L'Académie nouvelle

Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
L'Académie nouvelle

Forum d'archivage politique et scientifique

Le Deal du moment : -23%
EVGA SuperNOVA 650 G6 – Alimentation PC 100% ...
Voir le deal
77.91 €

    Ludwig von Mises, Œuvre

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 17 Sep - 19:22

    http://herve.dequengo.free.fr/Mises/Mises.htm

    "La communauté des intérêts de classe n'est pas quelque chose qui existe indépendamment de la conscience de classe, et la conscience de classe ne vient pas s'ajouter à une communauté particulière d'intérêts déjà donnée ; c'est elle qui crée le cette communauté. Le prolétariat ne constitue pas dans le cadre de la société moderne un groupe particulier dont l'attitude serait déterminée sans équivoque par sa position de classe. Les individus ne se réunissent en vue d'une action politique commune que lorsqu'apparaît l'idéologie socialiste ; l'unité du prolétariat ne résulte pas de sa position de classe mais de l'idéologie de la lutte des classes. Le prolétariat n'existait pas en tant que classe avant l'apparition du socialisme, et le socialisme n'est pas non plus la conception politique qui correspond à la classe du prolétariat ; c'est la pensée socialiste qui a créé la classe prolétarienne en réunissant certains individus en vue d'atteindre un but politique déterminé."

    "C'est l'idée qui a créé la classe, et non la classe qui a créé l'idée."
    -Ludwig von Mises, Le Socialisme, Troisième partie : la doctrine de l'inéluctabilité du socialisme, Section I — L'évolution sociale, Chapitre IV — Opposition de classes et lutte de classes, Librairie de Médicis, édition française de 1938 (1922 pour la première édition allemande), 626 pages.

    "Quelle que soit l'opinion que l'on ait de l'opportunité et des possibilités de réalisation du socialisme l'on doit reconnaître et sa grandeur et sa simplicité. Même celui qui le rejette catégoriquement ne pourra pas nier qu'il est digne d'être examiné avec grand soin. On peut même affirmer qu'il est une des créations les plus puissantes de l'esprit humain. Briser avec toutes les formes traditionnelles de l'organisation sociale, organiser l'économie sur une nouvelle base, esquisser un nouveau plan du monde, avoir dans l'esprit l'intuition de l'aspect que les choses humaines devront revêtir dans l'avenir, tant de grandeur et tant d'audace ont pu provoquer à bon droit les plus hautes admirations. On peut surmonter l'idée socialiste, on le doit si l'on ne veut pas que le monde retourne à la barbarie et à la misère, mais on ne peut l'écarter sans y prêter attention."

    "Le socialisme est le passage des moyens de production de la propriété privée à la propriété de la société organisée, de l'État. L'État socialiste est propriétaire de tous les moyens de production matériels et partant, le dirigeant de la production générale."

    "La restriction des droits du propriétaire est aussi un moyen de socialisation."

    "On méconnaît ordinairement la différence fondamentale qu'il y a entre l'idée libérale et l'idée anarchiste. L'anarchisme rejette toute organisation de contrainte sociale, il rejette la contrainte en tant que moyen de technique sociale. Il veut vraiment supprimer l'État et l'ordre juridique, parce qu'il est d'avis que la société pourrait s'en passer sans dommage. De l'anarchie il ne redoute pas le désordre, car il croit que les hommes, même sans contrainte, s'uniraient pour une action sociale commune, en tenant compte de toutes les exigences de la vie en société. En soi l'anarchisme n'est ni libéral ni socialiste ; il se meut sur un autre plan. Celui qui tient l'idée essentielle de l'anarchisme pour une erreur, considère comme une utopie la possibilité que jamais les hommes puissent s'unir pour une action commune et paisible sans la contrainte d'un ordre juridique et de ses obligations ; celui-là, qu'il soit socialiste ou libéral, repoussera les idées anarchistes. Toutes les théories libérales ou socialistes, qui ne font pas fi de l'enchaînement logique des idées ont édifié leur système en écartant consciemment, énergiquement, l'anarchisme. Le contenu et l'ampleur de l'ordre juridique diffèrent dans le libéralisme et dans le socialisme, mais tous deux en reconnaissent la nécessité. Si le libéralisme restreint le domaine de l'activité de l'État, il ne songe pas à contester la nécessité d'un ordre juridique. Il n'est pas anti-étatiste, il ne considère pas l'État comme un mal même nécessaire."

    "Socialisme et libéralisme ne se distinguent point par le but qu'ils poursuivent, mais par les moyens qu'ils emploient pour y atteindre."

    "Avec son salaire l'ouvrier reçoit le produit intégral de son travail. Ainsi à la lumière de la doctrine subjective des valeurs la revendication socialiste d'un droit au produit intégral du travail apparaît comme un non-sens, ce qu'elle n'est pas. C'est seulement les mots dans lesquels elle s'enveloppe qui sont incompréhensibles pour notre pensée scientifique moderne ; ils témoignent d'une conception qui voit seulement dans le travail la source de la valeur d'un produit. Celui qui, pour la théorie des valeurs, adopte ce point de vue, doit forcément considérer la revendication pour l'abolition de la propriété privée des moyens de production comme revendication connexe à celle du produit intégral du travail pour l'ouvrier. En premier lieu c'est une revendication négative : exclusion de tout revenu, qui ne provient pas du travail. Mais dès qu'on commence à vouloir construire un système tenant exactement compte de ce principe, on voit surgir des difficultés insurmontables. Car l'enchaînement d'idées qui a amené à poser le droit au produit intégral du travail a pour base des théories insoutenables sur la formation des valeurs. C'est là-dessus que tous ces systèmes ont échoué. Finalement leurs auteurs ont dû reconnaître qu'ils ne veulent rien d'autre que la suppression du revenu des individus qui ne provient pas du travail et qu'une fois encore ce résultat ne pouvait être obtenu que par la socialisation des moyens de production. Du droit au produit intégral du travail qui avait occupé les esprits pendant des années il ne resta plus qu'un mot, que le mot frappant, excellent pour la propagande : suppression du revenu non mérité par le travail."

    "Dans sa théorie de la connaissance de la nature, Kant n'admet l'existence d'aucun Dieu, d'aucun dirigeant de la nature, cependant il regarde l'histoire « comme l'exécution d'un plan caché de la nature pour réaliser une constitution d'état intérieurement parfaite (et pour ce but extérieurement aussi), seule forme dans laquelle il sera possible de développer toutes les aptitudes de l'humanité »."

    "Ce n'est point un hasard si l'esprit allemand, longtemps dominé par les théories sociales de la philosophie classique de Kant à Hegel, n'a pendant longtemps rien produit de remarquable dans l'économie politique, et si ceux qui ont rompu avec ces errements, d'abord Thünen et Gossen, puis les Autrichiens Carl Menger, Böhm-Bawerk et Wieser n'avaient subi absolument aucune influence de la philosophie étatique collectiviste."

    "La force et la puissance de tous les gouvernements ne reposent pas dans les armes, mais dans l'esprit d'acquiescement qui met ces armes à leur disposition. Les gouvernants, qui forcément ne représentent jamais qu'une petite minorité en face d'une énorme majorité, ne peuvent acquérir et conserver la maîtrise sur cette majorité que s'ils ont su se concilier et rendre docile cet esprit de la majorité."

    "La démocratie « directe » n'est possible que sur une toute petite échelle. Même de petits parlements ne peuvent venir à bout de leur tâche dans les séances publiques. Il faut élire des commissions. Le véritable travail est toujours fait par quelques-uns, par ceux qui ont déposé une motion, par les orateurs, par les rapporteurs, et avant tout par les rédacteurs des projets. Encore une confirmation du fait que les masses obéissent à la direction de quelques hommes. Les hommes n'ont pas tous la même valeur, la nature a fait des uns des chefs, et des autres des hommes qui ont besoin d'être conduits par ces chefs ; à cela les institutions démocratiques ne changeront rien. Tous ne peuvent pas être les hardis pionniers qui fraient la route. La plupart du reste ne désirent pas l'être, ils ne s'en sentent pas la force. L'idée que dans une pure démocratie le peuple tout entier passerait ses journées à délibérer et à décider, comme les membres du parlement pendant une session, c'est là une idée conçue d'après le modèle de la situation qui a pu régner dans les États urbains de l'ancienne Grèce à l'époque de la décadence. On oublie que ces communautés urbaines n'avaient en réalité rien de démocratique puisqu'on y trouvait des esclaves et que tous ceux ne possédant pas les pleins droits du citoyen étaient exclus de toute participation à la vie publique."

    "En dépit de certaines observations sur les réalisations historiques du libéralisme le marxisme est incapable de comprendre l'importance que l'on doit attribuer aux idées du libéralisme. Il ne sait que faire des revendications libérales concernant la liberté de conscience et d'expression de la pensée, la reconnaissance, par principe, de toute opposition, et l'égalité de droits de tous les partis. Partout où il ne domine pas encore, le marxisme utilise très largement tous les droits fondamentaux du libéralisme dont il a un besoin urgent pour sa propagande. Mais il ne pourra jamais comprendre jusque dans son essence ces droits du libéralisme, et jamais il ne consentira à les accorder à ses adversaires, quand il aura lui-même le pouvoir. Sur ce point il ressemble tout à fait aux Églises et aux autres puissances qui s'appuient sur le principe de la force. Ces puissances elles aussi pour conquérir la souveraineté ne se font pas faute de recourir aux libertés démocratiques qu'elles refusent à leurs adversaires, dès qu'elles sont au pouvoir. C'est ainsi que tout ce qui semble démocratique dans le socialisme n'est qu'une apparence fallacieuse. « Le parti communiste, dit Boukharine, ne demande aucune liberté (presse, parole, association, réunions) pour des bourgeois ennemis du peuple. Au contraire. » Et avec un remarquable cynisme il vante le jeu des communistes, qui du temps où ils ne tenaient pas les rênes du gouvernement, entraient en lice pour la liberté d'opinion, uniquement parce qu'il aurait été « ridicule » de demander aux capitalistes la liberté du mouvement ouvrier autrement qu'en revendiquant la liberté tout court."

    "Par delà la dictature du prolétariat se trouve le paradis de « la phase supérieure de la société communiste où les forces productives s'accroissent avec le multiple développement des individus, et où les sources vives de la richesse sociale coulent plus abondamment ». Dans cette Terre Promise « comme il n'y a plus rien à réprimer, il n'y a plus besoin d'un État. A la place d'un gouvernement pour les personnes il y a une administration des biens et une direction des processus de production ». Le temps est venu où « une génération, qui a grandi dans les nouvelles et libres conditions sociales est en état de rejeter loin d'elle toute la friperie de l'État ». La classe ouvrière a traversé une période de « longues luttes, toute une série de processus historiques, qui ont entièrement transformé les hommes et leurs conditions d'existence. » Ainsi la société peut subsister, sans un ordre fondé sur la contrainte, comme autrefois, à l'époque où la tribu formait la base de l'organisation sociale. De cette constitution Engels fait un grand éloge. Malheureusement tout cela a été déjà dit, et beaucoup mieux par Virgile, Ovide et Tacite."

    "Lorsque dans l'histoire nous trouvons des essais de gouvernements tendant à se rapprocher de l'idéal de la société selon le socialisme, il s'agit toujours d'autocraties avec un caractère très marqué d'autoritarisme. Dans l'empire des Pharaons ou des Incas, dans l'État jésuite du Paraguay on ne trouve aucune trace de démocratie et de libre disposition pour la majorité populaire. Les utopies des anciens socialistes, de toutes nuances, ne sont pas moins éloignées de la démocratie. Ni Platon, ni Saint-Simon n'étaient démocrates. Si l'on considère l'histoire et les livres des théories socialistes on ne trouve rien qui puisse témoigner d'une connexion interne entre l'ordonnance socialiste de la société et la démocratie politique.

    Si l'on y regarde de plus près, l'on voit que même l'idéal qui doit seulement dans un avenir éloigné réaliser la phase supérieure de la société communiste, selon les visées marxistes, est tout à fait antidémocratique. Dans cette phase idéale la paix immuable, éternelle — but de toutes les organisations démocratiques — doit exister aussi, mais on doit accéder à cet état de paix par d'autres voies que celles suivies par les démocrates. Cette paix ne sera pas fondée sur les changements de gouvernements et les changements de leurs politiques, mais sur un gouvernement éternel, sans changements de personnes ou de politiques. C'est une paix, mais non la paix du progrès vivant vers quoi tend le libéralisme, c'est une paix de cimetière. Ce n'est pas la paix des pacifistes, mais la paix des pacificateurs, des hommes de violence, qui veulent tout assujettir. C'est la paix que tout absolutisme établit, en édifiant son pouvoir absolu, une paix qui dure aussi longtemps que dure ce pouvoir absolu. Le libéralisme a reconnu la vanité d'une paix ainsi fondée
    ."

    "Il y a bien des voies qui amènent l'homme à se soumettre à son éphémère destin. Au croyant la religion apporte sa consolation et son réconfort, en reliant son existence individuelle au cours infini de la vie éternelle ; elle lui assigne une place assurée dans le plan impérissable de celui qui créa et maintient les mondes ; ainsi elle les hausse, au delà du temps et de l'espace, de la vieillesse et de la mort, dans les régions divines. D'autres vont chercher consolation dans la philosophie. Ils renoncent à l'appui de toutes les hypothèses qui contredisent l'expérience et méprisent les consolations faciles ; ils ne cherchent pas à édifier des images et des représentations arbitraires, destinées à nous faire croire à un autre ordre du monde que celui que nous sommes bien forcés de reconnaître autour de nous. La grande foule des hommes enfin suit une troisième route. Mornes et apathiques, ils s'enfoncent dans le trantran quotidien, ils ne pensent pas au lendemain, ils deviennent les esclaves de leurs habitudes et de leurs passions.

    Mais entre ces groupes il en est un quatrième qui ne sait ni où ni comment trouver la paix. Ceux-là ne peuvent plus croire, parce qu'ils ont goûté des fruits de l'arbre de la connaissance ; ils ne peuvent s'enfoncer dans une morne hébétude, parce que leur nature s'insurge. Pour s'accommoder philosophiquement à leur situation ils sont trop inquiets, pas assez mesurés. Ils veulent lutter pour conquérir à tout prix le bonheur et le conserver. En y mettant toute leur force ils secouent les barreaux des grilles qui arrêtent leurs penchants. Ils n'entendent pas se contenter de peu ; ils veulent l'impossible : ils cherchent le bonheur non dans l'effort pour y atteindre, mais dans sa plénitude, non dans les combats, mais dans la victoire
    ."

    "Rendre les droits juridiques de la femme égaux à ceux de l'homme, assurer à la femme les possibilités légales et économiques de développer ses facultés et de les manifester par des actes correspondant à ses goûts, à ses désirs, et à sa situation financière, tant que le mouvement féministe se borne à ces revendications, il n'est qu'une branche du grand mouvement libéral en qui s'incarne l'idée d'une évolution libre et paisible. Si, allant au delà de ces revendications, le mouvement féministe entend combattre des organisations de la vie sociale avec l'espoir de se débarrasser ainsi de certaines bornes que la nature a imposées au destin humain, alors le mouvement féministe n'est plus qu'un fils spirituel du socialisme. Car c'est le propre du socialisme de chercher dans les institutions sociales les racines de conditions données par la nature, et donc soustraites à l'action de l'homme, et de prétendre en les réformant réformer la nature elle-même."

    "C'est méconnaître les bornes de la recherche scientifique de la connaissance que de lui attribuer la capacité de prononcer des jugements sur les valeurs, et d'exercer une influence sur les actions, non pas en démontrant clairement l'efficacité des moyens, mais en ordonnant les buts selon une certaine gradation."

    "Ce n'est point par décret que l'on peut changer les différences de caractères."

    "Il faudra considérer les faits autrement que font ceux qui rêvent d'un paradis perdu, voient l'avenir en rose et condamnent tout de la vie qui les entoure."

    "L'activité rationnelle, et par suite la seule susceptible d'une étude rationnelle, ne connaît qu'un seul but : le plaisir le plus parfait de l'individu agissant, qui veut atteindre le plaisir et éviter la peine. [...] D'une manière générale l'homme n'agit que parce qu'il n'est pas pleinement satisfait. S'il jouissait constamment d'un bonheur parfait il n'aurait ni désir, ni volonté, il n'agirait pas. [...] Toute action rationnelle est d'abord individuelle. C'est l'individu seul qui pense, c'est l'individu seul qui est raisonnable. Et c'est l'individu seul qui agit."

    "L'économie est l'exécution d'opérations d'échanges."

    "Tout homme qui, participant à la vie économique, fait un choix entre la satisfaction de deux besoins, dont un seul peut-être satisfait, émet par là même des jugements de valeur."

    "On ne peut compter qu'au moyen d'unités, mais il ne peut pas exister d'unité pour mesurer la valeur d'usage subjective des biens. [...] Le jugement de valeur ne mesure pas, il différencie, il établit une gradation."

    "L'insuffisance du calcul en monnaie n'a pas pour raison principale le fait que l'on compte au moyen d'un étalon universel, au moyen de l'argent, mais le fait que c'est la valeur d'échange qui sert de base au calcul et non la valeur d'usage subjective. Il est dès lors impossible d'intégrer dans le calcul tous les facteurs déterminants de la valeur qui sont en dehors des échanges. Quand on calcule la rentabilité de l'installation d'une usine électrique, on ne tient pas compte de la beauté de la chute d'eau qui pourrait avoir à en souffrir, si ce n'est éventuellement sous la forme de la régression qui pourrait en résulter dans le tourisme qui a lui aussi dans le commerce une valeur d'échange. Et cependant c'est là une considération qui doit entrer en ligne de compte dans la décision à prendre au sujet de la construction. On a coutume de qualifier de tels facteurs « d'extra-économiques ». Nous accepterons cette désignation, ne voulant pas discuter ici de terminologie. Mais on ne saurait qualifier d'irrationnelles les considérations qui conduisent à tenir compte de ces facteurs. La beauté d'une région ou d'un monument, la santé des hommes, l'honneur des individus ou de peuples entiers constituent, lorsque les hommes en reconnaissent l'importance, des éléments de l'action rationnelle au même titre que les facteurs économiques, même lorsqu'ils ne semblent pas susceptibles d'avoir dans le commerce une valeur de substitution. Par sa nature même le calcul monétaire ne peut s'appliquer à eux mais son importance pour notre activité économique n'en est pas diminuée. Car, tous ces biens immatériels sont des biens de premier ordre, ils peuvent faire l'objet d'un jugement de valeur immédiate, de sorte qu'on n'éprouve aucune difficulté à les prendre en considération même s'ils doivent nécessairement demeurer en dehors du calcul monétaire. Le fait que le calcul monétaire les ignore n'empêche pas d'en tenir compte dans la vie. Quand nous connaissons exactement ce que nous coûtent la beauté, la santé, l'honneur, la fierté, rien ne nous empêche d'en tenir compte dans une mesure correspondante. Il peut être pénible à un esprit délicat de mettre en parallèle des biens immatériels et des biens matériels. Mais la responsabilité n'en incombe pas au calcul monétaire : elle provient de la nature même des choses. Même lorsqu'il s'agit de formuler directement des jugements de valeur sans recourir au calcul monétaire on ne peut pas éviter le choix entre les satisfactions d'ordre matériel et les satisfactions d'ordre immatériel. Même l'exploitant isolé, même la société socialiste sont obligés de choisir entre les biens « matériels » et les biens « immatériels ». Les natures nobles n'éprouveront jamais aucune souffrance d'avoir à choisir entre l'honneur et, par exemple, la nourriture. Elles sauront ce qu'elles doivent faire dans de tels cas. Encore qu'on ne puisse se nourrir d'honneur on peut renoncer à la nourriture pour l'amour de l'honneur. Ceux-là seulement qui voudraient s'éviter les tourments que comporte un tel choix parce qu'ils ne sont pas capables de se décider à renoncer à des satisfactions matérielles pour s'assurer des avantages d'ordre immatériel, voient dans le seul fait qu'un tel choix puisse se poser une profanation."

    "Le calcul monétaire se révèle impuissant quand on veut l'employer comme étalon des valeurs dans des recherches historiques sur l'évolution des rapports économiques ; il est impuissant quand on veut s'en servir pour évaluer la fortune et le revenu des nations ou pour calculer la valeur des biens qui ne sont point objet de commerce comme par exemple les pertes en hommes qui résultent de la guerre ou de l'émigration."

    "La distinction usuelle dans l'économie politique entre l'action dans le domaine « économique » ou « purement économique » et l'action dans le domaine « extra-économique » est tout aussi insuffisante que la distinction entre les biens matériels et immatériels. En effet la volonté et l'action forment un tout inséparable. Le système des fins est nécessairement indivisible, et n'embrasse pas seulement les désirs, les appétits et les efforts qui peuvent être satisfaits par une action exercée sur le monde extérieur matériel, mais aussi tout ce qu'on a coutume de désigner par l'expression satisfaction des besoins immatériels. Il faut que les besoins immatériels eux aussi s'insèrent dans l'échelle unique des valeurs, étant donné que l'individu est contraint dans la vie de choisir entre eux et les biens matériels. Quiconque doit choisir entre l'honneur et la richesse, entre l'amour et l'argent, range dans une échelle unique ces différents biens.

    Dès lors, l'économique ne constitue pas un secteur nettement délimité de l'action humaine. Le domaine de l'économie, c'est celui de l'action rationnelle : l'économie intervient partout où, devant l'impossibilité de satisfaire tous ses besoins, l'homme opère un choix rationnel. L'économie est d'abord un jugement porté sur les fins et ensuite sur les moyens qui conduisent à ces fins. Toute activité économique dépend ainsi des fins posées. Les fins dominent l'économie à qui elles donnent son sens.

    Étant donné que l'économique embrasse toute l'activité humaine, on doit observer la plus grande circonspection lorsqu'on veut distinguer l'action « purement économique » des autres actions. Cette distinction souvent indispensable en économie politique isole une fin déterminée pour l'opposer à d'autres fins. La fin ainsi isolée — sans considérer pour l'instant s'il s'agit d'une fin dernière ou simplement d'un moyen en vue d'autres fins — réside dans la conquête d'un produit aussi élevé que possible en argent, le mot argent désignant dans le sens strict qu'il a en économie le ou les moyens d'échange en usage à l'époque considérée. Il est donc impossible de tracer une limite rigoureuse entre le domaine de l' « économique pur » et les autres domaines de l'action. Ce domaine a une étendue qui varie avec chaque individu en fonction de son attitude par rapport à la vie et à l'action. Il n'est pas le même pour celui qui ne considère pas l'honneur, la fidélité et la conviction comme des biens pouvant être achetés, qui se refuse à les monnayer, et pour le traître qui abandonne ses amis pour de l'argent, pour les filles qui font commerce d'amour, pour le juge qui se laisse corrompre. La délimitation de l'élément « purement économique » à l'intérieur du domaine plus étendu de l'action rationnelle ne peut résulter ni de la nature des fins considérées, ni du caractère particulier des moyens. La seule chose qui le différencie de toutes les autres formes d'action rationnelle, c'est la nature particulière des procédés employés dans ce compartiment de l'action rationnelle. Toute la différence réside dans le fait qu'il constitue le seul domaine où le calcul chiffré soit possible
    ."

    "Là où il n'y a pas de marché, il ne peut se former de prix ; et sans formation de prix il n'y a pas de calcul économique."

    "On pourrait peut-être songer à permettre l'échange entre les différentes groupes d'exploitation, pour arriver ainsi à la formation de relations d'échange (prix), qui fourniraient ainsi une base au calcul économique même dans la communauté socialiste. On organiserait, dans le cadre de l'économie unifiée sans propriété privée des moyens de production, les différents groupes de travail en groupes séparés jouissant du droit de disposition. Ils devraient naturellement se conformer aux instructions de la direction supérieure de l'économie, mais ils pourraient échanger entre eux des biens matériels et des services dont ils devraient acquitter le montant uniquement en se servant d'un moyen d'échange universel qui serait encore une monnaie. C'est ainsi qu'on se représente à peu près l'organisation de l'exploitation socialiste de la production, lorsqu'on parle aujourd'hui de « socialisation intégrale » et choses semblables. Mais ici encore on n'arrive pas à tourner la difficulté dont la solution aurait une importance décisive. Des relations d'échange ne peuvent, pour les biens de production, se former qu'avec, comme base, la propriété privée des moyens de production. Si la « communauté charbonnière » livre du charbon à la « communauté métallurgique », il ne peut se former aucun prix, à moins que les deux communautés ne soient propriétaires des moyens de production de leurs exploitations. Mais ce ne serait plus du socialisme. Ce serait du syndicalisme.

    Pour le théoricien socialiste, avec sa théorie de la valeur-travail, la question est, il est vrai, fort simple. « Dès que la société est en possession des moyens de production et les emploie, elle-même et sans intermédiaire, à la production, le travail de chaque individu, quelles qu'en soient les différences d'utilité spécifique, devient dès l'origine et directement travail-de-la-société, travail social. La quantité de travail social incluse dans un produit n'a plus dès lors besoin d'être déterminé d'une manière indirecte : l'expérience quotidienne montre directement, quelle en est en moyenne la quantité nécessaire. La société peut calculer facilement combien d'heures de travail sont incluses dans une machine à vapeur, dans un hectolitre de blé de la dernière récolte, dans cent mètres carrés de drap de telle ou telle qualité... Sans doute la société devra aussi savoir combien de travail est nécessaire à la fabrication de chaque objet d'usage. Elle devra établir le plan de production en fonction des moyens de production, dont les ouvriers sont un élément essentiel. Ce sont finalement les effets d'utilité des objets d'usage, comparés entre eux et par rapport aux quantités de travail nécessaires à leur fabrication, qui décideront du plan. Tout cela sera réglé très simplement sans qu'on ait besoin de faire intervenir la notion « valeur » (Engels) ».

    Nous n'avons pas à reprendre ici les objections critiques contre la théorie de la valeur-travail. Elles sont cependant leur intérêt pour notre démonstration ; car elles aident à juger de l'emploi qu'on peut faire du travail comme unité de calcul dans une communauté socialiste.

    Le calcul en travail tient compte également, semble-t-il à première vue, des conditions naturelles de la production, conditions extérieures à l'homme. Le concept du temps de travail social nécessaire tient compte de la loi du rendement décroissant dans la mesure où cette loi joue en raison de la différence des conditions naturelles de production. Si la demande pour une marchandise augmente et qu'on soit forcé par là d'avoir recours pour l'exploitation à des conditions naturelles de production inférieures, le temps de travail social généralement nécessaire pour la production d'une unité augmente aussi. Si l'on arrive à trouver des conditions naturelles de production plus favorables, la quantité de travail nécessaire baisse alors. L'on tient compte des conditions naturelles de la production, mais seulement et exactement dans la mesure où cette considération s'exprime par des changements dans la quantité de travail social nécessaire. C'est tout. Au delà, le calcul en travail ne fonctionne plus. Il ne tient aucun compte de la consommation en facteurs de production matériels. Admettons que deux marchandises P et Q exigent au total pour leur fabrication la même quantité de travail, soit dix heures. Admettons aussi que ces dix heures de travail se décomposent dans les deux cas de la façon suivante : en ce qui concerne Q, neuf heures pour sa fabrication proprement dite et une heure pour la production de la matière première a nécessaire à sa fabrication ; en ce qui concerne P, huit heures pour sa fabrication et deux heures pour la production de la quantité double, soit 2a matière première. Dans le calcul en travail, P et Q apparaissent équivalents. Dans le calcul en valeur, P devrait être estimé à une valeur supérieure à Q qui contient moins de matière première. Le calcul en travail est faux ; seul le calcul en valeur répond à la nature et au but du calcul. Il est vrai que ce « plus » accordé à P par le calcul en valeur par rapport à Q, il est vrai que cette base matérielle « existe de par la nature et sans que l'homme y soit pour rien ». Cependant si ce « plus » n'existe qu'en une quantité tellement limitée qu'il devienne un objet ayant une importance pour l'économie, il faudra, d'une manière ou d'une autre, le faire entrer en ligne de compte dans le calcul de la valeur.

    Le calcul en travail présente un second défaut : c'est de ne pas tenir compte des différentes qualités du travail. Pour Marx tout travail humain est, du point de vue économique, de même qualité, parce qu'il est toujours « une dépense productive de cerveau, de muscles, de main, de nerfs humains. Un travail complexe ne vaut que comme travail simple élevé à une puissance, ou plutôt que comme travail simple multiplié, de sorte qu'une petite quantité de travail complexe équivaut à une plus grande quantité de travail simple. L'expérience montre que cette réduction s'opère constamment. Une marchandise peut être le produit du travail le plus complexe ; sa valeur la rend équivalente au produit d'un travail simple et ne représente donc en elle-même qu'une certaine quantité de travail simple » .Böhm-Bawerk n'a vraiment pas tort quand il qualifie cette argumentation de « chef-d'œuvre théorique d'une naïveté déconcertante » . Aussi, pour juger des affirmations de Marx, inutile de se demander s'il est possible de trouver une mesure physiologique de tout travail humain, une mesure s'appliquant également et au travail physique et au travail soi-disant intellectuel. Car, c'est un fait, il y a entre les hommes des différences de capacités et d'habileté, qui forcément influent sur la qualité des produits et le rendement du travail. Le calcul en travail peut-il être employé pour le calcul économique ? Ce qui décidera de cette question, c'est de savoir s'il est possible de réduire à un dénominateur commun des travaux de caractères différents, sans avoir recours à l'opération intermédiaire de l'estimation de la valeur de ces produits par les personnes exploitantes. Marx s'efforçait de faire la preuve, il a échoué. L'expérience montre bien que les marchandises sont mises dans le courant des échanges sans qu'on s'occupe de savoir si elles ont été produites par un travail simple ou complexe. Mais pour prouver par là que certaines quantités de travail simple sont placées, sans opérations intermédiaires, en équivalence avec certaines quantités de travail complexe, il faudrait d'abord qu'il fût bien entendu que la valeur d'échange découle du travail. Or cela non seulement n'est pas une chose entendue une fois pour toutes, mais c'est précisément ce que les raisonnements de Marx cherchent d'abord à prouver.

    Dans le mouvement des échanges il s'est établi, par le taux des salaires, un rapport de substitution entre le travail simple et le travail complexe — auquel du reste Marx ici ne fait pas allusion. Mais cela ne prouve nullement l'égalité de ces deux sortes de travail. Cette égalisation est la conséquence, et non le point de départ, des échanges du marché. Il faudrait, pour substituer le travail simple au travail complexe, que le calcul en travail établît un rapport arbitraire, qui exclurait toute utilisation de ce calcul pour la direction économique.

    On a pensé pendant longtemps que la théorie de la valeur-travail était nécessaire au socialisme pour donner un fondement éthique à sa revendication touchant la socialisation des moyens de production. Nous savons aujourd'hui que cette conception était erronée. Sans doute la plupart des socialistes l'ont adoptée et employée dans ce sens. Marx lui-même, qui, par principe, se plaçait à un autre point de vue, ne s'est pas toujours gardé de cette erreur. Deux choses sont cependant bien certaines : 1° en tant que programme politique le socialisme n'a pas besoin d'être justifié par la théorie de la valeur-travail et ne saurait d'ailleurs l'être ; 2° ceux qui ont sur la nature et l'origine de la valeur économique une autre conception peuvent très bien être socialistes
    ."

    "Prouver que dans la communauté socialiste le calcul économique n'est pas possible, c'est prouver d'un même coup que le socialisme est irréalisable. Tout ce qui depuis cent ans, dans des milliers d'écrits et de discours, a été avancé en faveur du socialisme, tous les succès électoraux et les victoires des partis socialistes, tout le sang versé par les partisans du socialisme, n'arriveront pas à rendre le socialisme viable. Les masses peuvent désirer son avènement avec la plus grande ferveur, on peut en son honneur déclencher autant de révolutions et de guerres qu'on voudra, jamais il ne sera réalisé. Tout essai de réalisation ou bien mènera au syndicalisme, ou bien à un chaos qui dissoudra bientôt en infimes groupements autarciques la société fondée sur la division du travail."

    "Dans les sociétés par actions de la société capitaliste les directeurs sont nommés directement ou indirectement par les actionnaires. En chargeant certains hommes du soin de produire à leur place avec les moyens de production qui leur sont confiés, les actionnaires risquent leur fortune ou au moins quelque partie de leur fortune. Le risque — car c'en est un forcément — peut bien tourner et c'est un gain. Il peut mal tourner, et alors c'est la perte de tout ou partie du capital investi. Confier ainsi son propre capital pour des affaires dont l'issue est incertaine à des hommes dont on ne peut connaître les succès ou insuccès futurs, quand bien même on connaît très bien leur passé, c'est là un fait essentiel dans les entreprises des sociétés par actions."

    "Dans la société capitaliste le capitaliste décide à qui il veut confier son capital. L'opinion des directeurs de sociétés par actions sur les chances futures des entreprises qu'ils dirigent, et celle de ceux qui établissent toute sorte de projets sur les possibilités de gain des affaires qu'ils proposent, ne jouent à peu près aucun rôle. Au-dessus d'eux il y a le marché de l'argent et du capital qui les juge, et qui décide. La tâche du marché de l'argent et du capital est précisément d'embrasser l'ensemble des données économiques et de ne pas suivre à l'aveuglette les propositions des directeurs des différentes exploitations, qui eux voient les choses de leur étroit point de vue de spécialistes. Le capitaliste ne place pas tout de go son capital dans une entreprise promettant de gros gains ou de gros intérêts. Il établit d'abord la balance entre son désir de gain et les risques de perte. Il doit être prudent, et s'il ne l'est pas, il subit des pertes qui ont pour effet de faire passer de ses mains le pouvoir de disposer des moyens de production dans les mains d'autres hommes qui savent mieux prévoir pour leurs affaires les chances de la spéculation."

    "Aucun socialiste ne contestera les points suivants : capitalistes et spéculateurs remplissent dans la société capitaliste une fonction qui est d'employer les biens-capitaux de manière à contenter au mieux les vœux des consommateurs. Cette fonction ils ne la remplissent que poussée par le désir de maintenir leur propre fortune et de réaliser des gains qui ou bien accroissent leur fortune, ou leur permettent de vivre sans entamer leur capital."

    "Il est absolument impossible de faire de la « dignité » de l'individu un principe général de répartition. Qui déciderait de la dignité ? Les hommes au pouvoir ont eu souvent de biens singulières opinions sur la valeur ou la non-valeur de leurs contemporains. Et la voix du peuple n'est pas non plus la voix de Dieu. Qui des contemporains sera choisi aujourd'hui par le peuple comme le meilleur ? Qui sait, peut-être une star de cinéma, ou chez d'autres peuples un champion de boxe. A notre époque le peuple anglais désignerait Shakespeare comme le plus grand des Anglais. Ses contemporains l'eussent-ils fait ? Et quelle valeur les Anglais reconnaîtraient-ils à un second Shakespeare qui vivrait aujourd'hui parmi eux ? Et ceux à qui la nature n'a départi ni génie ni talent en doivent-ils être punis ? Tenir compte de la dignité de l'individu pour la répartition des biens de jouissance, ce serait ouvrir toute grande la voie de l'arbitraire et abandonner sans défense l'individu aux brimades de la majorité. On créerait ainsi une situation qui rendrait la vie insupportable."

    "Toutes les théories et utopies socialistes ont toujours en vue un état de choses immuable."

    "Les écrivains socialistes dépeignent la communauté socialiste comme un pays de Cocagne. C'est Fourier avec son imagination déréglée qui s'aventure le plus dans ces conceptions paradoxales. Dans l'État idéal de l'avenir les bêtes nuisibles auront disparu et auront été remplacées par des animaux qui aideront l'homme dans son travail, ou feront même tout le travail à sa place. Un anti-castor se chargera de la pêche, une anti-baleine remorquera les navires sur la mer les jours de calme plat, et un anti-hippopotame les bateaux sur les fleuves. A la place du lion il y aura un anti-lion, coursier d'une rapidité merveilleuse sur lequel les cavaliers trouveront une assiette aussi moelleuse que sur les coussins d'une voiture bien suspendue. « Ce sera un plaisir d'habiter ce monde quand on aura de tels serviteurs. » Godwin ne tient pas pour impossible qu'après l'abolition de la propriété, les hommes deviennent immortels. Kautsky nous apprend qu'avec la société socialiste « naîtra un nouveau type d'homme... un surhomme, un homme sublime. » Trotski entre encore plus dans le détail : « L'homme sera beaucoup plus fort, beaucoup plus perspicace, beaucoup plus fin. Son corps sera plus harmonieux, ses mouvements plus rythmiques, sa voix plus musicale. La moyenne humaine s'élèvera au niveau d'Aristote, de Goethe, de Marx. Et au-dessus de cette crête de montagnes s'élèveront de nouveaux sommets. » Et les œuvres des écrivains qui écrivirent de telles calembredaines ont eu de nombreuses éditions, ont été traduites dans plusieurs langues et ont fait l'objet de travaux détaillés de la part de ceux qui étudient l'histoire des idées !"

    "Il n'est pas difficile de couronner de laurier l'homme de génie qui a parfait son œuvre, d'ensevelir ses restes dans un tombeau glorieux, de lui élever des statues. Mais il est impossible d'aplanir la route qu'il doit suivre pour accomplir sa vocation. L'organisation de la société ne peut rien pour l'avancement du progrès. Elle a fait tout ce qu'on peut attendre d'elle quand elle n'a pas mis à l'individu des chaînes imbrisables, quand elle n'a pas élevé autour du cachot où elle l'enferme des murailles infranchissables.

    Le génie trouvera bien alors en lui-même le moyen de lutter et de parvenir au grand air
    ."

    "Il n'est censure, empereur, ni pape, qui aient jamais possédé pour opprimer la liberté intellectuelle le pouvoir qu'aurait une communauté socialiste."

    "Le principe de population de Malthus et la loi du rendement décroissant ont mis fin à ces illusion. Caeteris paribus, au delà d'une certaine mesure, l'accroissement de la population ne marche pas de pair avec un accroissement proportionnel des moyens de subsistance. Au delà de cette limite (surpopulation absolue) le contingent de ressources en biens pour chaque individu diminue. Que cette limite, étant donné les circonstances, soit déjà atteinte ou non, est une question de fait qui ne doit pas être confondue avec l'étude et la connaissance de la question de principe."

    "La grande masse est incapable de reconnaître que, dans l'économique, il n'y a qu'un phénomène constant : le changement. Elle considère l'état actuel des choses comme éternel ; il en a toujours été ainsi, il en sera toujours de même. Mais même si la grande masse était capable de se rendre compte que panta rei, elle n'en serait pas moins désemparée en face des problèmes que pose à l'action cet incessant écoulement de toute chose. Prévoir, pourvoir, frayer des voies nouvelles ne fut jamais l'apanage que de quelques-uns, des chefs. Le socialisme est la politique économique des masses, à qui le caractère de l'économie est entièrement étranger ; les théories socialistes ne sont que le précipité de leurs opinions sur la vie économique."

    "Dans l'économie qui se transforme les hommes émigrent des endroits moins favorisés du point de vue des conditions de la production vers les endroits plus favorisés. Dans l'organisation économique capitaliste capital et travail, sous la pression de la concurrence, émigrent vers les places les plus favorisés. [...] Ces migrations ont pour l'organisation des relations internationales des conséquences très importantes. Elles amènent les tenants d'une nation offrant sur soi des possibilités de production moins avantageuses, sur le sol d'autres nations plus favorisées par la nature. "

    "La fermeture des frontières empêchant l'importation des marchandises étrangères il en résulterait de grands désavantages pour l'approvisionnement des camarades socialistes : c'est ce que nous montre la théorie du libre-échange. Capital et travail devant être employés dans les conditions de production relativement moins favorables, leur rendement serait moindre. Pour illustrer ce fait prenons un exemple voyant. Une Allemagne socialiste pourrait à grand renfort de capital et de travail cultiver du café dans des serres. Mais il serait beaucoup plus avantageux, au lieu de cultiver du café dans le pays avec de si grands frais, de le faire venir du Brésil et d'exporter en revanche des produits que la situation de l'Allemagne lui permet de fournir dans des conditions plus favorables que le café."

    "Il y a une différence foncière très importante entre l'étatisation et la municipalisation de certaines entreprises, au milieu d'une société par ailleurs attachée à la propriété privée des moyens de production, et la réalisation intégrale du socialisme, qui ne tolère aucune propriété privée des moyens de production à côté de la propriété de la communauté."

    "Seul le guerrier, qui en dehors de la guerre ne connaît pas d'autre champ d'action que la préparation de la guerre, est toujours prêt à la guerre."

    "La faible productivité de l'économie communiste tourne au désavantage de l'État guerrier communiste, lorsqu'un conflit se produit avec des peuples riches, donc mieux armés et mieux nourris, chez qui existe la propriété privée."

    "Nous apprendrons beaucoup de mots nouveaux désignant une vieille chose. Mais ce ne sont pas les noms qui importent, c'est le fond."

    "La syndicalisation n'a pas pour tous les ouvriers une importance égale. La valeur des moyens de production employés dans les différentes branches de la production n'est pas proportionnée au nombre des ouvriers qui y travaillent. Il n'est pas besoin de l'expliquer longuement ; il y a des productions où l'on emploie plus du facteur de production : travail, et moins du facteur de production : nature. Un partage des facteurs de production aurait déjà, dès les débuts historiques de la production humaine, amené des inégalités ; à plus forte raison, à une époque où la syndicalisation se produit alors que la formation du capital a déjà fait de grands progrès, et que non seulement les facteurs de production naturels, mais les moyens de production, produits eux-mêmes, sont partagés. La valeur des parts revenant à chaque ouvrier dans un tel partage différera donc beaucoup. Les uns recevront plus, les autres moins et par conséquent les uns tireront un plus grand revenu de la propriété que les autres. La syndicalisation n'est pas du tout le moyen propre à réaliser en aucune manière l'égalité du revenu. Elle abolit l'inégalité existante de la répartition du revenu et de la propriété pour lui en substituer une autre. Il se peut que l'on considère cette inégalité syndicaliste comme étant plus juste que celle de l'ordre social capitaliste. Là-dessus la science ne peut émettre un jugement.

    [...] Tout changement dans l'économie nationale soulève aussitôt des problèmes que le syndicalisme ne saurait aborder sans échouer. Si des changements dans l'orientation ou l'importance de la demande, ou dans la technique de la production nécessitent des changements dans l'organisation de l'exploitation et qu'il faille transférer des ouvriers d'une exploitation à une autre, d'une branche de production à une autre, alors la question se pose immédiatement : comment régler la question des parts des moyens de production pour les ouvriers. Est-ce que ces ouvriers et leurs héritiers conserveront leur part dans les entreprises auxquelles ils appartenaient lors de la syndicalisation ; devront-ils entrer dans de nouvelles entreprises en tant que simples ouvriers, qui travaillent pour un salaire, sans pouvoir obtenir une part des bénéfices de l'entreprise ? Ou bien, en quittant une entreprise, doivent-ils abandonner leur part et, dès leur entrée dans une nouvelle entreprise, recevoir une part individuelle comme les ouvriers qui y travaillaient déjà auparavant ? Dans le premier cas le principe de la syndicalisation serait bientôt réduit à rien. Si du reste l'on permettait d'aliéner les parts, l'on verrait bientôt réapparaître la situation existant avant la réforme. Mais si l'ouvrier en quittant une entreprise perd sa part et en reçoit une en entrant dans une autre entreprise, alors les ouvriers, qui subiraient de ce fait un préjudice, s'opposeraient énergiquement à tout changement dans la production. L'organisation d'un plus grand rendement du processus du travail serait combattue par eux, si elle avait pour conséquence le libre placement des ouvriers. D'autre part les ouvriers d'une entreprise ou d'une branche de production se refuseraient à ce qu'on donnât une plus grande extension à l'exploitation par l'embauchage de nouveaux ouvriers, s'ils craignaient que cela ne réduisît leur revenu sur la propriété. Bref, le syndicalisme rendrait à peu près impossible une transformation de la production. Là où le syndicalisme serait maître, il ne saurait plus être question de progrès économique.
    ."

    "En tant que théorie du progrès transcendant à la fois l'expérience réelle et toute expérience possible, le matérialisme historique ne relève pas de la science, mais de la métaphysique. L'essence de toute métaphysique de l'évolution et de l'histoire réside dans une théorie du commencement et de la fin, de l'origine et du but des choses."

    "Dans la mesure où le socialisme « scientifique » est une métaphysique, un chiliasme et une promesse de salut, il serait vain et superflu de lui opposer des arguments d'ordre scientifique. Recourir à la raison pour lutter contre des dogmes mystiques est une entreprise vaine. On n'instruit pas des fanatiques. Il faut qu'ils se cassent la tête contre les murs."

    "La causalité demeure le principe fondamental de la connaissance."

    "[Pour la science sociale] il n'est nullement établi que toute évolution est orientée vers le haut et que toute étape nouvelle est une étape plus élevée. Et naturellement il ne lui est pas davantage possible de voir dans l'évolution historique, comme le font les philosophies pessimistes de l'histoire, une décadence continue, un mouvement progressif vers une fin mauvaise. Chercher quelles sont les forces qui gouvernent l'évolution historique, c'est chercher quelle est la nature de la société ainsi que l'origine et les causes des changements qui se produisent dans les conditions sociales. Ce qu'est la société, comment elle naît et comment elle se transforme, tels sont les seuls problèmes que peut se poser la science sociologique."

    "La naissance de la civilisation est due au fait que le travail divisé est plus productif que le travail isolé. L'application toujours plus étendue du principe de la division du travail s'explique par la reconnaissance du fait que, plus cette division est poussée, plus le travail est productif. Cette extension constitue réellement un progrès économique en ce sens qu'elle rapproche l'économie de son but : satisfaire le plus grand nombre possible de besoins."

    "L'histoire est une lutte entre deux principes : le principe de paix favorables au développement du commerce, et le principe militariste et impérialiste qui fait dépendre la vie sociale, non pas d'une collaboration fondée sur la division du travail, mais d'une domination exercée par les forts sur les faibles. Le principe impérialiste reprend sans cesse le dessus. Le principe libéral ne peut s'affirmer en face de lui tant les masses en qui la tendance au travail pacifique est profondément ancrée n'ont pas pris pleinement conscience du rôle que cette tendance doit jouer comme principe de l'évolution sociale. Tant que le principe impérialiste l'emporte, le règne de la paix est nécessairement limité dans le temps et dans l'espace ; il ne dure qu'autant que subsistent les conditions qui l'ont créé. L'état d'esprit que l'impérialisme entretient est peu propre à favoriser les progrès sociaux à l'intérieur des frontières ; il leur interdit à peu près complètement de se propager au delà des barrières politiques et militaires qui séparent les États. La division du travail implique la liberté et la paix. C'est seulement lorsque le XVIIIe siècle eut trouvé dans la conception libérale du monde une philosophie de la paix et de la coopération sociale que les fondements furent jetés des progrès économiques étonnants de notre époque que les plus récentes doctrines impérialistes et socialistes qualifient avec mépris de siècle du matérialisme sordide, de l'égoïsme et du capitalisme."

    "La mort pour un peuple, c'est la régression sociale, le retour, de la division du travail, à l'autarcie. L'organisme social se résout en ses cellules constitutives. Les hommes restent, la société meurt.

    Rien ne démontre que l'évolution sociale doive se poursuivre suivant une ligne droite ascendante. Il y a eu des périodes d'arrêt et des périodes de décadence dans l'évolution sociale : ce sont là des phénomènes historiques que nous n'avons pas le droit d'ignorer. L'histoire universelle est un cimetière de civilisations mortes
    ."

    "Pour la première fois, avec la philosophie sociale du libéralisme, l'humanité a pris conscience des lois de l'évolution sociale et distingué clairement les bases du progrès de la civilisation. A cette époque l'humanité a pu considérer l'avenir avec une immense espérance. Des perspectives inouïes s'ouvraient devant elle. Mais ces espoirs furent déçus. Le libéralisme se heurta au nationalisme militariste et surtout à la doctrine socialo-communiste qui tendent à la dissolution sociale. La doctrine nationaliste se prétend organique ; la doctrine socialiste se prétend sociale. L'une et l'autre en réalité désorganisent et ruinent la société."

    "La conception romantique d'après laquelle les peuples moins avancés dans la voie du capitalisme posséderaient une supériorité militaire — conception dont l'expérience de la guerre mondiale a montré toute la fausseté — s'explique par la croyance que dans la guerre la force physique de l'homme de l'époque homérique. Mais cela n'est même pas entièrement vrai des combats de l'époque homérique. L'issue de la lutte ne dépend pas de la force physique mais des forces spirituelles qui commandent la tactique et l'armement. L'ABC de l'art militaire consiste à s'assurer la supériorité des forces à l'endroit décisif, même si dans l'ensemble l'adversaire dispose de troupes plus nombreuses ; l'ABC de la préparation de la guerre consiste à lever des armées aussi fortes que possible et à les doter du matériel le plus puissant. Si nous insistons sur ces faits, c'est que récemment on a cherché à les obscurcir en distinguant des causes militaires et économico-politiques à la victoire ou à la défaite. C'est un fait, et il en sera toujours ainsi : dans la majorité des cas, l'issue de le lutte est déjà déterminée par la situation des États en présence avant même que les troupes se rencontrent sur les champs de bataille."

    "Diviser d'après des caractères extérieurs ce qui est homogène dans son essence est une méthode qui ne résiste pas à une critique rigoureuse de la connaissance."

    "Depuis Darwin, nous avons l'habitude de nous représenter la dépendance de l'homme par rapport à son milieu naturel sous la forme métaphorique d'une lutte contre des puissances hostiles. Cette image n'a soulevé aucune objection tant qu'on ne s'est pas avisé de la transporter dans un domaine où elle n'est pas à sa place et où elle a conduit à de graves erreurs. Les formules du darwinisme avaient été empruntées par la biologie à des idées développées par la sociologie ; quand on voulut, par un processus inverse, les ramener dans le domaine de la science sociale, on oublia leur signification première. Ainsi naquit ce monstre, le darwinisme sociologique qui, aboutissant à une glorification romantique de la guerre et du meurtre, a contribué pour une large part à étouffer les idées libérales dans l'esprit des contemporains et à créer ainsi l'atmosphère spirituelle dans laquelle ont pu naître la guerre universelle et les luttes sociales des temps présents."

    "Pour le libéralisme la guerre n'est admissible que comme moyen de défense."

    "La pensée elle-même est un phénomène social ; elle n'est pas le produit de l'intelligence isolée : elle résulte de l'action et de la fécondation réciproque d'hommes poursuivant les mêmes fins en unissant leurs forces. Le travail du penseur isolé qui réfléchit dans sa retraite sur des problèmes dont peu d'hommes se soucient relève aussi du langage : c'est une conversation avec le trésor d'idées, accumulées par la pensée de générations innombrables dans la langue, dans les concepts de tous les jours et dans la tradition écrite. La pensée est liée au langage ; c'est sur lui que s'édifient les constructions intellectuelles du penseur."

    "Les idées du socialisme moderne ne sont pas sorties de cerveaux prolétariens. Elles sont nées chez des intellectuels, des fils de la bourgeoisie et non chez des travailleurs salariés."

    "Sans doute le marxisme a-t-il déjà pris pour la pensée prolétarienne une valeur de vérité éternelle indépendante de la conscience de classe. De même que le prolétariat, tout en constituant encore une classe, doit nécessairement sauvegarder dans son action les intérêts de l'humanité tout entière et non plus déjà simplement les seuls intérêts de classe, puisque sa mission consiste à supprimer la division de la société en classes, de même on peut déjà découvrir dans la pensée prolétarienne, à la place de la relativité de la pensée déterminée par la conscience de classe, la vérité absolue qu'il est à proprement parler réservé à la science pure de la société socialiste future de développer. En d'autres termes : seul le marxisme est une science. Tout ce qui a précédé Marx n'est que la préhistoire de la science. Dans cette conception, les philosophes antérieurs à Hegel occupent à peu près la place que le christianisme assigne aux prophètes, et Hegel celle que le christianisme assigne à saint Jean-Baptiste par rapport au Sauveur. Mais depuis que Marx est apparu, il n'y a plus de vérité que chez les marxistes ; tout le reste n'est que tromperie et illusion, qu'apologétique capitaliste.

    C'est une philosophie simpliste et claire, et qui devient sous la plume des successeurs de Marx encore plus simpliste et plus claire. Le socialisme marxiste s'identifie avec la science. La science n'est que l'exégèse des écrits de Marx et de Engels. On considère comme preuves des citations, des interprétations de la parole des maîtres ; on s'accuse réciproquement d'ignorer « l'Écriture. » En même temps, on pratique un véritable culte du prolétariat. « Ce n'est que dans la classe ouvrière, dit déjà Engels, que survit la pure pensée théorique allemande. On ne saurait l'en extirper ; là ne jouent aucune considération de carrière, de profit, aucun souci d'obtenir la protection des grands. Au contraire, plus la science se montre brutale et objective, et plus elle s'accorde avec es intérêts et les aspirations des travailleurs. » « Seul le prolétariat, c'est-à-dire ses porte-parole et ses chefs, » dit Tönnies, professe « une philosophie scientifique du monde dans toutes ses conséquences logiques. »
    ."

    "La concentration des établissements apparaît en même temps que la division du travail. [...] On exagère considérablement la fréquence et l'importance de la concentration verticale des entreprises. Dans l'économie capitaliste tout au contraire surgissent sans cesse de nouvelles catégories d'entreprises. Des parties d'entreprises ne cessent de se détacher pour devenir des entreprises autonomes. La spécialisation croissante de l'industrie moderne offre le spectacle d'une évolution qui ne tend nullement à la concentration verticale. A part les cas où cette dernière apparaît comme la conséquence naturelle des conditions techniques de la production, la concentration verticale demeure un phénomène d'exception dont l'origine doit être cherchée dans les conditions juridiques et politiques de la production. Et nous voyons constamment se dénouer les liens qu'elle avait établis et les entreprises qu'elle avait groupées reprendre leur autonomie."

    "Les lois qui président à la formation des prix de monopole ne sont pas différentes de celles qui gouvernent la formation des autres prix. Pas plus que les autres, le détenteur de monopoles n'a le pouvoir de fixer les prix à sa guise. Les prix qu'il offre sur le marché se heurtent aux réactions des demandeurs ; les détenteurs de monopoles se trouvent, eux aussi, en présence d'une demande plus ou moins importante et ils sont obligés d'en tenir compte exactement comme les autres vendeurs. Le seul caractère particulier des monopoles, c'est que, dans certaines conditions, — quand la courbe de la demande se présente sous un certain aspect — le maximum de profit net est obtenu à un niveau de prix plus élevé que celui qui aurait permis de la réaliser si le prix s'était établi sous le régime de la concurrence. C'est cela et cela seulement qui constitue le caractère propre des monopoles."

    "Dans l'économie libre du système capitaliste, où l'intervention de l'État ne se manifeste pas, le domaine où les monopoles peuvent se constituer est beaucoup plus restreint que cette littérature ne l'admet généralement et les conséquences sociales de la monopolisation doivent être appréciés tout autrement que ne le font les slogans des « prix imposés » et de la « dictature des magnats des trusts. »."

    "Étant donné que l'action n'a pas en soi sa propre fin, qu'elle est bien plutôt un moyen au service de fins déterminées, on ne peut porter sur elle un jugement de valeur, la considérer comme bonne ou mauvaise que par rapport à ses conséquences. L'action est jugée en fonction de la place qu'elle occupe dans le système des causes et des effets."

    "La philosophie a longtemps discuté au sujet de la nature du bien suprême. La philosophie moderne a tranché ce débat. L'eudémonisme est aujourd'hui hors de contestation. Tous les arguments que les philosophes ont pu produire contre lui, de Kant à Hegel, n'ont pas réussi à séparer à la longue les concepts de moralité et de bonheur."
    -Ludwig von Mises, Le Socialisme, Librairie de Médicis, édition française de 1938 (1922 pour la première édition allemande), 626 pages.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Jeu 24 Mai - 12:26, édité 2 fois
    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 15 Mar - 15:41

    "L'interdiction canonique de l'intérêt

    Chaque époque a trouvé dans les Évangiles ce qu'elle voulait y découvrir et a négligé d'y voir ce qu'il ne lui convenait pas d'y voir. C'est un fait qu'on ne saurait mieux prouver qu'en se référant à l'importance prépondérante attachée pendant des siècles par la morale sociale de l'Église à la doctrine de l'usure . Ce qui, dans les Évangiles et dans les autres Écrits du Nouveau Testament, est exigé des disciples du Christ, ce n'est pas de renoncer à l'intérêt produit par des capitaux prêtés. L'interdiction canonique de l'intérêt est un produit de la doctrine médiévale de la société et du commerce ; elle n'avait à l'origine rien à voir avec le christianisme et ses enseignements. La condamnation morale de l'usure et l'interdiction de l'intérêt sont antérieures ; elles furent empruntées aux écrivains et aux législateurs de l'antiquité et transformées à mesure que la lutte des agriculteurs contre les marchands et les commerçants, dont la puissance croissait, devint plus violente ; c'est alors seulement qu'on chercha à leur trouver un fondement dans l'Écriture Sainte. Le prêt à intérêt ne fut pas combattu parce que le christianisme l'exigeait ; c'est parce que l'usure fut combattue que l'on s'avisa de découvrir sa condamnation dans les enseignements du christianisme. Comme le Nouveau Testament ne semblait pas au premier abord pouvoir répondre à ce dessein, on dut recourir à l'Ancien Testament. Pendant des siècles personne n'eut l'idée de chercher aussi dans le Nouveau Testament un passage justifiant l'interdiction de l'intérêt. Ce n'est que plus tard que l'art de l'interprétation scolastique réussit à découvrir le texte tant désiré dans un passage bien connu  de saint Luc. Ce résultat ne fut atteint qu'au début du XIIe siècle et c'est seulement depuis le décret consuluit d'Urbain III que ce passage sert à justifier l'interdiction de l'intérêt. Mais l'interprétation que l'on donnait des paroles de l'Évangéliste était absolument insoutenable ; dans le passage en question il n'est nullement question de l'intérêt. Il est possible que dans le contexte les mots Mhden apelpizontez signifient : « ne comptez pas sur la restitution de ce qui a été prêté, » ou plus probablement : « vous ne devez pas prêter seulement à l'homme aisé qui lui-même pourra vous prêter un jour, mais aussi à celui dont vous ne pouvez rien espérer en retour, au pauvre. »

    L'importance considérable attachée à ce passage de l'Écriture contraste violemment avec l'indifférence où l'on tient d'autres commandements et interdictions de l'Évangile. L'Église du moyen-âge s'efforçait de tirer toutes les conséquences de l'interdiction de l'intérêt, mais elle omettait délibérément d'appliquer la plus petite partie des efforts qu'elle déployait pour interpréter ainsi ce passage de saint Luc à obtenir le respect de nombreux autres commandements clairs et sans ambiguïté contenus dans l'Évangile. Le même chapitre de l'Évangile de saint Luc où se trouve la prétendue interdiction de l'intérêt contient bien d'autres commandements et interdictions expressément formulés. Mais l'Église ne s'est jamais souciée sérieusement d'interdire à celui qui a été victime d'un vol de réclamer son bien et de résister au voleur ; jamais elle n'a cherché à flétrir l'action de la justice comme un acte antichrétien. Et elle n'a pas davantage tenté d'imposer le respect des autres prescriptions du sermon sur la montagne, comme par exemple l'indifférence à l'égard de la nourriture et de la boisson
    ."

    "Engels a vu dans le mouvement ouvrier allemand l'héritier de la philosophie allemande classique. Il serait plus exact de dire que le socialisme allemand en général — et non pas seulement le marxisme — a été le successeur de la philosophie idéaliste. Le socialisme doit la domination qu'il a pu s'assurer sur l'esprit allemand à la conception de la société des grands penseurs allemands. Une ligne facile à reconnaître conduit de la conception mystique du devoir de Kant et de l'idolâtrie de l'État de Hegel à la pensée socialiste. Quand à Fichte, c'est déjà un socialiste."

    "La morale est la partie la plus faible du système de Kant. On y sent passer sans doute le souffle de ce grand esprit. Mais la beauté qu'on découvre dans les détails ne permet pas d'oublier que le point de départ de cette morale est déjà mal choisi et qu'elle repose sur une conception erronée. Elle n'a pas réussi dans son effort désespéré pour déraciner l'eudémonisme. Dans la morale, Bentham, Mill et Feuerbach l'emportent sur Kant. Celui-ci a tout ignoré de la philosophie sociale de ses contemporains, Fergusson et Adam Smith. L'économie politique lui est demeurée étrangère. Ses développements sur la vie en société se ressentent de ces déficiences."

    "Il n'est pas vrai que la soif moderne du profit ait étouffé dans le cœur de l'homme tout sentiment du beau et du sublime."

    "Que la grande foule marque encore une préférence pour les plaisirs grossiers, cela n'est pas spécial à notre temps et il en sera toujours ainsi."

    "La ruine frappe celui qui place mal ses capitaux."

    "Le mouvement romantique, qui s'adresse avant tout à l'imagination, dispose d'un vocabulaire très riche. Ses rêves se parent de couleurs dont l'éclat ne peut être dépassé."

    "Toute production doit nécessairement s'adapter aux désirs des consommateurs. Dès qu'elle n'y répond plus, elle cesse d'être rentable."

    "Le salarié dont le regard ne dépasse pas l'horizon étroit de sa tâche quotidienne, peut considérer que l'entrepreneur règle arbitrairement la marche de son exploitation. Il est naturel que, de son point d'observation, il ne distingue pas les grandes lignes et le plan de l'ensemble. Il en est surtout ainsi lorsque les dispositions prises par l'entrepreneur atteignent l'ouvrier dans ses intérêts immédiats. Il lui est impossible de comprendre que l'entrepreneur travaille sous le joug d'une loi rigoureuse. Sans doute est-il loisible à ce dernier de lâcher à tout moment la bride à sa fantaisie. Il peut renvoyer arbitrairement des ouvriers, s'entêter dans des procédés de production désuets, choisir à dessein des méthodes de travail inadéquates et s'inspirer dans la conduite de ses affaires de motifs étrangers à la satisfaction des vœux des consommateurs. Mais, s'il agit ainsi, et dans la mesure où il le fait, il doit en supporter les conséquences, et, s'il ne s'arrête pas à temps, il se voit relégué par la perte totale de son bien dans une situation où il ne peut plus nuire. Il n'est pas nécessaire pour cela d'assurer un contrôle particulier de sa conduite. Le marché s'en charge avec plus de rigueur et de précision que ne pourrait le faire une surveillance exercée par le gouvernement ou d'autres organes de la société."

    "Peu importe aux entrepreneurs et aux capitalistes la nature des objets que le consommateur désire. Ils ne sont que les serviteurs dociles du consommateur dont ils exécutent les ordres sans discussion. Lui indiquer quels biens il doit consommer n'est pas leur affaire. Ils lui livrent, s'il le désire, du poison et des armes de mort. [...] Ce n'est pas le capitalisme des armements qui a créé la guerre ; ce sont les guerres qui ont suscité le capitalisme des armements. Ce ne sont pas Krupp et Schneider qui ont dressé les peuples les uns contre les autres, ce sont les écrivains et les politiciens impérialistes."

    "Le moraliste, après avoir condamné la société fondée sur l'égoïsme, entreprend de construire une nouvelle société dans laquelle les hommes seront tels que son idéal l'exige. Il commence par méconnaître le monde et ses lois ; puis il veut construire un monde conforme à ses théories erronées et c'est là ce qu'il appelle établir un idéal moral."

    "Le résultat est toujours certain quand on veut éveiller les mauvais instincts de l'âme humaine."

    "Il n'existe pas de délimitation précise entre la santé et la maladie."

    "Le chômage existant dans les pays capitalistes est dû en réalité au fait que dans ces pays la politique du gouvernement aussi bien que celle des syndicats tendent à maintenir les salaires à un niveau qui est hors de proportion avec la productivité existante du travail."

    "Le marxisme comme le national-socialisme — se rencontrent dans une hostilité commune à l'égard du libéralisme et dans la répudiation de l'ordre social capitaliste. Toutes deux veulent lui substituer une société socialiste. La seule différence entre leurs programmes consiste en ceci que l'image que les marxistes se font de la société future diffère par certains points qui, nous pourrions le montrer, ne sont pas essentiels, de l'idéal du socialisme d'État qui est aussi l'idéal des nationaux socialistes. Les nationaux socialistes donnent le premier rang dans leur agitation à d'autres revendications que les marxistes : lorsque les marxistes parlent d'enlever au travail son caractère de marchandise, les nationaux socialistes parlent de briser l'esclavage de l'intérêt ; lorsque les marxistes rendent les capitalistes responsables de tous les mots, les nationaux socialistes croient s'exprimer de façon plus concrète en criant : « mort aux Juifs ! »."

    "On ne peut vaincre des idées que par des idées."

    "Le libéralisme et le capitalisme s'adressent à la froide raison, et progressent selon la stricte logique, en écartant délibérément tout appel au sentiment."

    "L'orateur qui excite les passions des masses semble avoir plus de chances de succès que celui qui tente de s'adresser à leur raison. Aussi le libéralisme paraît-il avoir bien peu d'espoir de triompher dans la lutte contre le socialisme.

    Mais ce point de vue pessimiste méconnaît entièrement l'influence que la réflexion calme et raisonnable peut exercer sur les masses ; il exagère énormément la part qui revient aux masses et par là même à la psychologie des foules dans la naissance et la formation des idées dominantes d'une époque.

    C'est un fait exact que les masses ne pensent pas. Mais c'est là précisément la raison pour laquelle elles suivent ceux qui pensent. La direction spirituelle de l'humanité appartient au petit nombre d'hommes qui pensent par eux-mêmes ; ces hommes exercent d'abord leur action sur le cercle capable d'accueillir et de comprendre la pensée élaborée par d'autres ; par cette voie les idées se répandent dans les masses où elles se condensent peu à peu pour former l'opinion publique du temps. Le socialisme n'est pas devenu l'idée dominante de notre époque parce que les masses ont élaboré puis transmis aux couches intellectuelles supérieures l'idée de la socialisation des moyens de production ; le matérialisme historique lui-même, quelque imprégné qu'il soit de « l'esprit populaire » du romantisme et de l'école historique du droit, n'a jamais osé avancer une telle affirmation. L'âme des foules n'a jamais produit d'elle-même autre chose que des massacres collectifs, des actes de dévastation et de destruction. Or l'idée socialiste a beau n'aboutir dans ses effets qu'à la destruction, il n'en demeure pas moins que c'est une idée. Il a donc fallu que quelqu'un la conçoive, et ce n'a pu être l'œuvre que de penseurs isolés. Comme toute autre grande idée, le socialisme a pénétré dans les masses par l'intermédiaire de la classe intellectuelle moyenne. Ce n'est pas le peuple, ce ne sont pas le masses qui ont été gagnées les premières au socialisme et d'ailleurs même aujourd'hui les masses ne sont pas à proprement parler socialistes, elles sont socialistes agraires et syndicalistes. - : ce sont les intellectuels. Ce sont eux, et non les masses, qui sont les supports du socialisme. La puissance du socialisme est, comme toute autre puissance, d'ordre spirituel, et elle trouve son soutien dans des idées ; or les idées viennent toujours des chefs spirituels et ce sont ces derniers qui les transmettent au peuple. Si les intellectuels se détournaient du socialisme, c'en serait fait de sa puissance. Les masses sont incapables à la longue de résister aux idées des chefs. Il est certes des démagogues qui pour se pousser en avant sont prêts contrairement à leur propre conviction à présenter au peuple des idées qui flattent ses bas instincts et qui sont susceptibles par cela même d'être bien accueillies. Mais à la longue les prophètes qui au fond d'eux-mêmes sont conscients de leur fausseté sont incapables de résister aux attaques d'hommes sincèrement convaincus. Rien ne saurait corrompre les idées. Ni l'argent, ni aucune autre récompense ne peuvent recruter des mercenaires capables de lutter contre elles
    ."

    "Rien n'est plus malaisé que de se rendre compte de la portée historique d'un mouvement contemporain. La proximité des phénomènes ne permet pas d'en reconnaître les formes et les proportions. Le jugement historique exige avant tout le recul."

    "C'est la philosophie sociale libérale qui, la première, a permis d'expliquer la société par l'action humaine sans recourir à la métaphysique."

    "Les vieilles tables de la loi sont détruites ; l'homme doit désormais se donner à lui-même une loi nouvelle."

    "Chacun porte sur ses épaules une parcelle de la société ; personne ne peut être délivré par d'autres de sa part de responsabilité. Et aucun homme ne peut trouver pour lui un moyen de salut si la société, dans son ensemble, court à sa ruine. C'est pourquoi chacun doit dans son propre intérêt engager toutes ses forces dans la lutte des idées. Personne ne peut demeurer à l'écart et se considérer comme étranger au débat ; l'intérêt de chacun est en jeu. Qu'il le veuille ou non, tout homme est engagé dans la grande lutte historique, dans la bataille décisive en présence de laquelle notre époque nous a placés.

    La société est l'œuvre de l'homme. Elle n'a pas été créée par un dieu ou par une autre force obscure de la nature. Il dépend de l'homme, dans la mesure où le déterminisme causal des événements permet de parler de volonté libre, qu'elle continue à se développer ou qu'elle succombe. C'est une question d'appréciation personnelle que de savoir si la société est un bien ou un mal. Mais quiconque préfère la vie à la mort, le bonheur à la souffrance, le bien-être à la misère doit accepter la société. Et quiconque veut la société et son progrès doit, sans réserve et sans restriction, vouloir aussi la propriété privée des moyens de production
    ."
    -Ludwig von Mises, Le Socialisme, Librairie de Médicis, édition française de 1938 (1922 pour la première édition allemande), 626 pages.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mer 15 Mar - 15:46, édité 1 fois


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 15 Mar - 15:41

    "L'observance de la loi morale est dans l'intérêt ultime de tout individu, car chacun a intérêt à ce que la coopération sociale des hommes soit maintenue ; elle impose pourtant à tous un sacrifice, bien que provisoire, qui est plus que compensé par un plus grand gain. Mais il faut, pour le reconnaître, avoir quelques lumières sur l'enchaînement des choses ; et l'on a besoin, pour régler sa conduite en fonction de cette connaissance, d'une certaine force de volonté. Celui à qui cette connaissance fait défaut, ou qui, l'ayant, n'a pas l'énergie nécessaire pour s'en servir n'est pas en mesure d'observer volontairement la loi morale. Il n'en est ici pas autrement que pour l'observance des lois sur l'hygiène, d'après lesquelles l'individu soucieux de sa santé devrait régler sa conduite. Il peut arriver que quelqu'un se livre à un excès nuisible à sa santé, par exemple à l'usage des narcotiques, soit par ignorance des conséquences d'un tel excès, soit parce qu'il tient ces conséquences pour moins désavantageuses que la privation d'une jouissance présente, soit parce que l'énergie lui manque d'adapter sa conduite à la connaissance qu'il a du mal. Certains prétendent que de telles personnes qui, par leur comportement déraisonnable, mettent leur vie et leur santé en péril, devraient être ramenées de force sur le droit chemin par la société. Ils sont d'avis qu'on doit empêcher les ivrognes et les morphinomanes de se livrer à leur vice, les obligeant ainsi à se bien porter.

    La question est discutée de savoir si c'est là ou non une sage mesure. Mais nous n'y viendrons que plus tard car ce qui nous importe ici est tout autre chose. L'optique de notre discussion est ici tout à fait différente : la question qui s'impose est de savoir si l'on doit amener par la force les gens qui, par leur comportement, mettent en péril l'existence de la société, à ne pas léser cette dernière. L'alcoolique et le morphinomane, par leur comportement, ne font de tort qu'à eux-mêmes ; celui qui enfreint les règles morales qu'impose une vie en société cause un préjudice non seulement à lui-même mais à tous. Toute vie sociale en commun deviendrait impossible, si les hommes qui désirent le maintien de la collaboration sociale et se comportent en conséquence devaient renoncer à utiliser les moyens coercitifs à l'égard des êtres nuisibles afin de les empêcher de miner l'ordre social. Un petit nombre d'individus asociaux, c'est-à-dire d'hommes peu enclins au sacrifice ou incapables de faire les sacrifices provisoires que la société exige d'eux, pourraient rendre toute vie sociale impossible. Sans l'utilisation, contre les ennemis de la société, de la contrainte et de la force, il ne pourrait y avoir de vie sociale.

    Nous appelons État l'institution sociale qui, en recourant à la contrainte et à la force, amène les personnes antisociales à respecter les règles de la vie sociale ; nous appelons droit les règles d'après lesquelles on procède, et gouvernement les organes qui assurent le fonctionnement de l'appareil de coercition.

    Il existe certes une secte qui pense que l'on pourrait renoncer sans danger à tout ordre reposant sur la contrainte et construire entièrement la société sur l'observance spontanée des lois morales. Les anarchistes tiennent l'État, l'ordre juridique et le gouvernement pour des institutions superflues dans un ordre social vraiment au service du bien de tous et non des intérêts particuliers de quelques privilégiés. D'après eux, seul le fait que notre ordre social soit axé sur la propriété privée des moyens de production rend nécessaire un recours à la contrainte et à la force, afin d'assurer la protection de cet ordre social. tandis que si l'on supprimait la propriété individuelle, chacun sans exception observerait spontanément les règles qu'exige la collaboration sociale.

    Nous avons déjà dit que cette conception est erronée pour ce qui concerne le caractère de la propriété individuelle des moyens de production. Mais c'est aussi, à juste titre, que toute forme de coopération humaine exige, dans une société où règne la division du travail, l'observance des règles dont l'individu ne s'accommode pas toujours facilement du fait qu'elles lui imposent un sacrifice qu'il ressent dans l'instant bien qu'il ne soit que provisoire. Mais l'anarchiste fait erreur en supposant que tous sans exception sont enclins à observer spontanément ces règles. Il est des malades de l'estomac qui savent très bien que l'absorption de certains mets leur causera presque aussitôt des douleurs quasi intolérables, mais qui n'en sont pas moins incapables de renoncer au plaisir alléchant de ce menu. Peut-on admettre sans tomber dans une complète absurdité que chaque individu fera montre, dans la société anarchique, de plus de prévoyance et de plus d'énergie, alors que pourtant les rapports de la vie sociale ne sont pas aussi faciles à déceler que l'effet physiologique d'un repas et alors que les conséquences ne se font pas sentir aussi vite et surtout aussi intensément pour le malfaiteur lui-même ? Pourrait-on vraiment exclure qu'un individu, dans une société anarchique, provoque un incendie en jetant négligemment une allumette ou qu'il fasse du mal à son prochain par colère, jalousie ou vengeance ? L'anarchisme méconnaît la vraie nature de l'homme ; il ne pourrait être réalisé que dans un monde fait d'anges et de saints.

    Le libéralisme n'est pas l'anarchisme ; il n'a absolument rien de commun avec ce dernier. Il se rend parfaitement compte que sans recours à la contrainte, l'existence de la société serait mise en péril, et que derrière les règles qu'il importe d'observer pour assurer la coopération pacifique des hommes, doit se tenir la menace de la force afin que nul ne puisse détruire l'édifice social. On doit être en mesure d'assurer par la force de la contrainte le respect des règles de la vie en société pour quiconque ne veut pas respecter la vie, la santé ou la liberté personnelle des autres, ou la propriété privée. Telles sont les tâches que la doctrine libérale assigne à l'État : protection de la propriété, de la liberté et de la paix
    ."

    "On ne peut rendre les hommes heureux contre leur gré."

    "La question est seulement de savoir si ceux qui sont convaincus de la nocivité de ces stupéfiants doivent ou non, par des mesures autoritaires, en rendre la consommation impossible à ceux qui ne sont pas de leur avis ou qui n'ont pas assez d'énergie pour mener une vie de sobriété et de modération. Cette question ne doit pas être traitée exclusivement eu égard aux calamités qui ont nom alcoolisme, morphinomanie, cocaïnomanie, etc., et qui sont reconnues comme telles par toutes les personnes raisonnables. En effet, si le droit est accordé à la majorité des citoyens de prescrire à une minorité comment elle doit vivre, il n'est pas possible de s'arrêter à la consommation de l'alcool, de la morphine, de l'opium, de la cocaïne et autres poisons. Pourquoi ce qui vaut pour ces poisons ne vaudrait-il pas aussi pour la nicotine, la caféine et autres poisons ? Pourquoi, d'une manière plus générale, l'État ne prescrirait-il pas les mets que nous avons le droit de consommer et ceux que nous devons éviter en raison de leur nocivité ? Dans le domaine du sport aussi, beaucoup se dépensent au-delà de leurs forces. Pourquoi l'État n'interviendrait-il pas là aussi ? Il est très peu d'hommes qui sachent observer la mesure dans leur vie sexuelle et il est particulièrement dur aux personnes qui vieillissent d'admettre qu'il leur faudra, dans ce domaine, faire une fin ou au moins se modérer. L'État devrait-il intervenir ici encore ? Encore plus nocive que tous ces poisons, diront beaucoup, est la lecture des mauvais écrits. Doit-on permettre à une presse spéculant sur les instincts les plus bas de l'homme de corrompre l'âme ? Ne doit-on pas empêcher l'exposition d'images indécentes, la représentation de pièces de théâtres ordurières, bref tout ce qui incite à l'immoralité ? Et le fait de répandre de fausses doctrines sur la vie sociale des hommes et des peuples n'est-il pas également nuisible ? Doit-on tolérer que des hommes excitent à la guerre civile et à la guerre étrangère ? Et doit-on permettre que le respect de Dieu et de l'Église soit miné par des écrits et des discours scandaleux ? Nous voyons que dès que nous abandonnons le principe de la non intervention de l'appareil étatique dans toutes les questions qui concernent la conservation de la vie de l'individu, nous aboutissons à régler et à limiter la vie jusque dans les plus petits détails. La liberté personnelle de l'individu est supprimée et celui-ci devient l'esclave de la communauté, le valet de la majorité. On n'a guère besoin d'imaginer le mauvais usage que les hommes au pouvoir mal intentionnés peuvent faire de telles prérogatives. Leur maniement animé des meilleures intentions changerait déjà le monde en un cimetière de l'esprit. Tout progrès de l'humanité s'est toujours accompli ainsi : tout d'abord une petite minorité s'est écartée des idées et des coutumes de la majorité, puis son exemple pousse finalement les autres à adopter les innovations. Si l'on donne à la majorité le droit de prescrire à la minorité ce qu'elle doit penser, lire et faire, on s'interdit à tout jamais tout progrès."

    "La propension de nos contemporains à demander, dès que quelque chose ne leur convient pas, que le gouvernement prenne des mesures d'interdiction, et la passivité qu'ils montrent en se soumettant à de tels interdits alors qu'ils ne sont pas du tout d'accord sur leur contenu attestent que la mentalité de valet est encore profondément enracinée en eux. Il faudra de longues années d'éducation pour que le sujet devienne un citoyen. Un homme libre doit pouvoir supposer que ses semblables agissent et vivent d'une façon différentes de celle qu'il estime être la bonne, et il doit perdre l'habitude d'appeler la police dès que quelque chose ne lui convient pas."

    "Le dommage que l'homme cause à son semblable fait du tort à celui qui en est frappé et à celui qui l'inflige. Rien ne corrompt autant que le fait d'être le bras de la loi, que de faire souffrir des hommes. Le sujet reçoit en partage la peur, la servilité et la basse complaisance ; pourtant l'orgueil, l'arrogance et l'autojustification du souverain et de ses bourreaux ne valent pas mieux.

    Le libéralisme essaie de désintoxiquer les rapports du fonctionnaire et du citoyen. Il n'imite naturellement pas les romantiques qui, non contents de prendre la défense du comportement antisocial de celui qui enfreint la loi, accusent en outre non seulement les juges et la police mais l'ordre social en tant que tel. Le libéralisme ne veut et ne peut nier que l'autorité publique et la justice soient des institutions dont la société ne pourra jamais et en aucun cas se passer. La peine à infliger ne devra viser selon lui qu'une fin, celle d'écarter autant que possible tout comportement qui mettrait la société en péril. La peine ne doit pas se traduire en vengeance et en représailles. Le malfaiteur doit être remis entre les mains de la justice mais non à la haine et au sadisme des juges, des policiers et de la foule toujours prête à lyncher.

    Ce qu'il y a de pire en tout pouvoir coercitif qui, à titre de justification, se réclame de l' « État », c'est qu'à cause de l'appui qu'il reçoit en fin de compte nécessairement de la majorité il s'oppose à tout ce qui porte en germe du nouveau. La société humaine ne peut se passer de l'organisation politique, mais tout progrès de l'humanité a dû s'imposer de haute lutte contre l'État et son pouvoir coercitif. Il n'est pas étonnant que tous ceux qui ont apporté du nouveau à l'humanité aient eu une attitude réticente à l'égard de l'État et des lois. Les incorrigibles mystiques et adorateurs de l'État peuvent se formaliser de cette attitude : les libéraux la comprendront même s'ils ne peuvent l'approuver. Tout libéral doit pourtant s'opposer à ce que, dans une répulsion compréhensible à l'égard de tout ce qui est prison et police et par une présomption exagéré, on proclame le droit de l'individu de s'insurger contre l'État. Résister par la force à l'autorité publique est le dernier moyen dont dispose la minorité pour mettre fin à l'oppression à laquelle la majorité la soumet. La minorité qui veut faire triompher ses idées doit tendre à devenir la majorité en usant du pouvoir de ses moyens intellectuels. L'État doit être organisé de telle sorte que l'individu puisse avoir le champ libre dans le cadre de ses lois. Le citoyen qui pense autrement que les représentants de l'appareil politique ne doit pas être gêné au point de n'avoir plus que le choix entre sa propre ruine ou la destruction de l'appareil politique
    ."

    "Lorsque le gouvernement promulgue une loi fixant des salaires minima au-dessus du niveau du salaire statique ou naturel, les entrepreneurs s'aperçoivent nécessairement qu'ils ne peuvent plus mener à bonne fin certaines affaires qui furent encore rentables à un niveau des salaires plus bas. Ils limitent par conséquent la production et licencient du personnel. La conséquence d'une augmentation artificielle des salaires, c'est-à-dire d'une augmentation venant de l'extérieur sur le marché, se traduit donc par un accroissement du chômage."

    "De quelque côté que nous considérions l'interventionnisme, il s'avère toujours qu'il aboutit à un résultat que ne se proposaient pas ses auteurs et partisans et que, de leur propre point de vue, il doit paraître comme une politique absurde et inopportune."

    "Rien n'est plus absurde que le principe de conception matérialiste de l'histoire énoncé par Karl Marx : « Le moulin à main produit une société de seigneurs féodaux, le moulin à vapeur une société de capitalistes industriels ». Pour faire naître l'idée du moulin à vapeur et pour créer les conditions permettant de réaliser cette idée, il a fallu la société capitaliste. C'est le capitalisme qui a créé la technique et non la technique le capitalisme."

    "L'idéal ultime qu'envisage le libéralisme est une coopération parfaite de toute l'humanité, se déroulant dans la paix et sans friction. La pensée libérale a toujours en vue l'humanité dans son ensemble et non uniquement dans ses parties. Elle ne se limite pas à certains groupes et ne s'arrête pas aux frontières du village, de la province, de la nation ou du continent. Sa pensée est cosmopolite et œcuménique : elle embrasse tous les hommes et la terre entière. Le libéralisme est, en ce sens, un humanisme et le libéral est un citoyen du monde, un cosmopolite."

    "Le droit à l'autodétermination en ce qui concerne la question de l'appartenance à un État veut donc dire : si les habitants d'un territoire donné, qu'il s'agisse d'un simple village, d'une région entière ou d'une série de régions adjacentes, font savoir, par un plébiscite librement organisé, qu'ils ne veulent plus rester unis à l'État dont ils sont membres au moment de ce choix, mais préfèrent former un État indépendant ou se rattacher à un autre État, alors il faut respecter leurs désirs et leur donner satisfaction. C'est la seule manière efficace d'empêcher les révolutions ainsi que les guerres civiles et internationales."

    "Le capitalisme permet d'ouvrir à la civilisation de nouveaux terrains, offrant des conditions plus favorables que de nombreuses régions habitées depuis longtemps. Le capital et le travail partent pour les endroits les plus favorables."

    "Le libéral demande que toute personne ait le droit de vivre où bon lui semble. [...] Sans barrières à l'immigration, les travailleurs européens émigreraient en grand nombre aux États-Unis pour y trouver du travail. Les lois américaines sur l'immigration rendent cette tentative extrêmement difficile. Par conséquent, les salaires des travailleurs des États-Unis atteignent un niveau plus élevé qu'ils ne l'auraient fait avec une liberté totale d'immigration, alors qu'ils restent sous ce niveau en Europe. D'un côté le travailleur américain y gagne, de l'autre le travailleur européen y perd. [...] Quand les syndicats des États-Unis et d'Australie empêchent l'immigration, ils luttent non seulement contre les intérêts des travailleurs des autres pays du monde mais aussi contre les intérêts de tous les autres afin de s'assurer un privilège particulier. "

    "Si les hommes, en en reconnaissant la nécessité sociale, ne veulent pas faire volontairement ce qu'il faut pour maintenir la société en état et faire progresser le bien-être général, personne ne pourra les ramener sur le droit chemin par un artifice ou par un malin stratagème. S'ils se trompent et s'égarent, il faut entreprendre de les éclairer en les instruisant. Mais s'ils ne peuvent être éclairés, s'ils persistent dans leurs erreurs, il n'y a alors rien à faire pour empêcher la catastrophe. Toutes les ruses et tous les mensonges des politiciens démagogues peuvent être adaptés à promouvoir la cause de ceux qui travaillent pour détruire la société, que ce soit de bonne ou de mauvaise foi. Mais on ne fait pas progresser la cause du progrès social, celle de la poursuite du développement et du renforcement des liens sociaux, par des mensonges et par la démagogie. Aucune puissance de la terre, aucun stratagème astucieux, aucune tromperie ingénieuse ne peut réussir à duper l'humanité et lui faire accepter une doctrine sociale que non seulement elle ne reconnaît pas, mais qu'elle repousse même ouvertement."

    "La plus grande illusion du libéralisme classique fut son optimisme quant à la direction que devait nécessairement prendre l'évolution de la société. Pour les défenseurs du libéralisme — sociologues et économistes du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle, ainsi que leurs adeptes — il semblait certain que l'humanité devait avancer vers des stades sans cesse plus perfectionnés et que rien ne pouvait empêcher ce processus. Ils étaient intimement persuadés que la connaissance rationnelle des lois fondamentales de la coopération et de l'interdépendance sociales, lois qu'ils avaient découvertes, serait bientôt courante et que, par la suite, les liens sociaux unissant pacifiquement l'humanité se resserreraient, qu'il y aurait une amélioration progressive du bien-être général et que la civilisation atteindrait des niveaux de culture sans cesse plus élevés. Rien ne pouvait ébranler cet optimisme. Lorsque l'attaque portée contre le libéralisme commença à devenir plus intense, lorsque les idées politiques libérales furent contestées de tous côtés, ils pensaient que ce à quoi ils assistaient n'étaient que les dernières salves d'un système moribond, battant en retraite, et qu'elles ne méritaient ni une étude sérieuse ni une contre-attaque, parce que ce système s'effondrerait rapidement de lui-même.

    Les libéraux estimaient que tous les hommes possédaient les capacités intellectuelles leur permettant de raisonner correctement quant aux problèmes de coopération sociales et qu'ils agissaient en conséquence. Ils étaient tellement impressionnés par la clarté et l'évidence du raisonnement par lequel ils étaient arrivés à leurs idées politiques qu'ils étaient incapables de comprendre comment quelqu'un pouvait ne pas le saisir. Deux faits leur ont toujours échappé : premièrement, les masses n'ont pas la capacité de penser de manière logique et, deuxièmement, aux yeux de la plupart des gens, même s'ils sont capables de reconnaître la vérité, un avantage passager spécifique dont ils peuvent jouir immédiatement leur apparaît plus important qu'un avantage durable plus grand dont ils ne pourront bénéficier que plus tard
    ."

    "La minorité qui réclame des privilèges pour elle-même doit créer l'illusion que les masses sont derrière elle. Quand les partis agricoles des pays industriels présentent leurs revendications, elles incluent dans ce qu'elles appellent la « population rurale » les travailleurs sans terres, les propriétaires de maison de vacances et ceux de petites parcelles de terrain, qui n'ont aucun intérêt aux tarifs protecteurs sur les produits agricoles. Quand les partis ouvriers réclament quelque chose au nom d'un groupe de travailleurs, ils parlent toujours de la grande masse des gens qui travaillent et passent sur le fait que les intérêts des syndicalistes des différentes branches de la production ne sont pas identiques, mais, au contraire, bel et bien antagonistes, et que même au sein d'une industrie ou d'une entreprise il existe de puissants conflits d'intérêts. Il s'agit de l'une des deux faiblesses fondamentales de tous les partis visant à obtenir des privilèges au profit d'intérêts particuliers. D'un côté, ils sont obligés de ne compter que sur un petit groupe, car les privilèges cessent d'en être quand ils sont accordés à la majorité. Mais, d'un autre côté, ce n'est qu'en tant que défenseurs et représentants de la majorité qu'ils ont la moindre chance de faire aboutir leurs revendications."

    "Au cours des cent dernières années, l'idéal socialiste, sous une forme ou sous une autre, a trouvé des partisans chez des gens sincères et honnêtes. Certains hommes et certaines femmes, parmi les meilleurs et les plus nobles, l'ont embrassé avec enthousiasme. Il fut le guide d'hommes d'État distingués. Il prit une position prépondérante dans les universités et fut la source d'inspiration de la jeunesse. Il a tellement alimenté les réflexions et les émotions des générations passées et présentes que l'histoire caractérisera un jour notre époque comme l'âge du socialisme."

    "La base de tout pouvoir et de toute domination est, en dernière analyse, idéologique."

    "Aux environs du milieu du XIXe siècle, l'idée socialiste semblait déjà avoir été éliminée. Puis Marx entra en scène. Il ne fournit certes pas la preuve — du reste impossible à fournir — de la possibilité de réaliser le socialisme, mais déclara simplement — sans évidemment être capable de le prouver — que l'avènement du socialisme était inévitable. A partir de cette hypothèse arbitraire et de l'axiome, qui lui semblait évident, énonçant que tout ce qui peut se passer dans l'histoire humaine représente un progrès par rapport au passé, Marx tira la conclusion que le socialisme était plus parfait que le capitalisme et qu'il n'y avait donc aucun doute quant à la possibilité de le mettre en œuvre."

    "Les riches, qui possèdent déjà une fortune, n'ont aucune raison de souhaiter préserver un système sans frein de concurrence ouverte à tous, particulièrement s'ils n'ont pas eux-mêmes amassé leur fortune mais l'ont héritée : ils ont bien plus à craindre qu'à espérer de la concurrence. Ils trouvent un intérêt particulier dans l'interventionnisme, qui a toujours tendance à conserver la répartition existante des richesses entre ceux qui la possèdent déjà. Ils n'ont en revanche aucun traitement particulier à espérer du libéralisme, système qui n'accorde aucune attention aux titres consacrés par la tradition que soutiennent les intérêts directs de la richesse établie.

    L'entrepreneur ne peut prospérer que s'il fournit ce que demandent les consommateurs. Quand le monde est enflammé par le désir de guerre, le libéral cherche à exposer les avantages de la paix ; l'entrepreneur, de son côté, produit l'artillerie et les mitrailleuses. Si l'opinion publique est aujourd'hui en faveur d'investissements en capital en Russie, le libéral peut essayer d'expliquer qu'il est aussi intelligent d'investir dans un pays dont le gouvernement proclame haut et fort que son but ultime est l'expropriation de tout le capital, qu'il ne le serait de jeter ses biens à la mer ; l'entrepreneur, quant à lui, n'hésite pas à fournir des crédits à la Russie s'il est en position de faire courir le risque aux autres, que ce soit à l'État ou à des capitalistes moins malins qui se laissent tromper par l'opinion publique, elle-même manipulée par l'argent russe. Le libéral lutte contre la tendance à l'autarcie commerciale ; le fabricant allemand, lui, construit une usine dans la province de l'Est qui exclut les biens allemands afin d'alimenter ce marché protégé par des droits de douanes
    ."

    "Il n'existe aucune classe sociale qui puisse soutenir le libéralisme pour ses propres intérêts, aux dépens de toute la société et des autres couches de la population, tout simplement parce que le libéralisme ne sert aucun intérêt particulier."

    "Le libéralisme n'est ni une religion, ni une vision du monde, ni un parti défendant des intérêts particuliers. Il n'est pas une religion parce qu'il ne demande ni la foi ni la dévotion, parce qu'il n'y a rien de mystique en lui et qu'il ne connaît pas de dogmes. Il n'est pas une vision du monde parce qu'il n'essaie pas d'expliquer l'univers, parce qu'il ne dit rien et ne cherche pas à dire quoi que ce soit sur la signification et les objectifs de l'existence humaine. Il ne défend pas d'intérêts particuliers parce qu'il ne fournit pas d'avantage particulier à un individu ou à un groupe, et ne cherche pas à en fournir. Il est quelque chose de totalement différent. C'est une idéologie, une doctrine de relations mutuelles entre les membres de la société. C'est en même temps l'application de cette doctrine en ce qui concerne la conduite des hommes dans la société existante. Il ne promet rien qui dépasse ce qu'il peut accomplir dans la société et grâce à elle. Il ne cherche à donner aux hommes qu'une chose : le développement pacifique, sans heurts, du bien-être matériel pour tous, afin de les mettre à l'abri des causes extérieures de peine et souffrance, autant qu'il est dans le pouvoir des institutions sociales de le faire. Réduire la souffrance, augmenter le bonheur : voilà son but.

    Aucune secte et aucun parti politique n'a cru pouvoir se permettre de défendre sa cause par le simple appel à la raison. L'emphase rhétorique, la musique et le retentissement des chants, le mouvement des bannières, les couleurs et les fleurs servent de symboles ; les dirigeants cherchent à attacher leurs partisans à leur personne. Le libéralisme n'a rien à voir avec tout cela. Il n'a pas de fleur ou de couleur qui lui soient associées, pas de chant ni d'idoles, pas de symboles ni de slogans. Il a pour lui le contenu et les arguments. Ce sont eux qui doivent le mener à la victoire
    ."
    -Ludwig von Mises, Le Libéralisme (1927).


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 15 Mar - 15:47

    « La philosophie des nazis, le Parti Ouvrier Allemand National-Socialiste, constitue la manifestation la plus pure et la plus puissante de l'esprit anticapitaliste et socialiste de notre ère. Ses idées essentielles ne sont ni d'origine allemande ou ’’aryenne’’, ni particulières aux Allemands d'aujourd'hui. Dans l'arbre généalogique de la doctrine nazie, des latins tels Sismondi et Georges Sorel et des anglo-saxons tels Carlyle, Ruskin et Houston Stewart Chamberlain étaient plus marquants que n'importe quel Allemand. Même l'ornement idéologique le plus connu du nazisme, la fable de la supériorité de la race aryenne, n'était pas de provenance allemande ; son auteur fut un Français, Gobineau. Des Allemands de descendance juive, tels Lassalle, Lasson, Stahl et Walter Rathenau contribuèrent davantage aux théories essentielles du nazisme que des hommes comme Sombart, Spann et Ferdinand Fried. Le slogan dans lequel les nazis condensèrent leur philosophie économique : Gemeinnutz vor Eigennutz (ce qui veut dire : le bien public prime le bien privé) constitue également l'idée sur laquelle se fonde le New Deal américain et l'administration des affaires économiques soviétique. Ce slogan implique que ’’le monde des affaires’’, qui ne cherche que son profit, porte préjudice aux intérêts vitaux de l'immense majorité et que c'est un devoir sacré du gouvernement populaire d'empêcher par un contrôle public de la production et de la distribution que des profits ne se fassent.

    Le seul ingrédient spécifiquement allemand du nazisme était son aspiration vers la conquête de l'espace vital. Mais celui-là également provenait du fait que les nazis avaient accepté les idées qui guidaient la politique des partis les plus influents de tous les autres pays. Ces partis proclament l'égalité de revenu comme étant l'affaire principale. Les nazis font de même. Ce qui caractérise les nazis c'est qu'ils ne sont pas prêts à consentir à une situation dans laquelle les Allemands sont condamnés à être ’’emprisonnés ’’, comme ils disent, pour toujours dans un espace relativement étroit et surpeuplé dans lequel la productivité du travail doit être moindre que dans les pays relativement sous-peuplés et mieux dotés de ressources naturelles. Ils aspirent à une plus juste distribution de ressources naturelles de la terre. En tant que nation de ’’have-not ’’ ils voient la richesse de nations plus riches avec les mêmes sentiments que le font beaucoup de gens dans les pays occidentaux à l'égard des revenus plus élevés de leurs compatriotes. Les ’’progressistes ’’ dans les pays anglo-saxons affirment que ’’la liberté ne vaut pas grand-chose ’’ pour ceux qui ont été désavantagés par suite de la médiocrité relative de leurs revenus. Les nazis défendent le même point de vue pour ce qui est des relations internationales. A leur avis, la seule liberté qui importe est la « Nahrungsfreiheit » (c'est-à-dire, l'affranchissement de la nourriture importée). Il visent à l'acquisition d'un territoire si grand et si riche en ressources naturelles qu'ils pourraient vivre en autarcie intégrale, sur un standard de vie aussi élevé que celui de toute autre nation. Ils se considèrent comme des révolutionnaires qui combattent pour leurs droits naturels inaliénables contre les privilèges usurpés d'une foule de nations réactionnaires.

    Les économistes peuvent facilement faire éclater les erreurs contenues dans les doctrines nazies. Mais ceux qui méprisent les sciences économiques comme ’’orthodoxes et réactionnaires ’’ et soutiennent fanatiquement les fausses croyances du socialisme et du nationalisme économique ne pouvaient pas réfuter les erreurs des doctrines nazies. Car le nazisme n'était rien d'autre que l'application logique de leurs propres théories aux conditions particulières de l'Allemagne relativement surpeuplée.

    Pendant plus de soixante-dix ans, les professeurs allemands de science politique, d'histoire, de droit, de géographie et de philosophie remplirent ardemment leurs disciples d'une haine hystérique du capitalisme et prêchèrent la guerre de ’’libération ’’ contre l'ouest capitaliste. Les ’’socialistes de la chaire’’ d'Allemagne, tant admirés dans tous les pays étrangers, préparaient la voie aux deux guerres mondiales. Au début de notre siècle, l'immense majorité des Allemands étaient déjà des partisans radicaux du socialisme et du nationalisme agressif. A ce moment, ils s'étaient déjà livrés entièrement aux principes du nazisme. Ce qui manquait et ce qui fut ajouté plus tard, c'était uniquement le terme pour désigner leur doctrine.

    Lorsque la politique soviétique d'extermination en masse de tous les dissidents et de violence impitoyable avait écarté toute gêne à l'égard des meurtres en masse, gêne qui troublait encore quelques Allemands, rien ne pouvait arrêter l'avance du nazisme. Les nazis furent prompts à adopter les méthodes soviétiques. Ils importèrent de Russie : le système du parti unique et la prééminence de ce parti dans la vie politique ; la position souveraine assignée à la police secrète ; les camps de concentration : l'exécution administrative ou l'emprisonnement de tous les adversaires ; l'extermination des familles des suspects ou des exilés ; les méthodes de propagande ; l'organisation à l'étranger de partis affiliés pour l'espionnage et le sabotage et le recours à eux pour combattre leurs gouvernements ; les emplois des services diplomatiques et consulaires pour fomenter des révolutions ; et beaucoup d'autres choses encore. Il n'y eut nulle part des disciples aussi dociles de Lénine, de Trotsky et de Staline que ne le furent les nazis.
    »
    -Ludwig von Mises, Le chaos du planisme (1956).


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 15 Mai - 17:49

    "De temps immémorial les hommes, en pensant, parlant et agissant, avaient tenu l'uniformité et l'immutabilité de la structure logique de l'esprit humain pour un fait indubitable. Toute recherche scientifique était fondée sur cette hypothèse. C'est dans les discussions à propos du caractère épistémologique de l'économie, que pour la première fois dans l'histoire humaine, des auteurs nièrent aussi ce postulat. Le marxisme affirme que la pensée d'un homme est déterminée par son appartenance de classe. Chacune des classes sociales a sa logique propre. Le produit de la pensée ne peut être rien d'autre qu'un « déguisement idéologique » des égoïstes intérêts de classe de celui qui pense. C'est la mission d'une « sociologie de la connaissance » que de démasquer les philosophies et les théories scientifiques et de démontrer le vide de leurs « idéologies ». L'économie est un trompe-l'œil « bourgeois », les économistes sont des « parasites » du capital. Seule la société sans classes de l'utopie socialiste substituera la vérité aux mensonges « idéologiques ».

    Ce polylogisme fut enseigné plus tard sous diverses autres formes encore. L'historicisme affirme que la structure logique de la pensée de l'homme et de son action est sujette à changement dans le cours de l'évolution historique. Le polylogisme racial assigne à chaque race une logique à elle. Finalement il y a l'irrationalisme, soutenant que la raison en tant que telle n'est pas apte à élucider les forces irrationnelles qui déterminent le comportement de l'homme
    ."

    "Dans le déroulement des faits sociaux règne une régularité de phénomènes, à laquelle l'homme doit ajuster ses actions s'il désire réussir. Il est futile de se placer devant les faits sociaux avec l'attitude du censeur qui approuve ou désapprouve sur la base de critères tout à fait arbitraires et de jugements de valeur subjectifs. Il faut étudier les lois de l'agir humain et de la coopération sociale, comme le physicien étudie les lois de la nature. L'agir humain et la coopération sociale conçus comme l'objet d'une science  de relations de fait, et non plus comme une discipline normative quant à ce que les choses devraient être - ce fut là une révolution d'énorme portée pour le savoir et la philosophie, aussi bien que pour l'action en société.

    Pendant plus de cents ans, toutefois, les effets de ce changement radical dans les méthodes de raisonnement se trouvèrent grandement restreints parce que l'on crut que seul était affecté un étroit secteur du champ total de l'agir humain, à savoir les phénomènes de marché. Les économistes classiques rencontrèrent, en poursuivant leurs investigations, un obstacle qu'ils ne surent écarter : l'apparent paradoxe de la valeur. Leur théorie de la valeur était déficiente, et cela les força à restreindre le champ de vision de leur science. Jusque vers la fin du XIXe siècle, l'économie politique resta une science des aspects « économiques » de l'agir humain, une théorie de la richesse et de l'intérêt égoïste. Elle s'occupait de l'agir humain uniquement dans la mesure où il est motivé parce qu'on décrivait - de façon très inadéquate - comme le mobile du profit ; et elle affirmait qu'il y en outre d'autres sortes d'actions de l'homme dont l'étude incombe à d'autres disciplines. La transformation de la pensée que les économistes classiques avaient commencée ne fut poussée à son achèvement que par l'économie subjectiviste moderne, qui a transformé la théorie des prix de marché en une théorie générale du choix humain.

    Pendant longtemps, on ne s'est pas avisé du fait que le passage de la théorie classique de la valeur à la théorie subjectiviste de la valeur faisait bien davantage que de substituer une théorie plus satisfaisante de l'échange sur le marché, à une théorie qui était moins satisfaisante. La théorie générale du choix et de la préférence va loin au-delà de l'horizon qui cernait le champ des problèmes économiques, tel que l'avaient délimité les économistes depuis Cantillon, Hume et Adam Smith jusqu'à John Stuart Mill. C'est bien davantage qu'une simple théorie du « côté économique » des initiatives de l'homme, de ses efforts pour se procurer des choses utiles et accroître son bien-être matériel. C'est la science de tous les genres de l'agir humain. L'acte de choisir détermine toutes les décisions de l'homme. Et faisant son choix l'homme n'opte pas seulement pour les divers objets et services matériels. Toutes les valeurs humaines s'offrent à son option. Toutes les fins et tous les moyens, les considérations tant matérielles que morales, le sublime et le vulgaire, le noble et l'ignoble, sont rangés en une série unique et soumis à une décision qui prend telle chose et en écarte telle autre. Rien de ce que les hommes souhaitent obtenir ou éviter ne reste en dehors de cet arrangement en une seule gamme de gradation et de préférence. La théorie moderne de la valeur recule l'horizon scientifique et élargit le champ des études économiques. Ainsi émerge de l'économie politique de l'école classique une théorie générale de l'agir humain, la  praxéologie. Les problèmes économiques ou catallactiques sont enracinées dans une science plus générale et ne peuvent plus, désormais, être coupés de cette connexité. Nulle étude de problèmes proprement économiques ne peut se dispenser de partir d'actes de choix ; l'économie devient une partie — encore la mieux élaborée jusqu'à présent — d'une science plus universelle, la praxéologie
    ."

    "Le terme praxéologie a été employé pour la première fois par Espinas en 1890. Voir son article « Les origines de la technologie », Revue philosophique, XVe année, XXX, 114-115, et son livre publié à Paris, en 1897, avec le même titre."

    "L'action humaine est un comportement intentionnel. Nous pouvons dire aussi bien : l'agir est volonté mise en couvre et transformée en processus ; c'est tendre à des fins et objectifs ; c'est la réponse raisonnée de l'ego aux stimulations et conditions de son environnement ; c'est l'ajustement conscient d'une personne à l'état de l'univers qui détermine sa vie."

    "Le domaine de notre science est l'action de l'homme, non les événements psychologiques qui aboutissent à une action. C'est précisément cela qui distingue la théorie générale de l'activité humaine, la praxéologie, de la psychologie. Le thème de la psychologie est constitué par les événements intérieurs qui aboutissent, ou peuvent aboutir, à un certain acte. Le thème de la praxéologie est l'action en tant que telle. Cela règle également la relation de la praxéologie avec le concept psycho-analytique du subconscient. La psychanalyse est aussi de la psychologie, et n'étudie pas l'action mais les forces et facteurs qui amènent un homme à un certain acte. Le subconscient psychanalytique est une catégorie psychologique, non pas praxéologique. Qu'une action découle d'une claire délibération, ou de souvenirs oubliés, de désirs réprimés qui de régions submergées, pour ainsi dire, dirigent la volonté, cela n'influe pas sur la nature de l'action. Le meurtrier, qu'une impulsion subconsciente (le « ça ») pousse vers son crime, et le névrotique, dont le comportement aberrant paraît à l'observateur non entraîné n'avoir simplement aucun sens, agissent l'un comme l'autre ; l'un et l'autre, comme n'importe qui, poursuivent un certain objectif. C'est le mérite de la psychanalyse d'avoir démontré que même le comportement du névrotique et du psychopathe est intentionnel, qu'eux aussi agissent et poursuivent des objectifs, bien que nous qui nous considérons comme normaux et sains d'esprit, tenions pour insensé le raisonnement qui détermine leur choix, et pour contradictoires les moyens qu'ils choisissent en vue de ces fins."

    "Agir n'est pas seulement accorder sa préférence. L'homme manifeste aussi sa préférence dans des situations où les choses et les événements sont inévitables ou crus tels. Ainsi, un homme peut préférer le soleil à la pluie et souhaiter que le soleil chasse les nuages. Celui qui simplement souhaite et espère n'intervient pas activement dans le cours des événements ni dans le profil de sa destinée. Mais l'homme qui agit choisit, se fixe un but et s'efforce de l'atteindre. De deux choses qu'il ne peut avoir ensemble, il choisit l'une et renonce à l'autre. L'action, donc, implique toujours à la fois prendre et rejeter.

    Formuler des souhaits et des espoirs et annoncer une action envisagée peuvent constituer des formes de l'agir, dans la mesure où elles interviennent comme des moyens d'obtenir un certain résultat. Mais il ne faut pas les confondre avec les actions auxquelles elles se réfèrent. Elles ne sont pas identiques aux actions qu'elles énoncent, recommandent ou repoussent. L'action est chose réelle. Ce qui compte est le comportement total d'un individu, non pas ce qu'il dit d'actes envisagés et non réalisés. D'autre part, l'action doit être clairement distinguée de l'exercice d'un travail. Agir est employer des moyens pour atteindre des fins. D'ordinaire l'un des moyens employés est le travail de l'homme agissant. Mais ce n'est pas toujours le cas. Sous certaines conditions un mot suffit entièrement. Celui qui formule des ordres ou interdictions peut agir sans fournir aucun travail. Parler ou se taire, sourire ou demeurer sérieux, peuvent être des actions. Consommer et goûter un plaisir sont des actions non moins que s'abstenir de le faire alors que ce serait possible.

    La praxéologie, par conséquent, ne distingue pas entre l'homme « actif » ou énergique et l'homme « passif » ou indolent. L'homme vigoureux s'efforçant industrieusement d'améliorer sa condition n'agit ni plus ni moins que l'individu léthargique qui prend paresseusement les choses comme elles viennent. Car ne rien faire et rester oisif est aussi poser un acte, cela aussi détermine le cours des événements. Dans chaque situation où il est possible à l'homme d'intervenir, qu'il intervienne ou qu'il s'abstienne est une action. Celui qui supporte ce qu'il pourrait changer agit non moins que celui qui intervient pour obtenir un autre état de choses. L'individu qui s'abstient d'influer sur le déroulement de facteurs physiologiques et instinctifs, alors qu'il le pourrait, pose ainsi une action. Agir n'est pas seulement faire mais tout autant omettre de faire ce qu'il serait possible de faire
    ."

    "Nous pouvons appeler contentement ou satisfaction l'état d'un être humain qui ne déclenche et ne peut déclencher aucune action. L'homme qui agit désire fermement substituer un état de choses plus satisfaisant, à un moins satisfaisant. Son esprit imagine des conditions qui lui conviendront mieux, et son action a pour but de produire l'état souhaité. Le mobile qui pousse un homme à agir est toujours quelque sensation de gêne 1. Un homme parfaitement satisfait de son état n'aurait rien qui le pousse à le changer. Il n'aurait ni souhaits ni désirs ; il serait parfaitement heureux. II n'agirait pas ; il vivrait simplement libre de souci.

    Mais pour faire agir un homme, une gêne et l'image d'un état plus satisfaisant ne sont pas à elles seules suffisantes. Une troisième condition est requise : l'idée qu'une conduite adéquate sera capable d'écarter, ou au moins de réduire, la gêne ressentie. Si cette condition n'est pas remplie, aucune action ne peut suivre. L'homme doit se résigner à l'inévitable. Il doit se soumettre au destin.

    Telles sont les conditions générales de l'action humaine. L'homme est l'être qui vit sous ces conditions-là. Il n'est pas seulement homo sapiens, il est tout autant homo agens
    ."

    "Le but ultime de l'action de l'homme est toujours la satisfaction d'un sien désir. Il n'y a pas d'étalon de grandeur de la satisfaction autre que les jugements de valeur individuels, lesquels diffèrent selon les individus divers, et pour un même individu d'un moment à l'autre. Ce qui fait qu'un homme se sent plus ou moins insatisfait de son état est établi par lui par référence à son propre vouloir et jugement, en fonction de ses évaluations personnelles et subjectives. Personne n'est en mesure de décréter ce qui rendrait plus heureux l'un de ses congénères."

    "Établir ce fait ne se rattache en aucune façon aux antithèses entre égoïsme et altruisme, entre matérialisme et idéalisme, individualisme et collectivisme, athéisme et religion. Il y a des gens dont le but unique est d'améliorer la condition de leur propre ego. Il en est d'autres chez qui la perception des ennuis de leurs semblables cause autant de gêne, ou même davantage, que leurs propres besoins. Il y a des gens qui ne désirent rien d'autre que de satisfaire leurs appétits sexuels, de manger et boire, d'avoir de belles demeures et autres choses matérielles. Mais d'autres hommes attachent plus d'importance aux satisfactions couramment dites « plus élevées » et « idéales ». Il y a des individus animés d'un vif désir de conformer leurs actions aux exigences de la coopération sociale ; il y a par ailleurs des êtres réfractaires qui défient les règles de la vie en société. Il y a des gens pour qui le but suprême du pèlerinage terrestre est la préparation à une vie de béatitude. Il y a d'autres personnes qui ne croient aux enseignements d'aucune religion et qui ne leur permettent pas d'influer sur leurs actions.

    La praxéologie est indifférente aux buts ultimes de l'action. Ses conclusions valent pour toute espèce d'action quelles que soient les fins visées. C'est une science des moyens, non des fins. Elle emploie le terme de bonheur en un sens purement formel. Dans la terminologie praxéologique, la proposition : le but unique de l'homme est de trouver son bonheur, est une tautologie. Cela n'implique aucune prise de position quant à l'état des choses dans lequel l'homme compte trouver le bonheur.

    L'idée que le ressort de l'activité humaine est toujours quelque gêne, que son but est toujours d'écarter cette gêne autant qu'il est possible, autrement dit de faire en sorte que l'homme agissant s'en trouve plus heureux, telle est l'essence des doctrines de l'eudémonisme et de l'hédonisme. L'ataraxie épicurienne est cet état de parfait bonheur et contentement auquel toute activité humaine tend sans jamais l'atteindre entièrement. En regard de l'ampleur extrême de cette notion, il importe assez peu que  nombre de représentants de cette philosophie aient méconnu le caractère purement formel des notions de douleur et de plaisir, et leur aient donné un sens matériel et charnel. Les écoles théologiques, mystiques et autres fondées sur une éthique hétéronome n'ont pas ébranlé le fondement essentiel de l'épicurisme, car elles n'ont pu lui opposer d'autre objection que d'avoir négligé les plaisirs dits « plus élevés » et « plus nobles »
    ."

    "Le rationalisme, la praxéologie et l'économie ne traitent pas des ultimes ressorts et objectifs de l'action, mais des moyens mis en œuvre pour atteindre des fins recherchées. Quelque insondables que soient les profondeurs d'où émergent une impulsion ou un instinct, les moyens qu'un homme choisit  pour y satisfaire sont déterminés par une considération raisonnée de la dépense et du résultat."

    "L'homme n'est pas un être qui ne puisse faire autrement que céder à l'impulsion qui réclame satisfaction avec le plus d'urgence. C'est un être capable de discipliner ses instincts, émotions et impulsions ; il peut raisonner son comportement. Il renonce à satisfaire une impulsion brûlante afin de satisfaire d'autres désirs. Il n'est pas la marionnette de ses appétits. Un homme ne s'empare pas de toute femme qui éveille ses sens, et il ne dévore pas toute nourriture qui lui plaît ; il ne se jette pas sur tout congénère qu'il souhaiterait tuer. Il échelonne ses aspirations et ses désirs dans un ordre déterminé, il choisit ; en un mot, il agit. Ce qui distingue l'homme des bêtes est précisément qu'il ajuste ses comportements par délibération. L'homme est l'être qui a des inhibitions, qui peut dominer ses impulsions et désirs"

    "Il peut arriver qu'une impulsion émerge avec une telle véhémence qu'aucun désavantage, probable si l'individu lui donne satisfaction, ne lui apparaisse assez grand pour l'en empêcher. Dans ce cas encore, il choisit. L'homme décide de céder au désir considéré."

    "Il y a des phénomènes qu'on ne peut analyser et rattacher en amont à d'autres phénomènes. Ce sont des donnés ultimes. Le progrès de la recherche scientifique peut réussir à montrer que quelque chose antérieurement considéré comme donné ultime, peut être réduit à des composantes. Mais il y aura toujours quelque phénomène irréductible et rebelle à l'analyse, quelque donné ultime."

    "Le monisme enseigne qu'il n'y a qu'une seule substance ultime ; le dualisme en compte deux, le pluralisme un plus grand nombre. Il est sans profit de se quereller sur ces problèmes. De telles disputes métaphysiques n'ont pas de terme possible. L'état actuel de nos connaissances ne fournit pas les moyens de les résoudre par une réponse que tout homme raisonnable soit forcé de juger satisfaisante.

    Le monisme matérialiste affirme que les pensées et volitions humaines sont le produit du fonctionnement d'organes du corps, les cellules du cerveau et les nerfs. La pensée humaine, la volonté, l'action résultent uniquement de processus matériels qui seront un jour complètement expliqués par les méthodes de la recherche physique et chimique. Cela aussi est une hypothèse métaphysique, bien que ceux qui le soutiennent le tiennent pour une vérité scientifique inébranlable et indéniable.

    Diverses doctrines ont été avancées pour expliquer la relation entre l'esprit et le corps. Ce ne sont que des suppositions sans référence aucune à des faits observés. Tout ce qui peut être dit avec certitude est qu'il y a des rapports entre processus mentaux et processus physiologiques. Sur la nature et le fonctionnement de cette connexion, nous ne savons, au mieux, que très peu de chose
    ."

    "Dans l'état actuel de nos connaissances, les thèses fondamentales  du positivisme, du monisme et du panphysicisme sont simplement des postulats métaphysiques dépourvus de toute base scientifique et dénués à la fois de signification et d'utilité pour la recherche scientifique. La raison et l'expérience nous montrent deux règnes séparés : le monde extérieur des phénomènes physiques, chimiques et physiologiques, et le monde intérieur de la pensée, du sentiment, du jugement de valeur, et de l'action guidée par l'intention. Aucune passerelle ne relie — pour autant que nous le voyions aujourd'hui — ces deux sphères. Des événements extérieurs identiques provoquent parfois des réponses humaines différentes, et des événements extérieurs différents provoquent parfois la même réponse humaine. Nous ne savons pas pourquoi.

    En face de cet état de choses nous ne pouvons que nous abstenir de juger les thèses fondamentales du monisme et du matérialisme. Nous pouvons croire ou ne pas croire que les sciences naturelles parviendront un jour à expliquer la production d'idées, de jugements de valeur et d'actions déterminés, de la même manière qu'elles expliquent la production d'un composé chimique comme le résultat nécessaire et inévitable d'une certaine combinaison d'éléments. Tant que nous n'en sommes pas là, nous sommes forcés d'acquiescer à un dualisme méthodologique.

    L'agir humain est l'un des agencements par lesquels le changement intervient. C'est un élément de l'activité et du devenir cosmiques. Par conséquent c'est légitimement un objet d'étude scientifique. Puisque — à tout le moins dans les conditions actuelles — nous ne pouvons le rattacher à ses causes, il doit être considéré comme un donné ultime et être étudié comme tel
    ."

    "Pour l'homme, l'action humaine et ses vicissitudes sont ce qui compte réellement. L'action est l'essence de sa nature et de son existence, ses moyens de préserver sa vie et de se hausser au-dessus du niveau des animaux et des végétaux."

    "L'agir humain est nécessairement toujours rationnel. Le terme « action rationnelle » est ainsi pléonastique et doit être évité comme tel. Lorsqu'on les applique aux objectifs ultimes d'une action, les termes rationnel et  irrationnel sont inappropriés et dénués de sens."

    "C'est une erreur de penser que le désir de se procurer de quoi répondre aux nécessités élémentaires de la vie et de la santé soit plus rationnel, plus naturel, ou plus justifié que la recherche d'autres biens ou agréments. Il est vrai que l'appétit de nourriture ou de chaleur est commun aux hommes et aux autres mammifères, et qu'en règle générale un homme qui manque de nourriture et d'abri concentre ses efforts sur la satisfaction de ces besoins impérieux et ne se soucie guère d'autres choses. L'impulsion à vivre, à préserver sa propre existence, et à tirer parti de toute occasion de renforcer ses propres énergies vitales, est un trait foncier de la vie, présent en tout être vivant. Cependant, céder à cette impulsion n'est pas — pour l'homme — une irrésistible nécessité.

    Alors que tous les autres animaux sont inconditionnellement conduits par l'impulsion de préserver leur propre vie et par l'impulsion de prolifération, l'homme a le pouvoir de maîtriser même ces impulsions-là. Il peut dominer tant ses désirs sexuels que son vouloir-vivre, il peut renoncer à sa vie lorsque les conditions auxquelles il lui faudrait absolument se soumettre pour la conserver lui semblent intolérables. L'homme est capable de mourir pour une cause, ou de se suicider. Vivre est, pour l'homme, un choix résultant d'un jugement de valeur.

    Il en va de même quant au désir de vivre dans l'opulence. L'existence même d'ascètes et d'hommes qui renoncent aux gains matériels pour prix de la fidélité à leurs convictions, du maintien de leur dignité et de leur  propre estime, est la preuve que la recherche d'agréments plus tangibles n'est pas inévitable, mais au contraire le résultat d'un choix
    ."

    "C'est la note caractéristique de la nature humaine, que ce fait : l'homme ne cherche pas seulement nourriture, abri et cohabitation comme tous les autres animaux, mais tend aussi à d'autres sortes de satisfactions."

    "Lorsqu'il s'agit des moyens employés pour atteindre des fins, les termes de rationnel et irrationnel impliquent un jugement de valeur sur l'opportunité et sur l'adéquation du procédé appliqué. Le critiqueur approuve ou désapprouve la méthode, selon que le moyen est ou n'est pas le plus adapté à la fin considérée. C'est un fait que la raison humaine n'est pas infaillible, et que l'homme se trompe souvent dans le choix et l'application des moyens. Une action non appropriée à la fin poursuivie échoue et déçoit. Une telle action est contraire à l'intention qui la guide, mais elle reste rationnelle, en ce sens qu'elle résulte d'une délibération — raisonnable encore qu'erronée — et d'un essai — bien qu'inefficace — pour atteindre un objectif déterminé. Les médecins qui, il y a cent ans, employaient pour le traitement du cancer certains procédés que nos docteurs contemporains rejettent, étaient — du point de vue de la pathologie de notre temps — mal instruits et par là inefficaces. Mais ils n'agissaient pas irrationnellement ; ils faisaient de leur mieux."

    "Le contraire de l'action n'est pas un comportement irrationnel, mais une réponse réflexe à des stimulations, déclenchée par les organes du corps et par des instincts qui ne peuvent être contrôlés par un acte de volonté de la personne considérée. Une même stimulation peut, sous certaines conditions, avoir pour réponse à la fois un phénomène réflexe et une action. Si un homme absorbe un poison, les organes répondent en mettant en œuvre leurs forces de défense par antidotes ; en outre, l'action peut intervenir en appliquant un contrepoison."

    "La  science est, et doit être, toujours rationnelle. Elle est un effort pour réaliser une saisie mentale des phénomènes de l'univers, grâce à un arrangement systématique de l'entièreté des connaissances disponibles."

    "Les enseignements de la praxéologie et de l'économie sont valables pour toutes les actions d'hommes, sans égard à leurs motifs sous-jacents, à leurs causes et leurs buts."

    "Parce qu'elle est subjectiviste et prend les jugements de valeur de l'homme agissant comme des données ultimes, non susceptibles d'examen critique plus poussé, elle est en elle-même à l'abri des heurts de partis et factions, [la praxéologie] est indifférente aux conflits de toutes les écoles dogmatiques et doctrines éthiques, elle est dénuée de préférences, d'idées préconçues et de préjugés, elle est universellement valable, et absolument, simplement, humaine."

    "L'homme est en mesure d'agir parce qu'il est doté de la faculté de découvrir des relations de causalité, qui déterminent le changement et le devenir dans l'univers. Agir requiert et implique comme acquise la catégorie de causalité. Seul un homme qui voit le monde dans la perspective de la causalité est apte à agir. Dans ce sens, nous pouvons dire que la causalité est une catégorie de l'action. La catégorie moyens et fins présuppose la catégorie cause et effet. Dans un monde sans causalité, sans régularité de phénomènes, il n'y aurait pas de champ ouvert au raisonnement de l'homme et à l'agir humain. Un tel monde serait un chaos, et l'homme y serait impuissant à trouver repères et orientation. L'homme n'est même pas capable d'imaginer ce que serait un tel univers de désordre.

    Là où l'homme ne voit pas de relation causale, il ne peut agir. Cette proposition n'est pas réversible. Même lorsqu'il connaît la relation causale qui est impliquée, l'homme ne peut agir s'il n'est pas en mesure d'influer sur la cause
    ."

    "Penser et agir sont les traits spécifiquement humains de l'homme. Ils sont propres à tous les êtres humains."

    "Il est impossible à l'esprit humain de concevoir des relations logiques qui soient opposées à la structure logique de notre esprit. Il est impossible à l'esprit humain de concevoir un mode d'action dont les catégories différeraient de celles qui déterminent nos propres actions."

    "Béhaviorisme et positivisme veulent appliquer les méthodes des sciences naturelles empiriques à la réalité de l'activité humaine. Ils l'interprètent comme la réponse à des stimuli. Mais ces stimuli eux-mêmes ne sont pas susceptibles de description suivant les méthodes des sciences naturelles. Tout essai de les décrire doit nécessairement se référer à la signification que les hommes agissants leur attachent. Nous pouvons appeler le fait d'offrir une marchandise à l'achat un « stimulus ». Mais ce qui est essentiel à une telle offre et la distingue d'autres offres ne peut être décrit sans pénétrer dans la signification que les parties à l'acte attribuent à la situation. Aucun artifice dialectique ne saurait évaporer le fait que l'homme est poussé par l'intention d'atteindre certains objectifs. C'est le comportement intentionnel — c'est-à-dire l'action — qui est la matière d'étude pour notre science. Nous ne pouvons aborder notre sujet si nous négligeons la  signification que l'homme agissant attache à la situation, c'est-à-dire à un état donné des affaires, et à son propre comportement à l'égard de cette situation.

    Il ne convient pas que le physicien recherche des causes finales, parce que rien n'indique que les événements qui sont le sujet d'étude de la physique doivent être interprétés comme le résultat des actions d'un être visant un objectif à la manière humaine. Il ne convient pas non plus que le praxéologiste omette de tenir compte de l'effet de la volition et de l'intention de l'être qui agit ; ce sont indubitablement des données de fait. S'il l'omettait, il cesserait d'étudier l'agir humain
    ."

    "Il y a deux branches principales des sciences de l'activité humaine : la praxéologie et l'histoire.

    L'histoire est le rassemblement et l'arrangement systématique de toutes les données d'expérience concernant les actions des hommes. Elle traite du contenu concret de l'agir humain. Elle étudie toutes les entreprises humaines dans leur multiplicité et leur variété infinies, et toutes les actions individuelles avec leurs implications accidentelles, spéciales, particulières. Elle scrute les idées qui guident les hommes en action et le résultat des actions accomplies. Elle embrasse sous tous leurs aspects les activités humaines. Elle comporte d'une part l'histoire générale et d'autre part l'histoire de divers champs restreints. [...]

    Dans le domaine de l'histoire humaine, une limitation semblable à celle que les théories établies expérimentalement imposent aux essais pour interpréter et élucider des événements déterminés d'ordre physique, chimique et physiologique, est fournie par la praxéologie. La praxéologie est une science théorique et systématique, non une science historique. Son champ d'observation est l'agir de l'homme en soi, indépendamment de toutes les circonstances de l'acte concret, qu'il s'agisse de cadre, de temps ou d'acteur. Son mode de cognition est purement formel et général, sans référence au contenu matériel ni aux aspects particuliers du cas qui se présente. Elle vise à une connaissance valable dans toutes les situations où les conditions correspondent exactement à celles impliquées dans ses hypothèses et déductions. Ses affirmations et ses propositions ne sont pas déduites de l'expérience. Elles sont, comme celles des mathématiques et de la logique, a priori. Elles ne sont pas susceptibles d'être vérifiées ou controuvées sur la base d'expériences ou de faits. Elles sont à la fois logiquement et chronologiquement antécédentes à toute compréhension de faits historiques. Elles sont un préalable nécessaire de toute saisie intellectuelle d'événements historiques. Sans elles, nous ne serions capables de voir dans le cours des événements rien d'autre qu'un kaléidoscope de changements et un magma chaotique
    ."

    "Les relations logiques fondamentales ne sont pas susceptibles de preuve  ou de réfutation. Tout essai pour les prouver doit s'appuyer implicitement sur leur validité. Il est impossible de les expliquer à un être qui ne les posséderait pas pour son propre compte. Les efforts pour les définir en se conformant aux règles de définition ne peuvent qu'échouer. Ce sont des propositions premières, antécédentes à toute définition nominale ou réelle. Ce sont des catégories ultimes, non analysables. L'esprit humain est totalement incapable d'imaginer des catégories logiques autres que celles-là."

    "L'esprit humain n'est pas une table rase sur laquelle les événements extérieurs écrivent leur propre histoire. Il est équipé d'un jeu d'outils pour saisir la réalité. L'homme a acquis ces outils, c'est-à-dire la structure logique de son esprit, au cours de son évolution depuis l'amibe jusqu'à son état actuel. Mais ces outils sont logiquement antérieurs à toute expérience quelconque.

    L'homme n'est pas simplement un animal, entièrement soumis aux stimuli déterminant inéluctablement les circonstances de sa vie. Il est aussi un être qui agit. Et la catégorie de l'agir est logiquement antécédente à tout acte concret.

    Le fait que l'homme n'ait pas le pouvoir créateur d'imaginer des catégories en désaccord avec les relations logiques fondamentales et avec les principes de causalité et de téléologie nous impose ce que l'on peut appeler l'apriorisme méthodologique.


    Tout un chacun dans sa conduite quotidienne porte témoignage sans cesse de l'immutabilité et de l'universalité des catégories de pensée et d'action. Celui qui adresse la parole à ses semblables, qui désire les informer et les convaincre, qui interroge et répond aux questions d'autrui, peut se comporter de la sorte uniquement parce qu'il peut faire appel à quelque chose qui est commun à tous — à savoir la structure logique de l'esprit humain. L'idée que A puisse être en même temps non-A, ou que préférer A et B puisse être en même temps préférer B à A, est simplement inconcevable et absurde pour un esprit humain
    ."

    "Le savoir humain est conditionné par la structure de l'esprit humain."

    "Le point de départ de la praxéologie n'est pas un choix d'axiomes et une décision de méthode quant aux procédures, mais la réflexion sur l'essence de l'action. Il n'y a pas d'action dans laquelle les catégories praxéologiques n'apparaissent pas entièrement et parfaitement. Il n'y a pas de mode pensable d'action, dans lequel les moyens et les fins, les coûts et les résultats, ne puissent être clairement distingués et isolés avec précision. Il n'y a rien qui corresponde approximativement ou incomplètement à la catégorie économique d'échange. Il y a seulement échange et non-échange ; et en ce qui concerne quelque échange que ce soit, tous les théorèmes généraux relatifs aux échanges sont valides avec leur pleine rigueur et toutes leurs conséquences. [...]

    L'expérience concernant l'agir humain diffère de celle concernant les phénomènes de la nature, en ce qu'elle suppose au préalable le savoir praxéologique. C'est là la raison pour laquelle les méthodes des sciences naturelles sont inappropriées pour l'étude de la praxéologie, de l'économie et de l'histoire.

    En affirmant le caractère a priori de la praxéologie, nous ne sommes pas en train de dresser le plan d'une nouvelle science future, différente des sciences traditionnelles de l'agir humain. Nous ne soutenons pas que la science théorique de l'action de l'homme devrait être aprioristique ; mais qu'elle est telle et l'a toujours été. Tout essai pour réfléchir sur les problèmes posés par l'agir humain est nécessairement lié au raisonnement aprioristique
    ."

    "La praxéologie s'occupe des actions d'hommes en tant qu'individus. C'est seulement dans le cours ultérieur de ses investigations que la connaissance de la coopération humaine est atteinte, et que l'action en société est traitée comme un genre spécial de la catégorie plus universelle de l'agir humain comme tel.

    Cet individualisme méthodologique a été l'objet d'attaques véhémentes de la part de diverses écoles métaphysiques, et dénigré comme une erreur nominaliste. La notion d'individu, disent les critiques, est une abstraction vide de sens. L'homme réel est nécessairement toujours le membre d'un ensemble social. Il est même impossible d'imaginer l'existence d'un homme séparé du reste du genre humain et non relié à la Société. L'homme, comme homme, est le produit d'une évolution sociale. Son caractère éminent entre tous, la raison, ne pouvait émerger qu'au sein du cadre social de relations mutuelles. Il n'est pas de pensée qui ne dépende de concepts et de notions de langage. Or le langage est manifestement un phénomène social. L'homme est toujours le membre d'une collectivité. Comme le tout est, tant logiquement que temporellement, antérieur à ses parties ou membres, l'étude de l'individu est postérieure à l'étude de la société. La seule méthode adéquate pour le traitement des problèmes humains est la méthode de l'universalisme ou collectivisme.

    Or la controverse pour établir la priorité logique du tout ou de ses membres est vaine. Logiquement, les notions de tout et parties sont corrélatives. En tant que concepts logiques ils sont l'un et l'autre hors du temps.

    Non moins dépourvue de relation avec notre problème est la référence à l'antagonisme entre réalisme et nominalisme, ces deux termes étant pris au  sens que la scolastique médiévale leur attachait. Il n'est pas contesté que dans le domaine de l'agir humain les entités sociales aient une existence réelle. Personne ne se risque à nier que les nations, États, municipalités, partis, communautés religieuses soient des facteurs réels déterminant le cours d'événements humains. L'individualisme méthodologique, loin de contester la signification de tels ensembles collectifs, considère comme l'une de ses tâches principales de décrire leur naissance et leur disparition, leurs structures changeantes et leur fonctionnement. Et il choisit la seule méthode apte à résoudre ce problème de façon satisfaisante.

    Tout d'abord nous devons prendre acte du fait que toute action est accomplie par des individus. Une collectivité agit toujours par l'intermédiaire d'un ou plusieurs individus dont les actes sont rapportés à la collectivité comme à leur source secondaire. C'est la signification que les individus agissants, et tous ceux qui sont touchés par leur action, attribuent à cette action, qui en détermine le caractère. C'est la signification qui fait que telle action est celle d'un individu, et telle autre action celle de l'État ou de la municipalité. Le bourreau, et non l'État, exécute un criminel. C'est le sens attaché à l'acte, par ceux qui y sont impliqués, qui discerne dans l'action du bourreau l'action de l'État. Un groupe d'hommes armés occupe un endroit. C'est l'interprétation des intéressés qui impute cette occupation non pas aux officiers et soldats sur place, mais à leur nation. Si nous examinons la signification des diverses actions accomplies par des individus, nous devons nécessairement apprendre tout des actions de l'ensemble collectif. Car une collectivité n'a pas d'existence et de réalité, autres que les actions des individus membres. La vie d'une collectivité est vécue dans les agissements des individus qui constituent son corps. Il n'existe pas de collectif social concevable, qui ne soit opérant à travers les actions de quelque individu. La réalité d'une entité sociale consiste dans le fait qu'elle dirige et autorise des actions déterminées de la part d'individus. Ainsi la route pour connaître les ensembles collectifs passe par l'analyse des actions des individus
    ."

    "L'Ego est l'unité de l'être agissant. Il est indubitablement un donné, et ne peut être dissous ni exorcisé par aucun raisonnement. [...] Les efforts de la psychologie pour dissoudre l'Ego et démontrer que c'est une illusion sont vains. L'Ego praxéologique échappe complètement au doute. Quoi qu'un homme ait été antérieurement et quoi qu'il puisse devenir par la suite, dans l'acte même de choisir et d'agir il est un Ego.."

    "Le principe du singularisme méthodologique

    Non moins que de l'action d'un individu, la praxéologie fait partir ses études d'une action au singulier. Elle ne traite pas en termes vagues de l'agir humain en général, mais de l'action concrète qu'un homme défini a accomplie à une date définie et en un lieu défini. Mais bien entendu elle ne se préoccupe pas des traits accidentels et circonstanciels de cette action, ni de ce qui la distingue de toutes les autres actions, mais seulement de ce qui est nécessaire et universel dans son accomplissement.

    La philosophie de l'universalisme a de temps immémorial bloqué la voie à une saisie satisfaisante des problèmes praxéologiques et les universalistes contemporains sont complètement incapables d'en trouver l'approche. Universalisme, collectivisme et réalisme conceptuel ne voient que des ensembles et des universaux. Ils spéculent sur l'humanité, les nations, les États, les classes, sur la vertu et le vice, le juste et l'injuste, sur des classes  entières de besoins et de denrées. Ils demandent par exemple : pourquoi la valeur de l' « or » est-elle plus grande que celle du « fer » ? De la sorte, ils ne trouvent jamais de solution, mais seulement des antinomies et des paradoxes. Le meilleur exemple est celui du paradoxe de la valeur, qui a même dérouté les efforts des économistes classiques.

    La praxéologie demande : qu'est-ce qui se passe quand on agit ? Que signifie de dire qu'un individu, ici et maintenant, à tel moment et en tel lieu, à n'importe quel moment et en n'importe quel lieu, agit ? Que résulte-t-il s'il choisit une chose et en rejette une autre ?

    L'acte de choisir est toujours une décision parmi plusieurs possibilités ouvertes à l'individu choisissant. L'homme ne choisit jamais entre la vertu et le vice, mais seulement entre deux modes d'action que, d'un point de vue adopté par nous, nous appelons vertueux ou vicieux. Un homme ne choisit jamais entre « l'or » et « le fer » en général, mais toujours uniquement entre une quantité déterminée d'or et une quantité déterminée de fer. Toute action prise en elle-même est strictement limitée dans ses conséquences immédiates. Si nous voulons atteindre des conclusions correctes, nous devons avant tout considérer ces limitations.

    La vie humaine est une suite incessante d'actions particulières. Mais l'action particulière n'est en aucune façon isolée. C'est un anneau dans une chaîne d'actions qui toutes ensemble forment une action de niveau supérieur visant à une fin plus reculée. Toute action a un double aspect. C'est d'un côté une action partielle dans le cadre d'une action plus étendue, l'accomplissement d'une fraction des objectifs posés par une action à plus longue portée. C'est d'autre part en elle-même un tout, par rapport aux actions visées par l'exécution de ses propres parties.

    Selon la dimension du projet auquel l'homme qui agit se consacre dans l'instant donné, seront mises en relief soit l'action à longue portée soit seulement une action partielle dirigée vers un objectif plus immédiat. Il n'y a pas lieu pour la praxéologie de soulever des questions du type de celles soulevées par la Gestaltpsychologie (psychologie des structures). La route vers l'accomplissement de grandes tâches doit toujours faire passer par l'accomplissement de tâches partielles. Une cathédrale est autre chose qu'un monceau de pierres jointes ensemble. Mais la seule procédure pour édifier une cathédrale consiste à mettre ces pierres les unes sur les autres. Pour l'architecte, le projet d'ensemble est l'essentiel. Pour le maçon, c'est un certain mur, et pour le manœuvre les pierres une par une. Ce qui compte pour la praxéologie, c'est le fait que la seule méthode pour réaliser des tâches plus vastes consiste à bâtir en partant des fondations, pas à pas, élément par élément
    ."

    "Le contenu de l'agir humain, c'est-à-dire les fins visées, les moyens choisis et appliqués à la poursuite de ces fins, est déterminé par les qualités personnelles de chacun des hommes en action. L'homme individuel est le produit d'une longue lignée d'évolutions zoologiques, qui a façonné son héritage physiologique. Il est né progéniture et héritier de ses ancêtres ; le précipité et la sédimentation de tout ce qu'ont expérimenté ses prédécesseurs constituent son patrimoine biologique. Lorsqu'il naît, il n'entre pas dans le monde en général comme tel, mais dans un environnement particulier. Les qualités innées et héritées, et tout ce que la vie a imprimé sur lui font d'un homme ce qu'il est, à tout instant de son pèlerinage. Ce sont là son sort et son destin. Sa volonté n'est pas « libre » au sens métaphysique du terme. Elle est déterminée par ses antécédents et toutes les influences auxquelles lui-même et ses ancêtres ont été exposés.

    Héritage et cadre de vie orientent les actions d'un homme. Ils lui suggèrent à la fois les buts et les moyens. Il ne vit pas simplement comme homme in abstracto ; il vit comme un fils de sa famille, de sa race, de son peuple, de son époque ; comme un citoyen de son pays ; comme un membre d'un certain groupe social ; comme le praticien d'une certaine vocation ; comme l'adepte de certaines idées religieuses, métaphysiques, philosophiques et politiques ; comme un partisan dans de nombreuses affaires de clan et controverses. Il ne crée pas lui-même ses idées et ses critères de valeur ; il les emprunte à d'autres. Son idéologie est ce que son entourage lui impose. Il n'y a que très peu d'hommes qui ont le don de penser des idées neuves et originales, et de changer le corps traditionnel de croyances et de doctrines
    ."

    "La praxéologie n'est pas concernée par le contenu changeant de l'agir, mais par sa forme pure et sa structure catégorielle. L'étude des caractères accidentels et circonstanciels de l'agir humain est l'objet de l'histoire."

    "Un historien doit avant tout viser à la connaissance. Il doit s'affranchir lui-même de toute partialité. Il doit en ce sens être neutre à l'égard de tout jugement de valeur."

    "La tâche des sciences de l'agir humain est de comprendre le sens et l'adéquation des actions d'hommes. Elles appliquent pour ce but deux procédures épistémologiques différentes : la conceptualisation et l'interprétation. La conceptualisation est l'outil mental de la praxéologie ; l'interprétation est l'outil mental spécifique de l'histoire."

    "La cognition praxéologique est de nature conceptuelle. Elle se réfère à ce qui est nécessaire dans l'agir humain. Elle est cognition d'universaux et de catégories.

    La cognition historique se réfère à ce qui est unique et individuel dans chaque événement et genre d'événement. Elle analyse d'abord chaque objet de ses études avec l'aide des outils mentaux fournis par toutes les autres sciences. Ayant mené à bien ce travail préliminaire, elle se place devant son problème spécifique : l'élucidation des traits uniques et individuels du cas étudié, et recourt pour cela aux moyens de l'interprétation
    ."

    "Si un statisticien établit qu'une augmentation de 10 % dans l'offre de pommes de terre en Atlantide, à un moment donné, a été suivie par une baisse de 8 % du prix, il n'établit rien du tout  concernant ce qui arriva ou peut arriver du fait d'un changement de l'offre de pommes de terre dans un autre pays ou à une autre époque. Il n'a pas « mesuré l'élasticité de la demande » de pommes de terre. Il a établi un fait historique unique et limité. Aucun homme sensé ne peut douter que le comportement des individus à l'égard des pommes de terre et de toute autre denrée est variable. Divers individus évaluent les mêmes choses de façons diverses, et l'évaluation par les mêmes individus change lorsque les conditions changent. [...]

    L'impraticabilité de la mesure n'est pas due au manque de méthodes techniques pour l'établissement de mesures. Elle est due à l'absence de relations constantes. Si elle provenait seulement d'une insuffisance technique, à tout le moins une estimation approximative serait possible dans certains cas. Mais le fait principal est qu'il n'y a pas de relations constantes. L'économie n'est pas, comme d'ignorants positivistes ne cessent de le répéter, arriérée parce qu'elle n'est pas « quantitative ». Elle n'est pas quantitative et elle ne mesure point, parce qu'il n'y a pas de constantes. Les chiffres statistiques relatifs aux événements économiques sont des données historiques. Ils nous disent ce qui est arrivé dans un cas historique qui ne peut pas se répéter. Les événements physiques peuvent être interprétés sur la base de nos connaissances portant sur des relations constantes établies par expérimentation. Les événements historiques ne sont pas susceptibles d'une telle interprétation
    ."

    "La technologie peut nous dire quelle épaisseur doit avoir un blindage d'acier pour ne pas être percée par une balle tirée à 300 yards par une carabine Winchester. Elle peut ainsi donner la raison pour laquelle un  homme qui s'est abrité derrière un blindage d'épaisseur connue a été ou non atteint par le coup de feu. L'histoire est bien incapable d'expliquer avec la même assurance pourquoi le prix du lait a augmenté de 10 %, pourquoi le président Roosevelt a battu le gouverneur Dewey aux élections de 1944 ou pourquoi la France a vécu de 1870 à 1940 sous une constitution républicaine."

    "L'appréciation historique ne peut jamais produire de résultat que tous les hommes soient forcés d'admettre. Deux historiens qui sont entièrement d'accord sur les enseignements des sciences non historiques, et en ce qui concerne l'établissement des faits dans la limite où il est possible sans recourir à l'appréciation d'influence, peuvent être en désaccord quand il s'agit d'apprécier ces faits sous l'angle de leur influence. Ils peuvent convenir pleinement que les facteurs a, b et c ont concouru à produire l'effet P ; néanmoins, ils peuvent être d'opinion très différente en ce qui concerne l'influence des contributions respectives de a, b et c au résultat final. Dans la mesure où l'interprétation vise à préciser le degré d'influence de chaque facteur, elle est susceptible d'être affectée par des jugements subjectifs. Bien entendu, ces derniers ne sont pas des jugements  de valeur, ils n'expriment pas les préférences de l'historien. Ce sont des jugements d'influence."

    "L'histoire traite d'événements dont chacun est unique, et ne se peut répéter ; elle traite du flux irréversible des affaires humaines. Un événement historique ne peut être décrit sans faire référence aux personnages, à l'endroit et au moment où il s'est produit."

    "Bien qu'unique et non susceptible de répétition, l'événement historique a un trait commun avec tous les autres événements historiques : tous sont de l'agir humain. L'histoire les comprend comme des actions d'hommes ; elle conceptualise leur signification grâce à l'outillage cognitif de la praxéologie, et elle saisit leur signification en regardant leurs traits individuels et particuliers."

    "Il arrive dans de nombreux cas qu'un terme employé en praxéologie pour signifier un concept praxéologique serve, pour l'historien, à désigner un type idéal. Alors, l'historien emploie un seul et même mot pour exprimer deux choses différentes. Il applique le terme parfois pour évoquer sa connotation praxéologique, mais le plus souvent pour signifier un type idéal. Dans ce dernier cas, l'historien attache au mot un sens différent de son sens praxéologique ; il le transforme en le transférant à un champ différent de recherche. Le concept économique « entrepreneur » appartient à un niveau autre que le type idéal « entrepreneur » tel qu'utilisé par l'histoire économique et l'économie descriptive. (A un troisième niveau se trouve le terme juridique « entrepreneur ».) Le terme économique « entrepreneur » est un concept défini avec précision qui, dans le cadre d'une théorie de l'économie de marché désigne une fonction clairement intégrée.  Le type idéal historique « entrepreneur » n'englobe pas les mêmes membres. Personne en l'employant ne pense aux petits cireurs de chaussures, aux chauffeurs de taxis propriétaires de leur voiture, aux petits négociants, aux petits fermiers. Ce que l'économie établit à propos des entrepreneurs est rigoureusement valable pour tous les membres de la classe sans égard aux conditions de temps et de lieu des diverses branches d'activité. Ce que l'histoire économique établit pour ses types idéaux peut varier selon les circonstances particulières à diverses époques, contrées, branches d'activité, et selon bien d'autres contingences. L'histoire a peu d'usage à faire du type idéal général d'entrepreneur. Elle est davantage intéressée par des types tels que : l'entrepreneur américain au temps de Jefferson, celui des industries lourdes allemandes sous Guillaume II, celui des manufactures textiles de Nouvelle-Angleterre dans les décennies précédant immédiatement la Première Guerre mondiale, la haute finance protestante à Paris, les petits entrepreneurs partis de rien, etc."

    "Le fait que la praxéologie, en attachant son regard à la compréhension de la réalité, se concentre sur l'étude de ceux des problèmes qui sont utiles à son objectif, n'altère pas le caractère aprioriste de son raisonnement. Mais ce fait dénote la façon dont l'économie, jusqu'à maintenant la seule partie élaborée de la praxéologie, présente les résultats de ses efforts."

    "Il y a l'économie et il y a l'histoire économique. Les deux ne doivent jamais être confondues. Tous les théorèmes de l'économie sont nécessairement valables dans chaque cas où toutes les hypothèses posées d'avance sont réunies. Bien évidemment, ils n'ont pas de signification pratique lorsque ces conditions ne sont pas présentes. Les théorèmes relatifs à l'échange indirect ne sont pas applicables dans des situations où il n'y a pas d'échange indirect. Cela n'affaiblit cependant pas leur validité."

    "Les despotes et les majorités démocratiques sont enivrés par le pouvoir. Ils doivent, à contrecœur, admettre qu'ils sont assujettis aux lois de la nature. Mais ils repoussent l'idée même de loi économique. Ne sont-ils pas les législateurs souverains ? N'ont-ils pas le pouvoir d'écraser quiconque s'oppose à eux ? Aucun seigneur de la guerre n'est enclin à reconnaître de limite autre que celle que lui impose une force armée supérieure. Des écrivailleurs serviles sont toujours disponibles pour flatter cette vanité en exposant les doctrines appropriées. Ils appellent « économie historique » leurs suppositions embrouillées. En réalité, l'histoire économique est un long catalogue de politiques gouvernementales qui ont échoué pour avoir été conçues avec une téméraire méconnaissance des lois de l'économie.

    Il est impossible de comprendre l'histoire de la pensée économique si l'on ne porte pas attention au fait que la science économique est en soi un défi à l'orgueil des détenteurs du pouvoir. Un économiste ne peut jamais être bien en cour auprès des autocrates ni des démagogues. Il est toujours pour eux le trouble-fête, et plus ils sont convaincus dans leur for intérieur que ses objections sont bien fondées, plus ils le haïssent
    ."

    "Il est opportun d'établir le fait que le point de départ de tout raisonnement praxéologique et économique, c'est-à-dire la catégorie de l'agir humain, est à l'épreuve de toute critique et de toute objection. Aucun recours à des considérations historiques ou empiriques quelconques ne peut mettre en défaut la proposition  que les hommes poursuivent intentionnellement certains objectifs choisis. Nul discours sur l'irrationalité, les insondables profondeurs de l'âme humaine, la spontanéité des phénomènes de la vie, automatismes, réflexes et tropismes, ne peut réfuter l'affirmation que l'homme se sert de sa raison pour la réalisation d'aspirations et de désirs. A partir de l'inébranlable fondement qu'est cette catégorie de l'agir humain, la praxéologie et l'économie procèdent pas à pas au moyen du raisonnement discursif. Définissant avec précision hypothèses et conditions, elles construisent un système de concepts et tirent toutes les déductions impliquées, par des chaînes de raisonnement logiquement inattaquables."

    "L'homme ne peut jamais devenir omniscient. Il ne peut jamais être absolument sûr  que ses recherches ne se sont pas égarées, et que ce qu'il considère comme une vérité certaine n'est pas une erreur. Tout ce que l'homme peut faire est de soumettre ses théories, encore et toujours, au réexamen critique le plus rigoureux. Cela signifie, pour l'économiste, rattacher en amont tous les théorèmes à leur base incontestable, certaine et ultime, la catégorie de l'agir humain ; et d'éprouver avec l'attention la plus soigneuse toutes les hypothèses et déductions qui conduisent de cette base jusqu'au théorème examiné. L'on ne peut affirmer que cette procédure garantisse contre l'erreur. Mais elle est indubitablement la méthode la plus efficace pour éviter l'erreur."

    "L'état d'absolue perfection doit être conçu comme complet, final, et non soumis au changement. Le changement ne pourrait qu'amoindrir sa perfection et la transformer en un état moins parfait ; la simple possibilité qu'un changement puisse intervenir est  incompatible avec le concept de perfection absolue. Mais l'absence de changement — c'est-à-dire la parfaite immutabilité, rigidité et immobilité — équivaut pratiquement à l'absence de vie. Vie et perfection sont incompatibles."

    "L'histoire économique, l'économie descriptive, et la statistique économique sont, bien entendu, de l'histoire. Le terme sociologie est employé dans deux sens différents. La sociologie descriptive s'occupe de ceux des phénomènes historiques de l'activité humaine qui ne sont pas envisagés par l'économie descriptive ; elle chevauche dans une certaine mesure les domaines revendiqués par l'ethnologie et l'anthropologie. La sociologie générale, d'autre part, envisage l'expérience historique d'une façon plus proche d'un point de vue général que ne le font les autres branches de l'Histoire. L'Histoire, proprement dite, par exemple, s'occupe d'une ville spécifiée, ou des villes dans une période déterminée, ou d'un peuple particulier, ou d'une aire géographique. Max Weber, dans son principal traité Wirtschaft und Gesellschaft (Tübingen, 1922), pp. 513 à 600, s'occupe de la ville en général, c'est-à-dire de toute l'expérience historique concernant les villes sans limitation de périodes historiques, de zones géographiques, ou de peuples, de nations, races et civilisations particuliers."

    « Le fait que l'application pratique d'une théorie ait effectivement les résultats prédits sur la base de cette théorie, est universellement considéré comme une confirmation de sa qualité de théorie correcte. »

    « Si la demande des produits d'une branche augmente et y accroît les profits, davantage de capital y affluera et la concurrence des nouvelles entreprises y réduira les profits. »

    « Malgré toute leur ardente propagande, les marxistes n'ont pas réussi à faire naître un art ou une littérature spécifiquement prolétariens. Les écrivains, peintres et musiciens « prolétariens » n'ont pas créé de styles nouveaux ni établi de nouvelles valeurs esthétiques. Ce qui les caractérise se ramène simplement à leur habitude d'appeler « bourgeois » tout ce qu'ils détestent et « prolétarien » tout ce qui leur plaît. »

    « Afin de réussir un politicien doit voir les choses comme elles sont ; quiconque se laisse aller à prendre ses désirs pour des réalités échouera certainement. »

    « C'est un pauvre artifice que de rejeter une théorie en se référant à son arrière-plan historique, à l' « esprit » de son temps, aux conditions matérielles du pays d'où elle vient, ou à quelque trait de caractère de ses auteurs. Une théorie relève uniquement du tribunal de la raison. Le critère à appliquer est toujours le critère de la raison. Une théorie est correcte ou incorrecte. »

    « Ceux qui recourent à l'oppression et à la violence sont, dans leur subconscient, convaincus que leurs propres doctrines sont insoutenables. »
    -Ludwig von Mises, L'Action Humaine. Traité d'économie, 1949.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Jeu 24 Mai - 12:25, édité 1 fois


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 15 Mai - 19:04

    "Ce qui différencie, au point de vue de l'épistémologie, le système praxéologique du système logique est précisément qu'il comporte les deux catégories de temps et de causalité. Le système praxéologique est, lui aussi, aprioriste et déductif. En tant que système, il est hors du temps. Mais le changement est l'un de ses éléments. Les notions d'avant et après, de cause et d'effet figurent parmi ses constituantes. Antériorité et conséquence sont des concepts essentiels pour le raisonnement praxéologique. De même est essentielle l'irréversibilité des événements."

    "C'est agir qui fournit à l'homme la notion de temps, et le rend conscient de l'écoulement du temps. L'idée de temps est une catégorie praxéologique.

    L'action est toujours dirigée vers le futur ; elle est, essentiellement et nécessairement, toujours projeter et agir pour un avenir meilleur. Son but est toujours de rendre les circonstances futures plus satisfaisantes qu'elles ne seraient sans l'intervention de l'action
    ."

    "L'homme est soumis à l'écoulement du temps. Il vient à l'existence, grandit, vieillit et disparaît. Son temps est rare. Il doit l'économiser comme il économise les autres facteurs rares."

    "L'échelle de valeur ne se manifeste que dans l'agir réel ; elle ne peut être discernée que par observation de l'agir réel. Il n'est par conséquent pas admissible de la mettre en contraste avec l'agir réel et de s'en servir comme référence pour apprécier les actions réelles."

    "Nous pouvons rejeter entièrement la notion de hasard indéterminé. Mais quoi qu'il en soit de la réalité, ou de l'aspect qu'elle puisse avoir pour une intelligence parfaite, le fait demeure que pour l'homme agissant le futur est caché. [...] Toute action se réfère à un avenir inconnu. ."

    "Ce qui pouvait être aisément expliqué en peu de phrases du langage commun fut formulé dans une terminologie à laquelle l'immense majorité est étrangère, ce qui lui inspire un respect intimidé."

    "Toute action est spéculation. Il n'y a dans le cours des événements humains aucune stabilité, et donc aucune sûreté."

    "La plupart des actions ne cherchent pas à infliger à quelqu'un d'autre un échec ou une perte. Elles visent à améliorer une situation. Il peut arriver que cette amélioration soit obtenue aux dépens de quelques autres personnes. Mais ce n'est assurément pas la règle."

    "Les œuvres accomplies par l'homme qui crée et innove, ses pensées et théories, ses poésies, peintures ou compositions, ne peuvent être classées praxéologiquement comme produits du labeur. Elles ne sont pas le résultat d'un apport — pour la « production » d'un chef-d'œuvre de philosophie, d'art ou de littérature — d'un travail que l'on aurait pu affecter à la production d'autres biens de confort. Les penseurs, poètes ou artistes sont souvent impropres à l'apport d'autres genres de travail. Quoi qu'il en soit, le temps et l'effort qu'ils consacrent à des activités créatrices ne sont pas soustraits à l'emploi pour d'autres buts. Les circonstances vouent parfois à la stérilité un homme qui aurait eu la capacité de faire naître des choses inouïes ; parfois elles ne lui laissent d'autre alternative que de mourir de faim ou d'user toutes ses forces à se débattre pour simplement survivre physiquement. Mais si le génie parvient à toucher au but qu'il s'est proposé, nul que lui-même ne supporte le « coût » encouru. Goethe fut peut-être sous certains aspects entravé par ses fonctions à la cour de Weimar. Mais il n'eût certainement pas été plus efficace dans ses charges officielles comme ministre d'État, directeur de théâtre et administrateur de mines, s'il n'avait pas écrit ses pièces, ses poèmes et romans.

    Il est, de plus, impossible de remplacer le travail des créateurs par celui de quelqu'un d'autre. Si Dante et Beethoven n'avaient pas existé, l'on n'aurait pas eu le choix d'assigner à d'autres la tâche d'écrire La Divine Comédie ou la IXe Symphonie. Ni la société ni aucun individu ne peut concrètement faire apparaître un génie et son œuvre. La plus haute intensité de « demande », le plus impérieux commandement du pouvoir sont sans effet. Le génie ne fournit pas sur commande. Les hommes ne peuvent améliorer les conditions naturelles et sociales d'où sortent le créateur et sa création. Il est impossible d'élever des génies par l'eugénisme, de les entraîner par l'enseignement, ni d'organiser leurs activités. Mais bien entendu, il est possible d'organiser la société de telle sorte qu'il ne s'y trouve aucune place pour les pionniers et leurs découvertes.

    L'œuvre créatrice du génie est un donné ultime pour la praxéologie. Elle apparaît dans l'Histoire comme un don gratuit du sort. Elle n'est en aucune manière le résultat d'une production au sens où la science économique emploie ce terme
    ."

    "La production n'est pas un acte de création ; elle n'apporte pas quelque chose qui n'existait pas avant. Elle est la transformation d'éléments donnés qu'elle arrange et combine."

    "Nous sommes hors d'état de remonter le processus des changements réalisés par l'agir humain, plus haut en amont que là où nous rencontrons l'intervention de la raison guidant les activités humaines."

    "L'idée populaire selon laquelle l'économie s'occupe des conditions matérielles de l'existence humaine est entièrement erronée. L'action de l'homme est une manifestation de son esprit. En ce sens la praxéologie peut être dite une science morale."

    "L'individu humain naît dans un environnement socialement organisé. En ce sens seul nous pouvons accepter la formule courante, que la société est — logiquement et historiquement — antécédente à l'individu. Dans toute autre acception, la phrase est, ou bien vide de sens, ou bien absurde. L'individu vit et agit à l'intérieur de la société. Mais la société n'est rien d'autre que la combinaison d'individus pour l'effort en coopération. Elle n'existe nulle part ailleurs que dans l'action d'individus humains. C'est s'abuser que de la chercher hors des actions d'individus. Parler d'existence autonome ou indépendante de la société, de sa vie, de son âme, de ses actions, c'est employer des métaphores qui peuvent aisément conduire à des erreurs grossières.

    Se demander si c'est l'individu ou la société qui doit être tenu pour la fin suprême, et si les intérêts de la société devraient être subordonnés à ceux des individus ou les intérêts des individus à ceux de la société, est sans fruit possible. L'action est toujours action d'hommes individuels. L'élément social, ou concernant la société, est une certaine orientation des actions de personnes humaines. La catégorie de fin n'a de sens qu'appliquée à l'action. La théologie et la métaphysique de l'Histoire peuvent discuter des fins de la société et des desseins que Dieu entend réaliser en ce qui concerne la société, de la même façon qu'elles discutent de la raison d'être de toutes les autres parties de l'univers créé. Pour la science qui est inséparable de la raison, instrument manifestement inapte au traitement des problèmes de ce genre, il serait sans espoir de se mêler de spéculations concernant ces questions.

    Dans le cadre de la coopération sociale, peuvent émerger entre les membres de la société des sentiments de sympathie et d'amitié, un sentiment de commune appartenance. Ces sentiments sont la source, pour l'homme, de ses expériences les plus exquises et les plus sublimes ; ils sont les ornements les plus précieux de la vie, ils élèvent l'animal humain aux hauteurs de l'existence réellement humaine. Toutefois ces sentiments ne sont pas, quoi qu'en aient cru certains, les agents qui ont engendré les relations sociales. Ils sont le fruit de la coopération sociale, ils ne s'épanouissent que dans son cadre ; ils n'ont pas précédé l'établissement des relations sociales et ne sont pas la graine d'où elles germent.

    Les faits fondamentaux qui ont amené la coopération, la société, la civilisation et transformé l'animal humain en un être humain sont les faits que voici : que le travail effectué au sein de la division du travail est plus productif que le travail solitaire, et que la raison humaine est capable de reconnaître cette vérité. Sans ces faits-là, les hommes seraient restés pour toujours des ennemis mortels les uns pour les autres, des rivaux irréconciliables dans leur effort pour s'assurer une part des trop rares ressources que la nature fournit comme moyens de subsistance. Chaque homme aurait été forcé de regarder tous les autres comme ses ennemis ; son désir intense de satisfaire ses appétits à lui l'aurait conduit à un conflit implacable avec tous ses voisins. Nulle sympathie ne pourrait se développer dans une situation pareille
    ."

    "Dans un monde hypothétique où la division du travail n'augmenterait pas la productivité, il n'y aurait point de société. Il n'y aurait pas de sentiments de bienveillance et de bon vouloir."

    "Selon les doctrines de l'universalisme, du réalisme conceptualiste, du holisme, du collectivisme, et de certains représentants de la psychologie structuraliste, la société est une entité qui vit de sa vie propre, indépendante et séparée des vies des divers individus, agissant pour son propre compte, visant à ses fins à elle qui sont différentes des fins poursuivies par les individus. Alors évidemment, un antagonisme peut se présenter entre les fins de la société et celles de ses membres. Afin de sauvegarder l'épanouissement et le développement futur de la société, il devient nécessaire de maîtriser l'égoïsme des individus, de les obliger à sacrifier leurs desseins égoïstes au bénéfice de la société. De ce moment, toutes les doctrines globalistes sont forcées d'abandonner les méthodes profanes de la science humaine et du raisonnement logique, et de virer aux professions de foi théologiques ou métaphysiques. Elles doivent admettre que la Providence, par ses prophètes, apôtres et chefs charismatiques force les hommes — qui sont mauvais dans leur nature, c'est-à-dire enclins à poursuivre leurs propres fins — à marcher dans les voies de droiture où le Seigneur, le Weltgeist, ou l'Histoire, veut qu'ils cheminent.

    Ceci est la philosophie qui a caractérisé de temps immémorial les croyances des tribus primitives. Cela a été un élément de tous les enseignements religieux. L'homme est forcé de se conformer à la loi promulguée par un pouvoir suprahumain, et d'obéir aux autorités que ce pouvoir a chargées de faire respecter cette loi. L'ordre établi par cette loi, la société, est par conséquent l'œuvre de la Divinité et non de l'homme. Si le Seigneur n'était intervenu et n'avait donné la lumière à l'humanité égarée, la société ne serait pas parvenue à l'existence
    ."

    "La théorie scientifique élaborée par la philosophie sociale du rationalisme et du libéralisme du XVIIIe siècle et par l'économie moderne ne recourt à aucune intervention miraculeuse de pouvoirs supra-humains. Chaque pas par lequel un individu substitue l'action concertée à l'action isolée entraîne une amélioration immédiate et reconnaissable de sa situation. Les avantages tirés de la coopération pacifique et de la division du travail sont universels. Ils profitent immédiatement à toute génération, et pas seulement plus tard aux descendants. Pour ce qu'il sacrifie en faveur de la société, l'individu est amplement récompensé par des avantages supérieurs. Son sacrifice est seulement apparent et momentané ; il renonce à un gain mineur en vue d'en recueillir un plus grand ensuite. Aucun être raisonnable ne peut manquer de voir ce fait évident. Lorsque la coopération sociale est intensifiée par l'extension du domaine de la division du travail, lorsque la protection juridique et la sauvegarde de la paix sont renforcées, le moteur est le désir de tous les intéressés d'améliorer leur situation propre. En s'efforçant dans le sens de ses propres intérêts — bien compris — l'individu travaille pour l'intensification de la coopération sociale et de rapports pacifiques. La société est un produit de l'agir humain, c'est-à-dire de l'impulsion résolue de l'homme vers l'élimination de ce qui le gêne, autant que cela lui est possible."

    "Le rôle historique de la théorie de la division du travail telle que l'élabora l'économie politique en Grande-Bretagne depuis Hume jusqu'à Ricardo consista à démolir complètement toutes les doctrines métaphysiques concernant l'origine et le mécanisme de la coopération sociale. Elle réalisa la complète émancipation spirituelle, morale et intellectuelle de l'humanité amorcée par la philosophie épicurienne. Elle substitua une moralité rationnelle autonome à l'éthique hétéronome et intuitionniste des temps anciens. Le droit et la légalité, le code moral et les institutions sociales ne sont plus désormais révérés comme d'insondables décrets du Ciel. Leur origine est humaine, et le seul critère qu'il faille leur appliquer est celui de leur adéquation au meilleur bien-être humain. L'économiste utilitarien ne dit pas : Fiat justitia, pereat mundus. Il dit : Fiat justitia, ne pereat mundus. Il ne demande pas à l'homme de renoncer à son bien-être au profit de la société. Il lui recommande de reconnaître ce que sont ses intérêts bien compris."

    "Le problème essentiel de toutes les variantes de philosophie sociale universaliste, collectiviste et holistique, réside en ceci : A quel signe reconnaîtrai-je le vrai Droit, l'authentique messager de la parole de Dieu, et l'autorité légitime ? Car beaucoup prétendent que la Providence les a envoyés, mais chacun de ces prophètes prêche un autre évangile. Pour le fidèle croyant il ne peut y avoir aucun doute ; il est pleinement confiant d'avoir épousé la seule vraie doctrine. Mais c'est précisément la fermeté de telles convictions qui rend les antagonismes insolubles. Chaque parti est résolu à faire prévaloir ses propres conceptions. Mais comme l'argumentation logique ne peut décider entre diverses croyances opposées, il ne reste pour régler de telles disputes que le conflit armé. Les doctrines sociales non rationalistes non utilitariennes et non libérales doivent engendrer conflits armés et guerres civiles jusqu'à ce que l'un des adversaires soit anéanti ou soumis. L'histoire des grandes religions mondiales est un répertoire de batailles et de guerres, comme l'histoire contemporaine des pseudo-religions que sont le socialisme, la statolatrie et le nationalisme.

    L'intolérance, la propagande appuyée par l'épée du bourreau ou du soldat sont inhérentes à n'importe quel système d'éthique hétéronome. Les lois de Dieu ou de la Destinée revendiquent une validité universelle : et aux autorités qu'elles déclarent légitimes tous les hommes doivent, de droit, l'obéissance. Aussi longtemps que le prestige des codes de moralité hétéronomes et de leur corollaire philosophique, le réalisme conceptualiste, demeura inentamé, il ne put absolument pas être question de tolérance et de paix durable. Lorsque les combats cessaient, c'était seulement pour rassembler de nouvelles forces en vue de nouvelles batailles. L'idée de tolérance envers les vues divergentes d'autrui ne pouvait prendre racine qu'à partir du moment où les doctrines libérales eurent brisé le maléfice de l'universalisme. Sous l'éclairage de la philosophie utilitarienne, la société et l'État n'apparaissent plus comme des institutions pour le maintien d'un ordre du monde qui, pour des considérations cachées à l'esprit des hommes, plait à la Divinité bien qu'il heurte manifestement les intérêts temporels de beaucoup, voire de l'immense majorité des vivants d'aujourd'hui. Société et État sont au contraire les moyens primordiaux par lesquels les gens peuvent atteindre des buts qu'ils se fixent de leur propre gré. Ce sont des créations de l'effort humain ; leur maintien et leur organisation la plus convenable sont des tâches non essentiellement différentes de tous les autres objectifs de l'agir humain. Les tenants d'une moralité hétéronome et de la doctrine collectiviste ne peuvent compter démontrer par le raisonnement systématique l'exactitude de leur assortiment spécial de principes éthiques, la supériorité et la légitimité exclusive de leur idéal social particulier. Ils sont obligés de demander aux gens d'accepter avec crédulité leur système idéologique et de se soumettre à l'autorité qu'ils considèrent comme la bonne
    ."

    "Bien entendu, il y aura toujours des individus et des groupes d'individus dont l'intellect est si borné qu'ils ne peuvent saisir les avantages que leur apporte la coopération sociale. Il en est d'autres dont la fibre morale et la force de volonté sont si faibles qu'ils ne peuvent résister à la tentation de rechercher un avantage éphémère par des actions nuisibles à un fonctionnement aisé du système social. Car l'ajustement de l'individu aux exigences de la coopération sociale demande des sacrifices. Ces derniers, à vrai dire, sont seulement des sacrifices momentanés et apparents, car ils sont compensés largement par les avantages incomparablement plus grands que fournit la vie en société. Toutefois, dans l'instant, dans l'acte même de renoncer à la jouissance escomptée, ils sont pénibles ; il n'est pas donné à tout le monde de comprendre leurs bienfaits ultérieurs, et de se comporter en conséquence. L'anarchisme pense que l'éducation pourrait amener tout un chacun à comprendre ce que son propre intérêt exige qu'il fasse ; correctement instruits, les gens se conformeraient toujours de bon gré aux règles de conduite indispensables à la préservation de la société. Les anarchistes soutiennent qu'un ordre social où personne n'aurait de privilège aux dépens de ses concitoyens pourrait exister sans aucune contrainte ni répression empêchant l'action nuisible à la société. Une telle société idéale pourrait se passer d'État et de gouvernement, c'est-à-dire de la police qui est l'appareil social de contrainte et coercition.

    Les anarchistes méconnaissent le fait indéniable que certaines personnes sont trop bornées ou trop faibles pour s'ajuster spontanément aux conditions de la vie en société. Même si nous admettons que tout adulte sain est doté de la faculté de comprendre l'avantage de vivre en société et d'agir en conséquence, il reste le problème des enfants, des vieux et des fous. Admettons que celui qui agit de façon antisociale doive être considéré comme malade mental et recevoir des soins médicaux. Mais tant que tous ne sont pas guéris, et tant qu'il y a des enfants et des gens retombés en enfance, quelque disposition doit être prise pour qu'ils ne mettent pas en danger la société. Une société selon l'anarchisme serait à la merci de tout individu. La société ne peut exister sans que la majorité accepte que, par l'application ou la menace d'action violente, des minorités soient empêchées de détruire l'ordre social. Ce pouvoir est conféré à l'État ou gouvernement.

    L'État ou gouvernement est l'appareil social de contrainte et de répression. Il a le monopole de l'action violente. Nul individu n'est libre d'user de violence ou de la menace de violence, si le gouvernement ne lui en a conféré le droit. L'État est essentiellement une institution pour la préservation des relations pacifiques entre les hommes. Néanmoins, pour préserver la paix il doit être en mesure d'écraser les assauts des briseurs de paix
    ."

    "La doctrine sociale libérale, fondée sur les enseignements de l'éthique utilitarienne et de l'économie, voit le problème de la relation entre gouvernement et gouvernés sous un angle qui n'est pas celui de l'universalisme et du collectivisme. Le libéralisme admet comme fait que les dirigeants, qui sont toujours une minorité, ne peuvent durablement rester au pouvoir sans l'appui consenti de la majorité des gouvernés. Quel que soit le système de gouvernement, le fondement sur lequel il se construit et se maintient est toujours l'opinion des gouvernés qu'il est plus avantageux à leurs intérêts d'obéir et d'être loyaliste envers ce gouvernement, que de s'insurger et d'établir un autre régime. La majorité a le pouvoir de rejeter un gouvernement impopulaire, et elle se sert de ce pouvoir lorsqu'elle vient à être convaincue que son bien-être l'exige. A long terme, il ne peut y avoir de gouvernement impopulaire. Guerre civile et révolution sont les moyens par lesquels les majorités déçues renversent les gouvernants et les méthodes de gouvernement dont elles ne sont pas satisfaites. Pour préserver la paix civile le libéralisme tend au gouvernement démocratique. La démocratie n'est donc pas une institution révolutionnaire. Au contraire, c'est précisément le moyen d'éviter révolutions et guerres intestines. Elle fournit une méthode pour ajuster pacifiquement le gouvernement à la volonté de la majorité. Lorsque les hommes au pouvoir et leur politique ont cessé de plaire à la majorité du pays, l'élection suivante les élimine et les remplace par d'autres hommes pratiquant d'autres politiques.

    Le principe du gouvernement majoritaire, ou gouvernement par le peuple, tel que le recommande le libéralisme, ne vise pas à la suprématie du médiocre, de l'inculte ou du barbare de l'intérieur. Les libéraux pensent eux aussi qu'une nation devrait être gouvernée par les plus aptes à cette tâche. Mais ils croient que l'aptitude d'un homme à gouverner se démontre mieux en persuadant ses concitoyens qu'en usant de force contre eux.

    Rien ne garantit, évidemment, que les électeurs confieront le pouvoir au candidat le plus compétent. Mais aucun autre système ne peut présenter cette garantie. Si la majorité de la nation est pénétrée de principes pernicieux, si elle préfère des candidats indignes, il n'y a d'autre remède que d'essayer de la faire changer d'idées en exposant de meilleurs principes et en présentant de meilleurs hommes. Une minorité n'obtiendra jamais de succès durables par d'autres méthodes.

    Universalisme et collectivisme ne peuvent accepter cette solution démocratique au problème du pouvoir. Dans leur optique, lorsque l'individu obéit au code éthique, ce n'est pas au bénéfice direct de ses projets temporels ; au contraire, il renonce à atteindre ses objectifs propres, pour servir les desseins de la Divinité, ou ceux de la collectivité en bloc. Au surplus, la raison seule n'est pas capable de concevoir la suprématie des valeurs absolues et la validité absolue de la loi sacrée, ni d'interpréter correctement les canons et commandements. Par conséquent c'est, à leurs yeux, une tâche sans espoir que d'essayer de convaincre la majorité à force de persuasion et de la conduire dans le droit chemin par d'amicales admonitions. Les bénéficiaires de l'inspiration céleste, auxquels leur charisme a conféré l'illumination, ont le devoir de propager la bonne nouvelle parmi les dociles et d'employer la violence contre les intraitables. Le guide charismatique est le lieutenant de la Divinité, le mandataire du tout collectif, l'instrument de l'Histoire. Il est infaillible, il a toujours raison. Ses ordres sont la norme suprême.

    Universalisme et collectivisme sont par nécessité des systèmes de gouvernement théocratique. La caractéristique commune de toutes leurs variantes est qu'elles postulent l'existence d'une entité suprahumaine à laquelle les individus sont tenus d'obéir. Ce qui les différencie les unes des autres est seulement l'appellation qu'elles donnent à cette entité et le contenu des lois qu'elles promulguent en son nom. Le pouvoir dictatorial d'une minorité ne peut trouver d'autre légitimation que l'appel à un mandat prétendument reçu d'une autorité suprahumaine absolue. Il est sans importance que l'autocrate fonde ses prétentions sur le droit divin des rois qui ont reçu le sacre, ou sur la mission historique d'avant-garde du prolétariat ; ni que l'être suprême soit dénommé Geist (Hegel) ou Humanité (Auguste Comte). Les termes de société et d'État tels que les emploient les adeptes contemporains du socialisme, de la planification, du contrôle social de toutes les activités individuelles, ont la signification d'une divinité. Les prêtres de cette nouvelle religion assignent à leur idole tous les attributs que les théologiens attribuent à Dieu : toute-puissance, omniscience, infinie bonté, etc
    ."

    "Les adorateurs de l'État proclament l'excellence d'un État défini, c'est-à-dire le leur ; les nationalistes, l'excellence de leur propre nation. Si des protestataires défient leur programme particulier en proclamant la supériorité d'une autre idole collectiviste, ils ne recourent à aucune autre réplique que de répéter sans cesse : Nous avons raison parce qu'une voix intérieure nous dit que nous avons raison et vous avez tort. Les conflits entre les collectivistes de confessions ou de sectes antagonistes ne peuvent être résolus par la discussion rationnelle ; ils doivent être tranchés par les armes."

    "La philosophie communément appelée individualisme est une philosophie de coopération sociale et d'intensification croissante des relations sociales complexes. De l'autre côté, l'application des idées de base du collectivisme ne peut mener à rien d'autre que la désintégration sociale et la lutte armée à perpétuité."

    "Les empires millénaristes des dictateurs sont voués à l'échec ; ils n'ont jamais duré plus que quelques années. Nous avons été témoins de l'effondrement de plusieurs de ces ordres bâtis pour des milliers d'années. Ceux qui restent ne feront guère mieux."

    "Praxéologie et libéralisme
    Le libéralisme, dans l'acception du mot au XIXe siècle, est une doctrine politique. Ce n'est pas une théorie, mais une application des théories développées par la praxéologie et spécialement par l'économie, à des problèmes spéciaux de l'agir humain au sein de la société.

    En tant que doctrine politique, le libéralisme n'est pas neutre à l'égard des valeurs et des fins ultimes poursuivies dans l'action. Il considère a priori que tous les hommes ou au moins la majorité des gens sont désireux d'atteindre certains buts. [...] Alors que la praxéologie et donc l'économie aussi emploient les termes de bonheur et d'élimination de gênes, en un sens purement formel, le libéralisme leur attache une signification concrète. Il pose au départ que les gens préfèrent la vie à la mort, la santé à la maladie, l'alimentation à l'inanition, l'abondance à la pauvreté
    ."

    "Les libéraux ne dédaignent pas les aspirations intellectuelles et spirituelles de l'homme. Au contraire. Ils sont animés d'un zèle passionné pour la perfection intellectuelle et morale, pour la sagesse et l'excellence esthétique. Mais leur vision de ces hautes et nobles choses est loin des représentations sommaires de leurs adversaires. Ils ne partagent pas l'opinion naïve de ceux qui croient qu'un quelconque système d'organisation sociale puisse, de soi, réussir à encourager la pensée philosophique ou scientifique, à produire des chefs-d'œuvre d'art et de littérature, ni à rendre les multitudes plus éclairées. Ils comprennent que tout ce que la société peut effectuer dans ces domaines est de fournir un milieu qui ne dresse pas des obstacles insurmontables sur les voies du génie, et qui libère suffisamment l'homme ordinaire des soucis matériels pour qu'il porte intérêt à autre chose qu'à gagner son pain quotidien. A leur avis, le plus important moyen de rendre l'homme plus humain, c'est de combattre la pauvreté. La sagesse, la science et les arts s'épanouissent mieux dans un monde d'abondance que parmi des peuples miséreux.

    C'est déformer les faits que de reprocher à l'ère libérale un prétendu matérialisme. Le XIXe siècle n'a pas été seulement celui d'un progrès sans précédent des méthodes techniques de production, et du bien-être matériel des multitudes. Il a fait bien davantage que d'accroître la durée moyenne de la vie humaine. Ses réalisations scientifiques et artistiques sont impérissables. Ce fut une ère fertile en très grands musiciens, écrivains, poètes, peintres et sculpteurs ; elle a révolutionné la philosophie, l'économie, les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie. Et pour la première fois dans l'histoire, elle a rendu les grandes œuvres et les grandes pensées accessibles à l'homme du commun
    ."

    "En séparant Eglise et État, le libéralisme établit la paix entre les diverses factions religieuses et assure à chacune d'elles la possibilité de prêcher son évangile sans être molestée.

    Le libéralisme est rationaliste. Il affirme qu'il est possible de convaincre l'immense majorité que la coopération pacifique dans le cadre de la société sert les intérêts bien compris des individus, mieux que la bagarre permanente et la désintégration sociale. Il a pleine confiance en la raison humaine. Peut-être que cet optimisme n'est pas fondé, et que les libéraux se sont trompés. Mais, en ce cas, il n'y a pas d'espoir ouvert dans l'avenir pour l'humanité
    ."

    "Chaque pas en avant dans la voie d'un système plus élaboré de division du travail sert les intérêts de tous les participants."

    "Ni l'histoire, ni l'ethnologie, ni aucune autre branche du savoir ne peut fournir de description de l'évolution qui a conduit des bandes ou des hordes des ancêtres non-humains du genre humain, jusqu'aux groupes sociaux primitifs, mais déjà hautement différenciés, sur lesquels une information nous est apportée par les abris sous roche, par les plus anciens documents de l'histoire, et par les rapports des explorateurs et voyageurs qui ont rencontré des tribus sauvages. La tâche de la science, face aux origines de la société, ne peut consister qu'à démontrer quels facteurs peuvent et doivent avoir pour résultat l'association et son intensification progressive. La praxéologie résout le problème. Si le travail en division des tâches est plus productif que le travail isolé, et dans la mesure où il l'est ; si en outre l'homme est capable de comprendre ce fait, et dans la mesure où il l'est ; alors l'agir humain tend de lui-même vers la coopération et l'association ; l'homme devient un être social non pas en sacrifiant ses propres intentions au profit d'un Moloch mythique, la Société ; mais en visant à améliorer son propre bien-être. L'expérience enseigne que cette condition — la productivité supérieure obtenue par la division du travail — est réalisée parce que sa cause — l'inégalité innée des individus, et l'inégale répartition géographique des facteurs naturels de production — est réelle. Ainsi nous sommes en mesure de comprendre le cours de l'évolution sociale."

    "La loi du coût comparatif est indépendante de la théorie classique de la valeur, tout comme l'est la loi des rendements à laquelle elle ressemble par le raisonnement."

    "Lorsque la praxéologie parle de l'individu isolé, agissant pour son propre compte et indépendant de ses semblables humains, elle le fait en vue d'une meilleure compréhension des problèmes de coopération sociale. Nous n'affirmons pas que de tels êtres humains, isolés, autarciques, aient jamais vécu ni que la phase sociale de l'histoire humaine ait été précédée par une ère où les individus indépendants auraient rôdé comme des animaux en quête de nourriture."

    "La condition naturelle de l'homme, c'est une pauvreté et une insécurité extrêmes. C'est du radotage romantique, que de déplorer la disparition des jours heureux de la barbarie primitive. S'ils avaient vécu à l'état sauvage, ces protestataires n'auraient pas atteint l'âge adulte, ou s'ils l'avaient atteint auraient été privés des possibilités et des agréments fournis par la civilisation."

    "L'attraction mutuelle entre mâle et femelle est inhérente à la nature animale de l'homme, et indépendante de toute réflexion et théorisation. Il est admissible qu'on la qualifie d'originaire, végétative, instinctive, ou mystérieuse ; il n'y a aucun mal dans l'affirmation métaphorique qu'elle fait de deux êtres un seul. Nous pouvons la nommer une communion mystique de deux corps, une communauté. Néanmoins, ni la cohabitation, ni ce qui la précède et la suit, n'engendre la coopération sociale et les modes sociaux de la vie. Les animaux aussi se joignent en couples, mais ils n'ont pas élaboré de relations sociales. La vie de famille n'est pas simplement un produit des rapports sexuels. Il n'est en aucune façon naturel et nécessaire que parents et enfants vivent ensemble comme ils le font dans la famille. La relation de couple ne résulte pas nécessairement en une organisation familiale. La famille humaine est un résultat de la pensée, du projet, de l'action. Voilà le fait qui la distingue radicalement de ces groupes animaux que nous appelons par analogie des familles animales.

    L'expérience mystique de communion ou communauté n'est pas la source des relations sociales, mais leur produit
    ."

    "La coopération sociale n'a rien à voir avec l'amour personnel ou avec un commandement général de nous aimer les uns les autres. Les gens ne coopèrent pas dans un cadre de division des tâches parce qu'ils s'aiment ou devraient s'aimer les uns les autres. Ils coopèrent parce que cela sert mieux leur intérêt propre. Ce n'est ni l'amour, ni la charité, ni aucun autre sentiment de sympathie, mais l'égoïsme bien compris qui a été le mobile originel par lequel l'homme a été poussé à s'ajuster aux exigences de la société, à respecter les droits et libertés de ses semblables et à substituer la collaboration pacifique à l'inimitié et au conflit."

    "Le choix fait par les pères n'entame pas la liberté qu'ont les fils de choisir. Ils peuvent renverser ce qui était résolu. Chaque jour, ils peuvent procéder à l'inversion des valeurs et préférer la barbarie à la civilisation, ou, dans le langage de certains auteurs, l'âme à l'intellect, les mythes à la raison, et la violence à la paix."

    "Les jugements de valeur sont subjectifs, et la société libérale reconnaît à tout le monde le droit d'exprimer ses sentiments librement. La civilisation n'a pas extirpé le penchant originel à l'agression, le goût du sang et la cruauté qui caractérisaient l'homme primitif. Dans bien des hommes civilisés ils sommeillent, et font irruption aussitôt que cèdent les barrières posées par la civilisation. [...] Les romans et films les plus populaires sont ceux où il y a du sang versé et des actes de violence. Les combats de coqs et courses de taureaux attirent de grandes foules."

    "Les décisions finales sont aux mains des hommes quand ils agissent, non aux mains des théoriciens."

    "Il est exact que le mouvement libéral et démocratique des XVIIIe et XIXe siècles tira une grande partie de sa force de la théorie de la loi naturelle et des droits innés et imprescriptibles de l'individu. Ces idées, développées tout d'abord par la philosophie antique et par la théologie juive, imprégnèrent la pensée chrétienne. Certaines sectes anti-catholiques en firent le point focal de leurs programmes politiques. Une longue lignée de philosophes éminents les étoffèrent. Elles devinrent populaires et constituèrent le plus puissant moteur de l'évolution vers la démocratie. Elles ont encore leurs adeptes aujourd'hui. Leurs partisans ne sont pas embarrassés par le fait incontestable que Dieu ou la nature n'aient pas créés les hommes égaux puisque beaucoup viennent au monde pleins de santé et de vitalité tandis que d'autres sont estropiés et difformes. Pour eux, toutes les différences entre les hommes sont dues à l'éducation, à la chance et aux institutions sociales.

    Mais les thèses de la philosophie utilitarienne et de l'économie classique n'ont absolument rien à voir avec la doctrine du droit naturel. Pour elles le seul point qui compte est l'utilité sociale. Elles recommandent un gouvernement populaire, la propriété privée, la tolérance et la liberté non parce que cela est naturel et juste, mais parce que cela est bénéfique
    ."

    "Les utilitariens ne combattent pas le gouvernement arbitraire et les privilèges parce qu'ils sont contraires à la loi naturelle mais parce qu'ils sont nuisibles à la prospérité. Ils recommandent l'égalité devant la loi civile, non parce que les hommes sont égaux, mais parce qu'une telle politique est avantageuse pour le bien commun."

    "La vérité évidente est que la raison, qui est le trait le plus caractéristique de l'homme, est elle aussi un phénomène biologique. Elle n'est ni plus ni moins naturelle que n'importe quel autre trait de l'espèce homo sapiens, tels que la station debout ou la peau sans fourrure."

    "En ce qui concerne les choses de l'au-delà il ne peut y avoir d'accord. Les guerres de religion sont les plus terribles des guerres parce qu'elles sont faites sans aucune perspective de conciliation."

    "Un parti est condamné quand la futilité des moyens recommandés devient manifeste. Les chefs de partis, dont le prestige et la carrière politique sont liés au programme du parti, peuvent avoir d'amples motifs de refuser que ses principes soient mis ouvertement en discussion ; ils peuvent leur attribuer le caractère de fins ultimes, qui ne peuvent être mises en question parce qu'elles reposent sur une vision du monde. Mais les gens dont les chefs de partis prétendent être mandatés, les électeurs qu'ils cherchent à enrôler et pour les votes de qui ils font campagne, ont une autre vue des choses. Rien ne leur paraît interdire d'examiner et juger tous les points du programme d'un parti. Ils considèrent un tel programme comme une simple recommandation de moyens pour atteindre leurs propres fins, à savoir leur bien-être sur terre."

    "Les désaccords en matière de foi religieuse ne peuvent être résolus par des méthodes rationnelles. Les conflits religieux sont par essence implacables et irréconciliables."

    "Un examen critique des systèmes philosophiques élaborés par les grands penseurs de l'humanité a très souvent révélé des fissures et des failles dans l'impressionnante structure de ces édifices, apparemment logiques et cohérents, de pensée universelle. Même un génie, en dessinant une conception du monde, ne peut éviter parfois des contradictions et des syllogismes fautifs."

    "Les hommes doivent réfléchir à fond à tous les problèmes impliqués, jusqu'au point au-delà duquel l'esprit humain ne peut plus avancer. Ils ne doivent jamais en rester passivement aux solutions transmises par les générations précédentes, ils doivent toujours remettre en question toute théorie et tout théorème, ils ne doivent jamais relâcher leur effort pour balayer les idées fausses et trouver la meilleure connaissance possible. Ils doivent combattre l'erreur en démasquant les doctrines bâtardes et en exposant la vérité."

    "Un système durable de gouvernement doit reposer sur une idéologie acceptée par la majorité."

    "L'on doit se garder de l'erreur fatale, qui consiste à confondre changement avec amélioration."

    "Dans un monde contractuel divers États peuvent coexister. Dans un monde hégémonique, il ne peut y avoir qu'un seul Reich ou République et un seul dictateur. Le socialisme doit choisir : ou bien de renoncer aux avantages d'une division du travail s'étendant à toute la terre et à tous les peuples, ou bien d'établir un ordre hégémonique embrassant le monde entier. C'est ce fait qui a rendu le bolchevisme russe, le nazisme allemand et le fascisme italien « dynamiques », c'est-à-dire agressifs. Dans une mentalité contractuelle, les empires se dissolvent en ligues fort lâches de nations autonomes. Le système hégémonique est voué à tenter d'annexer tous les états indépendants."

    "Toutes les catégories praxéologiques sont intemporelles et immuables, en ce qu'elles sont uniquement déterminées par la structure logique de l'esprit humain et par les conditions naturelles de l'existence humaine."

    "Il n'y a pas d'histoire de l'agir ; il n'y a aucune évolution qui conduirait du non-agir à l'agir, aucun stade intermédiaire entre action et non-action."

    "La valeur était considérée comme objective, comme une qualité intrinsèque aux choses et non pas simplement une expression des désirs d'intensité variable qu'ont les gens de les acquérir. Les gens, supposait-on, commencent par établir le degré de valeur propre aux biens et services, par une opération de mesure, et ensuite les troquent contre des biens et services de même valeur. Cette méprise condamna à l'échec la saisie des problèmes économiques par Aristote, et pendant près de deux mille ans faussa le raisonnement de tous ceux pour qui les opinions d'Aristote faisaient autorité. Elle vicia sérieusement les merveilleuses réalisations des économistes classiques et rendit entièrement futiles les écrits de leurs épigones, spécialement ceux de Marx et des marxistes. La base de la science économique moderne est la notion que c'est précisément la disparité des valeurs attachées aux objets de l'échange qui provoque leur échange. Les gens achètent et vendent seulement parce qu'ils apprécient ce qu'ils donnent moins que ce qu'ils reçoivent. Ainsi l'idée de mesurer la valeur est vaine."

    "L'information relatant un prix passé fournit la connaissance d'un ou plusieurs actes d'échange interpersonnel qui ont eu lieu conformément à ce taux. Elle ne fournit aucune indication sur des prix futurs."

    "Le calcul économique est aussi efficace qu'il peut l'être. Aucune réforme ne peut ajouter à son efficacité. Il rend à l'homme, dans son action, tous les services que l'on peut tirer de la computation numérique. Il ne constitue évidemment pas un moyen de connaître avec certitude des situations futures, il n'enlève pas à l'action son caractère de spéculation. Mais cela ne peut être considéré comme un défaut que par ceux qui ne parviennent pas à comprendre ces réalités : que la vie n'est pas rigide, que toutes choses sont perpétuellement mouvantes, et que les hommes n'ont aucune connaissance assurée du futur."

    "Il est possible de déterminer en termes de prix monétaires la somme des revenus ou des richesses d'un certain nombre de gens. Mais chiffrer un revenu national ou la richesse d'une nation n'a point de sens ; dès que l'on s'engage dans des considérations étrangères au raisonnement d'un homme opérant dans le cadre d'une société de marché, nous ne pouvons plus nous appuyer sur les méthodes de calcul monétaire. Les tentatives pour définir en monnaie la richesse d'une nation ou du genre humain entier sont un enfantillage du même genre que les efforts mystiques pour résoudre les énigmes de l'univers en méditant sur les dimensions de la pyramide de Chéops. Si un calcul économique évalue un stock de pommes de terre à 100 $, l'idée est qu'il sera possible de le vendre ou de le remplacer pour cette somme-là. Si une unité d'entreprise complète est estimée à 1 million de dollars, cela signifie que l'on escompte la vendre pour ce montant. Mais quelle est la signification des éléments comptés dans la richesse totale d'une nation ? Quelle est la portée du résultat final de la computation ? Qu'est-ce qui doit y être compris, qu'est-ce qui doit être écarté ? Est-il correct ou non d'y comprendre la « valeur » du climat, les aptitudes innées du peuple et ses talents acquis ? L'homme d'affaires peut convertir en monnaie sa propriété, une nation ne le peut pas."

    "L'expérience journalière apprend aux gens que les taux d'échange du marché sont changeants. L'on pourrait penser que leurs idées concernant les prix tiendraient pleinement compte de ce fait. Néanmoins, toutes les notions populaires sur la production et la consommation, la commercialisation et les prix sont plus ou moins contaminées par une idée vague et contradictoire de rigidité des prix. Le profane est enclin à considérer le maintien de la structure des prix de la veille comme normal et équitable à la fois ; et à condamner les changements dans le taux des échanges comme une atteinte aux lois de la nature et à celles de la justice."

    "L'homme lui-même change de moment en moment, et ses évaluations, ses volitions et ses actes changent avec lui. Dans le domaine de l'agir rien n'existe de perpétuel, sinon le changement. Il n'y a pas de point fixe dans cette incessante fluctuation, hormis les catégories aprioristiques et immuables de l'agir."

    "Une ménagère avisée sait bien plus de choses sur les variations de prix qui affectent son foyer que les moyennes statistiques n'en peuvent dire."

    "Le cours de l'Histoire est une succession de changements. Il est hors du pouvoir de l'homme de l'arrêter, et d'inaugurer une ère de stabilité où toute histoire cesserait de se dérouler. C'est la nature de l'homme que de s'efforcer vers un mieux, de former de nouvelles idées et de réaménager ses conditions d'existence conformément à ces idées."

    "Ce que requiert le calcul économique, c'est un système monétaire dont le fonctionnement ne soit pas saboté par les immixtions du gouvernement. Les efforts pour augmenter la quantité de monnaie en circulation, soit en vue d'accroître pour le gouvernement les possibilités de dépenser, soit en vue de provoquer un abaissement momentané du taux d'intérêt, disloquent les phénomènes monétaires et désaxent le calcul économique. Le premier objectif de la politique monétaire doit être d'empêcher les gouvernements de s'engager dans l'inflation et de créer des situations qui encouragent les banques à étendre le crédit. [...] En faveur du calcul économique, tout ce qui est requis est d'éviter de grandes et brusques fluctuations dans l'offre de monnaie. L'or et, jusqu'au milieu du XIXe siècle, l'argent ont servi fort bien tous les buts du calcul économique."

    "Le système de libre entreprise a été affublé du nom de capitalisme pour le dénigrer et l'avilir. Cependant ce terme peut être considéré comme très pertinent. Il évoque le trait le plus typique du système, sa caractéristique saillante, à savoir le rôle que la notion de capital joue dans son pilotage.

    Il y a des gens auxquels le calcul économique répugne. Ils ne désirent pas être tirés de leurs songes éveillés par la voix critique de la raison. La réalité les indispose, ils languissent d'un royaume où le possible n'aurait aucune borne.
    Ils sont dégoûtés par la médiocrité d'un ordre social dans lequel tout est sagement compté en francs et centimes. Leurs grognements leur semblent l'honorable comportement digne des amis de l'esprit, de la beauté et de la vertu, opposé à la mesquinerie sordide et à la bassesse d'esprit du monde de Babbitt. Pourtant, le culte de la beauté et de la vertu, la sagesse et la poursuite de la vérité ne sont pas entravés par la rationalité de l'esprit qui compte et calcule. Seule la rêverie romantique est gênée dans son exercice par un milieu de critique sans passion. Le calculateur à tête froide est le censeur sévère du visionnaire extatique.

    Notre civilisation est inséparablement liée à nos méthodes de calcul économique. Elle périrait si nous allions renoncer à cet outil d'action intellectuel précieux entre tous. Goethe avait raison d'appeler la comptabilité en partie double « l'une des plus belles inventions de l'esprit humain »
    ."

    "Le premier système d'ensemble de la théorie économique — cet éclatant résultat atteint par les économistes classiques — fut essentiellement une théorie de l'action calculée. Elle traçait implicitement une frontière entre ce qui doit être considéré comme économique et extra-économique, suivant une ligne qui sépare l'action calculée en termes de monnaie et le reste de l'agir. Partant de cette base, les économistes devaient élargir, pas à pas, le champ de leurs études jusqu'à développer enfin un système traitant de tous les choix humains, une théorie générale de l'action."

    "L'économie élargit son horizon et se change en une science générale de toute et de chaque action de l'homme, elle devient praxéologie. La question qui se présente est celle du moyen de distinguer avec précision, à l'intérieur du domaine plus large de la praxéologie générale, un terrain plus restreint des problèmes spécifiquement économiques."

    "Celui qui conteste l'existence de l'économie nie virtuellement que le bien-être de l'homme soit perturbé par la rareté de facteurs extérieurs. Tout le monde, affirme-t-il implicitement, pourrait jouir de la parfaite satisfaction de tous ses désirs, pourvu qu'une réforme parvienne à surmonter certains obstacles engendrés par de malhabiles institutions faites de main d'homme. La nature est prodigue de biens, elle comble sans mesure de ses dons le genre humain. La situation pourrait être paradisiaque pour un nombre illimité de gens. La rareté est le résultat artificiel des pratiques établies. L'abolition de ces pratiques aboutirait à l'abondance.

    Dans la doctrine de Marx et de ses disciples, la rareté est une catégorie historique seulement. Elle est la caractéristique de l'histoire primitive de l'humanité, qui sera pour toujours liquidée par l'abolition de la propriété privée. Lorsque l'humanité aura effectué le saut du domaine de la nécessité dans le domaine de la liberté et ainsi atteint « la phase supérieure de la société communiste », il y aura abondance et conséquemment il sera faisable de donner « à chacun selon ses besoins ». Il n'y a dans la vaste marée des écrits marxistes pas la moindre allusion à la possibilité qu'une société communiste dans sa « plus haute phase » se trouve confrontée à une rareté des facteurs naturels de production. Le fait de l'indésirabilité du travail est évaporé par l'assertion que travailler sous le communisme, bien entendu, ne sera plus désormais un désagrément mais un plaisir, « la nécessité primordiale de la vie ». Les regrettables réalités rencontrées par « l'expérience » russe sont interprétées comme causées par l'hostilité des capitalistes, par le fait que le socialisme en un seul pays n'est pas encore complet et donc ne pouvait pas établir la « phase supérieure », et plus récemment, par la guerre.

    Puis il y a les inflationnistes radicaux tels que, par exemple, Proudhon et Ernest Solvay. A leur avis la rareté est créée par les bornes artificielles opposées à l'expansion du crédit et autres méthodes pour accroître la quantité de monnaie en circulation, bornes inculquées au crédule public par les égoïstes intérêts de classe des banquiers et autres exploiteurs. Ils recommandent comme panacée que les dépenses publiques soient illimitées.

    Tel est le mythe de l'abondance et prospérité potentielles
    . L'économie peut laisser aux historiens et aux psychologues le soin d'expliquer la popularité de cette façon de prendre ses désirs pour des réalités et de se complaire dans des rêves éveillés. Tout ce que l'économie a à dire de ce vain bavardage est que l'économie s'occupe des problèmes que l'homme rencontre du fait que sa vie est conditionnée par des facteurs naturels. Elle étudie l'agir, c'est-à-dire les efforts conscients pour écarter autant que possible une gêne éprouvée. Elle n'a rien à déclarer quant à la situation dans un univers irréalisable, et même inconcevable pour la raison humaine, où les facilités n'auraient aucune limite. Dans un tel monde, l'on peut admettre qu'il n'y aurait ni loi de la valeur, ni rareté, ni problèmes économiques. Ces choses-là seront absentes parce qu'il n'y aura pas de choix à faire, pas d'action, pas de tâches à mener à bonne fin par la raison. Des êtres qui se seraient épanouis dans un tel monde n'auraient jamais développé le raisonnement et la réflexion. Si jamais un monde de ce genre se trouvait donné aux descendants de la race humaine, ces êtres bienheureux verraient leur capacité de penser s'atrophier et ils cesseraient d'être humains. Car la tâche primordiale de la raison est d'affronter consciemment les limitations qu'impose à l'homme la nature, elle est de lutter contre la rareté. L'homme pensant et agissant est le produit d'un univers de rareté dans lequel n'importe quelle sorte de bien-être obtenu est la récompense de l'effort et de la peine, comportement que l'on appelle communément économique
    ."

    "La formule essentielle pour l'agencement de modèles théoriques consiste à abstraire de l'opération certaines des conditions présentes dans l'action réelle. Nous sommes alors en mesure d'identifier les conséquences hypothétiques de l'absence de ces conditions et de concevoir l'effet de leur présence. Ainsi nous concevons la catégorie de l'agir en construisant l'image d'une situation où il n'y a pas d'action, soit parce que l'individu est entièrement satisfait et n'éprouve aucune gêne soit parce qu'il ne connaît aucun processus d'où il pourrait escompter une amélioration de son bien-être (de son état de satisfaction). Ainsi nous pouvons concevoir la notion d'intérêt originaire, à partir d'une construction imaginaire dans laquelle aucune distinction n'est faite entre des satisfactions obtenues pendant des périodes de temps d'égale durée, mais inégales quant à la distance du moment de l'action.

    La méthode des modèles théoriques est indispensable à la praxéologie ; c'est la seule méthode d'investigation en praxéologie et en économie. C'est assurément une méthode difficile à manier parce qu'elle peut aisément conduire à des syllogismes fallacieux. Elle chemine sur une crête étroite ; de chaque côté bâille l'abîme de l'absurde et de l'incohérent. Seul un impitoyable esprit d'autocritique peut éviter â quelqu'un de tomber tête en avant dans ces gouffres sans fond
    ."

    "Ce que fait un homme est toujours orienté vers un accroissement de sa propre satisfaction. En ce sens — et en aucun autre — nous sommes libres d'employer le terme d'égoïsme et de souligner que l'action est toujours nécessairement égoïste. Même une action visant directement à améliorer la situation d'autres gens est égoïste. L'acteur considère comme plus satisfaisant pour lui-même de faire que d'autres mangent plutôt que de manger lui-même. Ce qui le gêne est la conscience du fait que d'autres sont dans le besoin."

    "Il a été affirmé que les besoins physiologiques de tous les hommes sont de la même nature, et que cette égalité-là fournit un étalon pour mesurer le degré de satisfaction objective. En exprimant de telles opinions et en recommandant l'emploi de tels critères pour guider la politique des gouvernements, l'on propose d'agir envers des hommes comme l'éleveur envers son bétail. Mais les réformateurs ne comprennent pas qu'il n'existe aucun principe universel d'alimentation valable pour tous les hommes. D'entre les divers principes, celui que l'on choisit dépend des buts que l'on veut atteindre. L'éleveur ne nourrit pas ses vaches dans le but de les rendre heureuses, mais en vue des destinations qu'il leur assigne dans ses propres plans. Il peut préférer plus de lait ou plus de viande ou quelque autre chose. Quel type d'hommes l'éleveur d'hommes désire-t-il élever ? Des athlètes ou des mathématiciens ? Des guerriers ou des ouvriers d'usine ? Celui qui voudrait faire de l'homme le matériau d'un système dirigé d'élevage et de mise en forme physique s'arrogerait des pouvoirs despotiques et emploierait ses concitoyens comme des moyens pour atteindre des fins à lui, qui diffèrent de celles qu'eux-mêmes poursuivent."

    "Le prix de marché est un phénomène réel ; c'est le taux d'échange qui a été appliqué dans la transaction accomplie. [...] Les prix de marché sont des faits historiques."

    "Un investissement absolument sûr, cela n'existe pas."

    "Il est gênant que le même mot serve à désigner deux notions différentes."

    "L'économie de marché est le système social de division du travail, avec propriété privée des moyens de production. Chacun agit pour son propre compte ; mais les actions de chacun visent à satisfaire les besoins d'autrui tout autant que la satisfaction des siens. Chacun en agissant sert ses semblables. Chacun, d'autre part, est servi par ses concitoyens. Chacun est à la fois un moyen et un but en lui-même, but final pour lui-même et moyen pour les autres dans leurs efforts pour atteindre leurs propres objectifs.

    Ce système est piloté par le marché. Le marché oriente les activités de l'individu dans les voies où il sert le mieux les besoins de ses semblables. Il n'y a dans le fonctionnement du marché ni contrainte ni répression. L'État, l'appareil social de contrainte et de répression, n'intervient pas dans le marché et dans les activités des citoyens dirigées par le marché. Il emploie son pouvoir d'user de la force pour soumettre les gens, uniquement pour prévenir les actions qui porteraient atteinte au maintien et au fonctionnement régulier de l'économie de marché. Il protège la vie, la santé et la propriété de l'individu contre l'agression violente ou frauduleuse de la part des bandits de l'intérieur et des ennemis de l'extérieur. Ainsi l'État crée et maintient le cadre dans lequel l'économie de marché peut fonctionner en sûreté. Le slogan marxiste de « production anarchique » caractérise avec pertinence cette structure sociale comme un système économique qui n'est pas dirigée par un dictateur, un tsar de la production qui assigne à chacun une tâche et l'oblige à obéir à cet ordre. Chaque homme est libre ; personne n'est le sujet d'un despote. De son propre gré l'individu s'intègre dans le système de coopération. Le marché l'oriente et lui indique de quelle manière il peut le mieux promouvoir son propre bien-être de même que celui des autres gens. Le marché est souverain. Le marché seul met en ordre le système social entier et lui fournit sens et signification.

    Le marché n'est pas un lieu, une chose, ni une entité collective. Le marché est un processus, réalisé par le jeu combiné des actions des divers individus coopérant en division du travail. Les forces qui déterminent l'état — continuellement modifié — du marché sont les jugements de valeur de ces individus et leurs actions telles que les dirigent ces jugements de valeur. L'état du marché à tout moment est la structure des prix, c'est-à-dire la totalité des taux d'échange telle que l'établit l'interaction de ceux qui veulent acheter et de ceux qui veulent vendre. Il n'y a rien qui ne soit de l'homme, rien de mystique en ce qui concerne le marché. Le déroulement du marché est entièrement produit par des actions humaines. Tout phénomène de marché peut être rattaché originairement à des choix précis de membres de la société de marché
    ."

    "Au point de départ de tout progrès vers une existence plus fournie en satisfactions, il y a l'épargne."

    "La notion de capital n'a de sens que dans l'économie de marché. Elle sert aux délibérations et aux calculs d'individus ou groupes d'individus opérant pour leur propre compte dans une économie telle. C'est un instrument pour des capitalistes, des entrepreneurs, des agriculteurs désireux de faire des profits et d'éviter des pertes. Ce n'est pas une catégorie de l'agir total. C'est une catégorie de l'agir dans une économie de marché."

    "Si l'expérience historique pouvait nous enseigner quelque chose, ce serait que la propriété privée est inextricablement liée à la civilisation. Il n'y a pas d'expérience pour dire que le socialisme pourrait fournir un niveau de vie aussi élevé que celui fourni par le capitalisme.

    Le système d'économie de marché n'a jamais été pleinement et purement tenté. Mais dans l'aire de la civilisation occidentale depuis le Moyen Age, a prévalu dans l'ensemble une tendance générale vers l'abolition des institutions entravant le fonctionnement de l'économie de marché. Avec les progrès successifs de cette tendance, les chiffres de population se sont multipliés et le niveau de vie des masses a été porté à une hauteur sans précédent, et jusqu'alors inimaginable. L'ouvrier américain ordinaire jouit d'agréments que Crésus, Crassus, les Médicis et Louis XIV lui eussent enviés.

    Les problèmes soulevés par la critique socialiste et interventionniste de l'économie de marché sont purement économiques et ne peuvent être traités que de la façon où ce livre essaie de le faire : par une analyse approfondie de l'agir humain et de tous les systèmes pensables de coopération sociale. Le problème psychologique de savoir pourquoi les gens raillent et vilipendent le capitalisme, pourquoi ils appellent « capitaliste » tout ce qui leur déplaît, et « socialiste » tout ce qu'ils louent, ce problème concerne l'Histoire et doit être laissé aux historiens
    ."

    "Il y eut et il y aura toujours des gens dont les ambitions égoïstes réclament la protection des situations acquises et qui espèrent tirer avantage des mesures restreignant la concurrence. Des entrepreneurs deviennent vieux et fatigués, et les héritiers décadents de gens qui réussirent dans le passé voient d'un mauvais œil les remuants parvenus qui menacent leur richesse et leur position sociale éminente. Leur désir de rendre rigides les conditions économiques et d'empêcher les améliorations de se réaliser sera ou non exaucé selon le climat de l'opinion publique."

    "Le concept de capitalisme est, en tant que concept économique, immuable ; s'il a un sens, il signifie l'économie de marché."
    -Ludwig von Mises, L'Action humaine. Traité d'économie (1949).


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 15 Mai - 19:14

    "En démocratie politique, seuls les votes émis en faveur du candidat ou du programme qui a obtenu la majorité ont une influence sur le cours des événements politiques. Les votes de la minorité n'influent pas directement sur les politiques suivies. Tandis que sur le marché aucun vote n'est émis en vain. Chaque franc dépensé a le pouvoir d'agir sur les processus de production."

    "Comme il y aura toujours des situations que les hommes évaluent plus hautement que d'autres, les gens s'efforceront d'y parvenir et d'écarter leurs rivaux. La compétition sociale est donc présente dans tout mode imaginable d'organisation sociale."

    "Assigner à chacun sa place propre dans la société, est la tâche des consommateurs. Leurs achats et abstentions d'achat constituent le mécanisme qui détermine la position sociale de chacun. Leur souveraineté n'est amoindrie par aucun privilège conféré aux individus en tant que producteurs. L'entrée dans une branche précise d'activité productrice n'est virtuellement libre pour les nouveaux venus que dans la mesure où les consommateurs approuvent l'expansion de cette branche, pour autant que les nouveaux venus réussissent à supplanter ceux déjà en activité, en répondant mieux ou à meilleur compte aux demandes des consommateurs. Des investissements supplémentaires ne sont raisonnables que dans la mesure où ils comblent les besoins les plus urgents, parmi ceux non encore satisfaits au gré des consommateurs. Si les installations existantes sont suffisantes, ce serait gaspillage que d'investir davantage de capital dans la même industrie. La structure des prix de marché pousse les nouveaux investisseurs vers d'autres branches."

    "Ce dont un nouveau venant a le plus besoin s'il veut porter un défi aux situations acquises des firmes établies de longue date, c'est surtout de la matière grise et des idées. Si son projet est apte à satisfaire les plus urgents d'entre les besoins non encore satisfaits des consommateurs, ou à y pourvoir à un moindre prix que les vieux fournisseurs, il réussira en dépit de tout ce qu'on répète abondamment sur la grandeur et le pouvoir de ces firmes."

    "Un État socialiste qui couvrirait le globe entier serait en possession d'un tel monopole absolu et total ; il aurait le pouvoir d'écraser ses opposants en les affamant à mort."

    "C'est seulement dans le cadre d'un système social qu'un sens peut être attaché au terme de liberté. Comme terme praxéologique, liberté se rapporte à la sphère dans laquelle l'acteur individuel est en mesure de choisir entre des modes d'action substituables. Un homme est libre dans la mesure où il lui est permis de choisir des fins, et les moyens d'y atteindre. La liberté d'un homme est très rigidement bornée par les lois de la nature, autant que par celles de la praxéologie. Il ne peut pas atteindre des fins qui sont incompatibles l'une avec l'autre. S'il choisit de prendre des plaisirs qui produisent des effets déterminés sur le fonctionnement de son corps ou de son esprit, il doit en supporter les conséquences."

    "Un homme qui absorbe du poison se nuit à lui-même. Mais un homme qui choisit de pratiquer le vol porte atteinte à tout l'ordre social. Alors que lui seul jouit des avantages à court terme de son activité, les répercussions néfastes en sont supportées par tout le monde. Son acte est un délit parce que les effets en sont nuisibles à ses semblables."

    "Qui veut rester libre, doit combattre jusqu'à la mort ceux qui projettent de le priver de sa liberté. Comme les efforts isolés de la part de chaque individu sont voués à l'échec, la seule voie praticable est d'organiser la résistance au moyen du gouvernement."

    "Ce qui a fait l'éminence de l'Occident fut précisément sa préoccupation de liberté, idéal social étranger aux peuples orientaux."

    "Le pouvoir implique toujours contrainte et répression et, par nécessité, il est le contraire de la liberté. Le pouvoir n'est un garant de liberté, et n'est compatible avec elle, que si son champ d'action est adéquatement limité à la préservation de ce qu'on appelle la liberté économique."

    "La source ultime d'où dérivent le profit et la perte d'entrepreneur, c'est l'incertitude quant à la constellation future des offres et des demandes."

    "L'homme a, sans nul doute, le pouvoir de détruire beaucoup de choses, et dans le cours de l'Histoire il en a fait ample usage."

    "Ce n'est pas l'affaire des entrepreneurs d'amener les gens à renoncer à des idéologies malsaines pour en adopter de saines. C'est aux philosophes qu'il incombe de changer les idées et les idéaux des gens. L'entrepreneur sert les consommateurs tels qu'ils sont aujourd'hui, même pervers et ignorants."

    "Les épargnants, dont les économies ont constitué et maintiennent le capital, et les entrepreneurs, qui drainent ce capital vers les emplois où il sert le mieux les consommateurs, ne sont pas moins indispensables au processus de production, que les travailleurs de force. Il est dénué de sens d'imputer tout le produit aux apporteurs de travail, et de passer sous silence la contribution des apporteurs de capitaux et d'idées d'entreprise."

    "L'enseignement, quelque avantage qu'il confère, est transmission de doctrines et de valeurs traditionnelles ; il est par nécessité conservateur. Il produit imitation et routine, non pas perfectionnement et progrès. Les innovateurs et les créateurs de génie ne s'élèvent pas dans des écoles. Ce sont précisément les hommes qui remettent en question ce que l'école leur a appris."

    "Production et consommation sont des phases différentes de l'action. La catallactique concrétise ces différences en parlant de producteurs et de consommateurs. Mais en réalité ce sont les mêmes gens. Il est évidemment possible de protéger un producteur peu efficace contre la concurrence de collègues plus efficaces. Un tel privilège confère à celui qui en jouit les avantages que le marché ne fournit qu'à ceux qui parviennent le mieux à satisfaire les désirs des consommateurs. Mais c'est nécessairement au détriment de la satisfaction des consommateurs."

    "Dans les pays d'Europe où l'activité industrielle prédomine, les protectionnistes s'empressèrent d'abord de déclarer que les droits de douane sur les produits agricoles ne portent atteinte qu'aux intérêts des paysans des nations où l'agriculture est l'activité dominante, et aux intérêts des marchands de grains. Il est certain que ces intérêts-là sont lésés aussi. Mais il n'est pas moins certain que les consommateurs du pays qui adopte un tarif protectionniste sont perdants. Ils doivent payer plus cher leur nourriture. Bien entendu, le protectionniste réplique qu'il ne s'agit pas d'un fardeau ; car, argumente t-il, ce que le consommateur national paie en plus augmente le revenu des agriculteurs nationaux et leur pouvoir d'achat ; ils dépenseront tout le surplus reçu pour acheter davantage de produits manufacturés par les secteurs non agricoles de la population. Ce paralogisme peut aisément être réfuté en citant l'anecdote bien connue de l'homme qui demande à l'aubergiste de lui faire don de 10 $ ; l'aubergiste n'y perdra rien puisque le quémandeur lui promet de dépenser toute la somme dans son auberge. Quoi qu'il en soit, la pseudo justification du protectionnisme s'est installée dans l'opinion publique, et cela seul explique la popularité des mesures qui s'en inspirent. Bien des gens ne se rendent simplement pas compte de ce que le seul effet de la protection est de détourner la production des endroits où elle produirait davantage par unité de capital et de travail dépensée, vers des endroits où elle produit moins. La protection rend les gens plus pauvres, et non pas plus prospères."

    "Chaque parti considère comme un complot tortueux dirigé contre son prestige et son avenir, si quelqu'un se risque à mettre en question l'efficacité de ses projets pour rendre plus prospères les membres du groupe. Chaque parti éprouve une haine mortelle envers les économistes qui entreprennent une telle critique."

    "Si la publicité est criarde, tapageuse, vulgaire, si elle jette de la poudre aux yeux, c'est que le public ne réagit pas à des suggestions polies. C'est le mauvais goût du public qui force les annonceurs à faire des campagnes de publicité de mauvais goût."

    "Limiter le droit des hommes d'affaires à recourir à la publicité pour faire connaître leur produit serait restreindre la liberté des consommateurs, de dépenser leur revenu selon leurs besoins et désirs propres. Cela les empêcherait d'apprendre autant qu'ils le peuvent et le désirent, quant à l'état du marché et à des détails qu'ils peuvent considérer comme importants pour choisir ce qu'il faut acheter ou ne pas acheter."

    "Gemeinnutz geht vor Eigennutz (le bien de la nation passe avant l'intérêt personnel), tel était le principe fondamental de la gestion économique selon les nazis."

    "Princes, gouvernants et généraux ne sont jamais spontanément libéraux. Ils ne le deviennent que lorsque les citoyens les y obligent."

    "Ce n'est pas « l'Amérique » qui achète du champagne à « la France ». C'est toujours un Américain individuel qui achète à un Français individuel."

    "La source ultime de la formation des prix réside dans les jugements de valeur des consommateurs."

    "C'est précisément parce que le marché n'a aucun égard pour les situations acquises, que les intéressés réclament l'intervention du gouvernement."

    "Catallactique logique contre catallactique mathématique

    Les problèmes de prix et de coûts ont également été traités par des méthodes mathématiques. Il y a même eu des économistes soutenant que la seule méthode appropriée au traitement des problèmes économiques est la méthode mathématique ; ils traitaient ironiquement les partisans de l'économie logique d'économistes « littéraires ».

    Si cet antagonisme entre les économistes mathématiciens et logiciens était seulement un désaccord sur la procédure la plus adéquate à l'étude scientifique de l'économie, il serait superflu d'y prêter attention. La meilleure méthode ferait la preuve de sa supériorité en montrant de meilleurs résultats. Il se peut aussi que différentes démarches soient nécessaires à la solution de différents problèmes, et que pour certains d'entre eux une méthode soit meilleure qu'une autre.

    Toutefois, ce n'est pas ici une dispute sur des questions d'heuristique, mais une controverse portant sur les fondations de la science économique. La méthode mathématique doit être rejetée, et pas seulement en raison de sa stérilité. C'est une méthode entièrement fautive, partant de postulats faux et conduisant à des déductions fallacieuses. Ses syllogismes ne sont pas seulement stériles ; ils détournent l'esprit de l'étude des problèmes réels et déforment les relations entre les divers phénomènes
    ."

    "Il n'existe rien qui puisse être appelé économie quantitative. Toutes les quantités économiques que nous connaissons sont des données d'histoire économique. Personne de raisonnable ne peut soutenir que la relation entre le prix et l'offre soit constante, ni en général ni concernant certains articles."

    "En praxéologie, le fait premier que nous connaissons, c'est que les hommes tendent consciemment vers un but, lorsqu'ils provoquent un changement. C'est cette connaissance qui est l'élément intégrateur du champ d'étude de la praxéologie et le différencie du champ d'étude des sciences naturelles."

    "Il n'existe aucun moyen d'élever les taux de salaires pour tous ceux qui désirent gagner leur vie comme salariés, au-dessus du niveau déterminé par la productivité de chaque espèce de travail."

    "Ce que cherche un syndicat, c'est de restreindre la compétition dans son propre secteur du marché du travail, afin de faire monter ses taux de salaire[...] Les intérêts des travailleurs non admis dans le syndicat ne sont pas pris en considération. ."

    "Du point de vue du vendeur, la bonne renommée est pour ainsi dire un nécessaire facteur de production. Elle est pourvue d'un prix en conséquence. Peu importe qu'habituellement l'équivalent en argent de la bonne renommée ne soit pas inscrit dans la comptabilité et aux bilans. Quand une affaire est vendue, un prix est payé pour la bonne renommée pourvu qu'il soit possible de la transmettre à l'acquéreur.

    C'est par conséquent un problème de catallactique, que d'étudier la nature de cette chose particulière appelée bonne renommée
    ."

    "Il n'est pas besoin de cartel pour éliminer les établissements produisant à des coûts plus élevés. La concurrence sur un marché libre atteint ce résultat sans l'intervention de quelque monopole et de quelque prix de monopole que ce soit. C'est, au contraire, souvent le but de la cartellisation garantie par l'État, que de préserver l'existence d'usines et d'exploitations agricoles que le libre marché forcerait à cesser de produire, précisément parce que leurs coûts de production sont trop élevés. La liberté de marché aurait, par exemple, éliminé les fermes sous-marginales et maintenu seulement celles dont la production est rémunératrice aux prix courants du marché. Mais le New Deal a préféré un arrangement différent. Il força tous les agriculteurs à réduire proportionnellement leur production. Par cette politique monopolistique il releva les prix des produits agricoles à un niveau qui rendit la production financièrement raisonnable même sur les sols submarginaux."

    "Un dictateur peut juger absurde la conduite des consommateurs. Pourquoi les femmes ne s'habilleraient-elles pas d'uniformes comme des soldats ? Pourquoi sont-elles si entichées de vêtements fabriqués au goût de chacune ? Il peut avoir raison de son point de vue et des valeurs qu'il préfère. L'ennui est que cette préférence est personnelle, individuelle et arbitraire. La démocratie du marché réside dans le fait que les gens font eux-mêmes leur choix et qu'aucun dictateur ne peut leur imposer de se soumettre à ses propres jugements de valeur."

    "Les hommes ne sont pas infaillibles. Un certain volume de mauvais investissements est inévitable. Ce qui doit être fait, c'est de se détourner des politiques qui, telle l'expansion du crédit, induisent artificiellement à de mauvais investissements."

    "La première question que la catallactique doit poser en présence de changements dans la quantité totale de monnaie disponible dans le système de marché, c'est de savoir comment de tels changements affectent la conduite des divers individus."

    "On dit que l'argent est rare s'il y a une tendance à la hausse du taux d'intérêt des prêts à court terme ; et l'on dit que l'argent est abondant si la tendance du taux d'intérêt pour de tels prêts est à la baisse. Ces façons de parler sont si enracinées qu'il est vain de s'aventurer à les écarter. Mais elles ont favorisé la diffusion d'erreurs funestes. Elles font que les gens confondent les notions de monnaie et de capitaux et croient qu'en augmentant la quantité de monnaie l'on pourrait abaisser durablement le taux d'intérêt."

    "Expliquer historiquement un phénomène veut dire montrer comment il a été produit par des forces et des facteurs opérant à une certaine date et en un certain lieu. Ces forces et facteurs définis sont les éléments fondamentaux de l'interprétation. Ce sont les données ultimes et comme tels ils ne sont susceptibles d'aucune analyse et réduction ultérieure. Expliquer un phénomène théoriquement signifie rattacher son apparition à une application de règles générales déjà comprises dans le système théorique."

    "[Les] changements dans la structure des prix, provoqués par des changements dans la quantité de monnaie disponible à l'intérieur du système économique, n'affectent jamais les prix des diverses marchandises et des services dans la même mesure et au même moment."

    "Supposons que le gouvernement émette une quantité additionnelle de papier monnaie. Le gouvernement a l'intention soit d'acheter des biens et services, soit de rembourser des dettes antérieures ou d'en verser les intérêts. Quoi qu'il en soit, le Trésor vient sur le marché avec une demande additionnelle de biens et de services, il est maintenant en mesure d'acheter davantage. Les prix des biens qu'il achète montent. Si le gouvernement avait dépensé dans ces achats l'argent prélevé au préalable par l'impôt, les contribuables auraient diminué leurs achats et, tandis que les biens achetés par le gouvernement renchériraient, le prix des autres biens baisserait. Mais cette baisse de prix des articles que les contribuables avaient l'habitude d'acheter ne se produit pas si le gouvernement augmente la quantité d'argent à sa disposition sans réduire celle aux mains du public. Les prix de certains articles — à savoir, ceux que le gouvernement achète — montent immédiatement, tandis que les prix des autres marchandises restent inchangés pour un temps. Mais le processus se poursuit. Les gens qui vendent les biens que le gouvernement achète sont maintenant eux-mêmes en mesure d'acheter davantage qu'ils n'en avaient l'habitude. Les prix des choses que ces gens-là achètent en plus grande quantité, augmentent par conséquent aussi. Ainsi l'impulsion à la hausse se propage d'un groupe de biens et de services aux autres groupes, jusqu'à ce que tous les prix et taux de salaires aient augmenté. La hausse des prix n'est donc pas simultanée pour les diverses catégories de biens et services.

    Lorsque finalement, dans le cours ultérieur de l'augmentation de la masse monétaire, tous les prix auront monté, la hausse n'aura pas affecté les divers biens et services dans la même proportion. Car le processus aura affecté la situation matérielle des divers individus de façon diverse. Pendant que le processus se déroule, certaines gens profitent des prix plus élevés des biens et services qu'ils vendent, pendant que les prix des choses qu'ils achètent n'ont pas encore augmenté ou n'ont pas augmenté autant. D'autre part, il y a des gens malchanceux qui vendent des biens et services dont les prix n'ont pas monté, ou monté autant que les prix des biens qu'ils doivent acheter pour leur consommation quotidienne. Pour les premiers, la propagation graduelle de la hausse est une bonne fortune, pour les seconds une calamité. De plus, les débiteurs sont avantagés, au détriment des créditeurs. Lorsque le processus parvient à son terme, la richesse des divers individus a été modifiée dans des sens divers et des proportions diverses. Certains sont enrichis, d'autres appauvris. Les conditions ne sont plus ce qu'elles étaient avant. Le nouvel état de choses entraîne des changements d'intensité dans la demande des divers biens. Les rapports des prix en monnaie des divers biens et services vendables ne sont plus les mêmes qu'avant. La structure des prix a changé, indépendamment du fait que tous les prix exprimés en monnaie ont monté. Les prix finaux vers lesquels tendent les prix de marché, une fois que les effets de l'augmentation de la masse de monnaie ont achevé d'agir, ne sont pas égaux aux prix finaux antérieurs multipliés par un même coefficient
    ."

    "Dans le cours d'une expansion monétaire (inflation) la première réaction n'est pas seulement que les prix de certains d'entre eux augmentent plus tôt et plus fort que d'autres. Il peut aussi se produire que certains commencent par baisser parce qu'ils sont principalement demandés par les groupes dont les intérêts sont atteints.

    Les changements dans la relation monétaire ne sont pas seulement causés par les gouvernements émettant un surcroît de papier-monnaie. Un accroissement de la production de métaux précieux employés comme monnaie a les mêmes effets, bien qu'évidemment ce soient d'autres classes de la population qui s'en trouvent avantagées ou défavorisées
    ."

    "C'est uniquement parce que les gens s'attendent à des changements dont ils ignorent la nature et l'ampleur, qu'ils conservent de la monnaie."

    "C'est une illusion populaire de croire que la monnaie parfaite devrait être neutre et dotée d'un pouvoir d'achat immuable, et que le but de la politique monétaire devrait être de réaliser cette monnaie parfaite. Il est aisé de comprendre cette idée en tant que réaction contre les postulats encore plus faux des inflationnistes. Mais c'est une réaction excessive, intrinsèquement confuse et contradictoire, et elle a causé des désastres parce qu'elle a été renforcée par une erreur invétérée inhérente à la pensée de beaucoup de philosophes et d'économistes.

    Ces penseurs sont induits en erreur par la croyance commune qu'un état de repos est plus parfait qu'un état de mouvement. Leur idée de la perfection implique qu'aucun état plus parfait ne peut être pensé, et que par conséquent tout changement l'amoindrirait
    ."

    "L'absence d'action n'est pas seulement le résultat de la pleine satisfaction ; elle peut aussi bien être le corollaire de l'impuissance à rendre les choses plus satisfaisantes. Elle peut signifier privation d'espoir, tout autant que contentement."

    "Les notions de satisfaction totale ou de bonheur global sont vides de sens. Il est impossible de trouver un critère de comparaison entre les divers degrés de satisfaction ou de bonheur obtenus par les divers individus."

    "Comme le fonctionnement du marché tend à porter le pouvoir d'achat de la monnaie, dans son état final, à un degré où la demande et l'offre de monnaie coïncident, il ne peut jamais y avoir excès ou manque de monnaie. Tout individu, et tous les individus ensemble, bénéficient toujours des avantages qu'ils peuvent tirer de l'échange indirect et de l'emploi de la monnaie, que la quantité totale de monnaie soit grande ou petite. Les changements dans le pouvoir d'achat de la monnaie provoquent des changements dans la répartition de la richesse parmi les divers membres de la société. Du point de vue des gens qui souhaitent s'enrichir par de tels changements, la masse disponible de monnaie peut être jugée insuffisante ou excessive, et l'attrait de gains de cette nature peut conduire à des politiques destinées à provoquer des altérations induites par encaisses, dans le pouvoir d'achat. Néanmoins, les services que rend la monnaie ne peuvent être ni améliorés ni restaurés par un changement dans la masse de monnaie disponible. [...] On peut déclarer que les dépenses supportées pour accroître la quantité de monnaie sont autant de gaspillages. [...] Etant donné que la monnaie ne peut être neutre et de pouvoir d'achat constant, les plans d'un gouvernement concernant la détermination de la quantité de monnaie ne peuvent jamais être impartiaux, ni équitables envers tous les membres de la société. Tout ce qu'un gouvernement fait dans l'intention d'influer sur le niveau du pouvoir d'achat dépend nécessairement des jugements de valeur personnels des dirigeants. Les intérêts de certains groupes de gens sont toujours, dans ces opérations, avantagés au détriment d'autres groupes. Elles ne servent jamais ce qu'on appelle le bien public ou la prospérité commune. ."

    "Il est impossible de combattre une politique que vous ne pouvez nommer."

    "Le cours d'une inflation croissant avec le temps est celui-ci : au commencement l'injection de monnaie additionnelle fait que les prix de certaines marchandises augmentent ; d'autres prix augmentent plus tard. La hausse des prix affecte les divers biens et services, comme on l'a montré, à des moments différents et dans une proportion différente.

    Ce premier stade du processus inflationniste peut durer de longues années. Pendant ce temps, les prix de nombreux biens et services ne sont pas encore ajustés à la relation monétaire modifiée. Il y a encore des gens dans le pays qui ne se sont pas rendu compte d'être en présence d'une révolution des prix qui aboutira à une hausse considérable de tous les prix, bien que l'importance de cette hausse ne doive pas être la même pour les divers biens et services. Ces gens croient encore qu'un jour les prix baisseront. Dans l'attente de ce jour, ils restreignent leurs achats et du même coup augmentent leurs encaisses. Aussi longtemps que de telles idées demeurent ancrées dans l'opinion du public, il n'est pas trop tard pour que le gouvernement abandonne sa politique inflationnaire.

    Mais à la fin les masses s'éveillent à la réalité. Elles s'aperçoivent soudain du fait que l'inflation est délibérée et que cette politique continuera indéfiniment. Une rupture d'équilibre survient. La hausse de panique se produit. Tout le monde est pressé d'échanger son argent contre des biens « réels », qu'on en ait besoin ou pas, et à n'importe quel prix. Dans un délai très bref, quelques semaines ou même quelques jours, ce qu'on employait comme monnaie cesse de servir de moyens d'échange. Cela devient des chiffons de papier. Personne ne veut donner quoi que ce soit pour en recevoir.

    C'est là ce qui s'est passé avec la monnaie continentale en Amérique, en 1781 ; avec en France les mandats territoriaux en 1796, et avec le Mark allemand en 1923. Cela se reproduira chaque fois que la même situation apparaîtra. Pour que quelque chose soit employé comme instrument d'échange, l'opinion publique ne doit pas être fondée à croire que la quantité de cette chose augmentera sans limite. L'inflation est une politique qui ne peut être perpétuelle
    ."

    "Il n'est pas nécessaire de souligner celles auxquelles entraîne forcément une politique de déflation prolongée. Personne ne préconise une telle politique. La faveur des masses, ainsi que des écrivains et hommes politiques désireux d'être applaudis, va à l'inflation. A propos de ces tendances, nous devons souligner trois points : Primo, une politique inflationniste ou expansionniste provoque inévitablement une surconsommation d'une part, et de mauvais investissements d'autre part. Ainsi elle gaspille du capital et compromet dans l'avenir l'état de satisfaction des besoins. Secundo, le processus inflationniste n'écarte pas la nécessité d'ajuster la production et de réorienter les ressources. Il ne fait que la différer et la rend ainsi plus malaisée. Tertio, l'inflation ne peut être employée comme politique permanente, parce qu'à la longue elle conduit forcément à l'effondrement du système monétaire.

    Un petit commerçant ou un aubergiste peut aisément tomber dans l'illusion que tout ce qu'il faut pour que ses confrères et lui-même soient plus prospères, c'est que le public dépense davantage. A ses yeux, l'important est de pousser les gens à dépenser plus. Mais il est effarant qu'une telle croyance puisse être présentée au monde comme une nouvelle philosophie sociale. Lord Keynes et ses disciples imputent au manque de propension à dépenser ce qu'ils jugent insatisfaisant dans la situation économique. Ce qui est nécessaire, à leur avis, pour rendre les gens plus prospères, ce n'est pas une augmentation de production, mais une augmentation de dépense. Afin que les gens puissent dépenser davantage, on recommande une politique « expansionniste ».

    Cette thèse est aussi ancienne qu'elle est mauvaise
    ."

    "Le premier objet d'une terminologie scientifique est de faciliter l'analyse des problèmes impliqués."

    "L'homme, dans son agir, doit toujours tenir compte de la période de production et de la durée d'utilisation possible du produit. En soupesant l'inconvénient d'un projet qu'il envisage, il ne considère pas seulement la dépense requise en facteurs matériels et en travail, mais aussi la durée de la période de production. En évaluant l'utilité du produit attendu, il fait aussi attention à la durée de ses services. Bien entendu, plus le produit est durable, plus grand est le total des services qu'il rend. [...] Il est important de noter que la période de production aussi bien que la durée d'utilité sont des catégories de l'agir humain et non pas des concepts construits par des philosophes, des économistes et des historiens pour servir d'outils à leur interprétation des événements. Ce sont des éléments essentiels, présents dans chaque acte de raisonnement qui précède et dirige l'action. "

    "Il y a des gens qui ne s'intéressent qu'à l'instant qui vient immédiatement. D'autres se soucient de prévoir et d'aviser bien au-delà du terme probable de leur propre vie. Nous pouvons appeler période de provision la fraction d'avenir pour laquelle l'auteur d'une certaine action entend pourvoir d'une certaine façon et dans une certaine mesure."

    "La préférence du moment est une composante catégorielle de l'agir humain. Il est impossible de penser une action dans laquelle la satisfaction à brève échéance n'est pas — toutes choses égales d'ailleurs —préférée à celle attendue pour plus tard. L'acte même de satisfaire un désir implique que la gratification ressentie au moment présent est préférée à la même différée."

    "La psychologie ne peut jamais démontrer la validité d'un théorème praxéologique. Elle peut montrer que certaines personnes ou beaucoup de gens se laissent influencer par certains motifs. Elle ne peut jamais rendre évident que toute action humaine est nécessairement dominée par un élément catégorique défini qui, sans aucune exception, joue dans chaque cas où une action a lieu."

    "Constamment il y a de l'accumulation de capital par l'épargne. [...] Le processus social de la production ne s'arrête jamais."

    "L'avance que les peuples de l'Occident ont gagnée sur les autres peuples consiste dans le fait qu'ils ont depuis longtemps créé les conditions politiques et institutionnelles requises pour un processus régulier et à peu près ininterrompu d'épargne à grande échelle, d'accumulation de capital et d'investissement."

    "L'avance au départ qu'ont prise les nations occidentales a été conditionnée par des facteurs idéologiques irréductibles au simple effet de l'environnement. Ce qui est appelé civilisation humaine a jusqu'à présent consisté à sortir progressivement de la coopération en vertu d'une dépendance hégémonique, pour aller vers une coopération en vertu de liens contractuels. Alors que de nombreuses races et nations se sont arrêtées très tôt dans ce mouvement, d'autres ont continué à avancer. L'avantage des nations occidentales a consisté en ceci, qu'elles ont réussi à mettre en échec la mentalité du militarisme prédateur mieux que le reste de l'humanité, et qu'ainsi elles ont créé les institutions sociales requises pour que se développent à grande échelle l'épargne et l'investissement. [...] Ce qui a fait défaut aux Indes, à la Chine, au Japon et aux peuples musulmans, c'étaient les institutions protectrices des droits de l'individu. L'administration arbitraire des pachas, cadis, rajahs, mandarins et daïmios n'était pas propice à une large accumulation de moyens de produire. Les garanties légales protégeant efficacement les personnes contre l'expropriation et la confiscation ont été les fondements sur lesquels s'est épanoui le progrès économique sans précédent de l'Occident. Ces lois ne sont pas le fruit de la chance, d'accidents historiques et de l'environnement géographique. Elles ont été un fruit de la raison."

    "Si de nombreux capitalistes — britanniques ou étrangers — souhaitent se débarrasser de titres britanniques, une baisse des prix s'ensuivra pour ces titres. Mais cela n'affectera pas le taux d'échange entre la livre et les monnaies étrangères."

    "Le mouvement des titres sur leur marché n'affecte pas le public. C'est au contraire la réaction du public à la manière dont les investisseurs ont organisé les activités de production qui détermine la structure des prix sur le marché des titres. C'est en dernier ressort l'attitude des consommateurs qui fait monter certains titres et en fait baisser d'autres. Ceux qui n'épargnent ni n'investissent ne gagnent ni ne perdent du fait des fluctuations des cours. Le négoce sur le marché des titres décide uniquement entre les investisseurs de qui gagnera les profits et qui supportera les pertes."

    "Aussi longtemps que le monde n'est pas changé en un pays de cocagne, les hommes sont confrontés à la rareté et par conséquent il leur faut agir et économiser ; ils sont obligés de choisir entre des satisfactions proches ou futures, parce que ni les premières ni les dernières ne peuvent conduire au parfait contentement."

    "Le fait que nous ne cherchions pas à pourvoir plus amplement à nos besoins à venir est le résultat de la mise en balance de satisfactions prochaines avec des satisfactions plus tardives. Le rapport ainsi établi par évaluations est l'intérêt originaire."

    "La simple économie consiste à entasser des biens de consommation pour les consommer plus tard. L'épargne capitaliste consiste à mettre en réserve des biens qui serviront à améliorer les processus de production."

    "Le prêteur est toujours confronté à la possibilité de perdre une partie ou la totalité du principal prêté. Son évaluation de ce danger détermine sa conduite dans la négociation avec le candidat emprunteur-débiteur quant aux conditions du contrat.

    Il ne peut jamais y avoir de sécurité parfaite en matière de prêts d'argent, ni d'autres catégories de transactions de crédit ou de paiement différé. Les débiteurs, leurs garants et porte-forts peuvent devenir insolvables ; les gages ou hypothèques peuvent perdre toute valeur
    ."

    "Le capital comme tel ne rapporte pas d'intérêt ; il doit être bien employé et investi, non seulement pour porter de l'intérêt mais aussi pour ne pas disparaître, à la limite entièrement."

    "Aux jours de l'Athénien Solon, des anciennes lois agraires de Rome et du Moyen Age, les prêteurs étaient en général les gens riches, et les emprunteurs les pauvres. Mais en cet âge de bons et d'obligations, de banques hypothécaires et de banques d'épargne, de polices d'assurances sur la vie, et d'institutions de Sécurité sociale, les multitudes de gens à revenus modérés sont plutôt autant de créanciers. D'autre part, les riches, en tant que possesseurs d'actions ordinaires, d'usines, de fermes et de domaines immobiliers, sont plus souvent emprunteurs que prêteurs. En réclamant l'expropriation des créanciers, les masses s'attaquent sans le savoir à leurs propres intérêts."

    "Ce serait une grave erreur que de négliger le fait que l'inflation engendre aussi des forces qui tendent à faire consommer le capital. L'une de ses conséquences est qu'elle fausse les calculs économiques et la comptabilité. Elle produit le phénomène des profits illusoires ou apparents. [...] avec les progrès de l'inflation des gens de plus en plus nombreux deviennent conscients de la baisse du pouvoir d'achat. Pour ceux qui ne sont pas personnellement engagés dans les affaires et qui ne sont pas familiers avec ce qui se passe sur le marché des titres, le principal véhicule de l'épargne est l'accumulation dans les comptes d'épargne, l'acquisition de rentes et l'assurance sur la vie. Toutes ces formes d'épargne sont lésées par l'inflation."

    "Mais voici que la baisse de l'intérêt fausse les calculs de l'homme d'affaires. Bien que les disponibilités en biens de production n'aient pas augmenté, les prévisions chiffrées emploient des grandeurs qui ne seraient utilisables que si les capitaux matériels étaient devenus plus abondants. Le résultat de ces prévisions chiffrées est donc trompeur. Les calculs font que certains projets paraissent profitables et praticables, alors qu'une évaluation correcte, basée sur un taux d'intérêt non manipulé par l'expansion de crédit, les aurait montrés irréalisables. Des entrepreneurs se lancent dans de tels projets. L'activité des affaires est stimulée. Une période d'expansion et de hausse commence.

    La demande additionnelle de la part des entrepreneurs en expansion tend à augmenter les prix des biens de production et les taux de salaire. Avec la hausse des salaires, le prix des biens de consommation monte aussi. Par ailleurs, les entrepreneurs contribuent aussi à la hausse des biens de consommation, entraînés par l'illusion d'être en train de faire des profits dont témoigne leur comptabilité ; ils consomment davantage. La montée générale des prix répand l'optimisme. Si les seuls biens de production avaient renchéri et que les prix des biens de consommation fussent restés stables, les entrepreneurs se seraient trouvés dans l'embarras. Ils auraient eu des doutes sur l'opportunité de leurs plans, parce que la hausse des coûts de production aurait dérangé leurs calculs. Mais ils sont rassurés par le fait que la demande de biens de consommation est intensifiée et rend possible d'augmenter les ventes en dépit de la hausse des prix. Ils restent donc confiants quant à leur production : elle sera payante, malgré les coûts accrus qu'elle implique. Ils sont prêts à continuer.

    Évidemment, afin de continuer à produire à l'échelle plus grande favorisée par l'expansion de crédit, tous les entrepreneurs — ceux qui ont étendu leurs activités non moins que ceux qui ne produisent qu'au rythme auquel ils le faisaient antérieurement — ont besoin de fonds supplémentaires, puisque les coûts de production sont maintenant plus élevés. Si l'expansion de crédit consiste simplement en une unique injection, non répétée, d'un montant déterminé de moyens fiduciaires et cesse complètement d'arriver sur le marché des prêts, l'essor des affaires doit s'arrêter bientôt. Les entrepreneurs ne peuvent se procurer les fonds dont ils ont besoin pour persister dans leurs desseins. Le taux brut de l'intérêt sur le marché augmente parce que la demande accrue de prêts n'est pas équilibrée par la quantité de monnaie disponible offerte en prêts. Les prix des biens de consommation baissent parce que certains entrepreneurs liquident leurs stocks, et que d'autres s'abstiennent d'acheter. Le volume des affaires se rétrécit de nouveau. La période d'euphorie s'achève parce que les forces qui l'ont mise en branle n'agissent plus [...] Il est évident que toute expansion de crédit doit provoquer le boom de la façon décrite ci-dessus. La tendance de l'expansion de crédit à déclencher l'emballement ne peut manquer de jouer que si un autre facteur contrebalance simultanément son développement. Si, par exemple, pendant que les banques élargissent leurs crédits, l'on pense que le gouvernement va complètement éponger par l'impôt les bénéfices « excessifs », ou qu'il arrêtera l'expansion de crédit dès que cette façon d' « amorcer la pompe » aura amené une hausse des prix, il ne se produira aucun mouvement ascensionnel des affaires. Les entrepreneurs s'abstiendront d'étendre leurs risques au moyen des crédits à bon marché offerts par les banques, parce qu'ils ne peuvent compter en accroître leurs gains. Il est nécessaire de mentionner ce fait, car il explique l'échec des mesures de relance au temps du New Deal et autres événements des années trente.
    ."

    "A la veille de l'expansion de crédit, tous les processus de production étaient en cours qui, dans l'état donné des conditions du marché, étaient présumés rentables. Le système évoluait vers un état où tous ceux qui désiraient gagner un salaire trouveraient de l'emploi, et où tous les facteurs non convertibles de production seraient employés dans la mesure où la demande des consommateurs et les disponibilités en facteurs matériels non spécifiques de production et en main-d'œuvre le permettraient. Une plus grande expansion de la production n'est possible que si les capitaux matériels existants sont accrus par un supplément d'épargne, c'est-à-dire par des excédents de la production sur la consommation. La marque caractéristique de l'expansion de crédit est que de tels suppléments de capitaux matériels n'ont pas été créés."

    "L'entrepreneur qui se trouve personnellement confronté à une crise accompagnée de restrictions de crédit, a raison de regretter d'avoir trop développé ses installations et acheté des équipements durables ; il se trouverait dans une meilleure situation pour la conduite de ses opérations s'il avait encore à sa disposition les fonds qui ont été ainsi dépensés. Toutefois, ce ne sont pas les matières premières, les fournitures de base, les produits semi-finis et les aliments qui font défaut au moment où la tendance se renverse, l'essor faisant place à la dépression. Au contraire, la crise est précisément caractérisée par le fait que ces biens sont offerts en telle abondance que leurs prix se mettent à baisser rapidement."

    "Quelle que soit la situation, il est certain qu'aucune manipulation de la part des banques ne peut fournir au système économique des capitaux matériels. Ce qu'il faut pour une expansion saine de la production, ce sont des capitaux matériels en plus grande quantité, non pas de la monnaie ou des moyens fiduciaires. L'essor accéléré fondé sur de l'expansion de crédit est bâti sur le sable des billets de banque et comptes de dépôt. Il doit s'effondrer."

    "Les consommateurs se seraient mieux trouvés, si les illusions créées par la politique d'argent bon marché n'avaient poussé les entrepreneurs à gaspiller des capitaux matériels rares en les investissant pour satisfaire des besoins moins urgents, ce qui a détourné ces capitaux de branches de production où ils auraient répondu à des demandes plus urgentes. Mais les choses étant ce qu'elles sont, ils ne peuvent que s'accommoder de l'irrévocable."

    "Le résultat global de l'expansion de crédit est un appauvrissement général. Certaines gens peuvent avoir augmenté leur richesse ; ceux-là ne se sont pas laissé obscurcir le jugement par l'hystérie commune, ils ont tiré avantage des facilités offertes par la mobilité de l'investisseur individuel. D'autres individus et groupes d'individus peuvent avoir été favorisés, sans aucune initiative de leur part, par le simple retard entre les prix de ce qu'ils vendent et de ce qu'ils achètent. Mais l'immense majorité doit régler la facture des investissements stériles et de la surconsommation de l'épisode d'emballement."

    "L'expansion (monétaire] produit d'abord l'apparence illusoire de la prospérité. Elle est extrêmement populaire parce qu'elle semble rendre la majorité des gens, et même tout le monde, plus aisé. Elle a un attrait considérable. Il faut un effort moral spécial pour y mettre un terme."

    "L'étalon-or était un butoir efficace pour l'expansion de crédit, parce qu'il obligeait les banques à ne pas dépasser certaines limites dans leurs entreprises expansionnistes."

    "Le processus de réajustement, même en l'absence de toute nouvelle expansion de crédit, est retardé par les effets psychologiques de désappointement et de frustration. Les gens sont lents à se débarrasser de l'autosuggestion d'une prospérité illusoire. Les hommes d'affaires tentent de continuer l'exécution de projets non profitables ; ils ferment les yeux à des évidences qui font mal. Les travailleurs tardent à ramener leurs revendications au niveau requis par la situation du marché ; ils souhaitent, autant que possible, échapper à une baisse de leur niveau de vie, et ne pas changer d'occupation ni de résidence. Les gens sont d'autant plus découragés que leur optimisme était plus fort pendant l'escalade. Ils ont pour le moment perdu à un tel point la confiance en soi et l'esprit d'entreprise qu'ils laissent passer des occasions favorables d'agir. Mais le pire, c'est que les hommes sont incorrigibles. Après quelques années, ils se lancent à nouveau dans l'expansion de crédit, et la vieille histoire recommence une fois de plus."

    "L'homme envisage le travail d'autrui de la même façon qu'il envisage tous les autres facteurs de production rares. Il lui reconnaît un prix d'après les mêmes principes qu'il apprécie tout le reste. Le niveau des taux de salaires est formé sur le marché de la même manière que sont formés les prix de toutes les marchandises."

    "Les fluctuations des taux de salaires sont l'instrument au moyen duquel la souveraineté des consommateurs se manifeste sur le marché du travail. Elles sont la référence chiffrée qui permet d'allouer le travail aux différentes branches de production. Elles pénalisent les écarts en abaissant les taux de salaires dans les branches comparativement trop fournies en personnel, et récompensent la conformité en relevant les taux de salaires dans les branches comparativement sous-équipées en hommes. Ainsi elles soumettent l'individu à une dure pression sociale. Il est évident qu'elles limitent indirectement la liberté de l'individu quant au choix de son occupation. Mais cette pression n'est pas rigide. Elle laisse à l'individu une marge dans les limites de laquelle il peut choisir entre ce qui lui convient mieux et ce qui lui convient moins. Dans cette marge il est libre d'agir selon son propre jugement. Cette mesure de liberté est le maximum dont il puisse jouir dans le cadre de la division sociale du travail, et cette mesure de pression est le minimum indispensable au maintien du système de coopération sociale. Il n'y a qu'une seule solution que l'on puisse substituer à la pression catallactique exercée par le système du salaire : assigner occupations et postes de travail à chaque individu par les décisions sans appel d'une autorité, celle d'un bureau central de planification de toutes les activités de production. Cela, c'est en fait la suppression de toute liberté."

    "Les mendiants ne contribuent pas au processus social de production ; relativement à la création des moyens de satisfaire les besoins, ils n'agissent pas ; ils vivent parce que d'autres gens s'occupent d'eux. Les problèmes du secours aux malheureux sont des questions d'arrangement de la consommation, non de la production."

    "Dans la société capitaliste règne une tendance à l'augmentation continue du quota de capital investi par tête. L'accumulation de capital monte plus vite que les chiffres de la population. Il s'ensuit une hausse tendancielle permanente de la productivité marginale du travail, des salaires réels, et du niveau de vie des travailleurs salariés. Mais cette amélioration du bien-être ne dénote pas l'opération d'une loi inéluctable de l'évolution humaine ; c'est une tendance résultant de l'interaction de forces qui ne peuvent librement produire leurs effets qu'en régime capitaliste."

    "Étant donné que la monnaie n'est pas un étalon des valeurs et de la satisfaction des besoins, elle ne peut être employée pour comparer le niveau de vie des gens à des époques différentes."

    "Savoir si un tel système de Sécurité sociale est de bonne ou de mauvaise politique est essentiellement un problème politique. L'on peut essayer de le justifier en disant que les salariés n'ont pas le bon sens et la force de caractère de pourvoir spontanément à leur propre avenir. Mais alors, comment faire taire ceux qui demandent s'il n'est pas paradoxal de remettre le sort de la nation aux mains d'électeurs que la loi elle-même considère comme incapables de gérer leurs propres affaires ?... qui demandent s'il n'est pas absurde de rendre souverains pour la conduite du gouvernement, des gens qui ont manifestement besoin d'un tuteur pour les empêcher de dépenser sottement leurs propres revenus ? Est-il raisonnable d'attribuer à des mineurs incapables le droit d'élire leurs tuteurs légaux ? Ce n'est pas par hasard que l'Allemagne, le pays qui a le premier instauré le système de Sécurité sociale, a été le berceau des deux variétés modernes de dénigrement de la démocratie : le marxiste aussi bien que le non-marxiste."

    "La vérité est que les conditions économiques étaient extrêmement pénibles à la veille de la révolution industrielle. Le système social traditionnel n'avait pas l'élasticité voulue pour fournir aux besoins d'une population rapidement croissante. Ni l'agriculture ni les guildes de métiers n'avaient de travail à donner à un surcroît de main-d'œuvre. Le négoce était imbu de la mentalité traditionnelle attachée au privilège et au monopole exclusif ; ses fondements institutionnels étaient les licences et lettres patentes de monopole ; sa philosophie prônait un contrôle restrictif des courants d'échange et l'interdiction de la concurrence tant interne qu'étrangère. Le nombre de gens pour qui il n'y avait pas de place libre dans le système rigide de paternalisme et de tutelle gouvernementale sur l'économie grandissait rapidement. Ils étaient pratiquement hors des lois. La majorité apathique de ces gens misérables vivait des miettes tombées de la table des castes établies. A l'époque des moissons ils gagnaient quelque menue monnaie en aidant aux travaux de ferme ; le reste du temps ils dépendaient de la charité privée et de l'assistance publique municipale. Par milliers, les jeunes gens les plus vigoureux de ces milieux étaient enrôlés de force dans l'armée et la marine de Sa Majesté ; beaucoup d'entre eux furent tués ou mutilés au combat ; bien plus nombreux furent ceux qui moururent sans gloire des duretés d'une discipline barbare, des maladies tropicales et de la syphilis 16. D'autres milliers, les plus audacieux et les plus brutaux de leur espèce, infestaient le pays comme vagabonds, mendiants, chemineaux, voleurs et prostituées. Les pouvoirs publics ne voyaient d'autre moyen de régler le cas de ces individus, que de les envoyer à l'hospice ou aux ateliers de bienfaisance. L'appui que le gouvernement donnait aux préventions populaires à l'encontre des inventions nouvelles et des moyens d'épargner l'effort physique rendait les choses vraiment sans espoir.

    Le système des manufactures se développa dans une lutte continuelle contre des obstacles innombrables. Il dut combattre le préjugé populaire, les coutumes ancestrales, les lois et règlements juridiquement sanctionnés, l'animosité des autorités, les situations acquises de catégories privilégiées, la jalousie des guildes. L'équipement en capital des firmes individuelles était insuffisant, l'obtention du crédit extrêmement difficile et coûteuse. L'expérience technologique et commerciale manquait. La plupart des propriétaires de manufactures faisaient banqueroute ; ceux qui réussissaient étaient relativement rares. Les profits étaient parfois considérables ; mais les pertes l'étaient aussi. Il fallut plusieurs décennies pour que s'établisse l'usage de réinvestir la majeure partie des profits encaissés, de sorte que l'accumulation d'un capital adéquat permît de conduire les affaires sur une plus large échelle.

    Que les manufactures aient pu prospérer en dépit de toutes ces entraves s'explique par deux raisons. D'abord, il y eut les enseignements de la nouvelle philosophie sociale exposée par les économistes. Ils démolirent le prestige du mercantilisme, du paternalisme et du restrictionnisme. Ils réfutèrent la croyance superstitieuse que les procédés d'économie de main d'œuvre provoquent le chômage et réduisent tout le monde à la pauvreté et au dépérissement. Les économistes du laissez-faire furent les pionniers des progrès technologiques sans précédent des deux dernières centaines d'années.

    Puis il y eut un autre facteur qui affaiblit l'opposition aux innovations. Les manufactures délivraient les pouvoirs publics et les gentilshommes terriens du problème embarrassant qui finissait par les déborder : elles fournissaient de quoi vivre aux multitudes de pauvres gens. Elles vidaient les asiles, les ateliers de bienfaisance et les prisons. Elles faisaient de mendiants affamés des gens capables de gagner leur pain.

    Les propriétaires de fabriques n'avaient pas le pouvoir d'obliger personne à prendre un emploi à la fabrique. Ils pouvaient seulement louer les gens disposés à travailler pour les salaires proposés. Si bas que fussent ces taux de salaire, c'était néanmoins beaucoup plus que ce que ces misérables ne pouvaient gagner dans aucun autre champ qui leur fût ouvert. C'est déformer les faits que de dire que les fabriques enlevaient les ménagères à leurs berceaux et à leur cuisine, ou les enfants à leurs jeux. Ces femmes n'avaient rien à cuisiner, rien pour nourrir leurs enfants. Ces enfants étaient sans ressources et affamés ; leur seul recours était la fabrique. Celle-ci les sauvait, à la lettre, de mourir d'inanition.

    Il est déplorable qu'une telle situation existât. Mais si l'on veut blâmer les responsables, il ne faut pas s'en prendre aux propriétaires de fabriques qui — poussés il est vrai par leur intérêt propre et non par « altruisme » — firent tout leur possible pour guérir le mal à sa racine. Ce qui avait causé ces malheurs, c'était l'ordre économique de l'ère précapitaliste, l'ordre du « bon vieux temps ».
    "

    "L'amour de la nature et l'appréciation des beautés du paysage étaient étrangers à la population rurale. Les habitants de villes les ont apportés à la campagne. Ce furent les citadins qui commencèrent à apprécier la terre en tant que nature, alors que les ruraux l'évaluaient seulement à raison de sa productivité pour la chasse, l'abattage, les moissons et l'élevage. De temps immémorial, les rochers et les glaciers des Alpes n'étaient aux yeux des montagnards que des espaces stériles. C'est seulement quand les citadins s'aventurèrent à escalader les pics, et apportèrent de l'argent aux vallées, qu'ils changèrent d'idée. Les pionniers de l'alpinisme et du ski furent pour les indigènes des personnages ridicules, jusqu'au moment où ils se rendirent compte des gains qu'ils pouvaient tirer de cette excentricité.

    Ce ne furent pas des bergers, mais des aristocrates et des bourgeois raffinés qui s'adonnèrent à la poésie bucolique. Daphnis et Chloé sont la création de l'imagination, et fort éloignés des soucis terre à terre. Il n'y a pas de rapports non plus entre ce qu'est la terre et le mythe politique qu'en ont fait les modernes. Ce mythe ne s'est pas développé dans la mousse des forêts et le limon des champs, mais sur le pavé des villes et le tapis des salons
    ."

    "La plénitude de la réalité ne peut être intellectuellement maîtrisée que par un esprit qui se réfère à la fois à la conception de la praxéologie et à la compréhension historique ; et cette dernière exige que l'on ait pleinement accès aux acquis des sciences de la nature. Connaissance cohérente et prévision sont fournies par la totalité du savoir. Ce que chacune des branches distinctes de la science peut offrir est toujours fragmentaire ; il faut le compléter par les résultats de toutes les autres."

    "La matière propre de la praxéologie n'est pas seulement l'étude de la société, des relations dans la société, et des phénomènes de masse ; c'est l'étude de toutes les actions des hommes. Le terme de « sciences sociales », avec toutes ses connotations, est à cet égard source d'erreurs.

    Il n'y a pas de critère qu'une recherche scientifique puisse appliquer à l'agir humain, autre que celui des buts ultimes que l'individu qui agit entend réaliser lorsqu'il entreprend une action définie. En eux-mêmes, ces buts ultimes sont au-delà et au-dessus de toute critique. Personne n'est appelé à édicter ce qui pourrait rendre heureux un autre individu. Ce qu'un observateur non concerné peut chercher à savoir, c'est simplement si les moyens choisis pour atteindre ces buts ultimes sont ou ne sont pas aptes à produire les résultats désirés par celui qui agit
    ."

    "Voltaire s'est trompé lorsque — en 1764 — il écrivit dans l'article « Patrie » de son Dictionnaire philosophique : « Être un bon patriote, c'est souhaiter que sa propre communauté s'enrichisse par le commerce et acquière de la puissance par les armes ; il est évident qu'un pays ne peut profiter qu'aux dépens d'un autre, et qu'il ne peut vaincre qu'en infligeant des pertes à d'autres peuples. » Voltaire, comme beaucoup d'auteurs avant lui et après lui, estimait superflu de se familiariser avec la pensée économique. S'il avait lu les Essais de son contemporain David Hume, il y aurait appris combien il est faux d'identifier la guerre et le commerce extérieur. Voltaire, le grand démolisseur de superstitions invétérées et de fables populaires, a ainsi été victime de la fable la plus désastreuse."

    "L'interventionnisme doit forcément aboutir à un état de choses qui, du propre point de vue de ses partisans, sera moins désirable que la situation engendrée par cette économie de marché sans entraves, qu'ils cherchent à altérer."

    "Ce n'est pas la souveraineté nationale en elle-même qui engendre la guerre, c'est la souveraineté de gouvernements qui ne sont pas entièrement acquis aux principes de l'économie de marché.

    Le libéralisme n'a pas fondé et ne fonde pas ses espoirs sur l'abolition de la souveraineté des divers gouvernements nationaux, une aventure qui entraînerait des guerres interminables. Il vise à une reconnaissance générale de l'idée de liberté économique. Si tous les peuples deviennent libéraux et se rendent compte que la liberté économique sert leurs propres intérêts du mieux qu'il est possible, la souveraineté nationale ne provoquera plus de conflits et de guerres. Ce qui est nécessaire pour rendre la paix durable, ce ne sont ni des traités et conventions internationales, ni des tribunaux et organisations internationales comme la défunte Société des Nations ou sa suivante les Nations Unies. Si le principe de l'économie de marché est accepté universellement, de tels artifices sont inutiles ; et s'il n'est pas accepté, ils sont sans effet. La paix durable ne peut être le fruit que d'un changement dans les idéologies. Aussi longtemps que les peuples s'accrochent au dogme de Montaigne et croient qu'ils ne peuvent prospérer économiquement qu'aux dépens d'autres nations, la paix ne sera jamais qu'une période de préparation à la guerre suivante
    ."

    "C'est une illusion de croire que ceux qui sont lésés toléreront le protectionnisme des autres pays, s'ils pensent être assez forts pour balayer les obstacles par le recours aux armes. La philosophie protectionniste est une philosophie de guerre."

    "La marque essentielle du socialisme est que seule une volonté unique agit. Peu importe de savoir de qui c'est la volonté. Le directeur peut être un roi consacré, ou un dictateur gouvernant en vertu de son charisme ; ce peut être un Führer ou un Bureau de führers désignés par un vote populaire. La chose importante est que l'emploi de tous les moyens de production est réglé par un unique centre de décision. Une seule volonté choisit, décide, dirige, agit, commande. Tout le reste simplement exécute ordres et directives."

    "L'économiste mathématicien, obsédé par l'idée que l'économie doit être bâtie selon le modèle de la mécanique de Newton, et qu'elle se prête au traitement des méthodes mathématiques, se fait une image complètement erronée de la matière à laquelle il consacre ses investigations. Il cesse de penser à l'agir humain, il s'occupe d'un mécanisme sans âme, mystérieusement mis en mouvement par des forces non susceptibles d'être analysées plus avant. Dans la construction imaginaire d'une économie en rythme uniforme, il n'y a évidemment pas de rôle pour la fonction d'entrepreneur. Ainsi le mathématicien économiste élimine l'entrepreneur de sa réflexion. Il n'a que faire de ce personnage qui sans cesse déplace et secoue, de ce perturbateur dont les interventions continuelles empêchent le système imaginé d'atteindre un équilibre parfait et une situation statique. Il déteste cet empêcheur de tourner rond. Les prix des facteurs de production, aux yeux de l'économiste mathématicien, sont déterminés par l'intersection de deux courbes, non par des actes d'individus."

    "Ce qui est produit, ce sont ou bien les choses dont l'entrepreneur espère que la vente lui fournira le plus fort profit, ou bien les choses que le directeur veut voir produire. La question est donc : qui doit être le maître, les consommateurs ou le directeur ?"

    "Le système de l'économie de marché entravée, ou interventionnisme, cherche à conserver le dualisme des sphères distinctes des activités gouvernementales d'une part, et de la liberté économique en système de marché d'autre part. Ce qui le caractérise est le fait que le gouvernement ne limite pas ses activités à la protection de la propriété privée des moyens de production, contre les atteintes de la violence ou de la fraude. Le pouvoir interfère avec la marche des affaires, au moyen de commandements et d'interdictions.

    L'intervention est un acte d'autorité, décidé directement ou indirectement par l'autorité qui dispose de l'appareil administratif de contrainte et répression, forçant les entrepreneurs et capitalistes à employer certains des facteurs de production d'autre manière qu'ils ne l'auraient fait, s'ils n'avaient eu à obéir qu'aux prescriptions du marché. Cet acte d'autorité peut constituer tantôt un ordre de faire quelque chose, tantôt un ordre de ne pas faire quelque chose
    ."
    -Ludwig von Mises, L'Action humaine. Traité d'économie (1949).


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 15 Mai - 19:20

    "L'absurdité de tous les efforts pour stabiliser les prix consiste précisément dans le fait que la stabilisation empêcherait toute amélioration ultérieure et engendrerait sclérose et stagnation. La flexibilité des prix des denrées et des taux de rémunération est le véhicule de l'adaptation, de l'amélioration et du progrès. Ceux qui condamnent comme injustes les variations de prix et de salaires et qui réclament que soient maintenus ceux qu'ils prétendent justes combattent en fait les efforts pour rendre plus satisfaisantes les situations économiques."

    "Ceux qui affirment qu'il y a conflit entre le désir d'acquérir des divers individus, ou entre le désir d'acquérir des individus d'une part et le bien commun d'autre part, ne peuvent faire autrement que de proposer la suppression du droit de l'individu à choisir et à agir. Ils doivent substituer la suprématie d'un organisme central de direction de la production, à la suprématie des choix des citoyens. Dans leur plan d'une bonne société, il n'y a pas de place disponible pour l'initiative privée. L'autorité émet des ordres et tout le monde est forcé d'obéir."

    "Laissez faire signifie : laissez l'homme ordinaire choisir et agir ; ne l'obligez pas à céder devant un dictateur."

    "Une fois qu'on admet le principe qu'il est du devoir du gouvernement de protéger les individus contre leur propre stupidité, l'on ne peut plus  avancer d'objections contre de nouveaux empiétements. L'on peut présenter un bon plaidoyer en faveur de la prohibition de l'alcool et de la nicotine. Et pourquoi limiter la bienveillance prévoyante du gouvernement à la protection du corps seulement de l'individu ? Le tort qu'un homme peut infliger à son propre esprit et à son âme n'est-il pas encore plus grave que n'importe quels maux corporels ? Pourquoi ne pas l'empêcher de lire de mauvais livres et de voir de mauvais spectacles, de regarder de mauvaises peintures ou sculptures et d'entendre de la mauvaise musique ? Les méfaits des mauvaises idéologies sont assurément plus pernicieux, à la fois pour l'individu et l'ensemble de la société, que ceux causés par des substances narcotiques."

    "La condamnation portée par les économistes contre le protectionnisme est irréfutable, et dénuée de tout parti pris politique. Car les économistes ne disent pas que la protection  douanière soit mauvaise de n'importe quel point de vue a priori. Ils montrent que la protection douanière ne peut pas atteindre les buts qu'en général visent les gouvernements qui y recourent. Ils ne mettent pas en question le but ultime de l'action gouvernementale, ils rejettent seulement le moyen choisi parce qu'il n'est pas susceptible de produire l'effet recherché."

    "C'est effectivement un fait affligeant qu'en Asie des millions de petits enfants sans défense sont dans le dénuement et meurent de faim ; que les salaires sont extrêmement bas comparés à ceux courants en Amérique et en Europe occidentale ; que les heures de travail sont longues et que les conditions sanitaires des lieux de travail sont déplorables. Mais il n'y a pas d'autres moyens d'éliminer ces maux que de travailler, de produire et d'épargner davantage, et ainsi d'accumuler plus de capital. Cela est indispensable à toute amélioration durable."

    "Quand le public considère la question d'un raccourcissement du temps de travail par voie gouvernementale, il ne se rend pas compte du fait que le total de la production baissera forcément, et qu'il est fort probable que le niveau de vie des salariés a toutes chances de baisser aussi. C'est un dogme des « non-conformistes » actuels, qu'une telle mesure « en faveur » des ouvriers est pour ces derniers un gain social, dont le coût retombera entièrement sur les employeurs. Quiconque conteste ce dogme est vilipendé, traité de cynique défenseur des prétentions iniques d'exploiteurs sans entrailles, et traqué sans pitié. L'on donne à croire qu'il veut réduire les salariés à la misère et aux longues heures de travail des premiers temps de l'industrialisation moderne.

    En regard de ces diffamations, il est important de souligner encore que ce qui produit la richesse et le bien-être, c'est la production et non pas la restriction. Que dans les pays capitalistes le salarié moyen consomme plus de biens et peut se payer davantage de loisirs que ses ancêtres ; et que s'il peut fournir aux besoins de sa femme et de ses enfants sans avoir besoin de les envoyer travailler, tout cela n'est pas conquêtes du gouvernement et des syndicats. C'est le fruit du fait que les entreprises en quête de profit ont accumulé et investi plus de capital et ainsi accru la productivité marginale du travail
    ."

    "Les lois de l'univers sur lesquelles la physique, la biologie et la praxéologie fournissent du savoir sont indépendantes de la volonté humaine, elles sont fondamentalement des faits ontologiques qui bornent de façon rigide le pouvoir d'agir de l'homme."

    "La connaissance des effets de l'immixtion du pouvoir dans les prix de marché nous fait comprendre les causes économiques d'un événement historique d'énorme importance : le déclin de la civilisation ancienne.

    L'on peut ne pas trancher la question de savoir s'il est correct d'appeler « capitalisme » l'organisation économique de l'Empire romain. A tout le moins, il est certain que l'Empire romain du ne siècle, à l'époque des Antonins, les « bons » empereurs, était parvenu à un haut degré de division sociale du travail et de commerce interrégional. Plusieurs métropoles, un nombre considérable de villes moyennes et de nombreuses petites villes étaient les sièges d'une civilisation raffinée. Les habitants de ces agglomérations  urbaines étaient fournis de nourriture et de matières premières non seulement par les districts ruraux voisins, mais aussi par les provinces éloignées. Une partie de ces provisions fluaient vers les cités comme revenus de leurs riches citoyens possesseurs de terres agricoles. Mais une part considérable en était achetée en contrepartie des achats des populations rurales en produits fabriqués en ville. Il y avait un commerce très large entre les diverses régions de l'immense empire. Non seulement les industries de transformation, mais aussi l'agriculture manifestaient une tendance à des spécialisations croissantes. Les diverses parties de l'Empire avaient cessé d'être autarciques. Elles étaient interdépendantes.

    Ce qui entraîna le déclin de l'Empire et la décrépitude de sa civilisation fut la désintégration de cette interdépendance économique, et non les invasions barbares. Les envahisseurs tirèrent simplement avantage de l'affaiblissement interne de l'Empire ; d'un point de vue militaire, les tribus qui envahirent l'Empire aux IVe et Ve siècles n'étaient pas plus redoutables que les armées qu'avaient aisément vaincues les légions en des temps plus anciens. Mais l'Empire avait changé. Sa structure économique et sociale était déjà médiévale.

    La liberté que Rome accordait au commerce intérieur et lointain avait toujours été limitée. En ce qui concerne la commercialisation des céréales et autres denrées de première nécessité, la liberté était encore plus restreinte que pour le reste. Il était tenu pour déloyal et immoral de demander pour le blé, l'huile et le vin — les produits alimentaires de base de l'époque — plus que le prix coutumier, et les autorités municipales étaient promptes à réprimer ce qu'elles considéraient comme des profits abusifs. De sorte que l'évolution vers un commerce de gros efficace de ces denrées se trouva bloquée. La politique de l'Annone, qui équivalait à étatiser ou municipaliser le commerce du grain, avait pour but de faire les soudures. Mais ses effets étaient peu satisfaisants. Le blé était rare dans les agglomérations urbaines, et les agriculteurs se plaignaient du caractère non rémunérateur de la culture des céréales 3. L'interposition des autorités empêcha l'adaptation de l'offre à une demande croissante.

    L'épreuve de force se produisit lorsque les troubles politiques des nie et ive siècles amenèrent les empereurs à falsifier les monnaies. La combinaison d'un système de prix maximum avec la dégradation de la monnaie provoqua la paralysie complète tant de la production que de la commercialisation des denrées alimentaires essentielles, et la désintégration de l'organisation sociale de l'activité économique. Plus les autorités déployaient de zèle à faire respecter les prix taxés, plus la situation s'aggravait pour  les multitudes urbaines obligées d'acheter leur nourriture. Le commerce du grain et des denrées de base s'évanouit complètement. Pour éviter de mourir de faim, les gens désertaient les cités, se fixaient dans les campagnes et s'efforçaient de produire pour eux-mêmes du blé, de l'huile, du vin et le reste de leur nécessaire. D'autre part, les grands propriétaires terriens se mirent à restreindre la production des surcroîts vendables de céréales, et commencèrent à produire dans leurs domaines — les villae — les produits artisanaux dont ils avaient besoin. Car leur agriculture à grande échelle, déjà sérieusement compromise par le manque de rentabilité de la main-d'œuvre servile, perdait toute raison d'être lorsque disparaissait la possibilité de vendre à des prix rémunérateurs. Puisque le propriétaire foncier ne pouvait plus vendre aux villes, il ne pouvait non plus continuer d'acheter aux artisans citadins. Il était contraint de chercher d'autres moyens de satisfaire à ses besoins, et donc d'employer des artisans pour son propre compte dans sa villa. Il abandonna l'exploitation agricole à grande échelle et devint un propriétaire foncier recevant des fermages de ses fermiers ou métayers. Ces colons étaient soit des esclaves affranchis, soit des prolétaires de la ville qui venaient se fixer dans les villages et se louer pour labourer. Ainsi apparut la tendance à l'autarcie de chaque domaine rural. La fonction économique des villes, qui est celle du commerce, local et extérieur, et de l'artisanat, dépérit. L'Italie et les provinces de l'Empire retombèrent dans un état moins évolué de division du travail. La structure économique relativement très développée de l'apogée de la civilisation ancienne rétrograda vers ce que l'on appelle l'organisation du manoir, typique du Moyen Age.

    Les empereurs s'alarmèrent de cette évolution qui sapait le pouvoir financier et militaire de leur administration. Mais leur réaction fut sans portée parce qu'elle ne s'attaquait pas à la racine du mal. La contrainte et la répression auxquelles ils recoururent ne pouvaient renverser la tendance à la désintégration sociale qui, au contraire, provenait précisément de trop de contrainte et de répression. Aucun Romain ne comprit ce fait que le processus découlait de l'intervention du gouvernement dans les prix et de la dégradation de la monnaie. Vainement les empereurs promulguèrent-ils des édits contre le citadin qui « relicta civitate rus habitere maluerit » (qui, abandonnant la cité, préférerait habiter la campagne) 4. Le système de la leiturgia, c'est-à-dire des services dont devaient se charger les citoyens fortunés, ne fit qu'accélérer le recul de la division du travail. Les lois concernant les obligations des armateurs, les navicularii, n'eurent pas plus de succès pour empêcher le déclin de la navigation, que n'en  eurent les lois sur les grains pour arrêter l'amenuisement du ravitaillement des villes en produits agricoles.

    La merveilleuse civilisation de l'Antiquité périt ainsi parce qu'elle n'ajusta pas son code moral et son système juridique aux exigences de l'économie de marché. Un ordre social est voué à disparaître si les activités que requiert son fonctionnement sont bannies par les habitudes morales, déclarées illégales par les lois du pays, et poursuivies comme criminelles par les tribunaux et la police. L'Empire romain s'effondra parce qu'il n'avait pas la mentalité du libéralisme et de l'entreprise libre. Les méthodes de l'interventionnisme et leur corollaire politique, le Führerprinzip, frappèrent de décomposition le puissant empire, comme ils le feront nécessairement dans n'importe quelle entité sociale, jusqu'à la désintégrer et l'anéantir
    ."

    "Les marxistes cohérents se sont toujours opposés aux essais d'imposer des taux de salaire minimum, comme nuisibles aux intérêts de la classe entière des travailleurs. Depuis les débuts du mouvement ouvrier moderne, il y a toujours eu antagonisme entre les syndicats et les socialistes révolutionnaires."

    "Si les pays étrangers dévaluent dans la même proportion, il ne se produit aucun changement dans le rapport des taux de change. S'ils dévaluent davantage, tous ces avantages transitoires, s'il en est, ne bénéficient qu'à eux. Une acceptation générale des principes de l'étalon flexible doit donc nécessairement entraîner une course entre nations pour enchérir sur le voisin. Au bout de cette concurrence-là, il y a la ruine totale des systèmes monétaires de tous les pays."

    "La dévaluation, disent ses avocats, réduit la charge des dettes. Cela est certainement exact. Elle favorise les débiteurs aux dépens des créanciers. Aux yeux de ceux qui n'ont pas encore compris que, dans les conditions modernes, il ne faut pas identifier les créanciers avec les riches ni les débiteurs avec les pauvres, cela est bienfaisant. Le résultat effectif est que les débiteurs qui possèdent des immeubles et des terres agricoles, ainsi que les porteurs d'actions des sociétés industrielles chargées de dettes, font des gains aux dépens de la majorité des gens dont les épargnes sont placées en Bons, obligations, livrets de caisse d'épargne et polices d'assurances."

    "C'est un fait qu'aujourd'hui les mesures tendant à abaisser le taux de l'intérêt sont généralement tenues pour hautement désirables et que l'expansion du crédit passe pour le moyen efficace d'y parvenir. C'est ce préjugé qui pousse les gouvernements à rejeter l'idée de l'étalon-or."

    "Lorsque les Vikings laissaient derrière eux une communauté autarcique de paysans qu'ils venaient de piller, les victimes survivantes se mettaient au travail, à labourer et à reconstruire. Quand les pirates revenaient après quelques années, ils trouvaient à nouveau quelque chose à prendre. Mais le capitalisme ne peut supporter une répétition de raids prédateurs de ce genre. Accumulation de capital et investissement y sont fondés sur l'assurance que cette expropriation ne se produira pas. Si cet espoir est absent, les gens préféreront consommer leur capital au lieu de le conserver à l'intention des pillards."

    "Tout individu d'esprit inventif est libre de lancer de nouveaux projets d'affaires. Il peut être pauvre, ses fonds peuvent être modestes et pour la plupart empruntés. Mais s'il répond aux demandes des consommateurs de la façon la meilleure et la moins coûteuse, le succès lui viendra par le canal de profits « excessifs ». En bon laboureur qui nourrit sa terre, il réinvestit la majeure partie de ses profits dans son affaire, la faisant ainsi s'étendre rapidement. C'est l'activité de ces parvenus entreprenants qui fournit au marché son « dynamisme ». Ces nouveaux riches sont les fourriers des améliorations économiques. La menace de leur concurrence oblige les firmes anciennes et les grandes entreprises à ajuster leur gestion au meilleur service possible du public, ou à fermer boutique.

    Mais aujourd'hui, les impôts absorbent la plus grande part des profits « excessifs » du nouveau venu. Il ne peut accumuler du capital ; il ne peut étendre sa propre affaire ; il ne deviendra jamais une grande affaire et le rival des situations établies. Les firmes anciennes n'ont pas à redouter sa concurrence, elles sont abritées par le percepteur. Elles peuvent sans danger rester dans la routine, se moquer des désirs du public et refuser le changement. Il est vrai que le percepteur les empêche, elles aussi, d'accumuler du capital neuf. Mais le plus important pour elles est que le dangereux nouveau venu ne puisse pas accumuler de capitaux. Elles sont virtuellement privilégiées par le régime fiscal. En ce sens, la fiscalité progressive entrave le progrès économique et favorise la rigidité sociale. Alors que dans l'économie de marché non entravée la possession d'un capital est une source d'obligation forçant le possesseur à servir les consommateurs, les méthodes modernes de fiscalité la transforment en privilège
    ."

    "Le marché est une démocratie de consommateurs."

    "Aux yeux du subalterne type, tout ce qu'il y a à faire dans la conduite d'une affaire, c'est de remplir ces tâches d'exécution qui sont confiées à la direction hiérarchisée, dans le cadre des projets entrepreneuriaux. Pour lui, l'usine ou l'atelier tels qu'il les voit exister et fonctionner aujourd'hui, sont quelque chose de permanent. Cela n'a pas à changer, cela devra toujours produire les mêmes articles. Il ignore tout du fait que les situations sont constamment fluctuantes, et que la structure industrielle doit s'ajuster quotidiennement à la solution de nouveaux problèmes. Sa conception du monde est stationnaire. Elle ne comporte pas de nouvelles branches d'activité, de nouveaux produits, de nouvelles et meilleures méthodes de fabriquer les produits anciens. Ainsi, le syndicaliste ignore les problèmes essentiels de la fonction d'entrepreneur : fournir le capital pour de nouvelles industries et l'expansion des industries déjà existantes, alléger l'équipement pour les produits dont la demande baisse, effectuer  les améliorations techniques. Ce n'est pas commettre une injustice que d'appeler le syndicalisme la philosophie des gens à courte vue, des inentamables conservateurs qui se méfient de toute innovation, et sont à ce point aveuglés par l'envie qu'ils appellent les malédictions d'en haut sur les gens qui leur fournissent des produits plus abondants, meilleurs et plus abordables. Ils sont comme des malades qui en veulent au médecin pendant qu'il réussit à les guérir."

    "La seule raison d'être de la production est la consommation."

    "Le capitalisme est par essence un système convenant aux nations pacifiques. Mais cela ne signifie pas qu'un pays qui se trouve obligé de repousser des agresseurs étrangers doive substituer le dirigisme étatique à l'entreprise privée. S'il le faisait, il se priverait des moyens de défense les plus efficaces. Il n'y a pas d'exemple historique d'un pays socialiste qui ait vaincu une nation capitaliste. En dépit de leur socialisme de guerre si vanté, les Allemands furent défaits dans les deux guerres mondiales."

    "La philosophie libérale de Bentham et de Bastiat n'avait pas encore achevé son œuvre d'abolition des barrières commerciales et des immixtions de l'État en économie, lorsque la pseudo-théologie de l'État divinisé commença à exercer son influence. Les efforts pour améliorer à coups de décrets du pouvoir la situation des salariés et des petits agriculteurs, rendirent nécessaire un relâchement progressif des liens qui rattachaient l'économie domestique de chaque pays à celle des pays étrangers. Le nationalisme économique, complément indispensable de l'intervention gouvernementale dans l'économie de marché, ne peut que heurter les intérêts des peuples étrangers, et il crée ainsi l'hostilité entre peuples. Cela conduit à l'idée de remédier à cet état de choses inacceptable, par la force des armes."

    "Aux yeux des Asiatiques, l'ouvrier américain de l'industrie automobile est un « aristocrate ». C'est un homme qui fait partie des 2 % de la population du globe dont le revenu est le plus élevé."

    "L'inégalité des revenus et des fortunes est un caractère inhérent de l'économie de marché. Son élimination détruirait complètement l'économie de marché.

    Les gens qui réclament l'égalité ont toujours à l'esprit un accroissement de leur propre pouvoir de consommation. Personne, en adoptant le principe d'égalité comme postulat politique, ne souhaite partager son propre revenu avec ceux qui en ont moins. Lorsque le salarié américain parle d'égalité, il veut dire que les dividendes des actionnaires devraient lui être attribués. Il ne suggère pas une réduction de son propre revenu au profit des 95 % de la population mondiale qui gagnent moins que lui
    ."

    "Toutes les espèces diverses d'immixtion dans les phénomènes du marché, non seulement sont impuissantes à obtenir les effets visés par leurs auteurs et partisans, mais encore elles engendrent une situation qui — du point de vue même des jugements de valeur des promoteurs et partisans — est encore moins souhaitable que la situation à laquelle ils voulaient porter remède."

    "Rien ne porte à croire que le progrès vers des situations humaines plus satisfaisantes soit inévitable, ni qu'une rechute dans des conditions extrêmement déplorables soit impossible."

    "La connaissance de la réalité est une expérience pénible. Elle enseigne avec autorité les limites imposées à la satisfaction des désirs. C'est à contrecœur que l'homme se résigne à reconnaître qu'il y a des choses — en fait, tout le réseau complexe des relations causales entre les événements — que l'on ne peut changer selon ses rêves."

    "L'historien ne rapporte pas tous les faits, mais seulement ceux qu'il considère comme significatifs du point de vue de ses théories ; il omet les données considérées comme sans portée dans l'interprétation des événements."

    "Il n'y a pas de conflit entre l'histoire économique et la science économique.  Chaque branche du savoir a son propre mérite et ses droits propres."

    "Peu nombreux sont les élus pour qui la nation compte plus que leur clientèle intéressée."

    "Selon une très ancienne tradition, l'objectif des universités n'est pas seulement l'enseignement, mais aussi l'avancement du savoir et de la science. Le devoir du professeur d'université n'est pas seulement de transmettre aux étudiants le bagage de savoir constitué par d'autres hommes. Il est censé contribuer à l'accroissement de ce trésor par son propre travail."

    "La description la plus juste de l'homme, en tant qu'il se distingue des êtres non humains, est celle-ci : un être qui lutte à dessein contre les forces hostiles à sa vie."
    -Ludwig von Mises, L'Action humaine. Traité d'économie (1949).

    http://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2011/03/Laction-humaine.pdf


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Jeu 2 Nov - 14:26, édité 1 fois


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 15 Mai - 19:44

    "Tant que l'on n'a pas découvert de relation manifeste entre les idées et les événements physiques ou chimiques dont elles seraient la conséquence régulière, la thèse positiviste demeure un postulat épistémologique découlant non pas d'une expérience scientifiquement établie, mais d'une vision métaphysique du monde."

    "Du point de vue épistémologique, la marque distinctive de ce que nous appelons la nature se trouve dans une régularité inévitable et vérifiable dans l'enchaînement des phénomènes. D'autre part, le signe distinctif de ce que nous appelons la sphère humaine, ou l'histoire humaine, ou, mieux encore, le champ de l'action humaine, est l'absence d'une telle régularité régnant de manière universelle."

    "En économie, il n'y a pas de relations constantes entre les diverses grandeurs. Par conséquent, toutes les données vérifiables sont variables ou, ce qui revient au même, sont des données historiques. Les économistes mathématiciens répètent que la difficulté de l'économie mathématique vient du fait qu'il y a un trop grand nombre de variables. La vérité est qu'il n'y a que des variables et aucune constante."

    "Ce qui s'est passé dans l'Histoire ne peut pas être découvert et raconté sans se référer aux divers jugements et évaluations des individus agissant."

    "La valeur n'est pas intrinsèque. Elle n'est pas dans les choses et dans les circonstances, mais dans le sujet qui juge, qui évalue."

    "Tout ce qui compte est de savoir si une doctrine est juste ou non. Ceci doit être établi par le raisonnement discursif. On ne retire rien à la justesse et à la correction d'une théorie si l'on dévoile les forces psychologiques qui ont poussé son auteur. Les motifs qui ont guidé le penseur sont sans importance pour apprécier ses accomplissements."

    "Le terme de "droit naturel" a été revendiqué par diverses écoles philosophiques et juridiques. De nombreuses doctrines ont fait appel à la nature afin de donner une justification à leurs postulats. Beaucoup de thèses manifestement fausses ont été avancées sous le label du droit naturel. Il n'était pas difficile de détruire les sophismes communs à toutes ces lignes de pensée. Et il n'est pas surprenant que de nombreux penseurs deviennent méfiants dès que l'on se réfère au droit naturel. [...] Poussée au bout de ses conséquences logiques, l'idée de droit naturel aboutit en fin de compte au rationalisme et à l'utilitarisme."

    "C'est une triste vérité que Mars soutient les gros bataillons et non les causes justes."

    "Il n'existe donc pas de conflits irrémédiables entre égoïsme et altruisme, entre économie et éthique, entre les préoccupations de l'individu et celles de la société. La philosophie utilitariste et sa création la plus aboutie, l'économie, ont réduit ces antagonismes apparents à l'opposition des intérêts à court et à long termes. La société n'aurait pas pu naître ou être préservée sans une harmonie des intérêts correctement compris de tous ses membres."

    "L'effort humain exercé selon le principe de la division du travail dans le cadre de la coopération sociale entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une production plus grande par unité d'énergie que celle résultant des efforts isolés d'individus solitaires. La coopération sociale devient ainsi pour presque tout un chacun le grand moyen pour parvenir à toutes les fins."

    "Le trait caractéristique d'une société libre est qu'elle fonctionne malgré le fait que ses membres soient en désaccord sur beaucoup de jugements de valeur."

    "Seuls des pédants guindés peuvent concevoir l'idée qu'il puisse exister des normes absolues disant ce qui est beau et ce qui ne l'est pas. Ils essaient de déduire des œuvres du passé un ensemble de règles que les écrivains et les artistes du futur devraient, à leur avis, respecter."

    "La pire et plus dangereuse forme d'autorité absolutiste est celle d'une majorité intolérante. Telle est la conclusion à laquelle étaient arrivés Tocqueville et John Stuart Mill."

    "Les sciences de l'action humaines ne rejettent en aucune façon le déterminisme. L'objectif de l'Histoire est de mettre en relief les facteurs qui conduisent à un événement donné. L'Histoire est entièrement guidée par la catégorie de la cause et de l'effet. En somme, il n'y a pas de question de contingence. Cette dernière notion, utilisée dans le domaine de l'action humaine, se réfère toujours à l'incertitude de l'homme quant à l'avenir et aux limites de la compréhension historique particulière des événements futurs. Elle se réfère aux limites de la recherche humaine de la connaissance, et non à la condition de l'univers ou de certaines de ses parties."

    "Les libéraux adeptes du laissez-faire affirmaient ceci : Si les anciennes lois établissant des privilèges et des handicaps statutaires sont abolies et qu'aucune autre pratique du même genre — tels que les tarifs douaniers, les subventions, la taxation discriminatoire, la complaisance manifestée à des agences non gouvernementales comme les Églises, les syndicats, etc. quand elles utilisent la contrainte et l'intimidation — n'est introduite, alors il y a égalité devant la loi. Personne ne voit ses aspirations et ses ambitions pénalisées par des obstacles légaux. Tout le monde est libre de postuler à toute situation ou fonction sociale pour laquelle ses compétences personnelles le qualifie.

    Les communistes nient que la société capitaliste, organisée selon le système libéral de l'égalité devant la loi, fonctionne de cette façon. A leurs yeux la propriété privée des moyens de production donne aux propriétaires — les bourgeois et les capitalistes dans la terminologie de Marx — un privilège en réalité semblable à celui autrefois accordé aux seigneurs féodaux. La "révolution bourgeoise" n'aurait pas aboli les privilèges et la discrimination envers les masses : elle a, dit le marxiste, simplement remplacé l'ancienne classe dirigeante et exploiteuse de la noblesse par une nouvelle classe dirigeante et exploiteuse, la bourgeoisie. La classe exploitée, celle des prolétaires, n'a pas profitée de cette réforme. Elle a changé de maîtres mais est restée opprimée et exploitée. Ce qu'il faut, c'est une nouvelle et dernière révolution qui, en abolissant la propriété privée des propriétés de production, créera une société sans classes.

    Cette doctrine socialiste et communiste ne tient absolument pas compte de la différence essentielle entre les conditions régnant dans une société de statut ou de castes et celles dans une société capitaliste. La propriété féodale naissait de la conquête ou d'un don fait par le conquérant. Elle prenait fin par la révocation du don ou avec la conquête par un conquérant plus puissant. Il s'agissait d'une propriété "par la grâce de Dieu", parce qu'elle découlait en définitive de la victoire militaire que l'humilité ou la présomption des princes attribuait à une intervention spéciale du Seigneur. Les propriétaires d'un domaine féodal ne dépendaient pas du marché, ils n'étaient pas au service des consommateurs : dans les limites de leurs droits de propriété, ils étaient les véritables seigneurs. Il en va cependant très différemment des capitalistes et des entrepreneurs d'une économie de marché. Ceux-ci ont acquis et agrandi leur propriété par les services qu'ils ont rendus aux consommateurs et il ne peuvent la conserver qu'en les servant à nouveau du mieux possible chaque jour. Cette différence ne disparaît pas si l'on appelle de manière métaphorique un fabricant de spaghetti à succès "le roi des spaghetti".

    Marx ne s'est jamais attaqué à la tâche sans espoir de réfuter la description faite par les économistes du fonctionnement de l'économie de marché. A la place de cela, il s'empressait de montrer que le capitalisme devait conduire dans le futur à une situation très peu satisfaisante. Il entreprit de démontrer que le fonctionnement du capitalisme devait inévitablement conduire à une concentration des richesses possédées par un nombre sans cesse en diminution de capitalistes d'une part, et à l'appauvrissement progressif de l'immense majorité d'autre part. Pour l'accomplir cette tâche il partit de la fausse loi d'airain des salaires, d'après laquelle le salaire moyen est la quantité de moyens de subsistance absolument nécessaires pour permettre tout juste au travailleur de survivre et d'élever sa progéniture. Cette prétendue loi a été depuis longtemps totalement discréditée, et même les marxistes les plus sectaires l'ont abandonné. Mais même si l'on acceptait pour les besoins du raisonnement de considérer cette loi comme correcte, il est évident qu'elle ne pourrait en aucun cas servir de base pour démontrer que l'évolution du capitalisme conduirait à un appauvrissement progressif des salariés. Si les taux de salaire d'une économie capitaliste étaient toujours si faibles qu'ils ne pourraient, pour des raisons physiologiques, continuer à baisser sans anéantir toute la classe des salariés, il serait alors impossible de maintenir la thèse du Manifeste communiste disant que le travailleur "descend toujours plus bas" avec les progrès de l'industrie. Comme avec tous les autres arguments de Marx, cette démonstration est contradictoire et se détruit elle-même. Marx se vantait d'avoir découvert les lois immanentes de l'évolution capitaliste. Il considérait que la plus importante de toutes était la loi de l'appauvrissement progressif des masses salariées. C'est l'action de cette loi qui devait conduire à l'effondrement final du capitalisme et à l'émergence du socialisme. Quand on comprend que cette loi est fausse, on retire le socle du système économique de Marx et de sa théorie de l'évolution capitaliste.

    Nous devons au passage reconnaître que le niveau de vie des salariés des pays capitalistes s'est accru d'une manière sans précédent et inespérée depuis la publication du Manifeste communiste et du premier volume du Capital. Marx s'est trompé sur tous les points quant au fonctionnement du système capitaliste
    ."

    "Il est évident qu'au moins l'un des traits caractéristiques d'une théorie correcte est qu'une action basée sur elle doit permettre d'atteindre le résultat escompté. En ce sens la vérité marche alors que l'erreur ne marche pas."

    "Le parlement russe élu en 1917 par tous les citoyens adultes et sous les auspices du gouvernement de Lénine ne comprenait, malgré la violence exercée sur les électeurs par le parti au pouvoir, que moins de 25 pour cent de membres communistes. Les trois quarts de la population avaient voté contre les communistes. Mais Lénine décida de dissoudre le parlement par la force des armes et d'instaurer avec fermeté le règne dictatorial d'une minorité. Le chef de la puissance soviétique devint le pontife suprême de la secte marxiste. Son droit à détenir ce poste découlait du fait qu'il l'avait emporté sur ses rivaux au cours d'une sanglante guerre civile."

    "D'un point de vue marxiste cohérent, les champions de ce qu'on appelle la législation en faveur du travail sont des réactionnaires petits-bourgeois alors que ceux que les marxistes appellent des persécuteurs du travail sont les annonciateurs progressistes du bonheur suprême à venir."

    "La doctrine de Marx n'est pas une interprétation matérialiste mais une interprétation technologique de l'Histoire. Cependant, d'un point de vue politique, Marx eut bien raison de qualifier sa doctrine de scientifique et de matérialiste. Ces affirmations lui donnèrent une réputation qu'elle n'aurait jamais acquise sans elles."

    "Les marxistes s'accrochent au matérialisme historique et refusent avec obstination d'écouter les critiques qu'on lui fait parce qu'ils désirent le socialisme pour des raisons émotionnelles."

    "Les philosophies de l'Histoire modernes empruntent à Daniel la notion de stade suprême de l'humanité, la notion d'une "domination éternelle qui ne passera point". Même si Hegel, Comte et Marx peuvent être en désaccord avec Daniel et entre eux, ils acceptent tous cette idée, élément essentiel de toute philosophie de l'Histoire. Ils annoncent soit que le stade suprême a déjà été atteint (Hegel), soit que l'humanité vient juste d'y entrer (Comte), soit qu'il faut s'attendre chaque jour à son avènement (Marx)."

    "Les athées Comte et Marx n'auraient pas dû se contenter de supposer que la marche du temps est nécessairement une marche vers un état toujours meilleur et conduisant finalement à un état parfait. Il leur revenait de prouver que le progrès et l'amélioration sont inévitables et qu'un retour à une situation peu satisfaisante est impossible. Mais ils n'ont jamais entrepris une telle démonstration."

    "Comme il existe dans l'univers une régularité dans l'enchaînement et la suite des phénomènes, et comme l'homme est capable d'acquérir des connaissances sur certaines de ces régularités, l'action humaine devient possible dans des limites précises. Le libre arbitre signifie que l'homme peut aspirer à des fins déterminées parce qu'il est familier d'une partie des lois déterminant le flot des affaires du monde."

    "Que se serait-il passé si le lieutenant Napoléon Bonaparte avait été tué pendant le siège de Toulon ? Friedrich Engels connaît la réponse : "Un autre aurait pris la place." Car "l'homme a toujours été trouvé dès qu'il était devenu nécessaire". Nécessaire pour qui et dans quel but ? A l'évidence pour que les forces productives matérielles instaurent, à une date ultérieure, le socialisme. Il semble que les forces productives matérielles aient toujours un substitut sous la main, aussi prudentes qu'un directeur d'opéra disposant d'une doublure prête à chanter la partie du ténor au cas où la star prendrait froid. Si Shakespeare était mort dans son enfance, un autre homme aurait écrit Hamlet et les Sonnets. Mais, demandent certaines personnes, que fit cette doublure pendant ce temps puisque la bonne santé de Shakespeare lui a épargné cette corvée ?"

    "En étudiant le passé, l'historien doit dire que, les conditions ayant été ce qu'elles furent, tout ce qui s'est passé était inévitable. La situation était à tout instant la conséquence nécessaire de la situation la précédant immédiatement."

    "Un homme d'État ne peut réussir que dans la mesure où ses plans sont adaptés au climat de l'opinion de son temps, c'est-à-dire aux idées qui se sont emparées des esprits de ses concitoyens."

    "Émile Durkheim et son école traitaient de l'esprit de groupe comme s'il s'agissait d'un véritable phénomène, d'une chose distincte, pensant et agissant. Selon eux le sujet de l'Histoire n'était pas les individus mais le groupe.

    Pour rectifier ces fantaisies, il faut souligner le truisme que seuls les individus pensent et agissent
    ."

    "La thèse fondamentale de l'historicisme est que, en dehors des sciences de la nature, des mathématiques et de la logique, il n'y a pas de connaissance autre que celle fournie par l'Histoire. Il n'existe pas de régularité dans l'enchaînement et la suite des phénomènes et des événements se produisant dans la sphère de l'action humaine. Les tentatives de développer une science de l'économie et de découvrir les lois économiques sont par conséquent vaines. La seule méthode raisonnable pour étudier l'action humaine, les exploits et les institutions sont la méthode historique."

    "Le profit est la différence entre la plus haute valeur du bien obtenu et la plus basse valeur du bien sacrifié pour l'obtenir. Si l'action, en raison d'une maladresse, d'une erreur, d'un changement imprévu des conditions ou d'autres circonstances, conduit à obtenir quelque chose auquel l'acteur attache une valeur moindre que le prix payé, l'action engendre une perte. Comme l'action vise invariablement à substituer une situation que l'acteur considère plus satisfaisante à une situation qu'il juge moins favorable, l'action recherche toujours le profit et jamais la perte."

    "Le béhaviorisme veut observer le comportement humain de l'extérieur et l'étudier comme une simple réaction à une situation donnée. Il évite de façon pointilleuse toute référence au sens et au but. Une situation ne peut toutefois pas être décrite sans analyser la signification que l'homme étudié y trouve. Si l'on évite de traiter de cette signification, on néglige le facteur essentiel déterminant de façon catégorique le mode de réaction. Cette réaction n'est pas automatique mais dépend entièrement de l'interprétation et des jugements de valeur de l'individu, qui cherche à créer, si possible, une situation qu'il préfère à l'état qui prévaudrait s'il n'agissait pas. Imaginez un béhavioriste décrivant la situation résultant d'une proposition de vente sans faire allusion au sens que chaque agent y attache !"

    "La philosophie collectiviste moderne est une vulgaire descendante de la vieille doctrine du réalisme conceptuel. [...] Elle attribue aux universaux une existence objective réelle, et même une existence supérieure à celle des individus, voire, en niant catégoriquement l'existence autonome des individus, la seule existence réelle."

    "Examinons tout d'abord le concept de société en général. Les hommes coopèrent les uns avec les autres. La totalité des rapports entre les hommes engendrés par cette coopération est appelée société. La société n'est pas une entité en elle-même. C'est un aspect de l'action humaine. Elle n'existe pas et ne vit pas en dehors du comportement des gens."

    "En parlant des groupes sociaux il faut se souvenir que les membres de chaque groupe sont en même temps membres d'autres groupes."

    "Ce qui fait un artiste, ce n'est pas l'expérience ou la connaissance en tant que telles. C'est sa réaction aux problèmes de l'existence et au destin de l'homme."

    "Un roman, ou une pièce, a toujours un héros de plus que n'en indique l'intrigue. C'est aussi une confession de l'auteur, qui raconte autant sur lui que sur les personnages de l'histoire. Il y révèle son âme la plus intime."

    "La culture personnelle est plus qu'une simple familiarité avec l'état actuel de la science, de la technique et des questions civiques. C'est plus que la connaissance des livres et des peintures et que l'expérience des voyages et des visites dans les musées. C'est l'assimilation des idées qui ont tiré l'humanité de la routine inerte d'une simple existence animale pour la conduire vers une vie de raisonnement et de spéculation. C'est l'effort individuel pour s'humaniser en prenant part à la tradition de tout que les générations précédentes ont légué de meilleur."

    "Les descendants des conquérants barbares qui commencèrent à étudier sérieusement les anciens furent frappés d'une crainte mêlée de révérence. Ils comprirent qu'eux et leurs contemporains se trouvaient face à des idées qu'ils n'auraient pas pu développer eux-mêmes. Ils ne purent s'empêcher de penser que la philosophie, la littérature et les arts de l'époque classique de la Grèce et de Rome étaient insurpassables. Ils ne voyaient pas d'autre voie vers la connaissance que celle ouverte par les anciens. Qualifier une réalisation intellectuelle de moderne avait pour eux une connotation péjorative. Mais lentement, à partir du dix-septième siècle, les gens prirent conscience que l'Occident avait atteint sa majorité et qu'il avait créé une culture propre. Ils ne déploraient plus la disparition d'un âge d'or irrémédiablement perdu des arts et des sciences et ne considéraient plus les chefs-d'œuvres de l'antiquité comme des modèles pouvant être imités mais jamais égalés et encore moins surpassés. Ils en vinrent à substituer l'idée d'une amélioration progressive à l'idée préalablement acceptée d'une dégénération progressive."

    "Les manuels d'Histoire préparés à l'intention des écoles publiques se caractérisent par un esprit de clocher et un chauvinisme plutôt naïfs."

    "L'historien prend parti, comme homme et comme citoyen, dans de nombreuses querelles et controverses de son temps. Il n'est pas facile de combiner la réserve scientifique dans les études historiques et l'appartenance à un parti dans la vie de tous les jours. Mais cela a été fait par des historiens de premier plan."

    "Dans une même situation différents modes de réaction sont envisageables et possibles."

    "L'humanité ne pourra jamais non plus atteindre un état de perfection. L'idée qu'un état d'indifférence et de désœuvrement serait désirable et constituerait la situation la plus heureuse que l'humanité puisse jamais atteindre imprègne la littérature utopique. Les auteurs de ces plans dépeignent une société dans laquelle aucun changement supplémentaire n'est nécessaire parce que tout aurait atteint sa meilleure forme possible. Dans ces utopies il n'y aurait plus de raison de faire des efforts pour améliorer les choses parce que tout serait déjà parfait. L'Histoire serait arrivée à sa fin."

    "Sur le long terme même les gouvernements les plus despotiques, avec toute leur brutalité et leur cruauté, ne peuvent résister aux idées."

    "La liberté est indivisible. La distinction entre une sphère économique et une sphère non économique de la vie et de l'activité humaines est la pire de leurs erreurs."
    -Ludwig von Mises, Théorie et Histoire. Une interprétation de l'évolution économique et sociale (1957).


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 11 Fév - 17:41

    "Le remplacement des méthodes de gestion économique pré-capitalistes par le capitalisme de laissez-faire a multiplié les chiffres de la population et élevé d'une manière sans précédent le niveau de vie moyen. Une nation est aujourd'hui d'autant plus prospère qu'elle a le moins tenté de placer des obstacles sur la voie de l'esprit de l'initiative privée et de la libre entreprise. Les habitants des États-Unis sont plus prospères que ceux de tous les autres pays parce que leur gouvernement s'est engagé plus tard que les autres dans une politique d'obstruction de l'économie. Néanmoins, de nombreuses personnes, en particulier chez les intellectuels, haïssent violemment le capitalisme. Selon elles cet abominable mode d'organisation économique de la société n'aurait apporté que le mal et la misère. A les entendre, les hommes étaient autrefois, au bon vieux temps qui précédait la Révolution Industrielle, heureux et prospères. Désormais, sous le régime capitaliste, l'immense majorité serait constituée de pauvres affamés, exploités sans pitié par de farouches individualistes. Pour ces vauriens rien ne compterait en dehors des intérêts sonnants et trébuchants. Ils ne créeraient pas de bonnes choses véritablement utiles mais uniquement ce qui rapporte les plus gros profits. Ils empoisonneraient d'une part les corps par des boissons alcooliques et par le tabac, d'autre part les âmes et les esprits par des tabloïdes, des livres lubriques et des films idiots. La « superstructure idéologique » du capitalisme serait constituée par une littérature de la décrépitude et de l'avilissement, par les revues déshabillées, l'art du striptease, les films d'Hollywood et les romans policiers.

    Le parti pris et le sectarisme de l'opinion publique se manifestent le plus clairement dans le fait qu'elle attache exclusivement l'épithète « capitaliste » aux choses abominables, jamais à celles que tout le monde approuve. Comment le moindre bien pourrait-il sortir du capitalisme ! Les choses de valeur ont été produites en dépit de lui, tandis que les choses mauvaises constituent les résultats de sa mise en œuvre.

    L'objet de cet essai est d'analyser ce préjugé anti-capitaliste ainsi que de mettre à jour ses racines et ses conséquences.
    "

    "Dans la structure d'une économie de marché non sabotée par les remèdes de charlatan des gouvernements et des politiciens, il n'y a pas de grands manitous ou de grands seigneurs qui maintiennent le peuple en soumission, qui collectent des tributs et des impôts, et qui festoient avec éclat pendant que les serfs doivent se contenter des miettes. Le système du profit rend prospères les gens qui ont réussi à satisfaire les demandes du peuple de la meilleure manière et au meilleur prix. La richesse ne peut être acquise qu'en se mettant au service des consommateurs. Les capitalistes perdent leurs fonds dès qu'ils n'arrivent pas à investir dans les branches où ils satisfont au mieux les demandes du public. Dans un plébiscite répété chaque jour, dans lequel chaque centime donne un droit de vote, les consommateurs déterminent qui doit posséder et qui doit diriger les usines, les magasins et les fermes. Le contrôle des moyens matériels de production est une fonction sociale soumise à confirmation ou à révocation de la part des consommateurs souverains."

    "Il n'y a qu'une façon disponible pour améliorer la condition matérielle de l'humanité : accélérer la croissance du capital accumulé par rapport à la croissance de la population. Plus la quantité de capital investi par travailleur est grande, plus il y aura de biens pouvant être produits et consommés et meilleurs ils seront. Voilà ce que le capitalisme, ce système tant insulté du profit, a apporté et apporte chaque jour à nouveau. Et pourtant la plupart des gouvernements et des partis politiques actuels souhaitent détruire ce système.

    Pourquoi haïssent-ils tous le capitalisme ? Pourquoi, alors qu'ils bénéficient du bien-être que le capitalisme leur a accordé, jettent-ils des coups d'œil envieux en direction du « bon vieux temps » du passé et de la situation misérable de l'ouvrier russe d'aujourd'hui ?
    "

    "La richesse d'un aristocrate n'est pas un phénomène du marché ; elle n'a pas pour origine l'approvisionnement des consommateurs et ne peut pas être retirée ou même modifiée par une quelconque action de la part du public. Elle provient de la conquête, ou de la largesse d'un conquérant. Elle peut prendre fin en raison de la révocation du donneur ou par une éviction violente de la part d'un autre conquérant, ou elle peut encore être dissipée par la prodigalité. Le seigneur féodal n'est pas au service des consommateurs et il est protégé contre le mécontentement du peuple.

    Les entrepreneurs et les capitalistes doivent leur richesse au peuple qui se fournit chez eux. Ils la perdent inévitablement dès que d'autres individus les supplantent en servant mieux, ou à meilleur marché, les consommateurs.

    Le but de cet essai n'est pas de décrire les conditions historiques ayant conduit aux institutions de classe ou de statut, instaurant la subdivision des peuples en groupes héréditaires avec différents rangs, différents droits, différents titres ainsi que des privilèges ou des handicaps reconnus par la loi. La seule chose qui compte pour nous est le fait que la préservation de ces institutions féodales était incompatible avec le système capitaliste. Leur abolition et la mise en place du principe d'égalité devant la loi éliminèrent les barrières qui empêchaient l'humanité de jouir de tous les bénéfices que le système de la propriété privée des moyens de production et de l'entreprise privée rend possible.

    Dans une société reposant sur le rang, le statut ou la caste, la place d'un individu dans la vie est fixée. Il naît dans une certaine situation et sa position dans la société est déterminée rigoureusement par les lois et les coutumes qui assignent à chaque membre de son rang des privilèges et des devoirs donnés, ou lui infligent des désavantages déterminés. Une chance ou une malchance extraordinaire peut dans certains rares cas élever un individu à un niveau supérieur ou le rabaisser à un rang inférieur. Mais, en règle générale, la situation des membres d'un ordre ou d'un rang donnés ne peut s'améliorer ou se dégrader que suite à un changement des conditions de tout le groupe. L'individu n'est pas en premier lieu le citoyen d'une nation ; il est le membre d'une condition, d'un état (Stand), et c'est uniquement en tant que tel qu'il est indirectement intégré au corps de sa nation. Lorsqu'il entre en contact avec un compatriote d'un autre rang, il ne ressent aucun lien de communauté. Il ne perçoit que le gouffre qui le sépare du statut de l'autre. La diversité se reflétait tout autant dans les usages linguistiques et vestimentaires. Dans l'ancien régime a, les aristocrates européens parlaient de préférence français. Le tiers-état utilisait la langue vernaculaire, alors que les classes les plus basses de la population urbaine et les paysans s'accrochaient à des jargons, argots et dialectes locaux, souvent incompréhensibles aux gens instruits. Les divers rangs sociaux s'habillaient différemment. Personne ne pouvait se tromper sur le rang d'un étranger qu'il voyait quelque part. La critique principale faite au principe de l'égalité devant la loi par les panégyristes du bon vieux temps est qu'il a aboli les privilèges de rang et de dignité. Il a, disent-ils, « atomisé » la société, dissous ses divisions « organiques » en masses « amorphes ». Les « bien trop nombreux » sont désormais tout-puissants et leur matérialisme médiocre a remplacé les nobles critères des âges révolus. L'argent est roi. Des gens plutôt sans valeur jouissent des richesses et de l'abondance, alors que des gens méritants et de valeur partent les mains vides.

    Cette critique suppose implicitement que dans l'ancien régime les aristocrates se distinguaient par leur vertu et qu'ils devaient leur rang et leurs revenus à leur supériorité morale et culturelle. Il n'est guère nécessaire de discréditer cette fable. Sans exprimer le moindre jugement de valeur, l'historien ne peut s'empêcher de souligner que la haute aristocratie des principaux pays européens descendait de soldats, de courtisans et de courtisanes qui, dans leurs batailles religieuses et constitutionnelles du XVIe et XVIIe siècles, s'étaient habilement mis du côté du parti sorti vainqueur dans leurs pays respectifs.

    Alors que les ennemis conservateurs et « progressistes » du capitalisme sont en désaccord en ce qui concerne l'estimation des anciennes normes, ils sont pleinement d'accord pour condamner les normes de la société capitaliste. Selon eux, ce ne sont pas ceux qui méritent le plus de leurs semblables qui obtiennent la richesse et le prestige, mais des gens sans valeur. Les deux groupes prétendent chercher à substituer des méthodes de « répartition » plus justes à celles manifestement injustes ayant cours avec le capitalisme de laissez-faire
    ."

    "Ce qui fait que beaucoup de gens sont malheureux dans un régime capitaliste, c'est que le capitalisme donne à chacun l'occasion d'atteindre les postes les plus désirables qui, bien sûr, ne peuvent être obtenus que par quelques-uns. Quoi qu'un homme ait pu gagner pour lui-même, ce n'est qu'une faible fraction de ce que son ambition le poussait à gagner. Il y a toujours devant ses yeux des gens qui ont réussi là où il a échoué. Ils y a des individus qui l'ont devancé et envers lesquels, dans son inconscient, il nourrit des complexes d'infériorité. C'est l'attitude du vagabond envers l'homme qui a un travail régulier, de l'ouvrier envers le contremaître, du cadre envers le vice-président, du vice président envers le président de la compagnie, de l'homme qui vaut trois cent mille dollars envers le millionnaire, etc. La confiance en soi et l'équilibre mental de chacun sont sapés par le spectacle de ceux qui ont fait preuve de plus grandes capacités et aptitudes. Tout le monde est conscient de sa propre défaite et de sa propre insuffisance.

    C'est Justus Möser qui a inauguré la longue liste des auteurs allemands rejetant radicalement les idées « occidentales » des Lumières et la philosophie sociale du rationalisme, de l'utilitarisme et du laissez-faire, tout autant que les politiques prônées par ces écoles de pensée. L'un des nouveaux principes qui provoquait l'ire de Möser était la demande que la promotion des officiers de l'armée et des fonctionnaires civils dépende du mérite et de l'aptitude personnels au lieu de dépendre de l'ascendance et de la noblesse du lignage du titulaire, de son âge et de la durée de son service. La vie dans une société où le succès dépendrait exclusivement du mérite personnel serait, selon Möser, tout simplement insupportable. La nature humaine étant ce qu'elle est, tout le monde est enclin à surestimer sa propre valeur et ses propres mérites. Si la position d'un homme dans la vie est conditionnée par des facteurs autres que son excellence intrinsèque, ceux qui restent au bas de l'échelle peuvent accepter ce résultat et, connaissant leur valeur, conserver encore leur dignité et leur estime de soi. Mais il va autrement si seul le mérite décide. Ceux qui échouent se sentent alors humiliés et insultés. La haine et l'hostilité envers tous ceux qui les ont supplantés doit en résulter.

    Le système capitaliste des prix et du marché constitue une telle société où le mérite et les réalisations déterminent le succès ou l'échec d'un homme. Quoi que l'on puisse penser du préjugé de Möser contre le principe du mérite, on doit admettre qu'il avait raison en décrivant l'une de ses conséquences psychologiques. Il avait compris les sentiments de ceux que l'on avait essayés et trouvé insuffisants.

    Afin de se consoler et de restaurer sa confiance en soi, un tel homme cherche un bouc émissaire. Il essaie de se persuader qu'il a échoué sans en être responsable. Il est au moins aussi brillant, efficace et travailleur que ceux qui l'éclipsent. Malheureusement, cet infâme ordre social dans lequel nous vivons n'accorde pas ses récompenses aux hommes les plus méritants ; il couronne le coquin malhonnête et sans scrupules, l'escroc, l'exploiteur, le « farouche individualiste ». C'est son honnêteté qui l'a fait échouer. Il était trop brave pour recourir aux astuces auxquelles ses rivaux à succès doivent leur influence. Les conditions étant ce qu'elles sont avec le capitalisme, un homme est obligé de choisir entre la vertu et la pauvreté d'une part, le vice et les richesses de l'autre. Lui, Dieu merci, a choisi la première possibilité et rejeté la seconde.

    Cette recherche d'un bouc émissaire est l'attitude de ceux qui vivent dans un ordre social traitant chacun selon sa contribution au bien-être de ses semblables et où donc chacun est à l'origine de sa propre fortune. Dans une telle société, tout membre dont les ambitions n'ont pas été pleinement satisfaites s'indigne de la richesse de ceux qui ont mieux réussi que lui. Le faible d'esprit exprime ces sentiments par la calomnie et la diffamation. Les plus sophistiqués ne cèdent pas à la calomnie personnelle. Ils subliment leur haine en une philosophie, la philosophie de l'anti-capitalisme, afin de rendre inaudible la voix intérieure qui leur dit que leur échec est entièrement de leur faute. Leur fanatisme pour ce qui est de défendre leur critique du capitalisme est précisément dû au fait qu'ils luttent contre leur propre prise de conscience de sa fausseté
    ."

    "Pour comprendre la détestation que l'intellectuel nourrit envers capitalisme, il faut se rendre compte que ce système est incarné dans son esprit par un certain nombre de confrères dont il ressent le succès et qu'il rend responsables de la frustration de ses propres grandes ambitions. Son rejet passionné du capitalisme n'est qu'un simple masque destiné à cacher sa haine à l'encontre de certains « collègues » à succès."

    "Dans un régime capitaliste, le succès matériel dépend de l'appréciation des accomplissements d'un homme par les consommateurs souverains. A cet égard il n'y a pas de différence entre les services rendus par un fabricant et ceux rendus par un producteur, un acteur ou un auteur. La conscience de cette dépendance rend pourtant les gens du spectacle bien plus mal à l'aise que ceux qui approvisionnent les clients avec des articles tangibles. Les fabricants de biens tangibles savent que leurs produits sont achetés en raison de certaines propriétés physiques. Ils peuvent raisonnablement s'attendre à ce que le public continue de demander ces articles tant que rien de mieux ou de meilleur marché ne leur est offert, car il est improbable que les besoins que satisfont ces biens changeront dans le futur proche. L'état du marché de ces biens peut, dans une certaine mesure, être anticipé par des entrepreneurs intelligents. Ceux-ci peuvent, avec un certain degré de confiance, regarder vers l'avenir.

    Il en va autrement avec les divertissements. Les gens cherchent à s'amuser parce qu'ils s'ennuient. Et rien ne les fatigue autant que des distractions qu'ils connaissent déjà. L'essence de l'industrie du divertissement est la variété. Les habitués applaudissent surtout ce qui est nouveau et donc inattendu et surprenant. Ils sont capricieux et imprévisibles. Ils dédaignent ce qu'ils adoraient hier. Le géant de la scène ou de l'écran doit toujours craindre les caprices du public. Il se réveille un matin riche et célèbre et peut être oublié le lendemain. Il sait très bien qu'il dépend entièrement des lubies et des fantaisies d'une foule aspirant à l'hilarité. Il est toujours tourmenté par l'anxiété. Comme le constructeur Solness de la pièce d'Ibsen, il craint les nouveaux venus inconnus, les jeunes vigoureux qui le supplanteront dans le cœur du public.

    Il est évident qu'il n'y a pas de remède à ce qui rend mal à l'aise les gens de la scène. Ils essaient donc de s'accrocher à quelque chose. Le communisme, pensent certains d'entre eux, leur apportera la délivrance. N'est-ce pas un système qui rendra tout le monde heureux ? Des hommes éminents n'ont-ils pas déclaré que tous les maux de l'humanité sont causés par le capitalisme et seront balayés par le communisme ? Ne sont-ils pas eux-mêmes des gens travaillant dur, des camarades de tous les autres travailleurs ?

    On peut raisonnablement supposer qu'aucun des communistes d'Hollywood et de Broadway n'a jamais étudié les écrits d'un quelconque auteur socialiste et encore moins une quelconque analyse sérieuse de l'économie de marché. Mais c'est ce fait même qui, pour les beautés, pour les danseurs et chanteurs, pour les auteurs et producteurs de comédies, de films et de chansons, donne l'illusion que leurs griefs particuliers disparaîtront dès que les « expropriateurs » seront expropriés.
    "

    "L'économie est tellement différente des sciences naturelles et de la technique d'une part, de l'histoire et de la jurisprudence de l'autre, qu'elle semble étrange et repoussante au débutant. Sa singularité heuristique est regardée avec suspicion par ceux dont le travail de recherche est effectué en laboratoire ou dans les archives et les bibliothèques. Sa singularité épistémologique apparaît comme un non-sens aux doctrinaires à l'esprit étroit du positivisme. Les gens voudraient trouver dans un livre d'économie une connaissance qui corresponde parfaitement à leur image préconçue de ce que devrait être l'économie, à savoir une discipline modelée selon la structure logique de la physique ou de la biologie. Ils sont désorientés et cessent d'affronter sérieusement les problèmes dont l'analyse nécessite un effort mental inaccoutumé.

    Le résultat de cette ignorance est que les gens attribuent toutes les améliorations des conditions économiques aux progrès des sciences naturelles et de la technique. D'après eux, il prévaudrait dans le cours de l'histoire humaine une tendance automatique au progrès continuel des sciences expérimentales de la nature et de leur application pour ce qui est de résoudre les problèmes techniques. Cette tendance serait irrésistible, elle serait inhérente à la destinée de l'humanité et son action se manifesterait quelle que puisse être l'organisation économique et politique de la société. Selon eux, les améliorations techniques sans précédent des deux cents dernières années ne furent pas causées ou favorisées par les politiques économiques de l'époque. Elles ne furent pas une réussite du libéralisme classique, du libre échange, du laissez-faire et du capitalisme. Elles continueront par conséquent avec tout autre système d'organisation économique de la société.

    Les doctrines de Marx n'ont reçu l'assentiment que parce qu'elles avaient adopté cette interprétation populaire des événements et qu'elles l'ont recouvert d'un voile pseudo-philosophique la rendant agréable à la fois au spiritualisme hégélien et au matérialisme sommaire. Dans la construction de Marx, les « forces matérielles de production » sont une entité surhumaine indépendante de la volonté et des actions des hommes. Elles suivent leur propre chemin, qui est prescrit par les lois inévitables et insondables d'une puissance supérieure. Elles changent mystérieusement et obligent l'humanité à ajuster son organisation sociale à ces changements ; car les forces matérielles de production évitent une chose : rester enchaînées par l'organisation sociale de l'humanité. Le contenu essentiel de l'histoire se situe dans la lutte des forces matérielles de production pour se libérer des liens sociaux qui les maintiennent prisonnières
    ."

    "L'épargne — l'accumulation de capital — est l'intermédiaire qui a fait évoluer étape par étape la difficile quête de nourriture de l'homme des cavernes primitif vers les méthodes modernes de l'industrie. Ce qui a stimulé cette évolution, ce furent les idées qui créèrent le cadre institutionnel au sein duquel l'accumulation de capital fut rendue sûre grâce au principe de la propriété privée des moyens de production. Chaque pas en direction de la prospérité est le résultat de l'épargne. Les plus ingénieuses inventions techniques seraient pratiquement inutiles si les biens du capital nécessaires pour les mettre en œuvre n'avaient pas été accumulés par l'épargne."

    "La philosophie sociale des Lumières qui avait ouvert la voie à la mise en œuvre du programme libéral — liberté économique, accomplie dans l'économie de marché (le capitalisme), ainsi que son corollaire constitutionnel, le gouvernement représentatif — n'avait pas proposé la suppression des trois anciens pouvoirs : la monarchie, l'aristocratie et les églises. Les libéraux européens voulaient substituer la monarchie parlementaire à l'absolutisme royal, non la mise en place d'un gouvernement républicain. Ils voulaient abolir les privilèges des aristocrates, mais non les priver de leurs titres, de leurs écussons et de leurs terres. Ils désiraient octroyer la liberté de conscience à tout le monde et mettre fin à la persécution des dissidents et des hérétiques, mais tenaient fortement à donner à toutes les églises et à toutes les dénominations une parfaite liberté de poursuivre leurs objectifs spirituels. Les trois grands pouvoirs de l'ancien régime étaient ainsi préservés. On aurait pu s'attendre à ce que les aristocrates et les hommes d'église proclamant sans cesse leur conservatisme fussent prêts à s'opposer à l'assaut socialiste contre les fondements de la civilisation occidentale. Après tout les partisans du socialisme ne cachaient pas que le totalitarisme socialiste ne laisserait aucune place à ce qu'ils appelaient des vestiges de la tyrannie, des privilèges et de la superstition.

    Cependant, même au sein de ces groupes privilégiés, le ressentiment et l'envie étaient plus forts que le raisonnement froid. Ils donnèrent en fait la main aux socialistes, oubliant que le socialisme voulait aussi confisquer leurs biens et qu'il n'y aurait aucune liberté religieuse dans un système totalitaire. Les Hohenzollern d'Allemagne inaugurèrent une politique qu'un observateur américain appela le socialisme monarchique. Les Romanov, autocrates de Russie, jouèrent avec le syndicalisme, afin de lutter contre les tentatives « bourgeoises » d'établir un gouvernement représentatif. Dans chaque pays d'Europe, les aristocrates coopéraient de fait avec les ennemis du capitalisme. Partout, des théologiens éminents essayaient de discréditer le système de la libre entreprise et soutenaient ainsi, par conséquent, soit le socialisme soit l'interventionnisme radical. Certains dirigeants éminents du protestantisme actuel — Barth et Brunner en Suisse, Niebuhr et Tillich aux États-Unis, et feu l'Archevêque de Canterbury, William Temple — condamnèrent ouvertement le capitalisme et rendirent même les prétendus échecs du capitalisme responsables des excès du bolchevisme russe
    ."

    "Un homme qui parle en public ou écrit à propos de l'opposition entre le capitalisme et le socialisme sans s'être pleinement familiarisé avec tout ce que l'économie dit de ces sujets, est un bavard irresponsable."

    "La littérature — au sens le plus large du terme — est aujourd'hui un bien demandé par des millions de gens. Ils lisent des journaux, des magazines et des livres ; ils écoutent les retransmissions et remplissent les théâtres. Les auteurs, les producteurs et les acteurs qui répondent aux souhaits du public gagnent des sommes considérables. Dans le cadre de la division sociale du travail, une nouvelle subdivision s'est développée : la catégorie des gens de lettres, c'est-à-dire des gens qui gagnent leur vie en écrivant. Ces auteurs vendent leurs services ou le produit de leurs efforts sur le marché, de même que tous les autres spécialistes vendent leurs services et leurs produits. En leur qualité d'écrivains, ils font partie intégrante du corps social de la société de marché.

    Dans les époques pré-capitalistes, écrire était un art qui ne rapportait rien. Les forgerons et les cordonniers pouvaient gagner leur vie avec leur métier, pas les auteurs. Écrire était un art libéral, un passe-temps, pas une profession. C'était la noble occupation de riches individus, de rois, de grands du royaume et d'hommes d'État, de patriciens et d'autres gentilshommes financièrement indépendants. Les évêques, les moines, les professeurs d'université et les soldats écrivaient pendant leur temps libre. L'homme sans le sou qu'un élan irrésistible poussait à écrire devait d'abord s'assurer une autre source de revenus. Spinoza fabriquait des lentilles. Les deux Mill, le père et le fils, travaillaient dans les bureaux londoniens de la Compagnie des Indes orientales. Mais la plupart des auteurs pauvres vivaient de la générosité de riches amis des arts et des sciences. Les rois et les princes rivalisaient entre eux pour patronner les poètes et les écrivains. Les cours étaient le refuge de la littérature. [...]

    Néanmoins, l'image des philosophes, des historiens et des poètes évoluant au milieu des courtisans et dépendant des bonnes grâces d'un despote n'était pas très édifiante. Les anciens libéraux saluèrent le développement d'un marché des produits littéraires comme une composante essentielle du processus d'émancipation des hommes vis-à-vis de la tutelle des rois et des aristocrates
    ."

    "Une presse libre ne peut exister que s'il y a contrôle privé des moyens de production. Dans une communauté socialiste, où tous les moyens de publication et toutes les imprimeries sont possédés et dirigés par le gouvernement, il ne peut être question d'une presse libre. Seul le gouvernement détermine qui doit avoir le temps et l'occasion d'écrire, ainsi que ce qui doit être imprimé et publié. Comparée à la situation prévalant en Russie soviétique, même la Russie tsariste ressemblait, rétrospectivement, à un pays jouissant de la liberté de la presse. Quand les nazis ont perpétré leurs célèbres autodafés, ils se conformaient strictement aux plans de l'un des grands auteurs socialistes : Cabet."

    "Les progressistes préconisent certaines politiques qui, à les entendre, pourraient soulager immédiatement le sort des masses qui souffrent. Ils recommandent, par exemple, l'expansion du crédit et l'accroissement de la quantité de monnaie en circulation, des taux de salaire minimums à décréter et à faire appliquer soit par le gouvernement soit par la pression et la violence des syndicats, le contrôle du prix des biens et des loyers, ainsi que d'autres mesures interventionnistes. Les économistes ont cependant démontré que de tels remèdes de charlatan n'arrivaient pas à engendrer les résultats que leurs avocats cherchent à atteindre. Leur conséquence est une situation qui, du point de vue de ceux-là même qui les préconisent et qui y ont recours, est pire encore que l'état précédent qu'ils devaient modifier. L'expansion du crédit conduit au retour périodique des crises économiques et des périodes de dépression. L'inflation fait grimper le prix de tous les biens et services. Les tentatives visant à faire appliquer des taux de salaire supérieurs à ceux qui seraient déterminés par un marché libre produisent un chômage de masse prolongé année après année. Le plafonnement des prix conduit à une diminution de l'offre des biens concernés. Les économistes ont prouvé ces théorèmes d'une manière irréfutable. Aucun pseudo-économiste « progressiste » n'a d'ailleurs jamais essayé de les réfuter.

    L'accusation essentielle portée par les progressistes contre le capitalisme est que la récurrence des crises et des dépressions, ainsi que le chômage de masse, sont des caractéristiques qui lui sont inhérentes. La démonstration que ces phénomènes sont, au contraire, le résultat des tentatives interventionnistes de contrôler le capitalisme et d'améliorer la situation de l'homme ordinaire donne à l'idéologie progressiste le coup de grâce. Comme les progressistes ne sont pas en mesure d'avancer la moindre objection défendable contre les enseignements des économistes, ils essaient de les cacher au peuple et plus particulièrement aux intellectuels et aux étudiants des universités. Toute référence à l'une de ces hérésies est formellement interdite. Leurs auteurs sont traités de tous les noms et on dissuade les étudiants de lire leur « fatras idiot »
    ."

    "Quand Marx et Engels, dans le Manifeste communiste, défendaient des mesures interventionnistes données, ils ne voulaient pas recommander un compromis entre le socialisme et le capitalisme. Ils considéraient ces mesures — qui, incidemment, sont les mêmes que celles qui forment l'essence des politiques de New Deal et de Fair Deal — comme les premiers pas sur la voie vers l'instauration du communisme intégral. Ils décrivaient eux-mêmes ces mesures comme « économiquement insuffisantes et insoutenables » et les réclamaient que parce que ces mesures « au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier ».

    La philosophie sociale et économique des progressistes est donc un plaidoyer en faveur du socialisme et du communisme
    ."

    "Il est peut-être vrai qu'il y a parmi les mendiants bouddhistes, vivant de l'aumône dans la saleté et la misère, certains individus se sentant parfaitement heureux et n'enviant aucun nabab. Toutefois, c'est un fait que pour l'immense majorité de la population une telle vie apparaîtrait insupportable. Pour ceux-ci, l'élan les poussant à améliorer continuellement les conditions matérielles de l'existence est inscrit en eux. Qui prétendrait donner un mendiant asiatique comme exemple à l'Américain moyen ?"

    "Il n'y a pas d'étalon permettant de mesurer la valeur esthétique d'un poème ou d'un bâtiment."

    "On se souviendra de John Ruskin — avec Carlyle, les Webb, Bernard Shaw et quelques autres — comme l'un des grands fossoyeurs de la liberté, de la civilisation et de la prospérité britanniques. Personnage misérable dans sa vie privée comme dans sa vie publique, il glorifiait la guerre et l'effusion de sang, et calomniait les enseignements de l'économie politique qu'il ne comprenait pas. C'était un grand détracteur de l'économie de marché et un apologiste romantique des guildes. Il rendait hommage aux arts des siècles passés. Mais quand il se trouva en face de l'œuvre d'un grand artiste vivant, Whistler, il la critiqua avec un langage tellement infect et tellement plein de reproches qu'il fut poursuivi pour diffamation et condamné par le jury. Ce furent les écrits de Ruskin qui popularisèrent le préjugé selon lequel le capitalisme, en plus d'être un mauvais système économique, aurait remplacé la beauté par la laideur, la grandeur par l'insignifiance, l'art par l'ordure."

    "Si l'équipement du capital (par tête d'ouvrier) n'était pas plus abondant qu'il ne l'était il y a trois cents ans ou qu'il ne l'est aujourd'hui en Chine, la production (par tête d'ouvrier) ne serait pas plus grande. Ce qui est nécessaire pour augmenter, en l'absence d'un accroissement du nombre de travailleurs employés, le montant total de la production industrielle de l'Amérique, c'est l'investissement de capitaux supplémentaires, qui ne peuvent être accumulés que par davantage d'épargne. Ce sont ceux qui épargnent et qui investissent qu'il faut remercier pour la multiplication de la productivité de la force de travail totale."

    "En traitant de la philosophie sociale libérale, il existe une disposition à ne pas voir le pouvoir d'un facteur important qui œuvra en faveur de l'idée de liberté, à savoir le rôle éminent joué par la littérature de la Grèce antique dans l'éducation de l'élite. Parmi les auteurs grecs, il y avait aussi des champions de l'omnipotence du gouvernement, comme Platon. Mais la teneur principale de l'idéologie grecque était la poursuite de la liberté. D'après les critères des institutions modernes, les cités grecques doivent être considérées comme des oligarchies. La liberté que les hommes d'État, philosophes et historiens grecs ont glorifiée comme étant le bien le plus précieux de l'homme, était un privilège réservé à une minorité. En la déniant aux métèques et aux esclaves, ils défendaient en fait la loi despotique d'une caste héréditaire d'oligarques. Ce serait pourtant une sérieuse erreur de considérer leurs hymnes à la liberté comme des mensonges. Ils n'étaient pas moins sincères dans leurs louanges et dans leur recherche de la liberté que ne l'étaient, deux mille ans plus tard, les propriétaires d'esclaves qui signèrent la Déclaration d'Indépendance américaine. Ce fut la littérature politique des Grecs antiques qui donna naissance aux idées des Monarchomaques, à la philosophie des Whigs, aux doctrines d'Althusius, de Grotius et de John Locke, à l'idéologie des pères des constitutions modernes et des déclarations des droits. Ce furent les études classiques, caractéristique essentielle de l'éducation libérale, qui maintint vivant l'esprit de liberté dans l'Angleterre des Stuarts, dans la France des Bourbons et dans l'Italie soumise au despotisme d'une constellation de princes. Un homme comme Bismarck, qui était avec Metternich le principal ennemi de la liberté parmi les hommes d'État du XIXe siècle, témoigne du fait que, même dans la Prusse de Frédéric-Guillaume III, le Gymnasium, éducation basée sur la littérature grecque et romaine, fut un bastion du républicanisme. Les tentatives passionnées visant à éliminer les études classiques du cursus de l'éducation libérale et à détruire ainsi en réalité sa véritable nature constituèrent l'une des manifestations principales du renouveau de l'idéologie servile."

    "La liberté doit être accordée à tous, même aux individus abjects, afin de ne pas gêner le petit nombre qui peut en user au bénéfice de l'humanité."

    "L'idéologie la plus pernicieuse des soixante dernières années fut le syndicalisme de Georges Sorel et son enthousiasme pour l'action directe. Créée par un intellectuel français frustré, elle s'empara rapidement des gens de lettres de tous les pays d'Europe. Ce fut un facteur déterminant dans la radicalisation de tous les mouvements subversifs. Elle influença le royalisme, le militarisme et l'antisémitisme français. Elle joua un rôle important dans l'évolution du bolchevisme russe, du fascisme italien et du jeune mouvement allemand qui conduisit finalement au développement du nazisme. Elle transforma les partis politiques, qui cherchaient alors à remporter la victoire lors des campagnes électorales, en factions comptant sur l'organisation de bandes armées. Elle porta le discrédit sur le gouvernement représentatif et sur la « sécurité bourgeoise ». Elle prêcha l'évangile de la guerre civile et de la guerre contre l'étranger. Son slogan principal était : la violence et encore la violence. L'état actuel des affaires européennes est en grande partie le résultat de la prédominance des enseignements de Sorel.

    Les intellectuels furent les premiers à saluer les idées de Sorel : ils les rendirent populaires. Mais la teneur de son idéologie était évidemment anti-intellectuelle. Elle s'opposait au raisonnement froid et à la réflexion posée. Ce qui comptait pour Sorel, c'était uniquement l'action, à savoir l'acte de violence pour la violence. Battez-vous pour un mythe, quoi qu'il puisse vouloir dire, tel était son conseil. « Quand on se place sur ce terrain des mythes, on est à l'abri de toute réfutation. ». Quelle merveilleuse philosophie que de détruire pour détruire. Ne parlez pas, ne raisonnez pas, tuez ! Sorel rejetait « l'effort intellectuel », même celui des champions littéraires de la révolution
    ."

    "Un mouvement « anti-quelque chose » ne fait preuve que d'une attitude négative. Il n'a strictement aucune chance de réussir. Ses diatribes enflammées font en fait la publicité du programme qu'il attaque. Les gens doivent se battre pour quelque chose qu'ils veulent faire réussir, et non pas simplement pour repousser un mal, aussi grand soit-il."
    -Ludwig von Mises, La Mentalité anti-capitaliste, 1956.



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19233
    Date d'inscription : 12/08/2013
    Localisation : France

    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 6 Fév - 17:57

    http://herve.dequengo.free.fr/Mises/LEI/LEI_TDM.htm

    "L'historien britannique Henry Thomas Buckle (1821-1862) a déclaré que « cet Écossais solitaire a, avec la publication d'un seul ouvrage, plus contribué au bonheur de l'homme que ne l'ont fait les talents réunis de tous les hommes d'État et de tous les législateurs dont l'Histoire a offert un récit authentique. » L'économiste anglais Walter Bagehot (1826-1877) disait ceci de la Richesse des nations : « La vie de presque tout le monde en Angleterre — et peut-être de tous — est devenue différente et meilleure à la suite de ce livre. »

    Un travail qui a été louangé d'une telle façon par d'éminents auteurs ne doit pas être abandonné sur les étagères des bibliothèques à la seule lecture des spécialistes et des historiens. Au moins ses plus importants chapitres doivent être lus par tous ceux qui sont désireux d'apprendre quelque chose sur le passé. Il est difficilement possible de trouver un autre livre qui puisse mieux initier quelqu'un à l'étude de l'histoire des idées modernes et de la prospérité créée par l'industrialisation. Sa date de publication — 1776, année de la Déclaration d'indépendance américaine — marque l'aube de la liberté à la fois politique et économique. Il n'existe pas de nation occidentale qui n'ait bénéficié des politiques inspirées par les idées qui reçurent leur formulation classique dans ce traité unique.
    "
    -Ludwig von Mises, "Pourquoi lire Adam Smith aujourd'hui ?", 1953, article in Liberté économique et interventionnisme, posthume, 1990.



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


    Contenu sponsorisé


    Mises - Ludwig von Mises, Œuvre Empty Re: Ludwig von Mises, Œuvre

    Message par Contenu sponsorisé


      La date/heure actuelle est Jeu 28 Mar - 11:43