"L'historien par excellence à mes yeux, Henri Marrou, qui fut mon parrain et préfaça ma première contribution à l'histoire allemande." (p.9)
-Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne, préface à la première édition, Éditions du Seuil, coll. Points, 1999 (1994 pour la première édition), 957 pages, pp.7-10.
"Un peuple sans frontières historiques claires, un territoire sans limites géographiques nettes -voilà l'objet double et simultané qui s'offre ainsi à notre réflexion. Ne serait-il pas plus simple, alors, de centrer notre effort sur l'Etat ? Le peuple allemand, vivant sur le territoire de l'Allemagne, a bien crée un Etat ; il en a même crée plusieurs, et nous voilà de nouveau affrontés à des difficultés qui sont propres à l’histoire allemande et qui n'appartiennent qu'à elle, du moins en Europe: à aucun moment de cette histoire, peuple, nation, territoire et Etat n'ont coïncidé d'une manière claire et comparable aux situations que nous apprenons à connaître dans l'histoire de France ou dans l'histoire d'Angleterre. Quand il se sépare des autres peuples et territoires réunis dans l'Empire carolingien, le peuple allemand, ou ce qui va être le peuple allemand, ne se referme pas sur lui-même et ne s'enferme pas dans un cadre géographique relativement clos, comme ce sera le cas du peuple franc occidental, les futurs Français, et comme pourront le faire les tribus anglo-saxonnes et scandinaves de Grande-Bretagne, rassemblées, unifiées et asservies par la royauté normande. La France est un cap, une presqu'île, l'Angleterre tout à fait une île. L'Allemagne est établie, elle, dans une aire de passage sans limites naturelles. Pour de multiples raisons, profondes ou accidentelles, la royauté allemande du Xe siècle lie le destin de la Francia orientalis, de la "Germanie", à celui de l'Italie. Rois d'Italie et bientôt empereurs des Romains, les rois allemands, même quand ils séjournent au nord des Alpes, sont toujours plus qu'à moitié ailleurs. Le mirage italien, mirage de puissance, d'argent et de responsabilité, ne les lâchera pas pendant plusieurs siècles, ni le mirage impérial qui fait du roi-empereur le souverain et le protecteur de la chrétienté -sans lui donner les moyens de ces immenses devoirs. A l'Italie (sans frontières sûres au Sud avec Byzance, le monde arabe, les dernières principautés lombardes et les premières conquêtes normandes), le XIe siècle ajoutera la "Bourgogne", autre royaume né de la dislocation de l'Empire carolingien et qui va de Bâle à Marseille. La frontière de l'Empire est alors sur le Rhône ; Arles et Lyon sont villes d'Empire, comme Besançon et Cambrai, car au Xe siècle, également, la royauté allemande acquiert définitivement (c'est-à-dire pour sept ou huit siècles) la "Lotharingie" que le royaume de l'Ouest (la France) et celui de l'Est (la Germanie) se disputaient depuis l'extinction de la maison de Lothaire, l'aîné des petits-fils de Charlemagne. Inséparable de l'Empire, l'Etat allemand ne pourra jamais devenir un Etat national centralisé. Il traînera avec lui, jusqu'au XIXe siècle, les derniers oripeaux d'une vocation universelle et universaliste, d'une prétention immense dont l'Allemagne n'eut que rarement les moyens et pour peu de temps.
Parce qu'il est (ou veut être) plus qu'un Etat vers le haut, c'est-à-dire par l'Empire, supérieur aux royaumes nationaux, l'Etat allemand ne peut pas imposer sa souveraineté vers le bas. [...] Occupé en Italie, à Rome, en "Bourgogne", le roi-empereur ne parvient pas à faire triompher son autorité sur les grands vassaux de la Germanie. Quand les Capétiens ont fini par imposer la leur à la Francie occidentale, vers la fin du XIIIe siècle, les rois allemands ont fini, eux, par céder l'essentiel de leur pouvoir aux princes séculiers ou ecclésiastiques qui morcèlent l'Allemagne et ne laissent au souverain suprême qu'un pouvoir de façade, qu'une façade de pouvoir. L'Etat et la nation ne coïncident pas plus dans l'histoire allemande que le peuple et le territoire. L'Allemagne est, de toute évidence, une réalité. Mais c'est une réalité sans limites ni frontières. Elle ne coïncide jamais tout à fait avec elle-même. C'est par là que son histoire nous intéresse si fort, parce qu'elle est à tant d'égards et sur tant de points si différente, et même aux antipodes de l'histoire française."(p.16-17)
"L'existence d'un peuple allemand est attestée aux yeux des historiens par le serment de Strasbourg (842): par-delà le hasard des partitions dynastiques, ce texte révèle dès la fin de la première moitié du IXe siècle un clivage est-ouest au sein de l'Empire franc entre populations de langue romane et populations de langue germanique, clivage qui va donner naissance aux royaumes de Francie occidentale et Francie orientale, de France et de Germanie. L'adjectif qui caractérise alors le peuple allemand: "tiudisc" = teutsch (c'est ainsi que le nom s'écrit encore chez Goethe) signifie précisément "populaire, indigène", c'est-à-dire l'ensemble de ceux qui, Saxons, Souabes, Francs, Bavarois, Thuringiens, parlent des langues populaires particulières, face au latin, classique, unique et savent. Aux XVIIIe et XIXe siècles, quand s'élaborent, à partir de Herder et du Sturm und Drang, les théories de l'âme nationale, de la Volksseele, et du Volksgeist (esprit national), la langue apparaît comme le principal lien et comme le principal contenant de l'unité nationale, par-delà les 1789 entités membres du Saint-Empire finissant et les 38 Etats membres de la Confédération germanique de 1815." (p.18)
"Entre le premier affrontement de Charles Quint et de François Ier, et la Seconde Guerre mondiale, il y a eu vingt-trois conflits guerriers franco-allemands, dont la très grande majorité se sont déroulés sur le territoire allemand. Il en fut ainsi notamment au XVIIe et au XVIIIe siècle." (note 1 p.20)
-Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne, Éditions du Seuil, coll. Points, 1999 (1994 pour la première édition), 957 pages.
-Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne, préface à la première édition, Éditions du Seuil, coll. Points, 1999 (1994 pour la première édition), 957 pages, pp.7-10.
"Un peuple sans frontières historiques claires, un territoire sans limites géographiques nettes -voilà l'objet double et simultané qui s'offre ainsi à notre réflexion. Ne serait-il pas plus simple, alors, de centrer notre effort sur l'Etat ? Le peuple allemand, vivant sur le territoire de l'Allemagne, a bien crée un Etat ; il en a même crée plusieurs, et nous voilà de nouveau affrontés à des difficultés qui sont propres à l’histoire allemande et qui n'appartiennent qu'à elle, du moins en Europe: à aucun moment de cette histoire, peuple, nation, territoire et Etat n'ont coïncidé d'une manière claire et comparable aux situations que nous apprenons à connaître dans l'histoire de France ou dans l'histoire d'Angleterre. Quand il se sépare des autres peuples et territoires réunis dans l'Empire carolingien, le peuple allemand, ou ce qui va être le peuple allemand, ne se referme pas sur lui-même et ne s'enferme pas dans un cadre géographique relativement clos, comme ce sera le cas du peuple franc occidental, les futurs Français, et comme pourront le faire les tribus anglo-saxonnes et scandinaves de Grande-Bretagne, rassemblées, unifiées et asservies par la royauté normande. La France est un cap, une presqu'île, l'Angleterre tout à fait une île. L'Allemagne est établie, elle, dans une aire de passage sans limites naturelles. Pour de multiples raisons, profondes ou accidentelles, la royauté allemande du Xe siècle lie le destin de la Francia orientalis, de la "Germanie", à celui de l'Italie. Rois d'Italie et bientôt empereurs des Romains, les rois allemands, même quand ils séjournent au nord des Alpes, sont toujours plus qu'à moitié ailleurs. Le mirage italien, mirage de puissance, d'argent et de responsabilité, ne les lâchera pas pendant plusieurs siècles, ni le mirage impérial qui fait du roi-empereur le souverain et le protecteur de la chrétienté -sans lui donner les moyens de ces immenses devoirs. A l'Italie (sans frontières sûres au Sud avec Byzance, le monde arabe, les dernières principautés lombardes et les premières conquêtes normandes), le XIe siècle ajoutera la "Bourgogne", autre royaume né de la dislocation de l'Empire carolingien et qui va de Bâle à Marseille. La frontière de l'Empire est alors sur le Rhône ; Arles et Lyon sont villes d'Empire, comme Besançon et Cambrai, car au Xe siècle, également, la royauté allemande acquiert définitivement (c'est-à-dire pour sept ou huit siècles) la "Lotharingie" que le royaume de l'Ouest (la France) et celui de l'Est (la Germanie) se disputaient depuis l'extinction de la maison de Lothaire, l'aîné des petits-fils de Charlemagne. Inséparable de l'Empire, l'Etat allemand ne pourra jamais devenir un Etat national centralisé. Il traînera avec lui, jusqu'au XIXe siècle, les derniers oripeaux d'une vocation universelle et universaliste, d'une prétention immense dont l'Allemagne n'eut que rarement les moyens et pour peu de temps.
Parce qu'il est (ou veut être) plus qu'un Etat vers le haut, c'est-à-dire par l'Empire, supérieur aux royaumes nationaux, l'Etat allemand ne peut pas imposer sa souveraineté vers le bas. [...] Occupé en Italie, à Rome, en "Bourgogne", le roi-empereur ne parvient pas à faire triompher son autorité sur les grands vassaux de la Germanie. Quand les Capétiens ont fini par imposer la leur à la Francie occidentale, vers la fin du XIIIe siècle, les rois allemands ont fini, eux, par céder l'essentiel de leur pouvoir aux princes séculiers ou ecclésiastiques qui morcèlent l'Allemagne et ne laissent au souverain suprême qu'un pouvoir de façade, qu'une façade de pouvoir. L'Etat et la nation ne coïncident pas plus dans l'histoire allemande que le peuple et le territoire. L'Allemagne est, de toute évidence, une réalité. Mais c'est une réalité sans limites ni frontières. Elle ne coïncide jamais tout à fait avec elle-même. C'est par là que son histoire nous intéresse si fort, parce qu'elle est à tant d'égards et sur tant de points si différente, et même aux antipodes de l'histoire française."(p.16-17)
"L'existence d'un peuple allemand est attestée aux yeux des historiens par le serment de Strasbourg (842): par-delà le hasard des partitions dynastiques, ce texte révèle dès la fin de la première moitié du IXe siècle un clivage est-ouest au sein de l'Empire franc entre populations de langue romane et populations de langue germanique, clivage qui va donner naissance aux royaumes de Francie occidentale et Francie orientale, de France et de Germanie. L'adjectif qui caractérise alors le peuple allemand: "tiudisc" = teutsch (c'est ainsi que le nom s'écrit encore chez Goethe) signifie précisément "populaire, indigène", c'est-à-dire l'ensemble de ceux qui, Saxons, Souabes, Francs, Bavarois, Thuringiens, parlent des langues populaires particulières, face au latin, classique, unique et savent. Aux XVIIIe et XIXe siècles, quand s'élaborent, à partir de Herder et du Sturm und Drang, les théories de l'âme nationale, de la Volksseele, et du Volksgeist (esprit national), la langue apparaît comme le principal lien et comme le principal contenant de l'unité nationale, par-delà les 1789 entités membres du Saint-Empire finissant et les 38 Etats membres de la Confédération germanique de 1815." (p.18)
"Entre le premier affrontement de Charles Quint et de François Ier, et la Seconde Guerre mondiale, il y a eu vingt-trois conflits guerriers franco-allemands, dont la très grande majorité se sont déroulés sur le territoire allemand. Il en fut ainsi notamment au XVIIe et au XVIIIe siècle." (note 1 p.20)
-Joseph Rovan, Histoire de l'Allemagne, Éditions du Seuil, coll. Points, 1999 (1994 pour la première édition), 957 pages.