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    Catherine Salles, La Rome des Flaviens

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
    Admin


    Messages : 19232
    Date d'inscription : 12/08/2013
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    Catherine Salles, La Rome des Flaviens Empty Catherine Salles, La Rome des Flaviens

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 4 Déc - 12:48

    "Une époque se termine en 68. Avec Néron, la dernier des Julio-Claudiens, s'éteint la dynastie de ces Princes qui tirent leurs origines et leurs traditions de la Rome antique et qui règnent sur l'Empire depuis la fin de la République. La crise des années 68-69 prend naissance dans les provinces, à la différence des guerres civiles républicaines qui ont mis aux prises les chefs des partis politiques de la ville. C'est désormais en Italie, puis dans toutes les provinces que se recrutent les nouveaux souverains, les Flaviens originaires de Sabine, les Antonins venus d'Espagne et de Gaule, les Sévères africains et syriens. Rome n'est plus dans Rome et l'Empire acquiert une dimension européenne." (p.11)

    "Lorsque disparaît à la fin du Ier siècle Domitien, le monde romain est prêt pour l'ère de prospérité et de paix qui est une des caractéristiques du règne des Antonins avant la grave crise du IIIe siècle." (p.12)

    "C'est véritablement une "famille" qui dirige Rome à partir de 70, une "famille" avec ses projets communs et ses méthodes de réalisation, à la différence des Julio-Claudiens, qui ont constitué une "maison" au sens aristocratique du terme." (p.12)

    "La richesse de la documentation littéraire permet les comparaisons, d'autant plus fructueuses que les témoignages proviennent tant d'auteurs favorables aux Flaviens (Flavius Josèphe, Martial, Stace) que d'opposants à cette dynastie pour de multiples raisons (Tacite, Juvénal, Pline le Jeune)." (p.15)

    "Alors que, sous la dynastie julio-claudienne, des révolutions de palais, des complots plus ou moins bien orchestrés amènent au pouvoir tel ou tel membre de la famille augustéenne, en 68-69 ce sont les armés qui deviennent les agents des soulèvements, les légionnaires se posent en maîtres du destin du monde romain. En corollaire, la plus grande confusion règne dans l'Empire: pendant qu'en Espagne Galba se voit proposer l'Empire par ses troupes, en Germanie Verginius Rufus reçoit la même offre de la part de ses légions. Tandis que Galba est solennellement intronisé à Rome, son successeur Othon est déjà prêt à le renverser et les légions de Germanie poussent leur général Vitellius à prendre le pouvoir. Et ce dernier n'a pas encore fait son entrée officielle à Rome que les armées d'Orient acclament Vespasien comme empereur." (p.21)

    "De septembre 66 à décembre 67, Néron parcourt la Grèce, il reçoit un accueil chaleureux des habitants lors de ses exhibitions musicales à Corcyre, Actium et Corinthe, il est déclaré vainqueur pendant les jeux Olympiques aux épreuves de course de chars, malgré une chute malencontreuse. L'enthousiasme de l'empereur pour cette province si bienveillante à son égard le pousse à accorder la liberté aux cités grecques. Il prend aussi la décision de creuser un canal traversant l'isthme de Corinthe. En septembre 67, il inaugure avec un faste exceptionnel les travaux de percement du canal, projet capital pour la circulation maritime, puisqu'il doit permettre d'éviter de contourner le Péloponnèse pour se rendre en Orient. Des centaines d'ouvriers, dont 6000 Juifs, prisonniers de guerre envoyés par Vespasien, commencent à creuser le roc, mais cette prestigieuse réalisation est interrompue par les événements de 68.
    En quittant Rome et l'Italie pendant près de quinze mois, Néron a laissé derrière lui bien des sujets de mécontentement suscités par sa politique. Le "néronisme", par lequel l'empereur aurait voulu révolutionner le monde romain en le plaçant sous le signe de l'esthétisme, les extravagances, les dépenses et les crimes du dernier Julio-Claudien ont commencé par exaspérer nombre de Romains avant de devenir dans les provinces symboles d'une tyrannie de plus en plus mal supportée. Par ailleurs, depuis plusieurs années, des difficultés économiques, qui se traduisent par une inflation galopante et des périodes de pénuries alimentaires, se soldent par la multiplication de taxes et de charges, intolérables pour nombre de provinciaux. Les opérations militaires grèvent aussi les caisses de l'Etat. En particulier, le déploiement des forces romaines qui, sous la conduite de Vespasien, répriment la révolte des Juifs en Palestine provoque des dépenses considérables et sans cesse renouvelées.
    Il se trouve des mécontents de la politique néronienne dans toutes les couches de la population de l'Empire, depuis la noblesse sénatoriale jusqu'au petit peuple des villes et des campagnes. Deux conjurations, en 65 et en 66, ont révélé l'insatisfaction des classes supérieures à l'égard de Néron. En 65, une vaste conspiration regroupe sénateurs, chevaliers et officiers de Rome pour remplacer Néron par le noble Pison et seule la découverte fortuite de leurs projets évite au Prince d'être assassiné. La répression est sanglante: toute la haute société romaine est touchée par les condamnations hâtives et, parmi les victimes, se trouvent le philosophe Sénèque et son neveu Lucain. Les Espagnols, compatriotes de ces deux écrivains, garderont une solide rancune à l'égard de l'empereur. Un an plus tard, ce sont des militaires qui, à l'instigation du légat Vinicianus, veulent assassiner Néron à Bénévent et le remplacer à la tête de l'empire par Corbulon, le général le plus prestigieux de l'époque. L'échec de la conjuration provoque la condamnation de nombreux membres de l'aristocratie et le suicide de Corbulon, ce qui ne manque pas de provoquer une grande émotion dans les milieux militaires. Ces deux très graves crises, réprimées dans le sang, ne sont que l'émergence des différents mouvements de révolte qui surgissent ça et là dans l'ensemble du monde romain. Pendant le séjour de Néron en Grèce, ils deviennent suffisamment inquiétants pour que l'affranchi du souverain, Helius, auquel l'empereur a confié le pouvoir à Rome pendant son absence, envoie plusieurs courriers à son maître en lui demandant de revenir en Italie.
    Mais, lorsque Néron débarque à Naples à la fin de l'année 67, la tension qui règne dans les provinces ne paraît guère le préoccuper. [...]
    La destinée de l'empire se joue déjà hors de Rome. En février 68, le légat de la Gaule Lyonnaise, Caius Julius Vindex, prend contact avec plusieurs gouverneurs de provinces pour préparer la chute de Néron. Descendant d'une famille royale d'Aquitaine, Vindex fait partie de ces Gaulois héritiers des traditions celtes, mais déjà bien romanisés. C'est un fait patent que les Gaulois, ou plus précisément les officiers romains d'origine gauloise, jouent un rôle important dans l'époque de crise qui va de 68 à 70. Le légat de la Lyonnaise, Julius Vindex, inspire par sa révolte la rupture de 68. Plus tard, en 70, les Trévires Julius Classicus et Julius Tutor, et le Lingon Julius Sabinus rejoindrent le Batave Julius Civilis dans sa guerre d'indépendance contre Rome. Tous ces hommes, venus des anciennes familles royales celtiques, exercent des responsabilités dans l'armée romaine, mais leur intégration à la romanité est trop superficielle pour qu'ils ne soient pas séduits par la rébellion. Si dans le cas de Vindex, il n'est pas question de lutter pour obtenir l'indépendance de la Gaule, Classicus, Tutor et Sabinus ont caressé le projet de créer un Empire des Gaules
    ." (p.24-27)

    "Entre le 9 et le 12 mars 68, Vindex convoque donc à Lyon (ou à Reims) une assemblée de Gaulois, au cours de laquelle on proclame l'insurrection. Le long discours que Tacite prête au Gaulois reflète bien les griefs variés que les provinciaux accumulent contre l'empereur: Néron a dépouillé le monde romain, il a décimé la fine fleur de l'ordre sénatorial, il a tué sa mère, c'est un débauché qui a joué de la lyre en plein théâtre et se produit comme acteur sur la scène. [...]
    Sur les monnaies que fait frapper Vindex à Vienne, on trouve les inscriptions "Roma restituta", "Libertas restituta", "Salus generis humani" et "SPQR" (Senatus Populus Que Romanus), ce qui montre bien que le "Vengeur" avait bien l'intention de rester romain
    ." (p.28)

    "L'aventure de Vindex est de courte durée, car le gouverneur de la Germanie Supérieure, Verginius Rufus, refusant les propositions d'alliance du Gaulois, reste loyal à l'empereur. Il marche sur les insurgés avec ses légions et les écrase en mai près de Besançon. Vindex, le "défenseur de la liberté", se suicide après le combat.
    Si la tentative de Vindex n'a duré qu'à peine trois mois, elle a pour effet de susciter dans les provinces occidentales une grande agitation au sein des légions qui poussent leurs généraux à s'insurger contre Néron pour le remplacer sur le trône. Le vainqueur de Vindex, Verginius Rufus, se voit proposer la couronne par ses troupes de Germanie, mais ce général, considéré par la suite comme le symbole de la loyauté envers son empereur, la refuse. En Espagne Tarraconaise, le gouverneur Galba est incité par son entourage à marcher sur Rome. Othon, gouverneur de la Lusitanie, songe aussi à profiter des troubles. En Afrique, le légat Clodius Macer prend le contrôle de la province et interrompt le ravitaillement que celle-ci envoie à Rome.
    " (p.29)

    "Le 10 juin, le Prince se trouve abandonné de tout le monde et ne garde auprès de lui que quelques fidèles. Le lendemain il quitte Rome pour se réfugier dans la maison d'un de ses affranchis, Phaon. Alors que s'approchent de sa retraite les cavaliers venus l'arrêter, il se résous enfin à se plonger un poignard dans la gorge avec l'aide de son secrétaire Epaphrodite. Le dernier des Julio-Claudiens disparaît ainsi misérablement. Il venait d'avoir trente ans."  (p.30-31)

    "Galba refuse d'accorder aux légions le donativum, gratification offerte aux militaires par l'empereur au moment de son avènement, ce qui les détache définitivement de sa cause. Autre maladresse, au moment de son entrée à Rome, Galba fait massacrer une troupe de rameurs de la flotte auxquels Néron avait donné le statut de légionnaires et qui manifestaient pour réclamer la reconnaissance de ce statut militaire. Il faut ajouter à ces bévues les exécutions sommaires de néroniens des deux ordres, ce qui détourne de lui nombre de nobles, choqués qu'on puisse faire mourir sans jugement des personnages considérables. En revanche Galba épargne Halotus et Tigellin, les conseillers les plus cruels et les plus détestés de Néron, dont la foule demande le supplice.
    A la fin de l'année 68, Galba a perdu la plupart de ses partisans appartenant aux différentes classes de la société: sénateurs, chevaliers, plébéiens et militaires ont tous des griefs à son égard. On lui reproche indistinctement son avarice et sa cruauté, sa passivité et sa complaisance coupable pour ses favoris. A la fois trop strict et trop indulgent, Galba n'a pas su en définitive s'assurer la fidélité des classes dirigeantes et populaires.
    " (p.34)

    "Othon, le gouverneur de la Lusitanie [...] a soutenu Galba. Mais, déçu dans son espoir d'être adopté par ce Prince, il décide de prendre sa revanche, poussé en cela par ses affranchis et ses astrologues. Très habilement, par des dons, des promesses et des marques d'estime, il rallie à sa cause les prétoriens. Le 15 janvier [69], alors que Galba entouré de la cour offre un sacrifice dans le temple d'Apollon Palatin, un affranchi s'approche d'Othon qui se trouve dans l'assistance et lui annonce que "les architectes sont arrivés pour s'entretenir avec lui des travaux de rénovation à faire dans une vieille demeure qu'il vient d'acheter". C'est en fait un signal convenu pour prévenir Othon que les soldats sont rassemblés et prêts à agir. Othon descend alors du Palatin pour gagner sur le Forum le militaire d'or, cette borne militaire marquant le départ théorique de toutes les routes de l'Empire et placée près du temple de Saturne. Les quelques soldats qui l'attendent -ils n'auraient été que vingt-trois selon les sources- le saluent du nom d'empereur et l'entraînent vers le camp des prétoriens.
    Alors qu'à l'annonce de ces événements la plus grande confusion règne autour de Galba, l'empereur décide de descendre sur le Forum pour détruire dans l'oeuf la conjuration. Tandis que la foule des Romains, massée sur tous les édifices de la place, contemple le spectacle sans intervenir, des cavaliers assaillent la litière de Galba près du lac Curtius et la renversent. Frappé de toutes parts par des coups d'épée, Galba est finalement égorgé. On tranche sa tête qu'on porte en triomphe au bout d'une pique. Pour souligner l'horreur de ce meurtre, Suétone rapporte un détail particulièrement atroce: ne pouvant saisir la tête de Galba qui l'a décapité lui enfonce comme un crochet le pouce dans la bouche et vient apporter ce trophée sanglant à Othon. Le successeur désigné de Galba, Pison, et un de ses "pédagogues", Vinius, subissent le même sort.
    " (p.35-36)

    "Othon n'a pas le temps de consolider sa position. Après avoir été salué empereur par ses troupes, Vitellius, commandant des armées du Rhin, envoie la moitié de ses forces armées à la conquête de Rome. En février 69, les vitelliens envahissent l'Italie. Othon se voit donc contraint à s'engager dans la lutte. Sans attendre l'arrivée des armées du Danube qui lui ont apporté leur appui, il rassemble à Rome une armée avec les soldats présents dans la capitale. Mais ces troupes, composées de militaires affaiblis par leur vie oisive dans la capitale, ne sont pas en mesure d'affronter efficacement les rudes légionnaires de Germanie soumis à un entraînement intensif.
    Malgré quelques succès locaux, les othoniens sont vite obligés de capituler. Le 14 avril, ils affrontent les vitelliens à Bédriac, ville d'Italie du Nord proche de Crémone. Ils sont écrasés par leurs adversaires. Othon décide alors de se suicider: par sa mort courageuse et lucide, il rachète aux yeux des Romains ses désordres passés
    ." (p.37-38)

    "Les armées vitelliennes, qu'aucune discipline ne bride, se livrent en Italie à toutes sortes de transgressions criminelles. Ils pillent, brutalisent les populations sans que personne songe à les en empêcher. Leur marche vers Rome se transforme en une véritable invasion de soudars pour lesquels rien n'est sacré. Quant à Vitellius, il scande son voyage de somptueux festins. Tout est subordonné aux gigantesques appétits du ventre de l'empereur: il arrête son escorte pour dévorer dans une taverne au bord de la route des mets restant de la veille et ne peut s'empêcher, lors d'un sacrifice, d'engloutir les entrailles palpitantes des victimes égorgées.
    A l'approche de la capitale, des sénateurs et des chevaliers viennent à la rencontre de l'empereur pour lui présenter leurs hommages. Ils sont accompagnés de bouffons, d'histrions, de cochers de cirque, de gladiateurs, une populace déchaînée qui ravage et terrorise la campagne romaine. Courant juillet, Vitellius et ses 60 000 soldats font une entrée triomphale à Rome. Le premier acte public du nouveau Prince est d'offrir en plein Champ de Mars un sacrifice aux mânes de Néron.
    Les premières semaines du gouvernement de Vitellius sont à l'image de sa traversée de l'Italie. Ses soldats, livrés à eux-mêmes, errent dans la Ville à la recherche des rapines et des plaisirs faciles. L'empereur est le jouet de son affranchi Asiaticus ainsi que des cochers et des comédiens qui flattent ses instincts les plus bas. Il dilapide des fortunes pour organiser des festins pantagruéliques, des courses de char et des combats de gladiateurs. [...] Le gouvernement impérial est arrivé à son point extrême de déliquescence.
    Cependant le pouvoir n'est déjà plus à Rome, mais en Orient où, le 1er juillet 69, le préfet d'Égypte, Tiberius Alexander, le légat de Syrie, Mucien, et les légions qui combattent en Judée ont proclamé empereur le commandant de la guerre menée contre les Juifs, le général Vespasien. C'est sur lui désormais qui repose l'avenir du monde romain
    ." (p.39-40)

    "Vespasien gagne l'Orient par voie de terre et parvient à Antioche le 1er mars 67. C'est dans cette ville que le rejoignent Titus, son fils ainé âgé de vingt-sept ans, le roi Agrippa II et ses troupes, ainsi que des détachements militaires envoyés par les roitelets locaux, Antiochus de Commagène, Malichos II d'Arabie nabatéenne et Soaemus d'Émèse. Pour mener sa guerre, Vespasien se trouve à la tête de trois légions, la Ve Macedonica, la XIe Fretensis et la XVe Apollinaris. Ce sont donc des forces armées considérables qui se rassemblent à Ptolémaïs, au nord de la Palestine: plus de 40 000 légionnaires, 23 cohortes auxiliaires d'infanterie, 6 régiments de cavaleries auxiliaires, auxquels s'ajoutent les 15 000 hommes des contingents alliés fournis par les souverains orientaux. [...] Il faut ajouter à ces hommes d'armes les multiples sapeurs et terrassiers qui vont s'illustrer en construisant rampes d'accès et remblais dans les sièges des villes de Judée. Cette armée dispose des engins techniques les plus perfectionnés, catapultes, balistes et autres machines de jet, béliers et tour d'assaut montées sur roues qui permettent aux Romains de venir à bout des cités les mieux fortifiées.
    Du côté des insurgés, le commandement central se trouve à Jérusalem, entre les mains du grand prêtre Ananias, de Joseph ben Gourion et d'Éléazar ben Simon. L'ensemble de la Palestine est divisé en six districts, placés chacun sous le commandement d'un général. La Galilée, la région du Nord et en conséquence la plus exposée, est confiée à Joseph ben Mattias (le futur historien Flavius Josèphe), qui, en quelques mois, met en place dans son territoire un solide système de défense. Il fait fortifier les cités et regroupe les soldats juifs isolés en une armée régulière à laquelle il tente de donner une organisation et une discipline "à la romaine". Mais ces forces militaires semblent bien dérisoires face à la redoutable machine de guerre que mène Vespasien contre la Palestine.
    Les opérations de pacification en Palestine durent d'avril 67 à la fin de 70, avec une période de rupture en 68-69, puisqu'à cette date, à la nouvelle de la mort de Néron, puis de celle de Galba, Vespasien laisse commandement des armées romaines à son fils Titus et se rend en Égypte où il est proclamé empereur
    ." (p.47-48)

    "La citadelle de Jotapata, perchée sur un piton rocheux, résiste pendant près de cinquante jours et 40 000 de ses habitants trouvent la mort pendant le siège achevé le 20 juillet. Après la chute de Tarichée le 26 septembre [67], Vespasien, pour impressionner les villes de Galilée encore libres, procède à de spectaculaires exécutions: après avoir fait conduire les survivants de Tarichée à Tibériade, il ordonne d'exécuter dans le stade 1200 vieillards, il choisit 6000 jeunes gens parmi les plus robustes pour les envoyer travailler au percement du canal de Corinthe, il vend enfin comme esclaves les 34 000 prisonniers restants." (p.49)

    "Joseph ben Mattias (Flavius Josèphe), fait prisonnier à Jotapata: demandant à s'entretenir secrètement avec le général romain et son fils, Joseph ben Mattias a déclaré: "Toi, Vespasien, tu seras César. C'est qui seras empereur, toi et ton fils ici présent". Flatterie ou prophétie inspirée, la déclaration de Joseph ben Mattias frappe tant Vespasien qu'il épargne le général juif qui deviendra un de ses fervents partisans." (p.50)

    "La chute du Temple [de Jérusalem] préfigure celle de la ville haute, dernier bastion des résistants juifs. Des centaines de milliers d'habitants (un million selon Flavius Josèphe) sont morts soit dans les flammes soit par l'épée des légionnaires romains. Titus fait raser ce qui reste de la cité sainte d'Israël. Les survivants connaissent le sort terrible des vaincus: Titus en réserve 700 qui figureront dans son triomphe de Rome, il fait déporter en Égypte la majorité des jeunes adultes condamnés aux travaux forcés, d'autres sont expédiés dans les différentes provinces de l'Empire pour être livrés aux bêtes dans les jeux de l’amphithéâtre, enfin les jeunes gens de moins de dix-sept ans sont vendus comme esclaves. Il y aurait eu près de 100 000 Juifs, faits prisonniers pendant la guerre, que Titus aurait ainsi déportés dans l'ensemble du monde romain." (p.52)

    "Rarement sans doute une accession au pouvoir n'a été menée de façon si réfléchie et si calculée. Vespasien hésite longtemps avant de se lancer dans l'aventure de la course à l'empire et, lorsque le légat de Syrie, Mucien, parvient à vaincre ses doutes, il s'assure méthodiquement l'alliance de tout ce qui peut concourir au succès de son entreprise: des hommes influents qu'il attire dans son camp et surtout des troupes importantes et à la fidélité éprouvée. Lorsque tout est prêt en Orient pour assurer sa prise de pouvoir, Vespasien ne se joint pas aux légions qui marchent sur l'Italie pour éliminer Vitellius et ses partisans, mais reste sur place pour attendre l'issue des combats. Bien mieux, alors qu'au début de 70 Vespasien est reconnu officiellement comme empereur par le sénat romain et que, dans la capitale, se met en place le nouveau gouvernement, le souverain demeure en Orient jusqu'en septembre pour revenir dans un Etat pacifié et débarrassé de tous les miasmes de la guerre civile." (p.53-54)

    "Le premier à accomplir un geste décisif est Tiberius Alexander. Le Préfet d'Égypte, issu d'une riche famille juive d'Alexandrie et neveu de l'écrivain Philon, a abandonnée la foi de ses ancêtres pour accomplir une brillante carrière équestre dans l'administration et l'armée romaines jusqu'à la très haute fonction de vice-roi d'Égypte, qu'il obtient en 63. Le 1er juillet 69, Tiberius Alexander réunit à Alexandrie les deux légions d'Égypte pour leur faire proclamer Vespasien empereur. Cette date par la suite sera choisie pour marquer le début officiel du règne de Vespasien. Trois jours plus tard, à Césarée, ce sont les trois légions de Judée qui, à leur tour, saluent leur général des noms de César et d'Auguste.
    C'est enfin la Syrie qui rejoint les partisans de Vespasien. Le légat des trois légions cantonnées près d'Antioche, Mucien, avec beaucoup d'astuce, a convaincu ses soldats que leur intéret est de se désolidariser de Vitellius. Mucien sait jouer de rumeurs fondées ou non pour convaincre les légionnaires. Il fait en effet courir le bruit que l'empereur Vitellius a l'intention de transporter en Syrie ses troupes de Germanie pour les récompenser de leur appui en leur permettant de s'installant dans une province opulente et tranquille. En échange les légions de Syrie doivent être transférées en Germanie, perspective terrifiante pour les soldats de Mucien. Comment pourraient-ils accepter le coeur léger de changer la vie paisible et heureuse des camps orientaux contre l'existence rude et pénible des légionnaires de Germanie, soumis à un climat rigoureux et une discipline de fer, exposés aux dangers perpétuels que leur font courir les tribus sauvages environnantes ? Vraie ou fausse, cette rumeur propagée par les bons soins de Mucien provoque l'indignation des troupes de Syrie et joue un rôle décisif pour les pousser à prêter serment à Vespasien.
    " (p.54-55)

    "A la fin de juillet 69, toutes les provinces de l'Asie à la Grèce, du Pont à l'Arménie ont pris officiellement parti pour Vespasien.
    Une réunion au sommet des partisans de Vespasien se tient à Beyrouth pour étudier la situation générale. On assiste à un spectaculaire déploiement de forces dans la petite ville de Phénicie.
    " (p.56)

    "Des ambassadeurs partent chez les Parthes et les Arméniens, deux peuples qui habitent aux frontières de l'Orient et dont il faut s'assurer la neutralité au moment où les provinces orientales vont se trouver privées de leurs légions." (p.57)

    "L'élément essentiel du plan de Vespasien et de Mucien consiste à pouvoir avancer sur l'Italie sans rencontrer d'obstacle et il leur faut pour ce faire s'assurer le concours des légions du Danube qui sont basées sur la route. Il se trouve que la plupart des hommes cantonnés en Mésie ont été les partisans d'Othon et, après la bataille de Bédriac, ils s'en sont pris violemment aux effigies de Vitellius. Craignant le courroux du nouvel empereur, la IIIe légion se déclare très vite en faveur de Vespasien, suivie par les deux autres de la province. Puis ces trois légions font valoir à celles de Pannonie et de Dalmatie tous les avantages qui les attendent si elles suivent Vespasien. [...] Parmi ces légionnaires du Danube se trouvent des hommes qui ont eu l’occasion de servir en Syrie sous les ordres de Vespasien et qui ne tarissent pas d'éloges sur ce général. Aussi l'unanimité se réalise-t-elle dans les provinces danubiennes autour du nom de Vespasien.
    Dans cette défection des troupes danubiennes à l'égard de Vitellius, le commandant de la VIIe légion, Antonius Primus, joue un rôle déterminant.
    " (p.58)

    "Sans tarder le fougueux Antonius Primus quitte la Pannonie pour atteindre à marches forcées le nord de l'Italie. Malgré les ordres envoyés par Vespasien qui leur a demandé de s'arrêter aux portes d'Aquilée et d'attendre le renfort des troupes dirigées par Mucien, les légions se mettent à descendre vers Rome." (p.59)

    "L'affrontement des vitelliens et des flaviens a lieu à Crémone le 24 octobre. Après un combat acharné, les troupes d'Antonius Primus mettent en déroute leurs adversaires. Cette victoire flavienne provoque de nombreuses défections: le sud de l'Italie, la flotte de Misène se déclarent pour Vespasien, ainsi que les Espagnes, les Gaules et la Bretagne. Malgré l'approche de l'hiver, Antonius Primus et les officiers des armées flaviennes décident de profiter de leur avantage de hâter l'investissement de Rome." (p.61)

    "Le 18 décembre, Vitellius sort de son palais en habits de deuil, précédé de la litière qui porte son fils, encore tout enfant. C'est la première fois depuis le début de l'empire qu'un Prince, en plein jour, au milieu du peuple de Rome assemblé, s'apprête ainsi à quitter la Ville et le pouvoir.
    Soudain se produit un coup de théâtre. Les prétoriens et une partie du peuple romain s'opposent au départ de Vitellius et très rapidement la situation se retourne en faveur de l'empereur. Comprenant tout de suite le danger, Sabinus, accompagné de ses enfants, de son neveu, le jeune Domitien, de quelques femmes, de sénateurs et de chevaliers partisans de Vespasien, court se réfugier dans la citadelle du Capitole. Le lendemain, les vitelliens donnent l'assaut à la colline. Pour se défendre, les flaviens jettent pierres et tuiles sur les assaillants, élèvent des barricades avec les statues d'hommes célèbres dressées autour du temple. Des brandons sont lancés de part et d'autre. [...] Très vite il ne reste plus que des cendres du monument le plus hautement symbolique de Rome
    ." (p.61-62)

    "Pénétrant dans la Ville par trois points différents, les flaviens affrontent les vitelliens dans des combats de rue où l'horreur le dispute à l'ignominie. Vitellius, seul dans le Palatin déserté par tous ses amis et ses esclaves, est capturé par un tribun de cohorte, traîné dans la ville au milieu des outrages, enfin percé de coups devant les Gémonies. A la fin de la journée, les flaviens sont maîtres d'une cité livrée au carnage de la guerre civile." (p.63)

    "En attendant la fin de l'année 70 pour revenir à Rome, Vespasien évite toute compromission, tout engagement gênant et néfaste pour sa réputation. Lorsqu'il fait son entrée à Rome à l'automne 70, il peut se présenter comme l'homme de la paix capable de redonner un second souffle à l'Empire romain." (p.64)

    "Les Princes de la première dynastie, celle des Julio-Claudiens, ont fait en quelque sorte partie du patrimoine national. Issus d'anciennes familles aristocratiques, les Julii et les Claudii, ils comptent parmi leurs ancêtres nombre d'hommes politiques ou de généraux victorieux dont les exploits appartiennent à l'histoire romaine. Ils représentent en quelque sorte la quintessence de la romanité. Les Flaviens romprent radicalement avec cet état de fait et Suétone, qui a bien compris l'originalité de l'arrivée au pouvoir de Vespasien et de ses fils, a puisé dans les archives pour reconstituer le parcours de cette famille italienne. Avec elle, c'est la petite bourgeoisie des villes de la péninsule qui se hisse sur le trône. Ce sont des Sabins, hommes réputés pour leur rudesse et leur sens pratique, qui arrivent au pouvoir. Ce sont des roturiers, des parvenus méritants qui s'installent sur le Palatin." (p.66)

    "Revenu à la vie civile, le grand-père de Vespasien devient employé d'un banquier local. Il exerce pour son patron la modeste activité d'encaisseur lors des ventes aux enchères. C'est ainsi que le fondateur de la gens Flavia se tourne vers une activité financière, ce qui va devenir la spécificité de ses descendants. Ces antécédents familiaux peuvent à n'en point douter justifier les aptitudes évidentes de Vespasien et de ses fils pour la gestion des affaires financières de l'Empire." (p.67)

    "A la différence de certains nouveaux venus dans les hautes sphères du pouvoir qui aiment se forger des ascendances glorieuses, Vespasien a toujours été très fier de son extraction modeste. Pendant son principat, les flatteurs cherchent à magnifier les origines de la famille Flavia en la faisant remonter aux fondateurs de la ville de Réate et retrouvent même, parmi les ancêtres de Vespasien, un compagnon d'Hercule, dont on montrait le tombeau sur la Via Salaria, près de Réate. Des recherches généalogiques qui provoquent l'hilarité de l'empereur, car il trouve ridicule d'avoir honte de ses ancêtres." (p.73)

    "La même fidélité aux mœurs de son milieu d'origine se retrouve dans la vie privée de Vespasien, qui doté toute sa vie d'un goût marqué pour les femmes, choisit sans s'en cacher ses compagnes dans des classes sociales différentes." (p.74)

    "La tribu germanique des Bataves occupe l'embouchure du Rhin et est alliée des Romains auxquels elle fournit des cavaliers pour les corps auxiliaires des légions. Ce peuple, qui s'est comporté très loyalement à l'égard de l'empire, supporte fort mal les levées de troupes abusives qu'effectue chez lui Vitellius en 69. Un des nobles bataves qui sert comme officier au service des Romains, Julius Civilis, profite de ce mécontentement pour susciter une guerre de libération. Sans doute poussé par des motifs personnels (son frère a été exécuté par Néron), mais surtout par une ambition démesurée, Civilis voit dans les troubles de 69 l’occasion de constituer un vaste Empire comprenant la Germanie et une partie de la Gaule. Après avoir lors d'un grand banquet enthousiasmé ses compatriotes par ses appels à la lutte, Civilis rallie à sa cause les tribus voisines des Canninéfastes et des Frissons et remporte une série de succès sur les armées romaines établies dans la région de Bonn.
    Lorsqu'au début de 70 la nouvelle de l'incendie du Capitole parvient en Germanie, elle provoque une révolte généralisée dans le nord de l'Empire et, ce qui est particulièrement dangereux pour Rome, les légions composées en grande partie de Gaulois se joignent à Civilis. Pour ces hommes qui ont encore en mémoire la prise de Rome par leurs ancêtres en 390 av. J.C., la destruction de la demeure de Jupiter Capitolin est le signe de la colère céleste présageant que la souveraineté du monde va passer aux nations transalpines. Trois généraux, les Trévires Julius Classicus et Julius Tutor et le Lingon Julius Sabinus, tous trois de souche royale et ayant la citoyenneté romaine, prennent la tête du mouvement. Plusieurs officiers romains sont assassinés et on gagne les légionnaires encore hésitants par des promesses. Lors d'une assemblée tenue à Cologne, les trois instigateurs de la révolte proclament la création d'un "Empire des Gaules" et Julius Classicus fait prêter serment de fidélité à cet empire par les légionnaires de l'armée du Rhin. Il fait aussi détruire tous les documents concernant les traités entre Romains et Gaulois. Cependant les Gaulois ne parviennent pas à s'entendre avec les Bataves de Civilis, car ce dernier refuse de se rallier à l'Empire des Gaules. [...]
    A Rome, en apprenant les développements de l'insurrection, Mucien, un moment angoissé par l'ampleur du danger, se décide à lever une massive armée opérationnelle: quatre légions d'Italie, trois d'Espagne, une de Bretagne, soit un effectif global de 80 000 hommes, prennent la route de la Gaule et du Rhin sous le commandement de deux généraux à la fidélité éprouvée, Petilius Cerialis, parent de Vespasien, et Gallus Annius
    ." (p.89-90)

    "Grâce à l'imposant dispositif militaire déployé au nord-est de la Gaule, Petilius Cerialis et Gallus Annius viennent à bout des révoltés et restaurent la puissance de Rome en Gaule et sur la vallée du Rhin. Seul le Batave Civilis échappe un temps aux armées romaines. [...]
    La guerre des Bataves a été la prise la plus dure qui a accompagné la période d'installation de Vespasien à la tête de l'empire.
    " (p.91)

    "En guérissant deux infirmes par l'imposition des mains et du pied, Vespasien s'inscrit dans la tradition des thaumaturges si vivace au Moyen-Orient au Ier siècle. [...] Les deux "miracles" d'Alexandrie ont donc une fonction particulière dans la prise de pouvoir de Vespasien, car ils doivent convaincre les peuples orientaux de la prédestination divine qui auréole le général romain. En se pliant au cérémonial "exotique" des thaumaturges, le Romain se voit ensuite reconnu par tous les Orientaux comme un empereur doté de pouvoirs divins." (p.97)

    "Ce n'est qu'après la mort d'Agrippine que Vespasien peut enfin exercer son proconsulat. En 61, le tirage au sort lui octroie la province d'Afrique. [...]
    A la différence de beaucoup de gouverneurs qui trouvent dans leur proconsulat une occasion de s'enrichir, Vespasien rentre à Rome dans une situation difficile. Sans que l'on en connaisse vraiment les raisons, il se trouve alors si gêné financièrement qu'il doit hypothéquer ses propriétés à son frère Sabinus, Préfet de la Ville. A la même époque, il monte une entreprise de transports de mules dans sa ville natale de Réate, réputée pour ses élevages de ces animaux. Cette activité professionnelle, peu compatible dans la société romaine avec le rang de sénateur, vaut à Vespasien de recevoir de ses ennemis le sobriquet insultant de "muletier".
    " (p.116-117)

    "Au cours de sa carrière, comme c'est habituel chez tous les sénateurs, Vespasien a beaucoup circulé dans l'Empire romain. Il a en effet été en poste successivement en Thrace, en Crète, en Germanie, en Bretagne, en Afrique, en Grèce et en Judée. Au moment de son accession au pouvoir, Vespasien a donc été en contact avec des habitants de l'Empire appartenant à des régions fort différentes à la fois par les mentalités et les habitudes de vie. Cette expérience du terrain lui sera très précieuse pendant son règne et cela le différencie des Julio-Claudiens qui, à l'exception de Tibère, n'ont pas connu cette ouverture sur l'Empire. Beaucoup moins impliqué que la plupart de ses contemporains de la noblesse dans les intrigues de clans qui agitent ce milieu, Vespasien est en revanche beaucoup mieux informé que ses prédécesseurs sur l'état du monde. Il connaît les préoccupations que pose la présence romaine dans les provinces, il a vécu de nombreuses années au sein des légions et sait ce qui motive les militaires ou les offense en les poussant à la révolte, il connaît aussi bien les mœurs des Germains que celles des Syriens ou des Africains." (p.117-118)

    "Vespasien a consacré sa vie d'empereur à l'intérêt de son Etat. Certes l'ambition guide ses actes pendant les années 68-69, mais il a subordonné cette ambition à la réalisation de son grand projet politique, la restauration d'un empire solide." (p.118-119)

    "L'exceptionnelle capacité de travail de Vespasien est au service de cette intelligence aiguë de la situation politique. L'empereur aime par-dessus tout travailler et consacre à sa besogne la majeure partie de ses journées selon un emploi du temps strictement établi. Debout bien avant le lever du soleil, il commence, tout en restant dans son lit, par dépouiller l'abondante correspondance officielle arrivée à Rome de toutes les provinces de l'Empire et les rapports rédigés par les différents officiers de la cour. [...] A l'heure où la plupart des Romains commencent à peine leur journée, Vespasien a déjà passé plusieurs heures à travailler et a réglé nombre d'affaires importantes." (p.119-120)

    "Les qualités fondamentales de Vespasien, la simplicité, la modération et le sens de l'humour, inspirent sa gestion des affaires. A la fois par tradition familiale et par tempérament, l'empereur s'est acquis une solide réputation d'avarice. Les difficultés financières qu'il a connue à deux reprises dans sa vie de citoyen l'ont rendu particulièrement attentif à la stricte gestion du Trésor public." (p.122)

    "[Vespasien] refuse toute faveur non justifiée et remet à leur place par une plaisanterie bien sentie ceux qui manoeuvrent pour obtenir des passe-droits." (p.126)

    "A la différence de Néron ou même de Claude, pour lesquels les activités intellectuelles tenaient une place importante, Vespasien considère les lettres essentiellement d'un point de vue pratique, en Romain traditionaliste pour lequel l'action prime sur l'écrit. [...] Cet empereur si économe n'hésite pas à engager des frais considérables pour la restauration des œuvres d'art. C'est ainsi que deux sculpteurs de talent reçoivent une très belle statue d'Aphrodite venant de Cos, le second le colosse dressé par Néron dans le vestibule de sa Maison Dorée. C'est le même souci qui pousse Vespasien à accorder des pensions aux écrivains de son règne, même si visiblement il n'a jamais voulu ressusciter un mécénat à la mode augustéenne." (p.129)

    "A peine arrivé à Corinthe, Titus apprend l'assassinat de Galba, l'avènement d'Othon et les prétentions de Vitellius, reconnu comme empereur par les troupes de Germanie. Aussi très sagement le jeune homme décide-t-il de renoncer à se rendre à Rome dans la peur de devenir l'otage d'Othon ou de Vitellius, et il rebrousse chemin pour retourner en Syrie.
    C'est pendant cette traversée que se situe un épisode curieux de la vie de Titus, presque incongru dans le contexte de guerres civiles du moment. Alors qu'il fait cingler son navire par les routes les plus rapides et même les plus dangereuses, Titus décide brusquement de faire halte dans l'île de Chypre pour visiter les merveilles contenues dans le temple d'Aphrodite de Paphos. Le culte de Paphos, rendu à une divinité très archaïque représentée par un bétyle, possède une grande réputation dans le monde antique et le sanctuaire d'Aphrodite regorge d'offrandes apportées au cours des siècles par les rois et les cités. Le site est aussi le siège d'un oracle que Titus, après avoir admiré les trésors du temple, consulte pour connaître l'issue de sa traversée vers la Syrie. Le prêtre d'Aphrodite, Sosastrus, le rassure sur ce point, puis, lui demandant de s'entretenir avec lui en tête à tête, lui révélè qu'il doit espérer l'empire dans le futur. On voit donc l'importance politique de cette halte à Paphos, qui ne peut se résumer à une simple visite touristique
    ." (p.141-142)

    "D'octobre 70 à juin 71, date de son retour à Rome, Titus reste en Orient où plusieurs de ses initiatives laissent planer des doutes sur ses desseins véritables. Il célèbre tout d'abord sa victoire de Jérusalem à Césarée, puis à Beyrouth, où il fait massacrer des milliers de prisonniers juifs avec des raffinements de cruauté spectaculaire." (p.143)

    "De plus en plus fréquemment tout au long du règne de son père, il assume directement la gestion des affaires: il lit au sénat les lettres de Vespasien, rédige les édits de ce dernier et dicte à sa place le courrier officiel. [...] Pour abattre les hommes dont il soupçonne les visées ambitieuses, il a organisé des services secrets redoutables, spécialistes des campagnes d'intoxication orchestrées. Dans diverses manifestations publiques, leurs agents font courir aux yeux de Titus et réclament ouvertement leur exécution. Ce qui permet ensuite à Titus de liquider sans scrupule ses ennemis tout en feignant d'obéir aux désirs du peuple romain. Le général Aulus Caecina, qui en 69 avait trahi Vitellius pour rejoindre les armées flaviennes, reste aux yeux de Titus un personnage dangereux. Il le convie à dîner chez lui et le fait percer de coups au sortir de la salle à manger." (p.145)

    "On ne peut donc dire qu'une excellente réputation précède Titus lorsqu'il succède à son père mort brutalement en juin 79. Tous attendent le pire de la part de ce jeune homme de trente-neuf qui, par sa cruauté et son intempérance avérées, peut sembler un nouveau Néron de sinistre mémoire chez les Romains. Or Titus change de comportements du tout au tout et, pendant son règne si court de deux ans, se montre un Prince idéal aussi bien dans ses méthodes de gouvernement que dans son comportement à l'égard de ses sujets." (p.146)

    "Peut-être l'excellente réputation dont l'empereur a joui chez les peuples de l'Empire et pour la postérité tient-elle à son attitude fort généreuse et énergique lors des diverses calamités qui ont émaillé son règne. Pendant l'espace de ces deux ans en effet, Rome et l'Italie sont affectées par des catastrophes d'une ampleur exceptionnelle. Tout d'abord, le 24 août 79, alors que Titus vient tout juste d'accéder à l'empire, se produit la terrible éruption du Vésuve qui ravage la baie de Naples, ensevelit sous les cendres Pompéi et Herculanum et provoque la mort de milliers de personnes. La Campanie, symbole dans le monde romain de la douceur de vivre, est anéantie par ce désastre sans précédent. Titus, qui y perd son ami Pline l'Ancien, est très affecté par l'événement. Immédiatement, il confie à deux anciens consuls le soin de superviser les secours à apporter aux sinistrés, fait verser aux rescapés des subventions et leur octroie les biens de ceux qui ont péri sans laisser d'héritiers.
    Une grande épidémie frappe alors les populations de Campanie déjà fort éprouvées par l'éruption du Vésuve. [...] Une nouvelle fois Titus intervient en personne pour secourir ces populations fort éprouvées: il fait parvenir en Campanie des secours de toute nature et vient lui-même sur place réconforter les éprouvés et veiller à la mise en place des secours. [...]
    L'émotion soulevée dans le monde romain par l'éruption du Vésuve et les catastrophes de la Campanie est encore vivace lorsqu'un terrible incendie se déclare à Rome et, pendant trois jours et trois nuits, ravage une grande partie de la Ville. Tout aussi destructeur que le grand sinistre survenue en 64 sous le règne de Néron, l'incendie de 80 détruit de nombreux monuments, dont certains étaient encore en reconstruction après les événements de 68-69, provoque des centaines de morts et jette dans les rues de la capitale de nombreux sans-abri. Titus prend à la charge de l'Etat tous les travaux de reconstruction nécessaires et en confie la réalisation à une commission constituée de plusieurs chevaliers. En son nom personnel, il offre des œuvres d'art qui se trouvent dans ses différentes demeures en Italie pour reconstituer les collections publiques détruites par le feu
    ." (p.146-147)

    "Sa patience à l'égard de son cadet Domitien est exemplaire et il s'efforce vainement de susciter l'affection de ce frère si haineux à son égard.
    Titus ne se départit de son indulgence qu'à l'égard des délateurs, ces accusateurs quasi professionnels qui ont compté parmi les pires fléaux de l'empire. Pour mettre fin à leurs agissements, l'empereur décide de punir de façon spectaculaire ces individus méprisables et retrouve pour l'occasion les tendances sadiques dont il avait fait preuve lors des massacres des prisonniers juifs à Césarée et à Beyrouth: il fait battre de verges dans le Forum les délateurs, puis les oblige à défiler dans l'amphithéatre sous les huées de la foule, enfin il les fait vendre comme esclaves ou déporter dans des îles sauvages
    ." (p.150)

    "Les cyniques sont connus pour leur goût de la provocation et on a l'habitude de prendre avec précaution leurs diatribes insultantes. [...] Un autre philosophe, Héras, se croit-il autorisé à invectiver Titus et Bérénice dans les termes les plus crus et les désobligéants. Mais la patience impériale a ses limites et Héras est décapité." (p.154)

    "Le règne de Titus, commencé sous de fort heureux auspices, s'interrompt brutalement en septembre 81." (p.156)

    "Le dernier des Flaviens ne bénéficie d'aucun des préjugés favorables accordés à son père et à son frère: il n'a pas la force de travail et le sens des affaires de Vespasien, il manque du charme qui rendait Titus "jucundus" pour son entourage et ses sujets. Lorsqu'il arrive au pouvoir à l'âge de trente ans, il n'est pas précédé d'un prestige personnel conquis aux armées, il ne s'est fait connaître par aucune entreprise positive." (p.157)

    "Sobriquet cruel de "Néron chauve", trouvé par Juvénal pour le flétrir [...] les Anciens faisaient le lien entre la perte des cheveux et des mœurs débauchées. Le mode de vie déréglé de Domitien s'ajoutant au manque d'exercice physique provoque aussi chez lui une obésité croissante." (p.158)

    "Domitien trame, mais en vain, plusieurs complots pour renverser son frère et, lorsque celui-ci meurt le 13 septembre 81, on accuse Domitien de l'avoir empoisonné. Domitien qui se trouve à Réate en compagnie de Titus n'attend même pas la confirmation de son décès pour chevaucher à bride abattue jusqu'à Rome et se fait saluer comme empereur par les cohortes prétoriennes." (p.164)

    "L'angoisse pathologique de Domitien est favorisée par un égocentrisme excessif. Il est le premier à Rome à entourer la personne de l'empereur d'un apparat divin. Il se fait communément appeler "dominus", ce qui en latin évoque les rapports d'un maître avec ses esclaves, et apprécie d'être traité de "deus". Les poètes de l'entourage impérial, Stace et Martial, abondent en ce sens et leurs oeuvres regorgent d'expressions assimilant l'empereur au souverain du monde." (p.167)

    "Une femme qui a eu la malencontreuse idée de se déshabiller près d'une statue de Domitien est condamnée à mort pour impiété. La liste de tous les honneurs décernés par le sénat pour exalter la personne de l'empereur prouve que rien n'est assez exceptionnel pour signifier que Domitien est un dieu vivant." (p.168)

    "Les phobies paranoïaques de Domitien le conduisent aussi à prononcer des condamnations expéditives sans d'autres motivations que les inquiétudes forgées par son esprit troublé. Un brave père de famille, qui, lors d'un spectacle de gladiateurs, a critiqué les aptitudes de l'empereur à organiser des jeux, est livré séance tenante aux chiens dans l'arène. La cruauté de Domitien a ceci de particulier qu'elle s'accompagne de perversité sadique, car l'empereur éprouve un plaisir particulier à faire passer ses victimes de l'espoir à la désespérance. La veille du jour où il va faire crucifier son trésorier, il le convoque dans sa chambre, le fait asseoir auprès de lui et le renvoie tout rassuré après lui avoir donné une part de son repas." (p.169)

    "Il fait édifier sur le Palatin par l'architecte Rabirius un palais tout à fait somptueux, achevé en 92. Le Palais Flavien, que les poètes contemporains ont évoqué avec admiration, est conçu comme un ensemble exaltant la grandeur impériale. [...] A partir de Domitien jusqu'à la fin de l'empire, les souverains habiteront le Palais Flavien qui n'est plus une demeure particulière, mais le siège visible du pouvoir temporel et sacré." (p.175)

    "Conjuration de palais qui aboutit au meurtre de Domitien le 18 septembre 96." (p.177)

    "La mort de Domitien est accueillie avec des transports de joie par tous les Romains et les sénateurs s'empressent de saluer comme empereur Nerva. [...] Domitien est frappé par la damnatio memoriae: ses statues et ses portraits sont brisés, ses inscriptions martelées." (p.179)

    "Le principal obstacle à l'élaboration du principat a été le problème de la succession des empereurs. En se déclarant fidèle aux principes républicains, Auguste ne pouvait officialiser le principe dynastique héréditaire caractéristique d'une monarchie. Cependant, par des artifices très habiles, le premier Prince a tout au long de son règne cherché à assurer sa succession, en désignant comme héritier tacite d'abord son neveu Marcellus, puis son gendre Agrippa, puis ses deux petits-fils, enfin son troisième gendre Tibère, ce dernier recueillant en définitive l'héritage de son beau-père. Par la suite, le passage du pouvoir dans la dynastie julio-claudienne a été régi par le hasard plus que selon une définition logique du principe héréditaire. Pour établir une véritable dynastie, il aurait fallu que les successeurs d'Auguste aient eu des fils en position d’hériter, ce qui n'a pas été le cas. Le fils de Tibère meurt avant son père, Caligula et Néron n'ont pas eu d'enfants mâles en âge de leur succéder. Seul Claude engendre un fils capable de lui succéder, mais on sait que ce garçon, Britannicus, est éliminé par Agrippine pour assurer l'accession de Néron au trône." (p.182-183)

    "Pour assurer et institutionnaliser en 69 les fondements de son pouvoir, Vespasien a un modèle, Auguste, et un contre-modèle, Néron." (p.183)

    "Issu de l'ordre équestre, le commandant des troupes prétoriennes [ou préfet du Prétoire] est en fait le second personnage de l'Etat et on a pu mesurer, pendant le Ier siècle, le rôle qu'il joue pour faire et défaire les empereurs." (p.185)

    "Auguste avait entretenu la fiction selon laquelle le Prince gouverne avec le sénat. Vespasien rompt avec cette fiction rassurante pour tous. Sous son règne et sous ceux de ses fils, les décisions importantes sont prises en fait au sein du consilium principis, ensemble de collaborateurs choisis par l'empereur parmi ses amis et les principaux sénateurs. [...] Ces amici forment "avec l'empereur la cime de la structure pyramidale du pouvoir romain"." (p.185)

    "La loi Julia, promulguée jadis par Auguste pour punir les adultères, redevient d'actualité sans doute en 89, ce qui provoque de nombreuses condamnations. [...] Domitien n'hésite pas à ressusciter la vieille loi Santinia promulguée en 149 av. J.C. et punissant les relations homosexuelles entre adultes. Dans le cadre de cette "correction des mœurs", il ne faut pas oublier les nouvelles lois interdisant la castration des enfants destinés à agrémenter de leur beauté les riches demeures et obligeant les marchands d'eunuques à diminuer les prix pratiqués sur le marché. Toutes ces lois visent essentiellement les membres de deux ordres qui, selon le désir de Domitien, doivent offrir aux yeux de tous un parfait exemple de chasteté." (p.187)

    "Beaucoup plus implacable est la punition infligée à la Grande Vestale Cornelia. Apparemment la jeune femme, une première fois reconnue coupable d'inceste, avait été acquitté faute de preuves. Une nouvelle fois accusée, sans doute en 89, elle comparaît devant l'empereur et le collège des Pontifes réunis dans la villa impériale d'Albe. Condamnée, elle est enterrée vive à Rome. Ses complices (car elle en avait plusieurs !) sont battus à mort, à l'exception d'un seul, l'ancien Préteur Valerius Licinianus, simplement exilé. Pline le Jeune a laissé le récit horrifié des derniers moments de Cornelia en s'indignant de la cruauté de Domitien. En fait il n'y a rien eu d'arbitraire dans la décision de l'empereur qui s'est contenté d'appliquer à la lettre la loi primitive concernant les Vestales coupables." (p.190)

    "Lorsque disparaît le dernier Flavien, le principat a nettement évolué depuis l'époque augustéenne en accordant de plus en plus d'importance au pouvoir personnel. Les règnes des Antonins au IIe siècle confirmeront cette tendance." (p.190-191)

    "Au début de l'année 89, alors que les préparatifs de l'expédition projetée par Domitien contre les Daces monopolisent une partie des forces militaires de l'Empire, [le général L. Antonius] Saturninus se fait proclamer empereur à Mayence par les deux légions qui se trouvent sur place. Pour s'attirer les faveurs de ses soldats grâce à la distribution de cadeaux, le général a puisé des fonds dans les caisses d'épargne militaire dans lesquelles les légionnaires versent leurs économies et une partie de leur solde. Saturninus pense de plus pouvoir compter sur l'appui des deux autres légions de Germanie. Par ailleurs il a établi des contacts appréciables avec certaines tribus germaines dont il espère obtenir le soutien armé.
    Dangereuse dans le principe, la tentative de Saturninus se solde assez vite par un échec. En effet d'une part la loyauté des légions de Germanie Inférieure qui refusent de trahir l'empereur, d'autre part la rapidité de réaction de Domitien empêchent la révolte de se propager. Dès que la nouvelle de la rébellion parvient à Rome, l'empereur renvoie au légat d'Espagne, le futur empereur Trajan, l'ordre de conduire vers la Germanie les deux légions qu'il commande. Domitien quitte lui-même Rome et prend la direction du nord à la tête des cohortes prétoriennes. L'émotion est alors grande dans la Ville où tout le monde se prépare à une grande guerre.
    En fait tout se termine très vite. Sous la conduite de L. Norbanus Appius Maximus, les légions de Germanie restées fidèles à l'empereur rencontrent les rebelles entre Coblenz et Bonn et les écrasent sans trop de difficultés. En effet, au dernier moment, les auxiliaires germains sur lesquels comptait Saturninus ont fait défaut. Le général traître est tué lors de la bataille
    ." (p.200-201)

    "A Rome, le stoïcisme, à la différence de l'épicurisme qui prône un détachement radical à l'égard des affaires publiques, a toujours entretenu des relations ambigües avec le pouvoir. Pendant la République, bien des hommes politiques, de Tiberius Gracchus à Scipion Émilien, de Cicéron à Caton, se sont réclamés des opinions du Portique. Sous le règne de Néron, les thèses stoïciennes deviennent armes de combat. Les vertus prônées par les stoïciens, sobriété, austérité, maîtrise de soi, peuvent facilement trouver leur contre-pied dans les vices réels ou supposés attribués à Néron: dépravation morale, goût du luxe, cruauté et autres turpitudes. Même si le maître-mot de ces philosophes est la restauration de la libertas, cependant aucun d'eux ne s'en prend au principe même du pouvoir impérial. Ils appartiennent tous aux classes dirigeantes et trouvent bien des avantages dans la société constituée depuis le règne d'Auguste. Leur révolte philosophique est en fait essentiellement dirigée contre la personne même de l'empereur et sa conception personnelle du pouvoir. Il est d'ailleurs significatif qu'aucun de ces intellectuels n'a proposé de programme cohérent pour réformer les institutions." (p.203)

    "La contestation stoïcienne reste très vivace à l'époque flavienne. Dès 70, Vespasien renvoie en exil Antistius Sosianus, déjà relégué sous le règne de Néron et qui avait profité du changement de régime pour revenir à Rome. En 71, l'empereur expulse de Rome un grand nombre de philosophes, dont Hostilianus et Demetrius le Cynique, qui avait été l'ami de Sénèque. En 75, Vespasien condamne à mort le chef de l'opposition stoïcienne, Helvidius Priscus, genre de Thraséa, et fait déporter Musonius Rufus, le conférecier stoïcien. Pendant la seconde partie de son règne, Domitien à son tour frappe énergiquement les têtes de file du mouvement stoïcien, Herennius Senecio, Junnius Arulenus Rusticus et Helvidius Priscus fils, tous condamnés à mort. En 91, le sophiste Maternus est exécuté pour avoir déclamé contre les tyrans dans un exercice d'école. En 93, Domitien procède à une expulsion en masse des philosophes de Rome. Les penseurs les plus célèbres de l'époque, Épictète, Artémidore, Dion Chysostome et Demetrius doivent quitter la ville." (p.207)

    "[La rébellion de Saturninus] a ranimé l'hostilité d'une partie du sénat contre l'empereur qui a fait exécuter alors un grand nombre de représentants de la noblesse. [...] les sept victimes de Domitien en 93 se situent clairement dans une tradition de rébellion et de conspiration contre le pouvoir impérial et ont été en fait passibles du crime de trahison." (p.213-214)

    "La méfiance témoignée par Domitien à l'égard de l'opposition intellectuelle se manifeste aussi par l'anéantissement spectaculaire des ouvrages rédigés par les contestataires. Passe encore que l'empereur fasse détruire les libelles diffamatoires dirigés contre des hommes et des femmes en vue. C'est suivre en cela l'exemple de nombre de ses prédécesseurs, en particulier Tibère, qui en leur temps ont fait supprimer les textes séditieux. Avec Domitien, la punition des nobles philosophes s'accompagne de mesures destinées à frapper l'imagination des Romains. En effet, les Triumviri capitales, magistrats chargés de l'application des peines capitales, reçoivent l'ordre de brûler en plein Forum le Panégyrique de Paetus Thraséa composé par Arulenus Rusticu et le Panégyrique d'Helvidius Priscus, oeuvre d'Herennius Senecio. Lorsque l'historien Hermogène de Tarse est exécuté pour avoir glissé dans son oeuvre des allusions déguisées aux crimes de Domitien, ses esclaves copistes sont crucifiés à la fois pour avoir recopié le texte incriminé et pour éviter qu'ils n'en divulguent clandestinement la teneur." (p.214-215)

    "En fournissant systématiquement à ses sujets de nouvelles structures aussi bien financières que militaires et administratives, Vespasien, imité par ses deux fils, a permis la constitution d'un Empire cohérent, débarrassé des anomalies héritées des règnes précédents. Pour harmoniser la gestion des provinces, il supprime nombre de disparités dans le statut des cités, dans le recouvrement des impôts. Il donne la sécurité à l'ensemble du monde en réorganisant les emplacements des camps légionnaires. Le brillant essor qui caractérise l'Empire romain du IIe siècle est la conséquence directe du grand travail d'aménagement conçu et réalisé par Vespasien." (p.221)

    "Napoléon avait une grande admiration pour Vespasien qui était pour lui le parfait modèle du gestionnaire avisé et entreprenant." (p.222)

    "Les Julio-Claudiens n'ont jamais établi de frontières très précises entre leurs biens personnels et ceux de l'Etat.
    A la mort de Néron, dernier représentant de la famille d'Auguste, le
    patrimonium julio-claudien se trouve ipso facto sans héritier. Vespasien fait transférer à la nouvelle dynastie ces biens qui dès lors sont implicitement liés à la personne de l'empereur. La distinction n'existe plus désormais entre les biens de la Couronne et le Trésor public." (p.225)

    "Des rentrées régulières sont assurées grâce aux tributs payés par les provinces. Néron en Grèce et Galba en Gaule, par démagogie ou par nécessité, avaient accordé des exemptions d'impôts que Vespasien s'empresse de supprimer. Certaines cités "libres", comme Rhodes, Byzance ou Samos, perdent leur statut pour être rattachées aux provinces et en conséquence être imposées selon les lois en vigueur dans ces dernières. De façon générale, les tributs des provinces sont augmentés, parfois même multipliés par deux." (p.232)

    "Une place toute particulière doit être faite à l'impôt annuel de deux drachmes que, à partir de Vespasien, tous les hommes juifs de l'Empire, âgés de vingt à cinquante ans, doivent verser à l'Etat. Avant la prise de Jérusalem en 70, les Juifs payaient le didrachme pour l'entretien du Temple. Après la destruction de celui, Vespasien garde le principe de la contribution des Juifs et la transfère aux recettes publiques en la destinant à l'entretien du temple du Jupiter Capitolin. Compte tenu du nombre de Juifs touchés par cet impôt dans l'Empire (entre 5 et 6 millions d'individus), on a pu calculer que les taxes perçues sur les communautés juives devaient rapporter entre 5% et 6% du revenu annuel de l'Etat. Le prélèvement de cet impôt sert de prétexte à des humiliations touchant les communautés juives." (p.233)

    "Des délégués de l'empereur s'établissent en permanence dans les provinces pour contrôler les agissements des compagnies de publicains ayant pris en fermage le recouvrement des impôts indirects. D'ailleurs, pour pouvoir exercer une surveillance plus efficace, on remplace, en de nombreux endroits, les compagnies par des fermiers individuels." (p.234)
    -Catherine Salles, La Rome des Flaviens. Vespasien, Titus, Domitien, Éditions Perrin, coll. tempus, 2008 (2002 pour la première édition), 360 pages.

    Exploité chronologie en annexe.
    "En unissant tous les peuples de l'univers, la majesté de l'Empire romain a fait progresser la civilisation, grâce aux échanges entre peuples et la communauté d'une paix bénie." -Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, 14, 2.

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    Catherine Salles, La Rome des Flaviens Empty Re: Catherine Salles, La Rome des Flaviens

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 9 Déc - 17:07

    "Jamais probablement depuis l'époque d'Auguste, on n'a doté Rome de tant de constructions nouvelles, on n'a autant veillé à la restauration des édifices délabrés ou détruits lors des guerres civiles. La reconstruction du Capitole incendié en décembre 69, celle des temples de Saturne et de Vesta situés sur le Forum Romain, l'édification du temple de la Paix et de son forum, l'achèvement du temple du Divin Claude entrepris par Agrippine sur le mont Caelius, les premiers travaux du Colisée permettent à Vespasien de procurer pendant tout son règne une activité suivie aux métiers du bâtiment. Les contemporains ont gardé le souvenir des embouteillages perpétuels que provoquent dans la Ville les tombereaux chargés de pierre de taille, de blocs de marbre et de colonnes destinés aux chantiers. [...] Un ingénieur propose à Vespasien une géniale invention permettant de transporter plus vite et à moindres frais les matériaux de construction. Tout en donnant à l'homme une forte récompense, l'empereur refuse d'appliquer son invention qui réduirait au chômage de nombreux ouvriers." (p.238)

    "L'empereur-patron offre régulièrement à la plèbe urbaine de Rome les frumentationes ou distributions de blé, et occasionnellement des congiaires consistant en pièces de monnaies, diverses denrées comme de l'huile et par extension des divertissements variés. Alors que les frumentationes font partie des obligations du souverain, les congiaires relèvent de son bon plaisir. Aucun des Flaviens ne s'est soustrait à cette charge onéreuse, car la tranquillité de Rome dépend en grande partie de la sympathie que les largesses du Prince entretiennent chez le peuple.
    A trois reprises au moins, Vespasien distribue des congiaires: en 70 pour fêter son retour à Rome, en 72 et en 80 par l'intermédiaire de Titus. Lors du premier congiaire, on assigne à chaque citoyen 300 sesterces, somme exceptionnellement élevée en la circonstance. C'est aussi la somme que Domitien donne à chaque Romain lors des trois congiaires offerts pendant son règne à l’occasion de ses triomphes en 83, 89 et 93.
    " (p.241-242)

    "A sa mort en 96, on peut considérer que, malgré des dépenses excessives suscitées par le programme de grandes constructions et les campagnes militaires menées en Germanie et sur le Danube, Domitien laisse l'Empire romain dans une situation économique globalement satisfaisante que la politique des premiers Antonins, Trajan et Hadrien, contribuera à consolider." (p.247)

    "Dans sa politique extérieure, Vespasien s'est inspiré de la prudence d'Auguste qui, dans ses Res Gestae, avait demandé qu'on n'étende pas le domaine territorial de l'Empire constitué et pacifié grâce à lui. Cependant les Flaviens ont dû résoudre les conflits qui troublent l'Orient, les régions du Rhin et du Danube, la Bretagne et l'Afrique. Domitien, qui tout au long de sa vie a désiré égaler les exploits militaires de son père et de son frère, mène une politique extérieure plus aventureuse en organisant plusieurs expéditions contre les tribus germaines et les Daces du Danube." (p.248)

    "A la mort de Vespasien, l'effectif global des armées romaines est de vingt-neuf légions (contre vingt-huit à l'époque de Néron).
    Les camps légionnaires sont tous repoussés aux frontières du monde romain: 4 légions en Bretagne, 8 sur le Rhin, 6 sur le Danube, 2 en Cappadoce, 4 en Syrie-Judée, 2 en Égypte. Seules trois légions restent à l'intérieur de l'Empire: la VIIe Gemina en Espagne, la IIIe Augusta en Afrique et la IVe Flavia en Macédoine. Cette politique consistant à dégarnir les provinces pour constituer sur les frontières une solide défense armée avait déjà été ébauchée par les derniers Julio-Claudiens. Vespasien généralise ce système destiné à construire une barrière continue sur les confins de l'univers romain. Le danger présenté par cette concentration des forces armées loin du centre de l'Empire n'apparaîtra vraiment qu'au IIIe siècle, lorsque les envahisseurs commenceront à enfoncer ce bouclier protecteur et avanceront sans pine à l'intérieur des provinces où aucune armée n'est là pour les arrêter. Pour assurer les défenses frontalières, on commence à construire sous le règne des Flaviens des fortifications et un réseau routier, préfigurant le
    limes qui, à partir des Antonins, protégera les régions les plus sensibles de l'Empire." (p.249-250)

    "Il est sûr qu'on trouve à partir des Flaviens une présence majoritaire de Provinciaux (Gaulois, Espagnols, Macédoniens) dans les légions, ainsi que des pérégrins ayant reçu récemment la citoyenneté romaine. Domitien, qui s'est beaucoup appuyé sur les sympathies de l'armée, lui témoigne de façon spectaculaire sa bienveillance, puisqu'il porte la solde annuelle de chaque légionnaire de 225 à 300 deniers. Cette générosité, sans doute excessive, a contribué à compromettre le budget de l'Etat pendant son règne." (p.250)

    "La défense de l'Empire dans les régions du Rhin et du Danube a toujours été pour les Romains une source de difficultés. De plus les prémices des guerres civiles de 68-69, qui se sont déroulées dans les camps légionnaires de Germanie, et la révolte des Bataves conduite par Civilis en 70 ont démontré la nécessité de réorganiser la garde du Rhin. Certaines tribus germaines qui avaient été associés au soulèvement de Civilis, comme les Bructères vivant au nord de la Lippe, continuent à menacer les Romains. Sur le Danube, les légions romaines sont en butte aux incursions des Sarmates Roxolans (région de l'estuaire du fleuve), des Marcomans (Bohême), des Quades (Moravie) et des Daces (Transylvanie).
    Les trois Flaviens accordent une attention soutenue à cette vaste région en bordure du monde romain devenue vitale pour la tranquillité de l'ensemble de l'Empire. Les principaux camps légionnaires, Mayence, Bonn, Novaesium (Neuss), Vetera (Xanthen), détruits lors de la guerre des Bataves, reçoivent des fortifications en pierre, remplaçant leurs vieux ouvrages défensifs en bois. Argentoratum (Strasbourg) redevient une place-forte importante où on transporte vers 80 la VIIIe légion Augusta. On crée dans la basse vallée du Rhin le fort de Noviomagus (Nimègue) destiné à surveiller les Bataves.
    " (p.256)

    "Une des réalisations capitales de Vespasien et de ses fils est la solution qu'ils apportent au problème posé par l'angle mort constitué par les régions du Haut-Rhin et du Haut-Danube. Dès 73, Vespasien commence à mener des opérations en Forêt Noire. La conquête de cette région s'achève sous Domitien en 98. Désormais la liaison est établie pour les armées romaines entre le Rhin et le Danube par deux routes, celle allant d'Argentoratum (Strasbourg) à la Rhétie et celle conduisant de Vindonissa (Windish) à la nouvelle ville d'Area Flaviae (Rottweil) devenue centre du culte impérial pour la région. Des fortifications sont construites tout au long de ces voies, constituant le premier limes proprement dit. On y installe des corps auxiliaires. Des terres sont données à exploiter à des vétérans et, en raison du grand nombre d'aventuriers gaulois venus s'installer dans la région et soumis au paiement de la dîme, le pays prend le nom de "Champs Décumates", rattachés à la Germanie Supérieure. Le rôle stratégique primordial des Champs Décumates dans la défense de l'Empire persiste jusqu'au IIIe siècle." (p.257)

    "Domitien doit faire face à un nouveau danger sur le Danube, celui que présente le peuple des Daces dirigé par un roi énergique, Décébale. Pendant l'hiver 84-85, les Daces franchissent le Danube, envahissent la Mésie dont ils tuent le gouverneur Oppius Sabinus. Cet acte de force marque le point de départ d'une série de campagnes menées par Rome contre les Daces avec des succès divers (en 84-85, en 87 et en 88). A partir de 89, ce sont d'autres peuples de Pannonie, les Quades, les Marcomans et les Sarmates, qui obligent Domitien à préparer de nouvelles expéditions sur le Danube auxquelles il participe en personne. [...]
    Les ennemis déciment deux légions, la Ve Alaudae et la XXIe Rapax [...]
    Il reviendra à Trajan de reprendre les hostilités contre les Daces qui seront écrasés après les deux guerres daciques de 101-102 et 105-107, guerres difficiles dont la colonne Trajane illustre les épisodes et qui aboutissent à la formation de la nouvelle province de Dacie
    ." (p.258-259)

    "Rome possède sur ses frontières orientales un ennemi quasi héréditaires, le royaume des Parthes, avec lequel Néron en 63 avait signé un traité." (p.259)

    "On s'accorde à reconnaître que l'Empire romain a connu son apogée militaire sous les règnes des premiers Antonins. Mais la force des légions au début du IIe siècle, la politique offensive d'expansion menée par le grand chef de guerre qu'a été Trajan, les avances indéniables de l'impérialisme romain n'ont pu exister que grâce à l’œuvre méthodique des Flaviens pour assurer la défense du monde romain à la fin du Ier siècle. La redistribution des légions, l'opiniâtreté témoignée par Vespasien et ses fils pour renforcer la sécurité sur toutes les frontières, les ébauches du limes, sont autant d'atouts pour faciliter l'administration d'un si vaste empire qui atteint son âge d'or au IIe siècle." (p.261)

    "Dès le début de l'empire, les agriculteurs italiens ne peuvent s'opposer à la concurrence que leur font les provinces en ce qui concerne les productions qui avaient assuré leur richesse. Les importations massives de blé venant d'Égypte et d'Afrique du Nord obligent les Italiens à remplacer par des cultures arbustives leurs champs de céréales. Le vin et l'huile italiens sont menacés par ceux de qualité venant de Gaule et d'Espagne. Cette crise agricole touche en particulier la région la plus riche de l'Italie, la Campanie, qui s'enfonce dans un marasme économique profond. On peut en voir une illustration dans le fait qu'après l'éruption du Vésuve en 79 on abandonne la reconstruction des trois villes les plus touchées par la catastrophe, Pompéi, Herculanum et Stabies." (p.263)

    "L'Italie rencontre des difficultés identiques sur le marché de ses productions artisanales. Les potiers italiens ont du mal à résister à la concurrence des Gaulois: du complexe quasi industriel de La Graufesenque (Aveyron), les fabricants inondent le marché de leurs poteries sigillées produites en série et bon marché. De même, grâce à l'exploitation intensive de ses riches mines métallifères, l'Espagne acquiert la primauté dans le commerce de l'or, du plomb et de l'étain. On pourrait multiplier les exemples de cette nature qui prouvent la dépendance de plus en plus grande de l'Italie par rapport aux provinces occidentales. A la fin du Ier siècle, la péninsule importe plus qu'elle n'exporte et son économie est tributaire du reste de l'Empire." (p.264)

    "Vespasien et ses fils, soucieux d'harmoniser le statut des habitants de l'Empire, ont promulgué de multiples décrets pour hâter la romanisation des provinces en accordant à leurs habitants le droit latin ou le droit de cité romaine. Ainsi de plus en plus nombreux sont les provinciaux qui, jouissant de droits renforcés, ont pour ambition de reproduire à l'échelle de leurs villes le modèle romain. En 74, c'est une province tout entière, l'Espagne, qui reçoit le droit latin. Les promotions accordées par les Flaviens à de nombreux notables provinciaux favorisent aussi les aspirations locales à la romanisation. Enfin la fondation de colonies, soit dans les régions nouvellement crées, soit dans les provinces plus anciennes, contribue à constituer un peu partout des cités dont les habitants ont la citoyenneté romaine et rivalisent entre eux pour offrir l'image d'hommes parfaitement intégrés aux mœurs et aux valeurs de Rome." (p.265)

    "[Tacite] oppose les peuples barbares, Bretons ou Germains, vivant dans la pureté des lois de la nature, aux Romains dégénérés par les abus de la civilisation. Il s'agit là en fait d'un lieu commun de la rhétorique de l'époque." (p.269)

    "D'après Aurelius Victor, à l'avènement de Vespasien, on comptait à peine deux cents familles dans la noblesse sénatoriale, chiffre que le nouvel empereur va porter à mille.
    Comme il l'a fait dans les autres domaines relatifs à l'administration de l'Empire, Vespasien accorde beaucoup d'importance à la réorganisation de la société en élargissant le recrutement des classes dirigeantes aux dimensions de l'Empire. Cet Italien, dont la promotion familiale est récente, n'a pas les préjugés de l'ancienne aristocratie et sait quel vivier de forces dynamiques représentent l'Italie et les provinces romanisées.
    " (p.273)
    -Catherine Salles, La Rome des Flaviens. Vespasien, Titus, Domitien, Éditions Perrin, coll. tempus, 2008 (2002 pour la première édition), 360 pages.



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