https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1989_num_44_6_283658
"Peut-on écrire la vie d'un individu ? La question, qui soulève des points importants pour l'historiographie, est souvent évacuée au moyen de quelques simplifications qui tirent prétexte de l'absence de sources. Mon objectif est de montrer qu'il ne s'agit pas là de la seule ni même de la principale difficulté. Dans bien des cas, les distorsions les plus criantes proviennent de ce qu'en tant qu'historiens nous imaginons que les acteurs historiques obéissent à un modèle de rationalité anachronique et limité. Suivant en cela une tradition biographique établie, et la rhétorique même de notre discipline, nous nous sommes rebattus sur des modèles qui associent une chronologie ordonnée, une personnalité cohérente et stable, des actions sans inertie et des décisions sans incertitude." (p.1326)
"Ces considérations invitent à réfléchir sur le type de rationalité qu'il faut imaginer lorsqu'on entreprend la description des acteurs historiques. Il est rare, en effet, que l'on s'éloigne des schèmes fonctionnalistes ou de ceux de l'économie néo-classique ; or ceux-ci supposent des acteurs en possession d'une information parfaite et considèrent, par convention, que tous les individus ont les mêmes dispositions cognitives, obéissent aux mêmes mécanismes de décision et agissent en fonction d'un calcul, socialement normal et uniforme, des profits et des pertes. Ces schèmes aboutissent ainsi à la construction d'un homme entièrement rationnel, qui ne connaît ni doute, ni incertitudes, ni inertie. La plupart des biographies prendraient toutefois un tout autre visage si l'on imaginait une forme de rationalité sélective, qui ne cherche pas exclusivement la maximisation du profit, une forme d'action dans laquelle il serait possible de ne pas réduire les individualités à des cohérences de groupe, sans renoncer à l'explication dynamique des conduites collectives comme systèmes de relation." (p.1334)
-Giovanni Levi, Les usages de la biographie, Annales, Année 1989, 44-6, pp. 1325-1336.
"Peut-on écrire la vie d'un individu ? La question, qui soulève des points importants pour l'historiographie, est souvent évacuée au moyen de quelques simplifications qui tirent prétexte de l'absence de sources. Mon objectif est de montrer qu'il ne s'agit pas là de la seule ni même de la principale difficulté. Dans bien des cas, les distorsions les plus criantes proviennent de ce qu'en tant qu'historiens nous imaginons que les acteurs historiques obéissent à un modèle de rationalité anachronique et limité. Suivant en cela une tradition biographique établie, et la rhétorique même de notre discipline, nous nous sommes rebattus sur des modèles qui associent une chronologie ordonnée, une personnalité cohérente et stable, des actions sans inertie et des décisions sans incertitude." (p.1326)
"Ces considérations invitent à réfléchir sur le type de rationalité qu'il faut imaginer lorsqu'on entreprend la description des acteurs historiques. Il est rare, en effet, que l'on s'éloigne des schèmes fonctionnalistes ou de ceux de l'économie néo-classique ; or ceux-ci supposent des acteurs en possession d'une information parfaite et considèrent, par convention, que tous les individus ont les mêmes dispositions cognitives, obéissent aux mêmes mécanismes de décision et agissent en fonction d'un calcul, socialement normal et uniforme, des profits et des pertes. Ces schèmes aboutissent ainsi à la construction d'un homme entièrement rationnel, qui ne connaît ni doute, ni incertitudes, ni inertie. La plupart des biographies prendraient toutefois un tout autre visage si l'on imaginait une forme de rationalité sélective, qui ne cherche pas exclusivement la maximisation du profit, une forme d'action dans laquelle il serait possible de ne pas réduire les individualités à des cohérences de groupe, sans renoncer à l'explication dynamique des conduites collectives comme systèmes de relation." (p.1334)
-Giovanni Levi, Les usages de la biographie, Annales, Année 1989, 44-6, pp. 1325-1336.