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    Après Marx

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Mer 20 Aoû - 18:41

    Après Marx

    Essai de Johnathan R. Razorback. 20 août 2014, Paris.

    « A quelles conditions doit satisfaire une doctrine du socialisme pour nous mettre tout à la fois en état de comprendre le mieux possible les phénomènes, et d'agir sur eux avec le maximum d'efficacité ? […] Le chemin qui conduit à ce problème doit passer par une critique du marxisme. […] Pour pouvoir dire après Marx, je dois d'abord dire contre Marx. »
    -Henri de Man, Au-delà du marxisme (1926).

    « Selon Nietzsche les grands créateurs de vertu, d’art et de pensée, pour délivrer une vie naissante qui attend, brisent les formes anciennes et les habitudes contractées ; et c’est là leur scepticisme. »
    -Charles Andler, Nietzsche, sa vie et sa pensée (1920).

    « Aussi douloureux que cela puisse être, il nous faut donc remettre en cause nombre de certitudes et tenter de comprendre comment nous avons été si vite rattrapés puis dépassés par cette société même que nous voulions détruire et que nous avons malgré nous contribué à perfectionner.
    La première de ces certitudes, c'est cette foi obstinée et aveugle qui veut que la société de classe recèle et refoule dans ses entrailles la possibilité historique de son dépassement. Elle parcourt tout le mouvement ouvrier, héritée de l'eschatologie chrétienne, elle permet aux « consciences critiques » le plus profond sommeil et le marxisme va l'ancrer comme un dogme dans la pensée révolutionnaire moderne.

    La deuxième, c'est la théorie confortable de l'aliénation (ou du retard de la conscience), non pas la notion philosophique que nous nous garderons bien de discuter ici, mais cette vulgate théoricienne qui vient conforter les plus flatteuses constructions de la radicalité en prêtant aux individus et aux groupes sociaux des motivations ou des intentions inventées pour les besoins de la cause. La troisième, et c'est par là que nous allons commencer, c'est cette certitude absolue d'être au seuil des bouleversements décisifs que les « lois de l'histoire » nous promettaient, et qui provenait en grande partie de la sous-estimation d'un adversaire qu'on croyait condamné par ces lois, lesquelles interdisaient de reconnaître la bourgeoisie pour ce qu'elle est encore, la seule classe continuant sa révolution au XXeme siècle, la seule classe à même d'en poursuivre le développement
    . »
    -Alain Tizon & François Lonchampt, VOTRE REVOLUTION  N'EST PAS LA MIENNE  (1999).

    Qu’il soit bien entendu que dans cette critique du marxisme, nous attaquons les idées de Marx (et d’Engels), et non celle de la « deuxième génération » de marxistes (Lénine, Rosa Luxembourg, Lukàcs, Gramsci, Georges Sorel, etc) qui les avaient déjà partiellement déformées (Lukàcs en délaissant le contenu pour la « méthode » dialectique, Luxembourg en catastrophisant les prévisions économiques, Sorel en rompant avec le progressisme, etc).

    Nous laissons de côté l’antisémitisme diffus de Marx (« L'organisation juive de prêteurs compulsifs est aussi dangereuse pour le peuple que l'organisation aristocratique des propriétaires terriens. » -K. Marx, article pour le New York Daily Tribune) qui est de toute façon bien en-deçà de la haine délirante d’un Proudhon, pour nous concentrer sur le cœur de sa pensée philosophique et politique.

    1 : Le marxisme est un progressisme moderniste et un moralisme qui ne s’assume pas comme tel (pour lui, l’Histoire n’est cyclique mais linéaire, en progrès perpétuel, ce qui explique la permanente dévalorisation du passé).
    Le contre-argument du caractère cyclique des crises de surproduction ne tient pas, car chacune n’est censée être qu’une répétition de la crise finale annoncée dans Le Capital.

    Une erreur lourde de conséquences du marxisme est de définir la nature humaine comme une donnée historique, transitoire (à l’inverse de tous les moralistes, de Machiavel à Vauvenargues, pour lesquels les mœurs et les modes passent, mais l’homme ne change pas). Ce qui implique de rejeter tout le passé, qui n’est que le produit d’une humanité sinon inférieure, du moins radicalement autre. « L’Homme Nouveau » est le seul valable, construit (au besoin par la force) sur l’opposition avec tout ce qui l’a précédé. Le progressisme eschatologique de Marx l’entraîne à moquer comme infantiles toutes les résistances à la modernisation de l’oppression, et à pleurer d’admiration devant la subtilité de la servitude moderne.

    « La plupart des innovations techniques qui ont permis aux usines de se développer avaient été découvertes depuis un certain temps déjà, mais étaient restées inemployées. Leur application à grande échelle n’en est pas une conséquence mécanique, mais procède d’un choix, historiquement daté, des classes dominantes. Et celui-ci ne répond pas tant à un souci d’efficacité purement technique (efficacité souvent douteuse) qu’à une stratégie de domestication sociale. La pseudo-révolution industrielle se résout ainsi à une entreprise de contre-révolution sociale. Il n’y a qu’un seul progrès : le progrès de l’aliénation.

    Dans le système qui existait antérieurement, les pauvres jouissaient encore d’une grande indépendance dans le travail auquel ils étaient contraints. La forme dominante était l’atelier domestique : les capitalistes louaient les outils aux ouvriers, leur fournissaient les matières premières, et leur rachetaient à vil prix les produits finis. L’exploitation n’était pour eux qu’un
    moment du commerce, sur lequel ils n’exerçaient pas de contrôle direct. Les pauvres pouvaient encore considérer leur travail comme un « art » sur lequel ils avaient une marge notable de décision. Mais surtout ils restaient maîtres de l’emploi de leur temps : travaillant à domicile et pouvant s’arrêter quand bon leur semblait, leur temps de travail échappait à tout calcul. Et la variété, autant que l’irrégularité, caractérisait leur travail, l’atelier domestique n’étant le plus souvent qu’un complément aux activités agricoles. […]

    C’est pour supprimer cette indépendance menaçante des pauvres que la bourgeoisie se voit contrainte de
    contrôler directement la sphère de l’exploitation. Voilà la raison qui préside à la généralisation des usines. Il s’agit d’autonomiser la sphère du travail, temporellement et géographiquement. L’art militaire est appliqué à l’industrie, et les usines sont littéralement construites sur le modèle des prisons, qui leur sont d’ailleurs contemporaines.
    […] Le
    luddisme fut la réponse des pauvres à l’instauration de ce nouvel ordre. […] En Angleterre, alors que le trade-unionisme naissant était faiblement réprimé, voire toléré, la destruction des machines était punie de mort. La négativité absolue des luddistes les rendait intolérables socialement. L’État répondit de deux manières à cette menace : il constitua une police professionnelle moderne, et reconnut officiellement les trade-unions. Le luddisme fut d’abord défait par la répression brutale, puis s’éteignit à mesure que les trade-unions parvinrent à imposer la logique industrielle.

    Parmi toutes les calomnies qui ont été déversées sur les luddistes, la pire est venue des apologues du mouvement ouvrier, qui y ont vu une manifestation aveugle et infantile. Ainsi ce passage du
    Capital, contresens fondamental d’une époque :
    « Il fallut du temps et de l’expérience avant que les travailleurs apprennent à faire la distinction entre les machines elles-mêmes et la manières dont elles sont utilisées par le capital ; et qu’ils dirigent leurs attaques non contre les instruments matériels de production, mais contre la forme sociale particulière avec laquelle ils sont utilisés. »

    Cette conception matérialiste de la neutralité des machines suffit à légitimer l’organisation du travail, la discipline de fer (sur ce point Lénine fut un marxiste conséquent), et finalement tout le reste. Prétendument arriérés, les luddistes avaient du moins compris que les « instruments matériels de production » sont avant tout des instruments de domestication dont la forme n’est pas neutre, puisqu’elle garantit la hiérarchie et la dépendance. »

    « Si les commentateurs marxistes ont abondamment décrit le sort effroyable des ouvriers au XIXème siècle, ils le jugent quelque part inévitable et bénéfique. Inévitable parce qu’ils y voient une conséquence fatale des exigences de la Science, et du nécessaire développement des « rapports de production ». Bénéfique, dans la mesure où « le prolétariat se trouve unifié, discipliné et organisé par le mécanisme de production » (Marx). »

    -Os Cangaceiros n°3, La domestication industrielle.

    « La conception du devenir social actuel comme une lutte entre deux mondes ennemis, le capitalisme et le socialisme, est la cristallisation d'un jugement éthique qui ordonne les faits de la réalité sociale d'après la polarité simple du bien et du mal. Ce sont là des faits psychologiques parfaitement réels, puisqu'ils peuvent déclencher des énergies réelles de l'activité sociale. Mais leur réalité s'arrête aux limites du domaine psychologique ; ce ne sont pas des phénomènes de l'univers objectif. »

    « Le penchant de Marx à exclure de son analyse tous les jugements éthiques qui ne peuvent se démontrer par des catégories économiques lui enlève tout moyen de prouver, outre le fait d'ailleurs évident du profit capitaliste, l'iniquité de ce profit. Le profit capitaliste est inattaquable à l'aide d'appréciations économiques pures. Il n'y a qu'un critérium économique par lequel on puisse juger un mode de production, c'est celui de l'utilité économique, de la quantité des valeurs créées. Au point de vue économique, le système du profit doit être approuvé ou condamné selon qu'il augmente ou diminue la productivité. […] Or le concept de l’exploitation est éthique et non économique. Ce qui, aux yeux des ouvriers marxistes, donne à la théorie de la plus-value, ou du moins à ce que l'on se représente comme telle, le caractère d'une accusation contre le capitalisme, c'est la conviction, sur laquelle la théorie se base sans la prouver, de l'immoralité d'un système qui, selon l'expression de Bertrand Russell, « bat monnaie avec des vies humaines ». »

    « En outre, il est impossible de ne pas reprocher à la théorie de la plus-value d'avoir contribué à détacher l'attention des ouvriers des causes profondes de leur mécontentement, pour la concentrer sur le point unique du préjudice dont ils souffrent lors de la répartition de la plus-value. Ceci aboutit à exacerber l'instinct acquisitif aux dépens des mobiles sociaux plus élevés qui forment la conviction socialiste, tels que le désir d'autonomie individuelle, le besoin d'éprouver de la joie au travail, le sentiment de la dignité humaine, bref les besoins de culture. De cette façon, on cultive un extrémisme acquisitif grossier et au fond petit-bourgeois, qui compromet jusqu'au succès du mouvement ouvrier lui-même. »
    -Henri de Man, Au-delà du marxisme (1926).

    2 : Le marxisme est un matérialisme vulgaire et rationalisme productiviste. Il ne pose pas la question culturelle (la théorie de l’Art étant pour sa part quasiment inexistante chez Marx) mais pose sa critique du capitalisme comme un problème de  sous-consommation, de pouvoir d’achat. La société capitaliste moderne est louée pour sa productivité et critiquée pour l’irrationalité de sa distribution de la production. L’idée de Marx est que la société bourgeoise est réelle et qu’il s’agit de la rendre rationnelle.

    Qu’est-ce qui prouve que Marx admirait le capitalisme ?

    « La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle essentiellement révolutionnaire. […] C’est elle qui, la première, a prouvé ce que peut accomplir l’activité humaine : elle a créé bien d’autres merveilles que les pyramides d’Égypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques ; elle a conduit bien d’autres expéditions que les antiques migrations de peuples et les croisades. […] La Bourgeoisie, depuis son avènement, à peine séculaire, a créé des forces productives plus variées et plus colossales que toutes les générations passés prises ensemble. La subjugation des forces de la nature, les machines, l’application de la chimie à l’industrie et à l’agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la canalisation des rivières, des populations entières sortant de terre comme par enchantement, quel siècle antérieur a soupçonné que de pareilles forces productives dorment dans le travail social ? » -Le Manifeste Communiste.

    Et, pour Marx, en quoi cette si sublime civilisation industrielle moderne est-elle critiquable ?

    « Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives elles-mêmes. […] Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le développement des conditions de la propriété bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ces conditions qui se tournent en entraves ; et toutes les fois que les forces productives sociales s’affranchissent de ces entraves, elles précipitent dans le désordre la société tout entière et menacent l’existence de la propriété bourgeoise. » » -Le Manifeste Communiste.

    La société bourgeoise n’est donc pas attaquée parce que liberticide, décadente ou laide, mais parce qu’elle est dysfonctionnelle, non-encore-rationnelle. Marx critique le gaspillage des marchandises !

    Les socialistes utopiques ou « petits-bourgeois » semble soudain bien moins lamentables.

    Observons le socialisme tel qu’il était au milieu du 19ème siècle :
    « Si je ne me trompe, messieurs, le premier trait caractéristique de tous les systèmes qui portent le nom de socialisme, est un appel énergique, continu, immodéré, aux passions matérielles de l’homme.

    C’est ainsi que les uns ont dit qu’il s’agissait de réhabiliter la chair [Saint-Simon] ; que les autres ont dit qu’il fallait que le travail, même le plus dur, ne fut pas seulement utile, mais agréable ; que d’autres ont dit qu’il fallait que les hommes fussent rétribués non pas en proportion de leur mérite, mais en proportion de leurs besoins [Cabet] ; et enfin, que le dernier des socialistes dont je veuille parler est venu vous dire ici que le but du système socialiste et, suivant lui, le but de la révolution de Février, avait été de procurer à tout le monde une
    consommation illimitée [Proudhon]. »
    -Alexis de Tocqueville, Discours du 12 septembre 1848 à l’Assemblée Constituante.

    Mais, me direz-vous, Tocqueville n’était peut-être qu’un aristocrate libéral essayant de dénier à la classe ouvrière toute possibilité de sortir de la misère. De surcroît, il ne s’attaquait pas à la forme marxisme du socialisme, puisque la doctrine de Marx n’était pas encore formée à cette époque. Admettons.

    Changeons donc de perspective et regardons ce que le socialiste belge Henri de Man nous dit du socialisme de son point de vue dans le temps (l’Entre-Deux Guerre) c’est-à-dire après la victoire du marxisme sur la plupart des formes concurrentes du socialisme :

    « Tenter d'édifier une éthique nouvelle sur la solidarité d'intérêts du prolétariat, c'est marcher à un échec certain, car un sentiment qui n'est dû qu'à la connaissance d'un intérêt n'a rien à voir avec l'éthique. Bien au contraire, l'éthique présuppose un sentiment qui se traduit par une impulsion intérieure, indépendamment de ce qu'exige ou non l'intérêt. On peut même dire que l'éthique ne commence que là où finit l'intérêt, et que la valeur de la volonté morale se mesure à la puissance de l'intérêt opposé que cette volonté est en état de vaincre. [...] L'être humain que présuppose la théorie marxiste de l'éthique basée sur l'intérêt de classe est une vieille connaissance. C'est tout simplement l' « homo economicus » de l'économie politique libérale, l'égoïste et hédoniste parfait, qui ne connaît d'autre instinct que la poursuite de son intérêt « bien compris ». [...] Si cet homme n'avait réellement été capable d'agir que d'après la connaissance de sa situation économique, il n'aurait pas lié son sort à celui de ses camarades de classe exploités ; il aurait, au contraire, tenté de passer à une classe supérieure. S'il n'avait agi, que par intérêt, il serait devenu un arriviste, au lieu d'être le champion héroïque d'une idée nouvelle. S'il choisit cette dernière attitude, c'est parce qu'il se sentait poussé vers la solidarité par des mobiles plus puissants que son intérêt économique. »

    « Si tous les marxistes venus après lui, de Kautsky jusqu'aux propagandistes socialistes et communistes les plus récents, ont mis plus ou moins explicitement l'hédonisme économique à la base de leurs notions de la classe, de l'intérêt de classe et de la lutte de classe et par là de toute leur doctrine des mobiles et de toute leur stratégie politique, il n'y a là que le prolongement conséquent d'une conception fondamentale que Marx lui-même a pu se passer de mettre en formule, parce qu'elle lui paraissait donnée comme point de départ de sa doctrine tout entière. »

    On peut bien sûr croire qu’Henri de Man se fait une fausse idée du marxisme en le décrivant comme une doctrine de l’intérêt. Mais seulement si on oublie que :

    « [Si les membres des classes moyennes] agissent révolutionnairement, c’est par crainte de tomber dans le Prolétariat : ils défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels. » -Le Manifeste Communiste.

    Dans le marxisme, toutes les mobiles humains tendent à être éclipser par le seul intérêt de classe (dans l’exemple-ci-dessus les révolutionnaires venus des classes moyennes sont perçus comme craignant le déclassement). D’où l’idée d’une opposition tranchée entre une classe élue et vertueuse et toute les autres. Tout l’ouvriérisme est déjà en germe ici.

    C’est ce caractère vulgairement matérialiste du marxisme qui poussera l’anarchiste Renzo Novatore à le qualifier d’apologie de l’estomac. Conclusion qui était déjà celle de Stirner.

    « La Bourgeoisie rendait la production libre, le Communisme force à la production et n’admet que les producteurs, les artisans. Il ne suffit pas que les professions te soient ouvertes, il faut que tu en pratiques une.

    Il ne reste plus à la Critique qu’à démontrer que l’acquisition de ces biens ne fait encore nullement de nous des hommes
    . »
    -Max Stirner, L’Unique et sa propriété.

    « Cette conception de la tâche éducative met en lumière le contraste essentiel qui oppose la pratique du socialisme, basé sur l'idée chrétienne et démocratique de l'autodétermination, au fascisme et au bolchévisme. Fascistes et bolchévistes veulent, eux aussi, le « bonheur des masses » ; mais ils font pour cela une pure politique de puissance, qui exploite suivant l'exemple napoléonien les mobiles inférieurs des masses entravées dans leurs désirs, et surtout leurs complexes d'infériorité sociaux et nationaux, leur besoin de subordination et leur peur. Tout ceci part de l'hypothèse tacite qu'il faut considérer ces mobiles comme la « matière première » permanente et invariable pour les créations institutionnelles des partis ou des dictateurs. Cette hypothèse mène à son tour à la conséquence pratique que les institutions créées de cette manière dépendent pour leur fonctionnement de ces mobiles inférieurs et ne peuvent donc jamais conduire à une amélioration de la qualité éthique des mobiles des masses. »
    -Henri de Man, Au-delà du marxisme.

    « Je ne pense pas que c'est la nature des hommes d'être « cupide », contrairement à ce que dit Adam, en m'attribuant là encore, à force de simplification outrancière, des propos moralisateurs que je n'ai pas tenus. Je dis qu'on ne fera pas disparaître comme par miracle le goût de la possession et la compulsion à accumuler, que cette compulsion prenne sa source dans le souci de se prémunir contre les risques futurs, dans la jouissance de posséder et de dépenser sans compte, ou dans le goût du pouvoir. Je ne dis même pas que le goût du pouvoir, le désir de s'élever au-dessus des autres sont des composantes irréductibles de la nature humaine, à vrai dire, je n'en sais rien. Je dis simplement que par prudence il faut compter avec, qu'il faut prévoir de quelle manière ces tendances devront être modérées, contrôlées, et réprimées si nécessaires.

    Concernant la soi-disant abondance communiste, vieux fantasme, il n'y a aucun argument qui tienne dans l'exposé d'Adam, qui est orienté entièrement par l'illusion rassurante que la perspective d'une révolution communiste pourrait se révéler économiquement attrayante, et donc séduisante pour l'homo-oeconomicus, c'est-à-dire pour l'homme tel qu'il est, avec ses aspirations, ses désirs, ses besoins tels qu'ils sont façonnés par le capital pour le maintenir en esclavage. On fait alors comme si l'homme était devenu effectivement ce calculateur rationnel que le capitalisme s'emploie à créer, et on essaye de le convaincre comme si on lui vendait un produit, en terme de coût et d'avantage. Comme si les communards s'étaient battus jusqu'à la dernière cartouche, et alors même qu'il n'y avait plus aucune chance de vaincre, uniquement pour améliorer leur condition matérielle
    . »
    -François Lonchampt, Réponse à « La nature humaine n'est pas un obstacle au communisme : réponse à François » de Adam (2003)

    3 : Le marxisme est un dogmatisme et un infantilisme, et plus encore, il est un non-dépassement de la métaphysique, un historicisme transcendantal (la nature humaine changerait dans le temps, mais l’essence du prolétariat serait vouée, par une ruse de la raison métaphysique, à accomplir la tâche que lui assigne la philosophie de l’histoire progressiste/linéaire). Seul Marx (et ensuite ses apôtres) a (ont) eu la révélation de l’essence transcendantale du prolétariat. Le marxisme ne dit rien d’autre que « pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font, ils sont aliénés. »

    Preuve (sous la forme la plus nette et la plus vociférante) :

    « Il ne s'agit pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se propose comme but momentanément. Il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il doit faire historiquement, conformément à son être. Son but et son action historiques lui sont tracés, de manière tangible et irrévocable, dans sa propre situation historique, comme dans toute l'organisation de la société actuelle. »
    -Marx & Engels, La Sainte Famille, 1845.

    « Marx y a maintes fois insisté: ce n'est pas l'observation empirique des prolétaires qui permet de connaître leur mission de classe. C'est, au contraire, la connaissance de leur mission de classe qui permet de discerner l'être des prolétaires dans sa vérité. Peu importe, par conséquence, le degré de conscience que les prolétaires ont de leur être ; et peu importe ce qu'ils croient faire ou vouloir: seul importe ce qu'ils sont. Même si, présentement, leurs conduites sont mystifiés et les fins qu'ils croient poursuivre contraires à leur mission historique, tôt ou tard l'être triomphera des apparences et la Raison des mystifications. Autrement dit, l'être du prolétariat est transcendant aux prolétaires ; il constitue une garantie transcendantale de l'adoption par les prolétaires de la juste ligne de classe.

    Une question se pose aussitôt: qui est capable de connaître et de dire ce que le prolétariat est quand les prolétaires eux-mêmes n'ont de cet être qu'une conscience brouillée ou mystifiée ? Historiquement, la réponse à cette question est : seul Marx a été capable de connaître et de dire ce que le prolétariat et sa mission historique sont en vérité. Leur vérité est inscrite dans l'œuvre de Marx. Celui-ci est l'alpha et l'oméga ; il est le fondateur.

    Cette réponse n'est évidemment pas satisfaisante. En effet: pourquoi et comment l'être transcendant du prolétariat a-t-il été accessible à la conscience de Marx [et de lui seul] ?
    »
    -André Gorz, Adieux du prolétariat.

    « « On dit de Dieu : « Les noms ne le nomment pas. » Cela est également juste de Moi : aucun concept ne m’exprime, rien de ce qu’on donne comme mon essence ne m’épuise, ce ne sont que des noms. »
    -Max Stirner, L’Unique et sa propriété.

    L’ontologie stirnérienne, qui affirme l’impossibilité de réduire le sujet à l’un ou à la somme de ses prédicats, reconnaît le caractère contingent du devenir (l’être est ce « chaos » imprévisible dont parle Nietzsche), et s’oppose par-là aux assignations identitaires des théoriciens déterministes (qu’il soit racistes, nationalistes, eugénistes ou marxistes).

    Chez Marx, on trouve l’idée que les communistes disposent d’une lucidité théorique, d’une connaissance de l’Etre et du Temps (en l’occurrence le futur) qui échappe aux prolétaires :
    « [Les communistes] ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence nette des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. » -Le Manifeste Communiste.

    Partant de là, il n’est vraiment pas difficile de justifier pourquoi les premiers devraient diriger les seconds, et au besoin les contraindre à accomplir leur « mission historique » (ce qui n’est pas loin de l’idée des philosophes-rois d’un autre métaphysicien, Platon, et des despotes éclairés de Voltaire).

    « L’aspiration vers une liberté déterminée implique toujours la perspective d’une nouvelle domination. »
    -Max Stirner, L’Unique et sa propriété.

    « La théorie confortable de l'aliénation
    Karl Liebknecht, prisonnier d'une mystique de fin des temps, proclamait dans son dernier écrit connu, en janvier 1919, peu avant de tomber sous les balles de ses assassins : « Pour les forces primitives, élémentaires de la révolution sociale, dont la croissance irrésistible constitue la loi vivante du développement social, défaite signifie : stimulant. Et de défaite en défaite, leur chemin conduit à la victoire. »
    Avec ce romantisme du martyre, la théorie confortable de l'aliénation, permit à bon nombre de révolutionnaires de justifier les désillusions que l'histoire leur infligeait. Car le prolétaire est toujours quelque part sur le chemin de la désaliénation, comme chez les catholiques le pêcheur est sur celui de la rédemption, le langage de la révolution est forcément son langage, et les absolutions dont on gratifie ses pires travers servent depuis des lustres de soubassement à un militantisme intéressé et répétitif revigoré ces dernières décennies avec l'apologie du dialogue et de l'écoute, où se retrouvent candides et ravis les curés de toutes les églises.

    […] Comme l'ont bien démontré certains anarchistes au tournant du siècle, ce monde d'injustice ne pouvait perdurer sans la participation active de ses victimes. Et cette participation est aujourd'hui plus consciente que jamais, la généralisation de l'instruction secondaire, malgré ses tares, l'abondance d'informations, les images du monde entier largement diffusées, les résultats accumulés des sciences sociales mis à la disposition de tous ceux qui veulent se donner le temps et la peine de s'instruire, interdisant en Europe et dans tous les pays développés de se prévaloir du bénéfice de l'ignorance pour justifier.
     »
    -Alain Tizon & François Lonchampt, VOTRE REVOLUTION  N'EST PAS LA MIENNE  (1999).

    « Ce n'est pas un des moindres paradoxes que l'ouvrier généralement hypostasié dans le discours de l'ultra-gauche est en réalité très souvent considéré comme un irresponsable, grâce à la théorie commode de l'aliénation. Curieux mélange de compassion et de condescendance : On excuse tout (pardonnez leur, ils ne savent pas ce qu'ils font, ils sont aliénés), ce qui revient à le créditer d'une totale inconscience, on lui prête aussi toutes les vertus par ailleurs, mais on ne s'abaisse pas à prendre au sérieux ses interrogations et ses préoccupations. Eventuellement, on s'emploiera à le remettre dans le droit chemin à l'aide de quelques arguments d'autorité. En fin de compte il y a chez le théoricien d'ultra-gauche une identification aux prêtres ou aux shamans, puisqu'ils sont intercesseurs avec la vérité et avec l'absolu. On a la une autre clé de la méfiance populaire vis-à-vis du révolutionnaire. »
    -François Lonchampt, Réponse à « La nature humaine n'est pas un obstacle au communisme : réponse à François » de Adam (2003).

    « N’oublie jamais, que celui qui croit savoir n’apprend plus. »
    -Pierre Bottero, écrivain français.

    4 (corollaire du 3ème point) : Le marxisme est un christianisme scientiste, héritier de la foi en la science de Saint-Simon et d’Auguste Comte, à laquelle s’ajoute un déterminisme technologique (« Le moulin à eau donne la société féodale et le moulin à vapeur la société industrielle »), un messianisme inspiré des millénaristes juifs et chrétiens et du finalisme hégélien, qui vise une pacification sociale et ce « bonheur qui ne connaîtra pas de fin » promis dans les Évangiles.

    « [Les politiciens et les apôtres du capitalisme] sont de véritables traîtres envers le peuple, des hypocrites que le Christ dénonçait et qui en conséquence a été crucifié. »
    -Eugene V. Debs, Politiciens et prêcheurs (1916).

    « Les Chinois sont bien le plus positif des peuples, et cela parce qu’ils sont ensevelis sous les dogmes ; mais l’ère chrétienne non plus n’est pas sortie du positif, c’est-à-dire de la « liberté restreinte », de la « liberté jusqu’à une certaine limite ». Aux degrés les plus élevés de la civilisation, cette activité est dite scientifique et se traduit par un travail reposant sur une supposition fixe, une hypothèse inébranlable. […] La religion de l’Humanité n’est que la dernière métamorphose de la religion chrétienne.  »
    -Max Stirner, L’Unique et sa propriété.

    « Ernest Renan a dit un jour que pour se faire une idée des premières communautés chrétiennes, il suffisait de regarder une section de l'Association internationale des Travailleurs. »

    « Il faut citer d'abord le mythe de la révolution, si formidablement générateur d'émotions qu'il faut y voir le pendant des visions eschatologiques de l’Apocalypse, de la fin du monde, du Jugement dernier, du royaume de Dieu, etc. Le contenu affectif et héroïque de l'idée de révolution en elle-même - ce que l'on a appelé le romantisme révolutionnaire -rend tous les révoltés accessibles au plus haut degré à l'action suggestive de tout exemple révolutionnaire. Cet effet est pour ainsi dire indépendant du but et des caractères particuliers de la révolution qui sert d'exemple; ce qui importe, c'est la corde émotive sympathique que fait vibrer chaque changement soudain et violent. C'est ce qui explique le propos attribué à Trotsky sur Mussolini - ce même Mussolini qui peut se vanter à bon droit d'avoir écrasé le communisme et le socialisme en Italie - : « Il est notre allié, car il a fait une révolution. »
    Même si cette parole était apocryphe, l'esprit en resterait caractéristique de toute la politique étrangère du communisme russe, dont l'essence est de sympathiser avec n'importe quelle révolution, même si elle poursuit des buts nationalistes et veut porter au pouvoir une caste militaire ou féodale.

    Ce même état d'esprit explique la fascination que la grande Révolution française exerce encore sur le socialisme européen. Ceci s'applique même aux marxistes. La littérature scientifique du marxisme a beau représenter cette révolution comme l'avènement au pouvoir de la bourgeoisie exécrée, le subconscient, qui s'exprime par les images affectives, n'est pas influencé par de pareilles restrictions critiques. Une évolution en ligne droite mène du jacobinisme au bolchevisme, en passant par le blanquisme et le marxisme. Même ceux des marxistes pour qui le socialisme s'oppose à la démocratie ne peuvent se soustraire, dans le tréfonds de leur vie affective, à l'influence magique de la grande Révolution. Me trouvant en Russie en 1917, mes relations avec les dirigeants socialistes des tendances les plus diverses me permirent de jeter un coup d’œil sur les mobiles personnels qui se cachaient sous la surface des opinions exprimées. Je fus constamment étonné de constater à quel point ils étaient tous dominés par l'idée que la Révolution russe devait reproduire l'exemple français dans toutes ses phases. Une croyance semblable reflète toujours un désir subconscient : aussi l'un voulait-il être Girondin, un autre Jacobin, un troisième rêvait d'un 18 Brumaire, etc. Je suis persuadé que le parallélisme parfois étonnant entre la Révolution russe et la Révolution française ne s'explique pas seulement par une certaine analogie des lois psychologiques qui régissent le flux de tous les événements révolutionnaires; la volonté consciente des dirigeants y est aussi pour quelque chose. Ceux-ci se trouvèrent dans une situation semblable à celle d'acteurs qui, ne peuvent s'émanciper du souvenir d'un texte familier
    . »

    « Car le socialisme aussi a ses apôtres, ses prophètes, ses saints et ses martyrs, en vertu d'une disposition psychologique des masses analogue à celle des croyants catholiques. […] Dans la Russie communiste d'aujourd'hui, les figures prophétiques de Marx et de Lénine sont aussi réelles aux yeux de la masse que l'étaient autrefois les saints de l'Église. L'Allemagne marxiste est depuis toujours le pays classique de l'iconographie fétichiste socialiste; on pourrait remplir des musées avec sa production en bustes, cartes postales illustrées, chromos et objets emblématiques de toute espèce, depuis les épingles de cravate à la Lassalle jusqu'aux porte-cigares à l'effigie de Bebel et aux chopes ornées des traits de Wilhelm Liebknecht. À chaque congrès socialiste, les bustes de Marx et de Bebel en Allemagne, ceux de Marx et Lénine en Russie, celui de Jaurès en France, occupent la même place centrale élevée que l'autel et le crucifix à l'église. Dans tous les locaux du parti, dans toutes les habitations de militants, on trouve les images des martyrs de la cause : pour la France, le « Mur des fédérés » ; pour l’Amérique, les « Martyrs de Chicago » ; pour la Belgique, les « morts pour le S.U. » ; pour l'Allemagne communiste, les portraits de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht appartiennent aux productions les plus recherchées de l'art populaire socialiste. […]Une signification semblable s'attache aux cérémonies qui eurent lieu pendant et après les funérailles de Lénine, ainsi qu'aux monuments et aux icônes qui lui furent consacrés, au changement du nom de Pétrograd en celui de Leningrad et à la construction (ou au plan) d'une ville caucasienne consacrée à Lénine, et par-dessus le marché disposée en étoile soviétique - tout à fait comme les églises chrétiennes sont construites en forme de croix. […] Le moindre des dirigeants ouvriers s'adapte inconsciemment à cette aspiration de la masse vers une identification symbolique, en se rapprochant par le vêtement, l'attitude, la coiffure, la manière de vivre et de parler, de l'image qui apparaît à la masse comme la personnification de son idéal. […]Les drapeaux, les inscriptions, la musique, la décoration florale, les chants en commun, jouent le même rôle qu'il s'agisse du messie Dieu ou du messie Révolution. […] Si seulement le socialisme « scientifique » voulait l'être assez pour voir dans ses propres doctrines un objet d'analyse psychologique, il trouverait que des notions telles que la révolution sociale, la dictature du prolétariat ou la société future sont, au point de vue de la psychologie sociale, de simples mythes, c'est-à-dire des symboles de croyance sous forme de récits. »
    -Henri de Man, Au-delà du Marxisme.

    « Les martyrs c’est pas ça qui manque. »
    -Louis-Ferdinand Céline.

    Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le marxisme triomphe à la fin du XIXème siècle, au moment précis où la religion (chrétienne) décline. Les lecteurs de Nietzsche se souviendront également du parallèle qu’il dresse entre christianisme et socialisme, l’un n’étant que l’héritier de l’autre.
    Pour paraphraser Clausewitz, on pourrait dire que le communisme n’est que la continuation de la religion par d’autres moyens. Ce que confirme actuellement un promoteur de la théologie de la libération comme Franz Hinkelammert (The Ideological Weapons of Death: A Theological Critique of Capitalism) par sa synthèse explicite de marxisme et de religion.

    A ceux qui admettent que le marxisme est un prolongement du judéo-christianisme, mais qui voudrait excepter Marx lui-même de cette dérive (car nous croyons néfaste toute religion), lisez-donc :

    « L’union avec le Christ accorde l’élévation intérieure, la consolation dans la souffrance, la confiance paisible et un cœur ouvert à l’amour des hommes, à tout ce qui est noble, à tout ce qui est grand, non par ambition, non par soif de gloire, mais par amour du Christ. Or donc l’union avec le Christ procure une félicité que l’épicurien cherche en vain à posséder dans sa philosophie superficielle, et le penseur le plus profond dans les recoins les plus cachés de son savoir. »
    -Karl Marx, Composition du baccalauréat.

    Il serait fastidieux de faire la liste de tous ceux qui ont mentionné la similitude du marxisme et du christianisme, nous nous borneront à citer l’économiste Bernard Maris : « Le communisme a réalisé le rêve du paradis terrestre, le rêve chrétien de l’amour des hommes. Le communisme est une rédemption des humbles, un christianisme matérialiste et athée. »

    Or un tel paradis se veut éternel, c’est-à-dire post-historique (la « fin de l’histoire »). Le communisme de Marx se rêve ce régime définitif « qui ne peut être dissous par aucune cause interne ni être changé en un autre régime » (Spinoza)

    Ce qui implique évidemment de rejeter l’idée héraclitéenne que « Tout s’effondre » et d’essayer de nous faire croire qu’on pourra indéfiniment se baigner dans le même fleuve. L’immobilisme bureaucratique, l’absence de vitalité qui fut propre aux pays du socialisme réel se combine fort bien d’une certaine philosophie de l’histoire.

    Le marxisme, comme l’hégélianisme, cherche, au terme d’un mouvement dit dialectique, à abolir la contradiction, la conflictualité (« négation de la négation », pour reprendre les termes de la scholastique hégélienne). Comme le remarque Virgil Tanase dans sa biographie de Saint-Exupéry, une civilisation est «  créatrice parce qu’elle est vivante, et elle vivante parce qu’elle admet la contradiction et la différence. »

    « La paix est un mensonge. Seule la passion existe. »
    -Star Wars, Le Code Sith.

    Le marxisme, à la suite de la religion, nie la fécondité de l’affrontement. Or, le contraire du conflit n’est pas la paix, mais la stagnation. De par son finalisme philosophique, le marxisme tend à encourager la construction d’une société fermée (« le socialisme dans un seul pays ») et dénuée de dynamisme (ce n’est pas un hasard si l’URSS a perdu la course à l’espace et s’est effondrée avant les États capitalistes occidentaux).

    « [Le désir des chrétiens, comme du marxisme] est un ciel dans lequel toute limite, toute nécessité de la nature disparaîtront ; dans lequel il n’y aura plus ni besoins, ni souffrances, ni blessures, ni combats, ni passions, ni changements. »
    -Ludwig Feuerbach, La religion.

    Peut-on imaginer un idéal politique plus ennuyeux et plus irréaliste ?

    Pour retourner contre Marx l’une de ses formules : « Rien n’est plus facile que de recouvrir d’un vernis de socialisme l’ascétisme chrétien. »

    Concluons en disant qu’une philosophie politique qui dénonce la religion comme un opium du peuple aurait beau jeu de ne pas imiter, en presque tout, la religion elle-même (les excommunications n’étant que la similitude la plus évidente).


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Ven 5 Sep - 18:00, édité 1 fois
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    Message par Johnathan R. Razorback Mer 20 Aoû - 19:50

    5 (corollaire des 3ème et 4ème points) : Le marxisme est un paternalisme a-démocratique (il se veut science objective et dévalorise, à la suite de Platon, les opinions, et leur confrontation si essentielle à la dialectique socratique et à la démocratie hellénique. D’où le risque structurel inhérent à la théorie de Marx de créer des spécialistes ou révolutionnaires professionnels pour leur confier la direction de la Révolution, au nom du Prolétariat ignorant de ses « tâches objectives »).

    « Comment peut-on soutenir que la philosophie moderne et l’époque moderne sont parvenues à la liberté, puisqu’elles ne nous délivrent pas du joug de l’objectivité ? »
    -Max Stirner, L’Unique et sa propriété.

    Ce n’est pas un hasard si les néolibéraux, comme leurs précurseurs, présente leurs opinions comme une science. Car si on peut légitimement refuser une opinion, seul un malade mental se révolte contre la science, c’est-à-dire contre la vérité. Le marxisme, héritier de l’hégélianisme, n’est qu’un platonisme renouvelé, une métaphysique qui avance d’autant plus efficacement qu’elle se présente comme un matérialisme scientifique.

    « S’il y a une théorie vraie de l’histoire, s’il y a une rationalité à l’œuvre dans les choses, il est clair que la direction du développement doit être confiée aux spécialistes de cette théorie, aux techniciens de cette rationalité. Le pouvoir absolu du Parti –et, dans le Parti, des « coryphées de la science marxiste-léniniste », selon l’admirable expression forgé par Staline à son propre usage – a un statut philosophique ; il est fondé en raison dans la « conception matérialiste de l’histoire » beaucoup plus véritablement que dans les idées de Kautsky, reprises par Lénine, sur « l’introduction de la conscience socialiste dans le prolétariat par les intellectuels petit-bourgeois ». Si cette conception est vrai, ce pouvoir doit être absolu, toute démocratie n’est que concession à la faillibilité humaine ».
    -Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société.

    « Le socialisme scientifique est aussi absurde que l'amour scientifique. Le socialisme n'est pas un produit de la science. »
    -Henri de Man, Au-delà du marxisme.

    6 : Le marxisme est ambigu sur l’abolition du travail, sur la forme de l’économie post-capitaliste qui sera mis en mouvement par une « force directrice » autoritaire (d’après Le Capital, et alors qu’elle était antérieurement décrite comme une « libre fédération de producteurs librement associés. »).

    Si les écrits antérieurs au Capital dénoncent clairement le travail comme une activité aliénante et en réclame l’abolition ("Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste."-K. Marx, Manuscrits de 1844 ; « Au lieu du mot d'ordre conservateur: "Un salaire équitable pour une journée de travail équitable", ils doivent inscrire sur leur drapeau le mot d'ordre révolutionnaire: « Abolition du salariat ». » -K. Marx, Salaire, prix et profit), cette perspective semble s’éloigner à mesure que Marx vieillit (voir sur le sujet The Abolition of Labour in Marx's Teachings, d’Uri Zilbersheid). La revalorisation du travail comme héroïsation de la classe ouvrière par opposition à l’oisiveté des rentiers s’affirmera dans le naturalisme (Émile Zola), ouvrant la voie au Stakhonovisme à l’Est comme à l’Ouest. Le travail devient alors obligation morale et contrôle militarisé pour la réalisation d’un paradis matériel.

    « John Locke est perçu comme le penseur qui initia le libéralisme, mais sa vision du travail est commune aussi bien au capitalisme qu’au communisme : la récompense est matérielle. Descartes et Locke façonnent une nouvelle conception du travail. Ce dernier n’est plus conçu comme une réparation du péché originel, mais comme un moyen de participer à l’élaboration du paradis sur Terre (bien commun), en particulier du nôtre. »
    -Joaquim Defghi, Comment le travail devint l’instrument du salut terrestre.

    « C'est le chômage qui aliène et le travail qui libère […] On a provoqué un système d'assistance qui a laissé croire qu'on pouvait gagner son autonomie hors du travail. »
    -Nicolas Sarkozy, en campagne pour réformer les retraites (septembre 2010).

    7 : Le marxisme est contradictoire sur la question des droits naturels (il les dénonce comme formels et absent de l’abondance communiste, or la critique de l’exploitation est fondée sur la définition lockéenne de la propriété).

    « Le Communisme, qui admet que les hommes « ont naturellement des droits égaux », se contredit en soutenant que les hommes ne tiennent, de la nature aucun droit. »
    -Max Stirner, L’Unique et sa propriété.

    8 : Le marxisme, comme l’État, est un particularisme universalisé. Il tend vers une mystique ouvriériste ; Ni la paysannerie ni les classes moyennes ne peuvent jouer un rôle révolutionnaire, ce que contredit la Commune de Paris (abusivement décrite par Marx comme un « gouvernement ouvrier »), la Révolte de Kronstadt ou le Zapatisme.

    9 (corollaire du 4ème point) : Le marxisme est un anti-malthusianisme (l’augmentation du nombre de prolétaires comme « signe » de la crise finale). Or le principal apport de la France à la Révolution industrielle fut l’idée de contrôle des naissances.

    10 (corollaire du 1er et 2ème point) : Le marxisme est un industrialisme qui se combine difficilement avec l’écologie (il ne rompt pas avec le rationalisme du projet des Lumières de devenir « maîtres et possesseurs de la Nature » (Descartes).

    11 : Le marxisme est un déterminisme causal.
    L’immobilisme inhérent à la doctrine marxiste ne résulte pas uniquement du « désir de paix » exprimée par l’image pacifiée et définitive qu’est censé être la société communiste. Il est également présent dans sa façon d’analyser la société actuelle.

    « Il y avait d'ailleurs assez longtemps que la doctrine déterministe servait à justifier la résistance des dirigeants contre toutes les tendances novatrices qui finirent tout de même par se frayer un chemin : l'organisation des femmes, le mouvement de la jeunesse, l'antialcoolisme, le mouvement coopératif, les aspirations des conseillers d'entreprise vers l'autonomie d'atelier, etc. Dans tout cela, le dogmatisme déterministe vint en aide au conservatisme bureaucratique. »
    -Henri de Man, Au-delà du marxisme (1926).

    « La réaction mécanique, du fait qu'elle peut se répéter sans changer son caractère, donne lieu à la notion de la loi. C'est ce qui permet aux sciences de la nature de formuler des lois tirées d'une série d'expériences analogues. La notion de la répétition inéluctable d'effets déterminés conduit à l'idée du déterminisme de l'avenir, qui est à la base de toutes les lois dites naturelles. La réaction psychologique est unique en son espèce et sa répétition impossible en principe. […] On ne peut prévoir aucune réaction psychologique avec certitude. »

    « Il s'ensuit que l'objection principale que l'on peut opposer à la façon de penser du marxisme est moins son réalisme conceptuel en lui-même, que l'incompatibilité de la causalité mécanique de ce réalisme conceptuel avec la nature volontariste et téléologique des réactions psychologiques qui président à toutes les actions de l'histoire.

    La pensée du marxisme se meut toujours par couples. Comme chez Hegel, on trouve que chaque catégorie s'oppose à une autre catégorie, tout en ayant une relation de causalité avec une troisième catégorie qui appartient à un autre couple. Ainsi, le couple des catégories Bourgeoisie-Prolétariat fait quadrille avec le couple Capitalisme-Socialisme. La catégorie Bourgeoisie est identifiée causalement avec la catégorie Capitalisme, de même que Prolétariat avec Socialisme, de sorte que la victoire du Prolétariat sur la Bourgeoisie devient sans plus synonyme de la victoire du Socialisme sur le Capitalisme. Dans ces couples de catégories marxistes, comme dans tous les autres avec lesquels ils se combinent, nous retrouvons la dualité des termes qui caractérise la causalité mécanique. La ressemblance avec l'exemple de la mécanique se confirme en outre par le fait que la tension des catégories antagonistes produit toujours un mouvement qui laisse intact le contenu conceptuel des catégories, mais modifie par contre le rapport qui existe entre elles.

    Ainsi, pour le marxisme, la révolution sociale - la crise finale qui doit résoudre la tension entre Bourgeoisie et Prolétariat, entre Capitalisme et Socialisme - ressemble à s'y méprendre à un mouvement de forces mécaniques, tel qu'il résulte du choc de deux corps. Son contenu est donc donné a priori et une fois pour toutes. Il découle de l'incompatibilité logique de deux concepts antagonistes qui restent identiques à eux-mêmes, jusqu'à ce que l'un prenne le dessus sur l'autre et annihile son mouvement.

    Cette victoire n'est pas une transition graduelle, mais - comme dans le cas de deux corps venant de directions opposées et agissant l'un sur l'autre avec une énergie croissante de part et d'autre - une augmentation graduelle de la tension des forces, jusqu'à ce qu'une rupture soudaine de leur équilibre rejette l'un des deux corps. Jusqu'à cette solution finale, rien n'est changé au contenu conceptuel des deux catégories ; toute l' « évolution » consiste en ce que l'intensité de leur tension augmente. C'est un antagonisme de ce genre qui a par exemple amené Marx à construire sa doctrine de l'appauvrissement croissant du prolétariat et de l'acuité croissante de la lutte des classes. Cette doctrine découlait pour lui a priori, comme un phénomène d'avenir prévisible en toute certitude, de l'antagonisme des concepts qu'il avait imaginés
    . »

    « La vie humaine combine deux espèces de fonctions : dans ses fonctions organiques, l'homme est un objet soumis à une causalité externe; dans les fonctions de la conscience spirituelle, il est un sujet, qui se crée à lui-même, sous forme de représentations de volonté, des causes de la transformation de son milieu. L'essence téléologique de notre vitalité intellectuelle fait de nous des transformateurs du monde extérieur. C'est cette transformation, d'après les formes données par nos états psychologiques, qui constitue la civilisation ou culture. Le laboureur ne peut exister que par la terre, mais c'est lui qui la transforme en champ, d'où le terme « culture ». Par-là, le milieu se trouve adapté à un but, qui ne naît comme représentation d'un état souhaitable que parce que l'adaptation à l'état existant est ressentie comme un mal. Le mécontentement est une non-adaptation psychologique, et la non-adaptation est la condition du progrès ; la forme la plus haute de la puissance spirituelle qui, au lieu de subir un sort, veut le créer, s'appelle le génie. S'il n'y avait qu'une adaptation de la superstructure idéologique à l'infrastructure économique, il n'y aurait pas de socialisme. Car les socialistes ne sont pas les gens qui s'adaptent aux exigences du mode de production capitaliste ; ce sont ceux qui se révoltent contre le capitalisme en tant qu'ordre social. »

    « La connaissance des lois de l'évolution du passé n'aurait aucune valeur pour le marxisme, si elle ne lui servait à fonder sa prévision de l'avenir. Cette prévision doit prêter à la doctrine marxiste de la lutte des classes l'auréole de la certitude scientifique et renforcer la confiance des masses à l'égard de la direction marxiste en leur faisant apparaître la victoire comme certaine. Le marxisme croit avoir découvert des rapports de causalité qui, de causes données ou supposées connues par lui, permettent de conclure à des effets inéluctables. Cette « fatalité » est le pont qui relie l'avenir au passé; par elle, la méthode qui permet d'explorer le passé se mue en une méthode de détermination de l'avenir.

    Il sied de constater ici que Marx n'a pourtant jamais mérité le reproche, qu'on lui a si souvent adressé, d'être un fataliste en ce sens qu'il aurait nié l'influence de la volonté humaine sur le devenir historique ; seulement, il considère cette volonté elle-même comme prédéterminée. […] D'après la conception marxiste, il y a une évolution sociale régie par des lois; cette évolution s'accomplit au moyen de la lutte de classe; cette lutte est elle-même le résultat inéluctable de l'évolution économique qui crée des oppositions d'intérêts; son essence et sa fin sont déterminées par un but, qui n'est autre que la connaissance des lois de l'évolution sociale par les socialistes marxistes.

    Ainsi, pour pouvoir déterminer l'avenir, les lois de l'évolution sociale n'ont besoin que de passer, par la connaissance, à l'état de conscience. De cette façon, le socialisme marxiste, qui amène le prolétariat à prendre conscience du rôle historique auquel il est prédestiné, devient lui-même un chaînon dans la chaîne des séries causales par laquelle s'accomplit la destinée de l'humanité. Il suffit de connaître la loi pour l'accomplir [une idée chrétienne]. Le but que cet accomplissement assigne au mouvement ouvrier socialiste est lui-même prédéterminé et inéluctable, parce qu'il découle de causes objectives déjà données ; en prenant conscience de ce but, le socialisme marxiste réalise un acte déterminé par les lois naturelles de l'évolution sociale. La prévision du socialisme marxiste et la réalisation des événements prévus par la révolution sociale sont deux manifestations différentes de la même loi de détermination de l'avenir par le passé.

    Le point le plus vulnérable de cette doctrine, c'est qu'elle est liée à l'hypothèse que tous nos actes sociaux sont déterminés par la connaissance de certains buts inhérents à l'évolution sociale. Dans ces conditions, il est évident que ces buts ne seront inéluctables que dans la mesure où le sera notre connaissance des séries causales qui y aboutissent. Nous ne pourrons donc considérer nos buts comme nécessaires que dans la proportion où nous pourrons les concevoir simplement comme l'effet de causes données et connues. Toutefois, du moment où nous prenons conscience d'un but, celui-ci appartient déjà au passé autant que ses « causes » mêmes. En reconnaissant que les objectifs humains dépendent de situations historiques agissant comme causes, nous admettons que de nouvelles situations historiques auront comme effet de nous assigner des objectifs nouveaux. Nous revenons ainsi à la conclusion, d'ailleurs de sens commun, que nous ne pouvons considérer nos buts actuels comme permanents, et la fixation de buts nouveaux comme inéluctable, que dans la mesure où nous pouvons prévoir les événements historiques. Or, c'est précisément ce que nous ne pouvons pas, et c'est pour cela que la nécessité que nous croyons voir à l'oeuvre dans le passé ne saurait déterminer l'avenir. L'expérience historique elle-même réduit à l'absurde les prétentions des objectifs marxistes à l'inéluctabilité, d'une façon bien plus concluante que ne pourraient le faire n'importe quelles considérations logiques.
    En effet, pour que les objectifs marxistes soient inéluctables, il faudrait qu'ils fussent permanents. Or toute l'histoire du mouvement socialiste depuis Marx n'est que l'histoire de la transformation de ces objectifs, sous l'influence d'événements historiques que Marx lui-même n'avait pas prévus et que personne ne pouvait prévoir.

    Faut-il conclure de tout cela qu'il est vain d'essayer de prévoir, grâce à notre connaissance historique actuelle, certains événements ou certaines tendances d'évolution ? Aucunement. Aucun acte social conscient n'est possible sans une certaine prévision, car tout acte de ce genre présuppose un bût, et se représenter ce but implique une certaine anticipation de l'avenir. Mais c'est précisément en ceci que la conception de l'histoire comme l'accomplissement de lois inéluctables ne nous sert à rien ; la prévision que nous cherchons ne se rapporte pas à ce qui doit être quoi que nous fassions, mais à ce qui devrait ou pourrait être à la suite d'un acte que nous croyons pouvoir poser ou ne pas poser. […]

    La connaissance de l'histoire peut tout au plus servir à éclairer notre sentiment de ce que nous devons faire, non pour que nos actes constituent l'effet de causes données, mais pour qu'ils constituent la cause d'effets non encore donnés. Pour assigner un but à notre vie, nous n'avons pas besoin de connaître d'autres lois que la loi morale. Les prétendues lois naturelles de l'histoire ne nous serviraient à rien. L'histoire et les perspectives d'avenir qu'elle nous ouvre nous aident seulement dans la mesure où elles peuvent nous éclairer sur les conditions qui fixent certaines limites à l'efficacité sociale de nos actes.

    Il n'y a pas de lois inéluctables qui déterminent (c'est-à-dire causent) nos actions; il n'y a que des faits de probabilité qui les conditionnent (c'est-à-dire les limitent). […]

    L'homme veut, et c'est son vouloir qui transforme la société; seulement, les seules modifications voulues susceptibles de réussir et de se maintenir sont celles qui sont compatibles avec les conditions matérielles qui constituent le milieu
    . »
    -Henri de Man, Au-delà du Marxisme (1926)

    « Le Mérovingien: Vous êtes ici parce qu'on va a envoyé ici. On vous a ordonné de venir ici. Et vous avez obéi. Ce qui est bien sûr la loi universelle. Voyez-vous, il y a une seule et unique constante. Une seule règle d'or, une seule  et unique vérité absolue : la causalité. Action, réaction. Cause et effet.

    Morpheus: Toute chose commence par un choix. »
    -Matrix Reloaded (2003).

    12 : Le marxisme est un prophétisme manqué.

    « L'avenir, tu n'as point à le prévoir mais à le permettre. »
    -Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle.

    « Marx lui-même, malgré sa connaissance extraordinairement profonde de l'économie capitaliste, n'a pas réussi, dans le domaine propre de ses recherches et de son activité spécialisée, à déduire les traits essentiels de ce que serait l'évolution du mouvement ouvrier après sa mort : au lieu de s'appauvrir, le prolétariat a vu s'accroître sa puissance économique et sociale ; au lieu de l'aggravation catastrophique de la lutte contre l'État bourgeois, se sont développées une adaptation et une pénétration mutuelles; au lieu d'une révolution issue d'un cataclysme économique, le mouvement syndical a lié de plus en plus ses objectifs à l'augmentation de la productivité et de la prospérité. »
    -Henri de Man, Au-delà du marxisme.

    Inversement, c’est dans un domaine où on ne l’attendait nullement, celui des relations internationales (de la géopolitique), que Marx eut l’un de ses plus grands éclairs de génies, en prédisant la future alliance de la France vaincue en 1870 avec la Russie tsariste (cf la brochure de Rosa Luxembourg, La crise de la social-démocratie).

    13 : Le marxisme est un égalitarisme collectiviste et un uniformisme.

    « La logique totalitaire consiste […] à se débarrasser des « dangers de la pluralité » en construisant une représentation de la collectivité ne souffrant aucune divergence. »
    -Sylvain Crépon, sociologue français.

    Parce qu’il est imprégné des postulats de l’économie politique qui considère les individus comme des facteurs de production interchangeable, le marxisme tend à uniformiser ce qu’il observe et à ne considérer les individus que dans leurs similitudes et leur interdépendance. Les linguistes n’auront pas manqués de remarquer que le mot socialisme vient lui-même du latin socius, nom commun signifiant compagnon, camarade, associé, allié, confédéré et adjectif signifiant joint, uni, associé, allié, mis en commun, partagé. Ce que l’individu porte en lui de singularité absolue, d’incommunicable, de besoins inhabituels ou de désirs imprévus, tout ce qui sort de l’ordinaire et des grandeurs statistiques tend à être balayé d’un revers de la main par la mentalité communiste. On ne comprendrait pas autrement la rêverie de Boukharine selon laquelle, dans la société communiste « tous les rapports entre les hommes seront clairs pour chacun. » (La théorie du matérialisme historique, 1921). Entre ce délire et le télécran, la différence n’est pas de nature, mais de degrés.

    « Dans la société humaine que nous promet l’Humanitaire, il n’y a évidemment pas de place pour ce que toi et moi avons de « particulier » et rien ne peut plus entrer en ligne de compte qui porte le cachet d’ « affaire privée ».

    […] «Comment pouvez-vous vivre d’une vie vraiment sociale, tant qu’il reste en vous la moindre trace d’exclusivisme, la moindre chose qui n’est que vous et rien que vous ?
    Je demande au contraire : Comment pouvez-vous être vraiment uniques, tant qu’il reste entre vous la moindre trace de dépendance, la moindre chose qui n’est pas vous et rien que vous ? »

    « Le Libéralisme humanitaire n’y va pas de main morte. Que tu veuilles, à n’importe quel point de vue, être ou avoir quelque chose de particulier, que tu prétendes au moindre avantage que n’ont pas les autres, que tu veuilles t’autoriser d’un droit qui n’est pas un des « droits généraux de l’humanité », et tu es un égoïste.
    »
    -Max Stirner, L’Unique et sa propriété.

    La tendance mystique-ouvriériste se rattache directement à cette vision d’uniformisation égalisatrice. De même, le passage du Manifeste annonçant la chute de toutes les classes intermédiaires dans le prolétariat correspond moins à une observation empirique qu’à un désir de théoricien souhaitant voir la réalité se conformer à son schéma. Et cette tendance uniformiste-dogmatique explique également la férocité avec laquelle les communistes ont historiquement cherché à faire disparaître leurs rivaux :

    « La Purge des trotskystes et des anarcho-syndicalistes a commencé ; elle sera conduite avec la même énergie que ce qui a été fait en U.R.S.S. »
    -La Pravda, 16 décembre 1936, à propos de la situation en Espagne.

    « Les théoriciens marxistes ont souvent prétendu que la grande ville constituait, par le groupement serré des logements prolétariens, une condition fondamentale à la formation d'une mentalité prolétarienne de masses. À leur avis, l'habitation à logements multiples est, de même que l'usine, un bouillon de culture pour les habitudes de solidarité sociale et pour les instincts socialistes. Il n'y a pas bien longtemps qu'en Allemagne notamment, cet argument marxiste servait encore à condamner toute entreprise pour la construction de maisons ouvrières isolées et pour la diffusion de la petite propriété foncière comme l'expression d'aspirations petites-bourgeoises et absolument antisocialistes. Or, il serait puéril de nier que les conditions de logement et de communication qui prévalent dans les grandes villes créent un terrain favorable à la diffusion de n'importe quelle mentalité de masse. Mais il y a loin de cette constatation à la conclusion que le logement en masse engendre une mentalité socialiste. […] La promiscuité forcée engendre moins l'amour du voisin que l'individualisme hargneux, l'irritabilité, l'envie, les habitudes potinières et la haine. »

    « En subordonnant les mobiles éthiques qui sont la source de la conviction personnelle au mobile collectif de l'intérêt de classe, on ne forme pas de personnalités. »
    -Henri de Man, Au-delà du marxisme.

    En un mot comme en cents, le communiste veut se créer un monde à son image.

    14 (corollaire du 1er , 3ème et 4ème point):  Le marxisme est un utopisme (il exige la fin de la division du travail).

    « Dans la société communiste [il sera possible de] faire aujourd’hui telle chose, demain telle autre, de chasser le matin, de pêcher l’après-midi, de m’occuper d’élevage le soir et de m’adonner à la critique après le repas, selon que j’en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique. » -K. Marx

    Mais les faits sont têtus et la division du travail ne saurait s’abolir uniquement pour nous être agréable –sous peine d’une incompétence généralisée et d’un effondrement des forces productives. Nul ne devient pompier professionnel en un jour, ni en un mois ou en un an.

    « Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il soit ; c’est de ne pas se rebuter du détail minutieux ou monotone ; c’est de devenir, autant que l’on peut, un technicien accompli ; c’est d’accepter et de comprendre cette loi de la spécialisation du travail qui est la condition de l’action utile, et cependant de ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des perspectives plus étendues. »
    -Jean Jaurès, Discours à la Jeunesse (Albi).

    Par ailleurs l’identité de l’abondance communiste et du bonheur terrestre est vulgairement matérialiste et parfaitement grotesque.

    « Il apparaît alors que le marxisme est utopique et psychologiquement absurde parce qu'il croit à une augmentation de la quantité de bonheur futur par la garantie institutionnelle de la satisfaction de besoins dont la nature correspond à une réalité institutionnelle actuelle. Ceci est un contresens pour deux motifs : d'abord parce que la quantité de bonheur est une constante sociale, et ensuite parce que l'amélioration de la qualité du bonheur, qui importe seule, ne peut être amenée par une simple transformation des institutions, mais seulement par une transmutation des mobiles, que les institutions ne peuvent qu'indirectement favoriser ou entraver. C'est pourquoi l'idée qu'une organisation sociale quelconque pourrait assurer le « bonheur général » est tout bonnement absurde. Les institutions ne peuvent que susciter ou enlever des obstacles qui s'opposent à certaines modifications de la qualité du bonheur. »

    « Augmenter la quantité de bonheur est un problème insoluble ; il a fallu toute la platitude philistine de la philosophie de Bentham rien que pour le poser. On peut dire de ces philosophies d'arrière-boutique, en paraphrasant Schopenhauer : ils disent le bonheur et veulent dire l'argent. En ceci aussi, le marxisme souffre de l'héritage de ses ancêtres philosophes : il dit plus de bonheur et ne veut dire que plus de bien-être ; revendication indiscutablement justifiée eu égard aux conditions de l'époque industrielle, mais qui ne saurait arriver sous cette espèce à se rattacher aux objectifs ultimes, généraux et éternellement valables de l'humanité et mériter ainsi la consécration du bien éthique. »

    « Le rêve d'une satisfaction de tous les besoins de tous est aussi bête que vulgaire. Il n'est compréhensible que chez des gens en qui il est le produit d'imagination d'une fièvre sociale causée par l'inhibition de besoins supérieurs à la suite de la nonsatisfaction des besoins inférieurs. »
    -Henri de Man, Au-delà du marxisme.

    Comme l’a bien dit l’écrivain de science-fiction Dan Abnett, une utopie, par définition, est prédestinée à ne pas atteindre ses objectifs.

    « Bien que la forme dont il revêt son eschatologie diffère entièrement de la libre fantaisie des désirs de l'utopisme classique, [le marxisme] est lui-même « utopique » en ce qu'il fonde sa critique du présent sur une vision d'avenir qu'il souhaite d'après des principes juridiques et moraux tout à fait déterminés. Il est vrai que le marxisme, par la forme scientifique qu'il donne à ses formules, cherche à éveiller l'impression du contraire. L'image qu'il se fait de l'avenir se précise pour ainsi dire inopinément au cours d'une analyse froide et détachée des tendances d'évolution de l'économie moderne. Mais cela n'est qu'une illusion de la pensée consciente sur les mobiles du subconscient. »

    « Il n'y aura sans doute jamais d'état social qui corresponde exactement à l'image idéale qui anime n'importe lequel de ces actes ; car cet idéal n'est qu'une notion-limite, un schéma d'orientation, une ligne qui tend vers l'infini. »
    -Henri de Man, Au-delà du Marxisme.

    Conclusion : Que retenir du marxisme ?

    L’Internationalisme (sinon risque de « socialisme » nationaliste) et l’analyse du capitalisme (qui n’est pas complètement obsolète, contrairement à ce qu’une certaine Christine Lagarde aimerait faire croire). Mais à proprement parler, ces deux éléments se retrouvent dans diverses formes de socialisme ou d’anarchisme qui n’entretiennent qu’un rapport très lointain avec la doctrine de Marx lui-même. Mieux vaut donc considérer le marxisme comme une doctrine historique à connaître, plutôt que comme une référence à défendre.

    « Marx n’a commis aucune erreur sur le fonctionnement de la société capitaliste. Il reste le meilleur, le plus grand des économistes. Mais là où il nous abandonne, nous laisse en plan, au bord du chemin de l’histoire, c’est aujourd’hui, au moment où la paupérisation et le saccage du monde ne débouchent sur rien, sinon sur plus de saccage et d’inhumanité. »
    -Bernard Marris, Marx, ô Marx, pourquoi m’as-tu abandonné ?

    « Pour déblayer la route des vérités nouvelles, il suffit de se rendre compte des conditions de temps et de lieu qui ont rendu le marxisme possible, et de mettre ainsi en lumière la relativité historique de sa valeur. Le marxisme n'est une erreur que parce qu'il l'est devenu. Pour vaincre cette erreur, il ne faut pas revenir sur elle, il suffit de la dépasser. »
    -Henri de Man, Au-delà du marxisme.

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