, qui est quelque chose de moins mathématique que la proportion, mais qui n’explique guère mieux ce qu’il y a de libre, de varié, d’abandonné dans certaines beautés.

    Toutes ces théories, qui ramènent la beauté à l’ordre, à l’harmonie, à la proportion, ne sont au fond qu’une seule et même théorie, qui voit avant tout dans le beau l’unité. Et assurément l’unité est belle, elle est une partie considérable de la beauté, mais elle n’est pas la beauté tout entière.

    La plus vraie théorie du beau est celle qui le compose de deux élémens contraires et également nécessaires, l’unité et la variété. Voyez une belle fleur : sans doute l’unité, l’ordre, la proportion, la symétrie même, y sont, car, sans ces qualités, la raison en serait absente, et toutes choses sont faites avec une merveilleuse raison ; mais en même temps que de diversité ! combien de nuances dans la couleur ! quelles richesses dans les moindres détails ! Même en mathématiques, ce qui est beau, ce n’est pas un principe abstrait, c’est ce principe engendrant une longue suite de conséquences. Il n’y a pas de beauté sans la vie, et la vie c’est le mouvement, c’est la diversité.
    " (p.785)

    "Il y a d’abord les objets beaux à proprement parler et les objets sublimes. Un objet beau, nous l’avons vu, est quelque chose d’achevé, de circonscrit, de limité, que toutes nos facultés embrassent aisément, parce que ses diverses parties sont soumises à une juste mesure. Un objet sublime est celui qui par des formes, non pas disproportionnées en elles-mêmes, mais moins arrêtées et plus difficiles à saisir, éveille en nous le sentiment de l’infini.

    Voilà déjà deux espèces distinctes de beauté ; mais la réalité est inépuisable, et à tous les degrés de la réalité il y a de la beauté.

    Dans les objets sensibles, les couleurs, les sons, les figures, les mouvemens, sont capables de produire l’idée et le sentiment du beau ; toutes ces beautés se rangent sous ce genre de beauté qu’on appelle, à tort ou à raison, la beauté physique.

    Si du monde des sens nous nous élevons à celui de l’esprit, de la vérité, de la science, nous y trouverons des beautés plus sévères, mais non moins réelles, qui ont reçu le nom de beautés intellectuelles.

    Enfin, si nous considérons le monde moral et ses lois, l’idée de la liberté, de la vertu, du dévouement, ici l’austère justice d’un Aristide, là l’héroïsme d’un Léonidas, les prodiges de la charité ou du patriotisme, voilà certes un troisième ordre de beauté qui surpasse les deux autres, à savoir la beauté morale
    ."(p.758-786)

    "Considérez la figure de l’homme en repos : elle est plus belle que celle de l’animal, et la figure de l’animal est plus belle que la forme de tout objet inanimé. C’est que la figure humaine, même en l’absence de la vertu et du génie, réfléchit toujours une nature intelligente et morale ; c’est que la figure de l’animal réfléchit au moins le sentiment, et déjà quelque chose de l’ame, sinon l’ame tout entière. Si de l’homme et de l’animal on descend à la nature purement physique, on y trouvera encore de la beauté, tant qu’on y trouvera quelque ombre d’intelligence, je ne sais quoi qui du moins réveille en nous quelque pensée, quelque sentiment. Arrive-t-on à quelque morceau de matière qui n’exprime rien, qui ne signifie rien : l’idée du beau ne s’y applique plus. Mais tout ce qui existe est animé. La matière est mue et pénétrée par des forces qui ne sont pas matérielles, et elle suit des lois qui attestent une intelligence partout présente. L’analyse chimique la plus subtile ne parvient point à une nature morte et inerte, mais à une nature organisée à sa manière, qui n’est dépourvue ni de forces ni de lois. Dans les profondeurs de l’abîme comme dans les hauteurs des cieux, dans un grain de sable comme dans une montagne gigantesque, un esprit immortel rayonne à travers les enveloppes les plus grossières. Contemplons la nature avec les yeux du corps, mais aussi avec les yeux de l’ame : partout une expression morale nous frappera, et la forme nous saisira comme un symbole de la pensée. Nous avons dit que chez l’homme et chez l’animal la figure est belle par l’expression. Mais quand vous êtes sur les hauteurs des Alpes ou en face de l’immense Océan, quand vous assistez au lever et au coucher du soleil, à la naissance de la lumière ou à celle de la nuit, ces imposans tableaux ne produisent-ils pas sur vous un effet moral ? Tous ces grands spectacles apparaissent-ils seulement pour apparaître ? Ne les regardons-nous pas comme des manifestations d’une puissance, d’une intelligence et d’une sagesse admirable, et, pour ainsi parler, la face de la nature n’est-elle pas expressive comme celle de l’homme ?

    La forme ne peut être une forme toute seule ; elle doit être la forme de quelque chose. La beauté physique est donc le signe d’une beauté intérieure, qui est la beauté spirituelle et morale, et c’est là qu’est le fond, le principe, l’unité du beau.
    " (p.788-789)

    "Le véritable artiste sent et admire profondément la nature ; mais tout dans la nature n’est pas également admirable. Elle a quelque chose par quoi elle surpasse infiniment l’art, c’est la vie. Hors de là, l’art peut à son tour surpasser la nature, à la condition de ne pas vouloir l’imiter trop scrupuleusement. Tout objet naturel, si beau qu’il soit, est défectueux par quelque côté. Tout ce qui est réel est imparfait. Ici l’horrible et le hideux se mêlent au sublime ; là l’élégance et la grace sont séparées de la grandeur et de la force. Les traits de la beauté sont épars et divisés. Les réunir arbitrairement, emprunter à tel visage une bouche, à tel autre des yeux, sans une règle qui préside à ce choix et dirige ces emprunts, c’est composer des monstres ; admettre une règle, c’est admettre déjà un idéal différent de tous les individus. C’est cet idéal que le véritable artiste se forme en étudiant la nature. Sans elle, il n’eût jamais conçu cet idéal ; mais avec cet idéal, il la juge elle-même, il la rectifie, et entreprend de se mesurer avec elle.

    L’idéal est l’objet de la contemplation passionnée de l’artiste. Assidûment et silencieusement médité, sans cesse épuré par la réflexion et vivifié par le sentiment, il échauffe le génie et lui inspire l’irrésistible besoin de le voir réalisé et vivant. Pour cela, le génie prend dans la nature tous les matériaux qui le peuvent servir, et leur appliquant sa main puissante, comme Michel-Ange imprimait son ciseau sur le marbre docile, il en tire des œuvres qui n’ont pas de modèle dans la nature, qui n’imitent pas autre chose que l’idéal rêvé ou conçu, qui sont en quelque sorte une seconde création inférieure à la première par l’individualité et la vie, mais bien supérieure par la beauté intellectuelle et morale dont elles sont empreintes.

    La beauté morale est le fonds de toute vraie beauté. Ce fonds est un peu couvert et voilé dans la nature ; l’art le dégage et lui donne des formes plus transparentes. C’est par cet endroit que l’art, quand il connaît bien sa puissance et ses ressources, institue avec la nature une lutte où il peut avoir l’avantage.

    La vraie fin de l’art est là précisément où est sa puissance. La fin de l’art est l’expression de la beauté morale à l’aide de la beauté physique.
    " (p.794-795)

    "C’est la nature humaine qu’il s’agit de représenter à elle-même, mais sous un jour magique qui ne la défigure point et qui l’agrandisse. Cette magie, c’est le génie même de l’art. Il nous enlève aux misères qui nous assiègent, et nous transporte en des régions où nous nous retrouvons encore, car nous ne voulons jamais nous perdre de vue, mais où nous nous retrouvons transformés à notre avantage, où toutes les imperfections de la réalité ont fait place à une certaine perfection relative, où le langage que l’on parle est plus égal et plus relevé, où les personnages sont plus beaux, où même la laideur n’est point admise, et tout cela en respectant l’histoire dans une juste mesure, surtout sans sortir jamais des conditions impérieuses de la nature humaine. L’art a-t-il trop oublié l’humanité ? il a dépassé son but, il ne l’a pas atteint ; il n’a enfanté que des chimères sans intérêt pour notre âme. A-t-il été trop humain, trop réel, trop nu ? il est resté en-deçà de son but ; il ne l’a donc pas atteint davantage." (p.797)

    "Mais, dit-on, le but du poète n’est-il pas d’exciter la pitié et la terreur ? Oui, mais d’abord en une certaine mesure ; ensuite il doit y mêler quelque autre sentiment qui tempère ceux-là ou les fasse servir à une autre fin. Si celle de l’art dramatique était seulement d’exciter au plus haut degré la pitié et la terreur, l’art serait le rival impuissant de la nature. Tous les malheurs représentés à la scène sont bien languissans devant ceux dont nous pouvons tous les jours nous donner le triste spectacle. Le premier hôpital est plus rempli de pitié et de terreur que tous les théâtres du monde. Que doit faire le poète dans la théorie que nous combattons ? Transporter à la scène la réalité le plus possible, et nous émouvoir fortement en ébranlant nos sens par la vue de douleurs affreuses. Le grand ressort du pathétique serait alors la représentation de la mort, surtout celle du dernier supplice. Tout au contraire, c’en est fait de l’art dès que la sensibilité est trop excitée. Pour reprendre un exemple que nous avons déjà employé, qui constitue la beauté d’une tempête, d’un naufrage ? qui nous attache à ces grandes scènes de la nature ? Ce n’est certes pas la pitié et la terreur : ces sentimens poignans et déchirans nous éloigneraient bien plutôt. Il faut une émotion toute différente de celles-là, et qui en triomphe, pour nous retenir sur le rivage. Cette émotion, c’est le pur sentiment du beau et du sublime excité et entretenu par la grandeur du spectacle, par la vaste étendue de la mer, le roulis des vagues écumantes, le bruit imposant du tonnerre. Mais songeons-nous un seul instant qu’il y a là des malheureux qui souffrent et qui peut-être vont périr ? Dès-là, ce spectacle nous devient insupportable. Il en est ainsi de l’art. Quelques sentimens qu’il se propose d’exciter en nous, ils doivent toujours être tempérés et dominés par celui du beau. Produit-il seulement la pitié et la terreur au-delà d’une certaine limite, surtout la pitié et la terreur physique, il révolte, il ne charme plus ; il manque l’effet qui lui appartient pour un effet étranger et vulgaire.

    Par ce même motif, je ne puis accepter une autre théorie qui, confondant le sentiment du beau avec le sentiment moral et religieux, met l’art au service de la religion et de la morale, et lui donne pour but de nous rendre meilleurs et de nous élever à Dieu. Il y a ici une distinction essentielle à faire. Si toute beauté couvre une beauté morale, si l’idéal monte sans cesse vers l’infini, l’art qui exprime la beauté idéale épure l’ame en l’élevant vers l’infini, c’est-à-dire vers Dieu. L’art produit donc infailliblement le perfectionnement de l’ame, mais il le produit indirectement. Le philosophe, qui recherche les effets et les causes, sait quel est le dernier principe du beau et ses effets certains, bien qu’éloignés ; mais l’artiste est avant tout un artiste : ce qui l’anime est le sentiment du beau, ce qu’il veut faire passer dans l’ame du spectateur, c’est le même sentiment qui remplit la sienne. Il se confie à la vertu de la beauté ; il la fortifie de toute la puissance, de tout le charme de l’idéal : c’est à elle ensuite de faire son œuvre ; l’artiste a fait la sienne, quand il a procuré à quelques ames d’élite ou répandu dans la foule le sentiment exquis de la beauté. Ce sentiment pur et désintéressé est un noble allié du sentiment moral et du sentiment religieux ; il les réveille, les entretient, les développe, mais il n’est pas eux : c’est un sentiment distinct et spécial. De même l’art fondé sur ce sentiment, qui s’en inspire et qui le répand, est à son tour un pouvoir indépendant : il ne relève que de lui-même, il s’associe naturellement à tout ce qui agrandit l’ame, comme il le fait lui-même ; mais il n’est pas plus au service de la morale et de la religion que la religion et la morale ne sont au service de la politique.
    " (p.797-799)

    "Il faut comprendre et aimer la morale pour la morale, la religion pour la religion, l’art pour l’art.

    Mais l’art, la religion, la morale, sont utiles à la société ; je le sais, mais à quelle condition ? Qu’ils n’y songent même pas. C’est le culte indépendant et désintéressé de la beauté, de la vertu, de la sainteté, qui seul profite à la société, parce que seul il élève les ames, nourrit et propage ces dispositions généreuses qui font à leur tour la puissance des états
    ." (p.799)

    "Encore une fois, n’exagérons rien ; distinguons, ne séparons pas ; unissons l’art, la religion, la patrie ; mais que leur union ne nuise pas à la liberté de chacune d’elles. Pénétrons-nous bien de cette pensée que l’art est aussi à lui-même une sorte de religion. Dieu se manifeste à nous par l’idée du vrai, par l’idée du bien, par l’idée du beau. Ces trois idées sont égales entre elles et filles légitimes du même père. Chacune d’elles mène à Dieu, parce qu’elle en vient. La vraie beauté est la beauté idéale, et la beauté idéale est un reflet de l’infini ; l’infini est le dernier principe du beau, comme du vrai, comme du bien. Ainsi, même indépendamment de toute alliance officielle avec la religion et la morale, l’art est par lui-même essentiellement moral et religieux, car à moins de manquer à sa propre loi, à son propre génie, il exprime partout dans ses œuvres la beauté éternelle. Enchaîné de toutes parts à la matière par d’inflexibles liens, travaillant sur une pierre inanimée, sur des sons incertains et fugitifs, sur des paroles d’une signification bornée et finie, l’art leur communique, avec la forme la plus précise, qui s’adresse à tel ou tel sens, un caractère mystérieux qui, s’adressant à l’imagination et à l’ame, les arrache à la réalité et les emporte doucement ou violemment dans des régions inconnues. Toute œuvre d’art, quelle que soit sa forme, petite ou grande, figurée, chantée ou parlée ; toute œuvre d’art, vraiment belle ou sublime, jette l’ame dans une rêverie gracieuse ou sévère, qui l’élève vers l’infini. L’infini, c’est là le terme commun où l’ame aspire, sur les ailes de l’imagination comme de la raison, par le chemin du sublime et du beau, comme par celui du vrai et du bien. Encore une fois, n’exagérons rien ; distinguons, ne séparons pas ; unissons l’art, la religion, la patrie ; mais que leur union ne nuise pas à la liberté de chacune d’elles. Pénétrons-nous bien de cette pensée que l’art est aussi à lui-même une sorte de religion. Dieu se manifeste à nous par l’idée du vrai, par l’idée du bien, par l’idée du beau. Ces trois idées sont égales entre elles et filles légitimes du même père. Chacune d’elles mène à Dieu, parce qu’elle en vient. La vraie beauté est la beauté idéale, et la beauté idéale est un reflet de l’infini ; l’infini est le dernier principe du beau, comme du vrai, comme du bien. Ainsi, même indépendamment de toute alliance officielle avec la religion et la morale, l’art est par lui-même essentiellement moral et religieux, car à moins de manquer à sa propre loi, à son propre génie, il exprime partout dans ses œuvres la beauté éternelle. Enchaîné de toutes parts à la matière par d’inflexibles liens, travaillant sur une pierre inanimée, sur des sons incertains et fugitifs, sur des paroles d’une signification bornée et finie, l’art leur communique, avec la forme la plus précise, qui s’adresse à tel ou tel sens, un caractère mystérieux qui, s’adressant à l’imagination et à l’ame, les arrache à la réalité et les emporte doucement ou violemment dans des régions inconnues. Toute œuvre d’art, quelle que soit sa forme, petite ou grande, figurée, chantée ou parlée ; toute œuvre d’art, vraiment belle ou sublime, jette l’ame dans une rêverie gracieuse ou sévère, qui l’élève vers l’infini. L’infini, c’est là le terme commun où l’ame aspire, sur les ailes de l’imagination comme de la raison, par le chemin du sublime et du beau, comme par celui du vrai et du bien." (p.800-801)

    "L’histoire ne raconte pas pour raconter, elle ne peint pas pour peindre ; elle raconte et elle peint le passé pour qu’il soit la leçon vivante de l’avenir. Elle se propose d’instruire les générations nouvelles par l’expérience de celles qui les ont devancées, en mettant sous leurs yeux le tableau fidèle de grands et importans évènemens avec leurs causes et leurs effets, avec les desseins généraux et les passions particulières, avec les fautes, les vertus, les crimes qui se trouvent mêlés ensemble dans les choses humaines. Elle enseigne l’excellence de la prudence, du courage, des grandes pensées profondément méditées, constamment suivies, exécutées avec modération et avec force. Elle fait paraître la vanité des prétentions immodérées, la puissance de la sagesse et de la vertu, l’impuissance de la folie et du crime. Elle est une école de morale et de politique. Thucydide, Polybe et Tacite prétendent à tout autre chose qu’à procurer des émotions nouvelles à une curiosité oisive ou à une imagination blasée ; ils veulent sans doute intéresser et attacher, mais pour mieux instruire ; ils se portent ouvertement pour les maîtres des hommes d’état et les précepteurs du genre humain."

    "Le seul objet de l’art est le beau. L’art s’abandonne lui-même dès qu’il s’en écarte. Il est souvent contraint de faire des concessions aux circonstances, aux conditions extérieures qui lui sont imposées ; mais il faut toujours qu’il retienne une juste liberté. L’architecture et l’art des jardins sont les moins libres des arts libéraux ; ils ont à subir des gênes inévitables ; c’est au génie de l’artiste à dominer ces gênes et même à en tirer d’heureux effets, ainsi que le poète fait tourner l’esclavage du mètre et de la rime en une source de beautés inattendues." (p.804)

    "Toute œuvre d’art qui n’exprime pas une idée ne signifie rien ; il faut qu’en s’adressant à tel ou tel sens, elle pénètre jusqu’à l’esprit, jusqu’à l’ame, et y porte une pensée, un sentiment capable de la toucher ou de l’élever. De cette règle fondamentale dérivent toutes les autres, par exemple, celle que l’on recommande sans cesse et avec tant de raison, la composition : c’est là que s’applique particulièrement le précepte de l’unité et de la variété ; mais, en disant cela, on n’a rien dit tant qu’on n’a pas déterminé la nature de l’unité dont on veut parler. La vraie unité, c’est l’unité d’expression, et la variété n’est faite que pour répandre et faire luire sur l’œuvre entière l’idée ou le sentiment unique qu’elle doit exprimer." (p.806)
    -Victor Cousin, "Du beau et de l’art", Revue des Deux Mondes, période initiale, tome 11, 1845 (p. 773-811).



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 9 Mai - 14:40

    "Toute philosophie qui n’aboutit pas à la morale est à peine digne de ce nom." (p.179)

    "Les systèmes philosophiques suivent leur temps bien plus qu’ils ne le dirigent ; ils reçoivent leur esprit des mains de leur siècle. Au milieu du XVIIIe siècle, vers la fin de la régence et sous le règne de Louis XV, la philosophie anglaise de Locke, transportée en France et développée selon le goût du temps, y produisit une école célèbre qui long-temps domina et qui domine encore parmi nous, protégée par de vieilles habitudes, niais en contradiction radicale avec l’esprit nouveau, avec les institutions et les mœurs issues de la révolution française. Sorti du sein des tempêtes, nourri dans le berceau d’une révolution, élevé sous la mâle discipline du génie de la guerre, le XIXe siècle ne peut en vérité contempler son image et retrouver ses instincts dans une philosophie née à l’ombre des délices de Versailles, admirablement faite pour la décrépitude d’une monarchie arbitraire, mais non pas pour la vie laborieuse d’une jeune liberté environnée de périls." (p.179)

    "L’homme n’est fait pour être ni un sublime esclave, comme Épictète, appliqué à bien supporter la mauvaise fortune sans s’efforcer de la surmonter, ni, comme l’auteur de l’Imitation, l’angélique habitant d’un cloître, appelant la mort comme une délivrance bienheureuse et la devançant, autant qu’il est en lui, par une continuelle pénitence et dans une adoration muette. La vie humaine n’est point une prison, ni le monde un couvent. Le goût du plaisir, les passions même ont leur raison dans les besoins de l’humanité. Ou la vie est un contre-sens inintelligible qu’il faut briser le plus tôt possible, ou elle a son prix et une fin digne de son auteur. Mais, pour que l’homme en fasse un emploi légitime, la première condition, c’est qu’il y tienne. Le premier lien de l’homme avec la vie est le plaisir. Otez le plaisir, et la vie lui est sans attrait. Supprimez la passion, plus d’excès, il est vrai, mais plus de ressort suffisant ; faute de vents, le vaisseau ne marche plus et s’enfonce bientôt dans l’abîme. Supposez un être auquel manque l’amour de lui-même, l’instinct de la conservation, l’horreur de la souffrance, surtout l’horreur de la mort, qui n’ait de goût ni pour le plaisir ni pour le bonheur, en un mot destitué de tout intérêt personnel, un tel être ne résistera pas longtemps aux innombrables causes de destruction qui l’environnent et qui l’assiègent ; il ne durera pas un jour. Jamais une seule famille ne pourra se former ni se maintenir, jamais la moindre société. Celui qui a fait l’homme, et qui l’a fait apparemment pour qu’il se conservât et se développât, n’a pas confié le soin de son ouvrage à la vertu seule, au dévouement et à une charité sublime : il a voulu que la durée et le développement de la race et de la société humaine fussent assis sur des fondemens plus simples et plus sûrs, et voilà pourquoi il a donné à l’homme l’amour de soi, l’instinct de la conservation, le goût du plaisir et du bonheur, les passions qui animent la vie, l’espérance et la crainte, l’amour, l’ambition, l’intérêt personnel enfin, mobile puissant, permanent, universel, qui nous pousse à améliorer sans cesse notre condition sur la terre.

    « On le voit, nous ne venons pas contester à la morale de l’intérêt la vérité ni même la légitimité de son principe ; nous sommes convaincu que ce principe existe, et qu’il a sa raison d’être. La seule question que nous posons est celle-ci : Le principe de l’intérêt est vrai en lui-même ; mais n’y a-t-il pas aussi d’autres principes tout aussi vrais, tout aussi légitimes ?…
    " (p.180)

    "On est une personne morale tout autant et au même titre qu’une autre personne morale. La volonté, qui est le siège de la liberté, est la même dans tous les hommes. Elle peut avoir à son service des instrumens différens, des puissances différentes, et par conséquent inégales, soit matérielles, soit spirituelles ; mais les puissances dont la volonté dispose ne sont pas elle, car elle n’en dispose point d’une manière absolue. Le seul pouvoir libre est celui de la volonté, mais celui-là l’est essentiellement. Si la volonté reconnaît des lois, ces lois ne sont pas des mobiles, des ressorts qui la meuvent : ce sont des lois idéales, celle de la justice, par exemple ; la volonté reconnaît cette loi, et en même temps elle a la conscience de pouvoir s’y conformer ou l’enfreindre, ne faisant l’un qu’avec la conscience de pouvoir faire l’autre, et réciproquement. Là est le type de la liberté, et en même temps de la vraie égalité ; tout autre est un mensonge. Il n’est pas vrai que les hommes aient le droit d’être également riches, beaux, robustes, de jouir également, en un mot d’être également heureux : car ils diffèrent originellement et nécessairement par tous les points de leur nature qui correspondent au plaisir, à la richesse, au bonheur. Dieu nous a faits avec des puissances inégales pour toutes ces choses. Ici l’égalité est contre la nature et contre l’ordre éternel ; car la différence est, tout aussi bien que l’harmonie, la loi de la création. Rêver une telle égalité est une méprise étrange, un égarement déplorable. La fausse égalité est l’idole des esprits et des cœurs mal faits, de l’égoïsme inquiet et ambitieux. C’est l’envie appliquée à l’impossible. La vraie égalité accepte sans honte toutes les inégalités extérieures que Dieu a faites, et qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme non-seulement d’effacer, nais de modifier. La noble liberté n’a rien à démêler avec les furies de l’orgueil et de l’envie. Comme elle n’aspire point à la domination, de même et en vertu du même principe elle n’aspire point davantage à une égalité chimérique d’esprit, de beauté, de fortune, de jouissances. D’ailleurs, cette égalité-là, fût-elle possible, serait de peu de prix à ses yeux ; elle demande quelque chose de bien autrement grand que le plaisir, la fortune, le rang, à savoir le respect. Le respect, un respect égal du droit sacré d’être libre dans tout ce qui constitue la personne, cette personne qui est vraiment l’homme ; voilà ce que la liberté et avec elle la vraie égalité réclament, ou plutôt commandent impérieusement. Il ne faut pas confondre le respect avec les hommages. Je rends hommage au génie et à la beauté. Je respecte l’humanité seule, et par là j’entends toutes les natures libres, car tout ce qui n’est pas libre dans l’homme lui est étranger. L’homme est donc l’égal de l’homme précisément par tout ce qui le fait homme, et le règne de l’égalité véritable n’exige de la part de tous que le respect même de ce que chacun possède également en soi, et le jeune et le vieux, et le laid et le beau, et le riche et le pauvre, et l’homme de génie et l’homme médiocre, et la femme et l’homme, tout ce qui a la conscience d’être une personne et non une chose. Le respect égal de la liberté commune est le principe à la fois du devoir et du droit ; c’est la vertu de chacun et c’est la sécurité de tous ; par un accord admirable, c’est la dignité parmi les hommes et c’est aussi la paix sur la terre. Telle est la grande et sainte image de la liberté et de l’égalité, qui a fait battre le cœur de nos pères, et celui de tout ce qu’il y a eu d’hommes vertueux et éclairés, de vrais amis de l’humanité. Tel est l’idéal que poursuit la vraie philosophie à travers les siècles, depuis les rêves généreux d’un Platon jusqu’aux solides conceptions d’un Montesquieu, depuis la première législation libérale de la plus petite cité de la Grèce jusqu’aux travaux de l’assemblée constituante, jusqu’à noire immortelle déclaration des droits." (p.181-182)

    "Où voulez-vous, en effet, que conduise l’intérêt à la suite du désir ? Mon désir est certainement d’être le plus heureux possible. Mon intérêt est de chercher à l’être par tous les moyens, quels qu’ils soient, sous cette seule réserve qu’ils ne soient pas contraires à leur fin. Si je suis né le premier des hommes, le plus riche, le plus beau, le plus puissant, etc., je ferai tout pour conserver les avantages que j’ai reçus. Si le sort m’a fait naître dans un rang peu relevé, avec une fortune médiocre, des facultés bornées et des désirs immenses, car, on ne peut trop le redire, le désir aspire à l’infini en tout genre, je ferai tout pour sortir de la foule, pour augmenter mon pouvoir, ma fortune, mes jouissances. Malheureux de ma place en ce monde, pour la changer, je rêve, j’appelle les bouleversemens, il est vrai, sans enthousiasme et sans fanatisme politique, — l’intérêt seul ne produit pas ces nobles folies, — mais sous l’aiguillon brûlant de la vanité et de l’ambition. Me voilà donc arrivé à la fortune et au pouvoir ; l’intérêt réclame alors la sécurité, comme auparavant il invoquait l’agitation. Le besoin de la sécurité me ramène de l’anarchie au besoin d’un ordre quelconque, pourvu qu’il soit à mon profit, et je deviens tyran, si je puis, ou serviteur doré du tyran." (p.182-183)

    "Nous rendons hommage aux généreux écrivains qui, dans le relâchement des principes et des mœurs au XVIIIe siècle, ont opposé le charme et la puissance du sentiment à la bassesse du calcul et de l’intérêt. Nous sommes avec Hutcheson contre Hobbes, avec Rousseau contre Helvétius, avec l’auteur de Woldemar contre la morale de l’égoïsme ou celle de l’école. Nous leur empruntons ce qu’ils ont dit de vrai ; nous leur laissons des exagérations inutiles ou dangereuses. Il faut joindre le sentiment à la raison, mais il ne faut pas remplacer la raison par le sentiment. D’abord il est contraire aux faits de confondre la raison avec le raisonnement et de les envelopper dans la même critique. Le raisonnement est, après tout, l’instrument légitime de la raison : il vaut ce que valent les principes sur lesquels il s’appuie. Ensuite la raison, et singulièrement la raison spontanée, est, comme le sentiment, immédiate et directe ; elle va droit à son objet, sans passer par l’analyse, l’abstraction, la déduction, opérations excellentes sans doute, mais qui en supposent une première, l’aperception pure et simple de la vérité. Cette aperception, c’est à tort qu’on l’attribue au sentiment. Le sentiment est une émotion, non un jugement ; il jouit ou il souffre, il aime ou il hait ; il ne connaît pas. Il n’est pas universel comme la raison, et même, comme il touche encore par quelque côté à l’organisation, il lui emprunte quelque chose de son inconstance. Enfin le sentiment est attaché à la raison il la suit, il ne la précède point. En supprimant la raison, on supprime donc.le sentiment qui en émane, et la science, l’art et la morale manquent de fondemens fermes et solides." (p.184-185)
    -Victor Cousin, "Du fondement de la morale", Revue des Deux Mondes, période initiale, tome 13, 1846 (p. 177-188).



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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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