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    Karl Marx, Œuvre

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 10 Sep - 13:18

    "La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple.

    Le
    véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé à une situation qui a besoin d'illusions.

    [...] La première tâche de la philosophie, qui est au service de l'histoire, consiste, une fois démasquée l'image sainte qui représentait la renonciation de l'homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.

    [...] Guerre à l'état social allemand ! Évidemment ! Cet état est au-dessous du niveau de l'histoire, il est au-dessous de toute critique, mais il n'en reste pas moins un objet de la critique, tout comme le criminel, qui est au-dessous du niveau de l'humanité, reste un objet du bourreau. En lutte contre cet état social, la critique n'est pas une passion de la tête, mais la tête de la passion. Elle n'est pas un bistouri, mais une arme. Son objet, c'est son ennemi, qu'elle veut, non pas réfuter, mais anéantir.

    [...] Il faut rendre l’oppression réelle plus dure encore en y ajoutant la conscience de l'oppression, et rendre la honte plus honteuse encore, en la livrant à la publicité.
    [...] La dernière phase d'une forme historique, c'est la comédie. [...] Pourquoi cette marche de l'histoire ? Pour que l'humanité se sépare avec joie de son passé.

    [...] Il est évident que l'arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes ; la force matérielle ne peut être abattue que par la force matérielle ; mais la théorie se change, elle aussi, en force matérielle, dès qu'elle pénètre les masses. La théorie est capable de pénétrer les masses dès qu'elle procède par des démonstrations ad hominem, et elle fait des démonstrations ad hominem dès qu'elle devient radicale. Être radical, c'est prendre les choses par la racine. Or, pour l'homme, la racine, c'est l'homme lui-même. Ce qui prouve jusqu'à l'évidence le radicalisme de la théorie allemande, donc son énergie pratique, c'est qu'elle prend comme point de départ la suppression absolument positive de la religion. La critique de la religion aboutit à cette doctrine, que l'homme est, pour l'homme, l'être suprême. Elle aboutit donc à l'impératif catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l'homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable.

    [...] Une révolution radicale ne peut être que la révolution de besoins radicaux.

    [...]De même que la philosophie trouve dans le prolétariat ses armes matérielles, le prolétariat trouve dans la philosophie ses armes intellectuelles. [...] La philosophie ne peut être réalisée sans la suppression du prolétariat, et le prolétariat ne peut être supprimé sans la réalisation de la philosophie. "
    -Karl Marx, Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel (1843).

    https://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/06/km18470615.htm

    -Karl Marx, Misère de la philosophie, juin 1847.

    "Je n'ai pas peint en rose le capitaliste et le propriétaire foncier. Mais il ne s’agit ici des personnes, qu'autant qu'elles sont la personnification de catégories économiques, les supports d'intérêts et de rapports de classes déterminés. Mon point de vue, d'après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la marche de la nature et à son histoire, peut moins que tout autre rendre l'individu responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu'il puisse faire pour s'en dégager."
    -Karl Marx, Préface de la première édition du Capital, 1867.

    "Le quelque chose de commun qui se montre dans le rapport d'échange ou dans la valeur d'échange des marchandises est par conséquent leur valeur ; et une valeur d'usage, ou un article quelconque, n'a une valeur qu'autant que du travail humain est matérialisé en elle. [...] C'est donc seulement le quantum de travail, ou le temps de travail nécessaire, dans une société donnée, à la production d'un article qui en détermine la quantité de valeur. [...]  Les marchandises dans lesquelles sont contenues d'égales quantités de travail, ou qui peuvent être produites dans le même temps, ont, par conséquent, une valeur égale. [...] Nous connaissons maintenant la substance de la valeur : c'est le travail. Nous connaissons la mesure de sa quantité : c'est la durée du travail.."
    -Karl Marx, Le Capital, Livre I, Ière section, chapitre premier: la marchandise 1867.

    "Les deux particularités de la forme équivalent, examinées en dernier lieu, deviennent encore plus faciles à saisir, si nous remontons au grand penseur qui a analysé le premier la forme valeur, ainsi que tant d'autres formes, soit de la pensée, soit de la société, soit de la nature : nous avons nommé Aristote.

    D'abord Aristote exprime clairement que la forme argent de la marchandise n'est que l'aspect développé de la forme valeur simple, c'est à dire de l'expression de la valeur d'une marchandise dans une autre marchandise quelconque, car il dit :

    « 5 lits = 1 maison » [...] « ne diffère pas » de :

    « 5 lits = tant et tant d'argent » [...].

    Il voit de plus que le rapport de valeur qui confient cette expression de valeur suppose, de son côté, que la maison est déclarée égale au lit au point de vue de la qualité, et que ces objets, sensiblement différents, ne pourraient se comparer entre eux comme des grandeurs commensurables sans cette égalité d'essence. « L'échange, dit-il, ne peut avoir lieu sans l'égalité, ni l'égalité sans la commensurabilité » [...]. Mais ici il hésite et renonce à l'analyse de la forme valeur. « Il est, ajoute-t-il, impossible en vérité [...] que des choses si dissemblables soient commensurables entre elles », c'est-à-dire de qualité égale. L'affirmation de leur égalité ne peut être que contraire à la nature des choses ; « on y a seulement recours pour le besoin pratique ».

    Ainsi, Aristote nous dit lui-même où son analyse vient échouer, — contre l'insuffisance de son concept de valeur. Quel est le « je ne sais quoi » d’égal, c'est-à-dire la substance commune que représente la maison pour le lit dans l'expression de la valeur de ce dernier ? «Pareille chose, dit Aristote, ne peut en vérité exister. » Pourquoi ? La maison représente vis-à-vis du lit quelque chose d'égal, en tant quelle représente ce qu'il y a de réellement égal dans tous les deux. Quoi donc ? Le travail humain.

    Ce qui empêchait Aristote de lire dans la forme valeur des marchandises, que tous les travaux sont exprimés ici comme travail humain indistinct et par conséquent égaux, c'est que là société grecque reposait sur le travail des esclaves et avait pour base naturelle l'inégalité des hommes et de leurs forces de travail. Le secret de l'expression de la valeur, l'égalité et l'équivalence de tous les travaux, parce que et en tant qu'ils sont du travail humain, ne peut être déchiffré que lorsque l'idée de l'égalité humaine a déjà acquis la ténacité d'un préjugé populaire. Mais cela n'a lieu que dans une société où la forme marchandise est devenue la forme générale des produits du travail, où, par conséquent, le rapport des hommes entre eux comme producteurs et échangistes de marchandises est le rapport social dominant. Ce qui montre le génie d'Aristote c'est qu'il a découvert dans l'expression de la valeur des marchandises un rapport d'égalité. L'état particulier de la société dans laquelle il vivait l'a seul empêché de trouver quel était le contenu réel de ce rapport.
    "

    "Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c’est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles; il y réalise du même coup son propre but, dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté."

    "Dans sa passion aveugle et démesurée, dans sa gloutonnerie de travail extra, le capital dépasse non seulement les limites morales, mais encore la limite physiologique extrême de la journée de travail. [...] La production capitaliste, qui est essentiellement production de plus-value, absorption de travail extra, ne produit donc pas seulement par la prolongation de la journée qu'elle impose la détérioration de la force de travail de l'homme, en la privant de ses conditions normales de fonctionnement et de développement, soit au physique, soit au moral; - elle produit l'épuisement et la mort précoce de cette force. [...] Le capital ne s'inquiète donc point de la santé et de la durée de la vie du travailleur, s'il n'y est pas contraint par la société."

    "Corrélation fatale entre l'accumulation du capital et l'accumulation de la misère, de telle sorte qu'accumulation de richesse à un pôle, c'est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d'ignorance, d'abrutissement, de dégradation morale, d'esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même."

    « Bien que les premières ébauches de la production capitaliste aient été faites de bonne heure dans quelques villes de la Méditerranée, l'ère capitaliste ne date que du XVI° siècle. Partout où elle éclot, l'abolition du servage est depuis longtemps un fait accompli, et le régime des villes souveraines, cette gloire du moyen âge, est déjà en pleine décadence. »

    "La force est l'accoucheuse de toute vieille société en travail. La force est un agent économique."

    "A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et monopolisent tous les avantages de cette période d'évolution sociale, s'accroissent la misère, l'oppression, l'esclavage, la dégradation, l'exploitation, mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de plus en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. Les expropriateurs sont à leur tour expropriés.

    L'appropriation capitaliste, conforme au mode de production capitaliste, constitue la première négation de cette propriété privée qui n'est que le corollaire du travail indépendant et individuel. Mais la production capitaliste engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux métamorphoses de la nature. C'est la négation de la négation
    ."
    -Karl Marx, Le Capital, Livre I, 1867.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mer 8 Fév - 9:47, édité 1 fois


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 30 Avr - 0:17

    https://fr.wikisource.org/wiki/Diff%C3%A9rence_de_la_philosophie_de_la_nature_chez_D%C3%A9mocrite_et_%C3%89picure

    "L’école hégélienne se scinde vers la fin des années 30. L’opposition naissante entre la Gauche hégélienne (ou « Jeunes hégéliens » ) et l’aile droite formée par les « Vieux hégéliens », concrétise alors une nouvelle orientation à l’intérieur du champ idéologique de l’Allemagne (l’orientation libérale et critique), les « Jeunes hégéliens » entamant dès 1835 une critique politique beaucoup plus vigoureuse qu’auparavant. Cette orientation, basée sur la critique religieuse et politique dans un esprit hégélien, devait se transformer profondément après 1840. L’année 1840, qui vit la déception définitive succéder au fol espoir que les Jeunes hégéliens avaient placé en Frédéric-Guillaume IV, marqua le début d’une période caractérisée par le radicalisme politique et la critique directe du système hégélien dans son ensemble. Cette critique trouva sa base théorique dans la problématique de Feuerbach, comprise dans toute sa portée à partir de 1842.

    Cette évolution du champ idéologique allemand est très contraignante ; elle impose à tout philosophe sa problématique, ne lui laissant que la possibilité de prendre position à l’intérieur de cette problématique. Les deux textes du jeune Marx représentent une telle intervention, dont nous verrons qu’elle n’est pas indifférente à l’égard de l’itinéraire qui le conduit de Hegel à Feuerbach." (p.12)

    "La philosophie de la réalisation critique du savoir hégélien exige la construction de concepts qui ne se trouvent pas dans le système puisqu’ils ont pour mission de l’entraîner vers sa réalisation. Ces catégories nouvelles peuvent être rassemblées sous le titre général de Philosophie de la Praxis. Celle-ci comporte plusieurs thèmes :

    1. On accentue la catégorie de l’existence. Selon Hegel, l’existence est l’essence réalisée et ne peut comporter d’autres présuppositions que celles de l’essence. La déception politique des Jeunes hégéliens représente pour eux la revanche de l’existence, du monde empirique. Mais cette sensibilité à l’existence ne va pas jusqu’à remettre en cause l’idée hégélienne : l’essence est toujours la vérité de l’existence, et l’existence ne saurait la mettre en question. La « révolte » de l’existence ne fait que la disqualifier face à l’essence. Il faut donc faire violence au monde pour le rendre conforme à son concept. Cette violence de la philosophie sera pour Marx le côté positif de la critique. Mais elle comporte le risque de séparer complètement essence et existence et de disqualifier tout donné empirique, entraînant un retour à la philosophie du devoir-être.

    2. La sensibilité à l’existence se traduit donc par l’exigence de sa transformation. Ceci nous amène au second thème : la philosophie de la volonté. La conception de la philosophie comme d’une transformation du monde par la volonté critique qui s’y oppose avait été professée par A. Won Cieszkowski dans son livre de 1836 : Prolégomènes à la philosophie de l’histoire. Cieszkowski résume les problèmes de la gauche hégélienne : « L’histoire du monde exprime le développement de l’idée, de l’esprit. Jusqu’ici elle ne l’a fait que d’une façon imparfaite, car elle n’était pas l’œuvre de l’activité consciente des hommes, de leur volonté rationnelle. Mais nous sommes au seuil d’une période nouvelle qui s’ouvre avec Hegel, où l’homme déterminera la marche rationnelle de l’histoire. » Hegel, qui a dégagé les lois de l’histoire réelle, n’a pas vu que l’action de l’homme était une volonté et non une pensée. L’homme doit transformer le monde en s’appuyant sur les lois ainsi découvertes par Hegel. Autant dire qu’on se refuse à penser ensemble l’expression de l’idée par le réel tel qu’il est et non tel qu’il devrait être et la philosophie de la liberté de l’homme conçue comme volonté transformatrice du monde.

    3. On accorde une importance nouvelle au support individuel du développement idéel. Hegel a bien écrit la Phénoménologie de l’Esprit, qui est une description de la conscience. Cette conscience ne se réduit pas cependant aux individus, mais est considérée dans son aspect universel. D’autre part, la vérité de la Phénoménologie est la Logique qui se place sur le strict plan du développement idéel en lui-même sans égard à la conscience, ni à plus forte raison à l’individu. La philosophie du support individuel a donc deux niveaux : celui de l’accentuation de la conscience (de la Phénoménologie contre la Logique), et celui de la réhabilitation de la personnalité propre des philosophes et de l’étude historique de celle-ci, étude que Hegel avait négligée au profit du contenu du système.

    Ainsi définie, la philosophie de la pratique faisait valoir la subjectivité comme négation active d’un monde devenu irrationnel dans son aspect empirique. Elle visait à un « devenir-philosophique du monde » qui serait en même temps un « devenir-mondain » de la philosophie." (pp.20-23)

    "Feuerbach commençât déjà à l’élargir à l’ensemble de la philosophie hégélienne, la fondant sur la reconnaissance de l’idéalisme qui en est la base. Dans la Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel (parue à partir du 4 mars 1839), il montrait la falsification de la nature opérée par Hegel. « La Phénoménologie et la Logique… commencent non pas avec ce qui est autre chose que la pensée, mais avec la pensée sous la forme d’autre chose qu’elle-même… Le retour à la Nature est la seule source de salut. » L’influence de Feuerbach et de sa profonde critique de Hegel resta cependant limitée jusqu’à la faillite de la philosophie critique. C’est pour cela que la critique religieuse des Jeunes hégéliens, légère sur le plan théorique, avait surtout un rôle politique. Elle ne devait d’ailleurs pas tarder à prendre un ton politique plus accentué." (p.26)

    "Il ne faut pas croire que ce centre d’intérêt soit spontané : il lui est offert et dicté par le champ idéologique. L’idéologie allemande s’intéresse à ces philosophes pour plusieurs raisons. La critique religieuse fait de tout philosophe athée et matérialiste une arme, et Prométhée appelle naturellement Epicure. De plus, la situation de ces philosophies, dans la descendance du système d’Aristote, n’est pas sans rappeler celle de la philosophie allemande par rapport à Hegel. Enfin Bauer a accentué l’importance de ces philosophies contre Hegel. Hegel considérait le cycle des philosophies grecques postérieures à Aristote comme étant le produit de la conscience malheureuse, de l’esprit opprimé qui s’était replié sur lui-même pour sauvegarder sa liberté. Il leur opposait les évangiles comme réconciliation relative de l’homme avec Dieu, de la conscience avec le monde. Bauer au contraire assimilait les évangiles à ses doctrines, y voyant l’opposition établie entre l’homme et le monde, l’expression d’un moment essentiel du développement de la conscience universelle[1]. Les Travaux préparatoires montrent l’influence profonde qu’exerçaient alors sur Marx ces vues. La thèse de l’opposition du sage épicurien au monde allait dans le sens de l’aspect irrationnel du monde allemand de 1839 et préservait, en face de ce monde, la philosophie de la conscience de soi." (pp.29-30)

    "Le principe d’Epicure est athée, prométhéen. Il détruit « tout ce qui transcende la conscience de soi abstraite et appartient donc à l’entendement imaginatif »." (p.33)

    "Les atomes d’Epicure ont trois qualités : la grandeur, la figure, la pesanteur. Chacune d’entre elles est contradictoire à la notion d’atome, et donc niée aussitôt que posée.

    1. L’atome a une grandeur, mais celle-ci est en fait la négation de la grandeur, la petitesse infinie.

    2. L’atome a une figure, mais le nombre de ces figures est fini. Il y a donc un nombre infini d’atomes de même figure, ce qui nie la notion de figure.

    3. L’atome est pesant. La pesanteur est la représentation de la singularité idéale de la matière. Mais cette singularité est extérieure à l’atome, le centre de gravité est ce vers quoi tend l’atome au cours de sa chute. D’où la contre-proposition : la pesanteur n’est que différence de poids, l’atome est lui-même point de gravité, centre. Le pluralisme des centres est affirmé. La terre n’a pas de centre. La pesanteur disparaît dans le vide, l’atome n’y étant pensé que par rapport au vide.

    La qualité pose donc dans l’atome lui-même la contradiction entre essence et existence. Elle achève la construction de la chose en l’aliénant de son concept. Cet atome complet est la forme absolue de la nature. Mais il faut ensuite passer de ce monde des atomes au monde des phénomènes, et ce passage est éminemment contradictoire.

    Le concept de l’atome est la conscience de soi abstraite-singulière projetée. Il est donc, comme forme idéelle, la négation de la matière. Cette opposition exclut qu’il y ait un passage progressif possible de la forme conceptuelle de l’atome à son existence comme base matérielle. « Si l’atome est conçu selon son concept, c’est le vide, la nature anéantie qui est son existence. » L’atome est la mort de la nature, de même que la philosophie épicurienne ouvre l’ère de la destruction effective de la nature matérielle. Marx décèle une contradiction dans la méthode analogique qui passe insensiblement, par degrés, « paulatim », du monde sensible à la nature véritable de l’atome. « La singularité abstraite est la liberté à l’égard de l’être-là, non pas la liberté dans l’être-là. » Entre la singularité et le monde, il y a une contradiction. L’expression de cette contradiction est la distinction[28] entre l’atome στοιχεῖον (qualifié, complet et aliéné de son concept) qui devient la base des phénomènes, et l’atome comme ἀρχή qui exprime le pur concept de l’atome et qui s’oppose au phénomène. L’atome complet et qualifié permet seul le passage au monde phénoménal, mais la véritable nature est celle de l’atome conceptuel. Le monde phénoménal est donc le lieu où ressort la plus grande contradiction de l’atome.

    Les atomes forment le monde de l’être par opposition à la nature phénoménale. Mais cette dernière possède également l’être puisque le monde sensible est un phénomène objectif. L’être est donc ce qui réunit les deux mondes et permet de passer de l’un à l’autre par analogie. Mais le monde phénoménal reste fondamentalement distinct du monde atomistique : on n’y trouve que des compositions, c’est-à-dire des agrégats où les atomes se rapportent les uns aux autres. Ces compositions ne sont possibles que par la qualification des atomes. Or, l’atome qualifié est l’opposé de l’atome conceptuel." (pp.49-51)

    "Epicure, dit Marx, est le plus grand des « philosophes des Lumières » grecs : dans ce titre sont contenues à la fois la force négatrice et l’unilatéralité de cette philosophie." (p.54)
    -Jacques Ponnier, Introduction à Karl Marx, Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure, 1841, Traduction par Jacques Ponnier, Ducros, 1970, 364 pages.

    -Karl Marx, Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure, 1841, Traduction par Jacques Ponnier, Ducros, 1970, 364 pages.

    "Constatons avant tout le fait que les « droits de l'homme », distincts des « droits du citoyen, » ne sont rien d'autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire de l'homme égoïste, de l'homme séparé de l'homme et de la communauté. La Constitution la plus radicale, celle de 1793, a beau dire : Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. « Art. 2. Ces droits (les droits naturels et imprescriptibles) sont : l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. »

    En quoi consiste la « liberté » ? « Art. 6. La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui. » Ou encore, d'après la Déclaration des droits de l'homme de 1791 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »

    La liberté est donc le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans nuire à autrui sont marquées par la loi, de même que la limite de deux champs est déterminée par un piquet. Il s'agit de la liberté de l'homme considéré comme monade isolée, repliée sur elle-même. Pourquoi, d'après Bauer, le Juif est-il inapte à recevoir les droits de l'homme ? « Tant qu'il sera juif, l'essence bornée qui fait de lui un Juif l'emportera forcément sur l'essen­ce humaine qui devrait, comme homme, le rattacher aux autres hommes; et elle l'isolera de ce qui n'est pas Juif. » Mais le droit de l'homme, la liberté, ne repose pas sur les relations de l'homme avec l'homme mais plutôt sur la séparation de l'homme d'avec l'homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité à lui-même.

    L'application pratique du droit de liberté, c'est le droit de propriété privée. Mais en quoi consiste ce dernier droit ?

    « Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de dispo­ser à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. » (Constitution de 1793, art. 16.)

    Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d'en disposer « à son gré », sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société; c'est le droit de l'égoïsme. C'est cette liberté individuelle, avec son application, qui forme la base de la société bourgeoise. Elle fait voir à chaque homme, dans un autre homme, non pas la réalisation, mais plutôt la limitation de sa liberté. Elle proclame avant tout le droit « de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie ».

    Restent les autres droits de l'homme, l'égalité et la sûreté.

    Le mot « égalité » n'a pas ici de signification politique; ce n'est que l'égalité de la liberté définie ci-dessus : tout homme est également considéré comme une telle mo­na­de basée sur elle-même. La Constitution de 1795 détermine le sens de cette égalité : « Art. 5. L'égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. »

    Et la sûreté ? La Constitution de 1793 dit : « Art. 8. La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. »

    La sûreté est la notion sociale la plus haute de la société bourgeoise, la notion de la police : toute la société n'existe que pour garantir à chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. C'est dans ce sens que Hegel appelle la société bourgeoise « l'État de la détresse et de l'entendement ».

    La notion de sûreté ne suffit pas encore pour que la société bourgeoise s'élève au-dessus de son égoïsme. La sûreté est plutôt l'assurance (Versicherung) de l'égoïsme.

    Aucun des prétendus droits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'hom­me en tant que membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant a son arbitraire privé. L'homme est loin d'y être considéré comme un être générique; tout au contraire, la vie générique elle-même, la société, apparaît comme un cadre extérieur à l'individu, comme une limitation de son indépendance originelle. Le seul lien qui les unisse, c'est la nécessité naturelle, le besoin et l'intérêt privé, la conservation de leurs propriétés et de leur personne égoïste.

    Il est assez énigmatique qu'un peuple, qui commence tout juste à s'affranchir, à faire tomber toutes les barrières entre les différents membres du peuple, à fonder une communauté politique, proclame solennellement (1791) le droit de l'homme égoïste, séparé de son semblable et de la communauté, et reprenne même cette proclamation à un moment où le dévouement le plus héroïque peut seul sauver la nation et se trouve réclamé impérieusement, à un moment où le sacrifice de tous les intérêts de la société bourgeoise est mis à l'ordre du jour et où l'égoïsme doit être puni comme un crime (1793). La chose devient plus énigmatique encore quand nous constatons que l'émancipation politique fait de la communauté politique, de la communauté civique, un simple moyen devant servir à la conservation de ces soi-disant droits de l'homme, que le citoyen est donc déclaré le serviteur de l' « homme » égoïste, que la sphère, où l'homme se comporte en qualité d'être générique, est ravalée au-dessous de la sphère, où il fonctionne en qualité d'être partiel, et qu'enfin c'est l'homme en tant que bourgeois, et non pas l'homme en tant que citoyen, qui est considéré comme l'homme vrai et authentique
    ."
    -Karl Marx, La Question Juive, 1844.



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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 25 Nov - 23:52

    "Une « éducation du peuple par l'Etat » est chose absolument condamnable. Déterminer par une loi générale les ressources des écoles primaires, les aptitudes exigées du personnel enseignant, les disciplines enseignées, etc., et, comme cela se passe aux Etats-Unis, surveiller, à l'aide d'inspecteurs d'Etat, l'exécution de ces prescriptions légales, c'est absolument autre chose que de faire de l'Etat l'éducateur du peuple ! Bien plus, il faut proscrire de l'école au même titre toute influence du gouvernement et de l'Eglise. Bien mieux, dans l'Empire prusso-allemand (et qu'on ne recoure pas à cette échappatoire fallacieuse de parler d'un certain « Etat de l'avenir » nous avons vu ce qu'il en est), c'est au contraire l'Etat qui a besoin d'être éduqué d'une rude manière par le peuple." -Karl Marx, Critique du programma de Gotha, 4ème partie, 1875.

    « La bourgeoisie était restée prisonnière des formes politiques féodales du moyen âge, pour lesquelles cette production, - non seulement la manufacture, mais même l'artisanat, - était depuis longtemps devenue trop grande : prisonnière des mille privilèges corporatifs et des barrières douanières locales et provinciales, transformés en simples brimades et entraves de la production. La révolution de la bourgeoisie y mit fin. Mais non pas en adaptant, selon le principe de M. Dühring, l'état économique aux conditions politiques, - c'est précisément ce que la noblesse et la royauté avaient tenté en vain pendant des années, - mais à l'inverse en jetant de côté le vieux bric-à-brac politique pourri et en créant des conditions politiques dans lesquelles le nouvel “ état économique ” pouvait subsister et se développer. »

    « L'industrie reste l'industrie, qu'elle s'oriente vers la production ou la destruction d'objets. Et l'introduction des armes à feu a eu un effet de bouleversement non seulement sur la conduite même de la guerre, mais aussi sur les rapports politiques, rapports de domination et de sujétion. Pour obtenir de la poudre et des armes à feu, il fallait l'industrie et l'argent, et tous deux appartenaient aux bourgeois des villes. C'est pourquoi les armes à feu furent dès le début les armes des villes et de la monarchie montante, appuyée sur les villes, contre la noblesse féodale. »

    « Tant que la population qui travaille effectivement est tellement accaparée par son travail nécessaire qu'il ne lui reste plus de temps pour pourvoir aux affaires communes de la société, - direction du travail, affaires de l'État, questions juridiques, art, science, etc., - il a toujours fallu une classe particulière qui, libérée du travail effectif, puisse pourvoir à ces affaires; ce qui ne l'a jamais empêchée d'imposer à son propre profit aux masses travailleuses une charge de travail de plus en plus lourde. Seul, l'énorme accroissement des forces productives atteint par la grande industrie permet de répartir le travail sur tous les membres de la société sans exception, et par là, de limiter le temps de travail de chacun de façon qu'il reste à tous suffisamment de temps libre pour prendre part aux affaires générales de la société, - théoriques autant que pratiques. C'est donc maintenant seulement que toute classe dominante et exploiteuse est devenue superflue, voire un obstacle au développement social, et c'est maintenant seulement qu'elle sera impitoyablement éliminée, si maîtresse qu'elle soit encore de la “violence immédiate ”. »

    « Nous repoussons toute prétention de nous imposer quelque dogmatisme moral que ce soit comme loi éthique éternelle, définitive, désormais immuable, sous le prétexte que le monde moral a lui aussi ses principes permanents qui sont au-dessus de l'histoire et des différences nationales. Nous affirmons, au contraire, que toute théorie morale du passé est, en dernière analyse, le produit de la situation économique de la société de son temps. Et de même que la société a évolué jusqu'ici dans des oppositions de classes, la morale a été constamment une morale de classe; ou bien elle justifiait la domination et les intérêts de la classe dominante, ou bien elle représentait, dès que la classe opprimée devenait assez puissante, la révolte contre cette domination et les intérêts d'avenir des opprimés. Qu'avec cela, il se soit en gros effectué un progrès, pour la morale comme pour toutes les autres branches de la connaissance humaine, on n'en doute pas. Mais nous n'avons pas encore dépassé la morale de classe. Une morale réellement humaine, placée au-dessus des oppositions de classe et de leur souvenir, ne devient possible qu'à un niveau de la société où on a non seulement vaincu, mais oublié pour la pratique de la vie, l'opposition des classes. »

    « Le contenu réel de la revendication prolétarienne d'égalité est la revendication de l'abolition des classes. »

    « La liberté de la volonté ne signifie donc pas autre chose que la faculté de décider en connaissance de cause. »

    « Nous devons goûter la vie, et dans sa plénitude. »

    « La vie consiste au premier chef précisément en ce qu'un être est à chaque instant le même et pourtant un autre. La vie est donc également une contradiction qui, présente dans les choses et les processus eux-mêmes, se pose et se résout constamment. »

    « Devient nécessaire un bouleversement du mode de production et de répartition éliminant toutes les différences de classes, si l'on ne veut pas voir toute la société moderne périr. »

    « Fourier n'est pas seulement un critique; sa nature éternellement enjouée fait de lui un satirique, et un des plus grands satiriques de tous les temps.[…] Fourier, comme on le voit, manie la dialectique avec la même maîtrise que son contemporain Hegel

    « Le caractère de l'homme est le produit, d'une part, de son organisation native et, d'autre part, des circonstances qui entourent l'homme durant sa vie, mais surtout pendant la période où il se forme. »

    « La conception matérialiste de l'histoire part de la thèse que la production, et après la production, l'échange de ses produits, constitue le fondement de tout régime social, que dans toute société qui apparaît dans l'histoire, la répartition des produits, et, avec elle, l'articulation sociale en classes ou en ordres se règle sur ce qui est produit et sur la façon dont cela est produit ainsi que sur la façon dont on échange les choses produites. »

    « Le travail salarié, autrefois exception et ressource provisoire, devint la règle et la forme fondamentale de toute la production. »
    -Engels, L’Anti-Dühring, 1878.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mar 25 Avr - 16:49, édité 4 fois


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    Message par Johnathan R. Razorback Mer 12 Avr - 18:11

    « Paris, encore amaigri par une famine de cinq mois, n'hésita pas un instant. »

    « C'est Thiers qui ouvrit donc la guerre civile en envoyant Vinoy à la tête d'une foule de sergents de ville et de quelques régiments de ligne, en expédition nocturne contre Montmartre, pour y saisir par surprise l'artillerie de la garde nationale. On sait comment cette tentative échoua devant la résistance de la garde nationale et la fraternisation de la ligne avec le peuple. »

    « Les hommes d'ordre non seulement ne furent pas molestés, mais ils eurent la faculté de se rassembler et d'occuper plus d'une position forte au centre même de Paris. Cette indulgence du Comité central, cette magnanimité des ouvriers armés, contrastant si singulièrement avec les habitudes du « parti de l'ordre», celui-ci les interpréta à tort comme des symptômes d'un sentiment de faiblesse. »

    « Le ton désinvolte sur lequel les bulletins de Thiers annonçaient le massacre à la baïonnette des fédérés surpris dans leur sommeil au Moulin-Saquet et les exécutions en masse de Clamart irrita même les nerfs du Times de Londres, qui n'est vraiment pas hypersensible. »

    « À l'aube du 18 mars, Paris fut réveillé par ce cri de tonnerre : Vive la Commune! Qu'est-ce donc que la Commune, ce sphinx qui met l'entendement bourgeois à si dure épreuve ?
    Les prolétaires de la capitale, disait le Comité central dans son manifeste du 18 mars, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l'heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques... Le prolétariat... a compris qu'il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d'en assurer le triomphe en s'emparant du pouvoir.
    Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l'appareil d'État et de le faire fonctionner pour son propre compte.
    Le pouvoir centralisé de l'État, avec ses organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et magistrature, organes façonnés selon un plan de division systématique et hiérarchique du travail, date de l'époque de la monarchie absolue, où il servait à la société bourgeoise naissante d'arme puissante dans ses luttes contre le féodalisme. Cependant, son développement restait entravé par toutes sortes de décombres moyenâgeux, prérogatives des seigneurs et des nobles, privilèges locaux, monopoles municipaux et corporatifs et Constitutions provinciales. Le gigantesque coup de balai de la Révolution française du XVIIIe siècle emporta tous ces restes des temps révolus, débarrassant ainsi, du même coup, le substrat social des derniers obstacles s'opposant à la superstructure de l'édifice de l'État moderne. Celui-ci fut édifié sous le premier Empire, qui était lui-même le fruit des guerres de coalition de la vieille Europe semi-féodale contre la France moderne. Sous les régimes qui suivirent, le gouvernement, placé sous contrôle parlementaire, c'est-à-dire sous le contrôle direct des classes possédantes, ne devint pas seulement la pépinière d'énormes dettes nationales et d'impôts écrasants; avec ses irrésistibles attraits, autorité, profits, places, d'une part il devint la pomme de discorde entre les factions rivales et les aventuriers des classes dirigeantes, et d'autre part son caractère politique changea conjointement aux changements économiques de la société. Au fur et à mesure que le progrès de l'industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l'antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir d'État prenait de plus en plus le caractère d'un pouvoir publie organisé aux fins d'asservissement social, d'un appareil de domination d'une classe. Après chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d'État apparaît façon de plus en plus ouverte. La Révolution de 1830 transféra le gouvernement des propriétaires terriens aux capitalistes, des adversaires les plus éloignés des ouvriers à leurs adversaires les plus directs. Les républicains bourgeois qui, au nom de la Révolution de février, s'emparèrent du pouvoir d'État, s'en servirent pour provoquer les massacres de juin, afin de convaincre la classe ouvrière que la république « sociale », cela signifiait la république qui assurait la sujétion sociale, et afin de prouver à la masse royaliste des bourgeois et des propriétaires terriens qu'ils pouvaient en toute sécurité abandonner les soucis et les avantages financiers du gouvernement aux « républicains » bourgeois. Toutefois, après leur unique exploit héroïque de juin, il ne restait plus aux républicains bourgeois qu'à passer des premiers rangs à l'arrière-garde du « parti de l'ordre », coalition formée par toutes les fractions et factions rivales de la classe des appropriateurs dans leur antagonisme maintenant ouvertement déclaré avec les classes des producteurs. La forme adéquate de leur gouvernement en société par actions fut la « république parlementaire », avec Louis Bonaparte pour président, régime de terrorisme de classe avoué et d'outrage délibéré à la « vile multitude ». Si la république parlementaire, comme disait M. Thiers, était celle qui « les divisait [les diverses fractions de la classe dirigeante] le moins », elle accusait par contre un abîme entre cette classe et le corps entier de la société qui vivait en dehors de leurs rangs clairsemés. Leur union brisait les entraves que, sous les gouvernements précédents, leurs propres dissensions avaient encore mises au pouvoir d'État. En présence de la menace de soulèvement du prolétariat, la classe possédante unie utilisa alors le pouvoir de l'État, sans ménagement et avec ostentation comme l'engin de guerre national du capital contre le travail. Dans leur croisade permanente contre les masses productrices, ils furent forcés non seulement d'investir l'exécutif de pouvoirs de répression sans cesse accrus, mais aussi de dépouiller peu à peu leur propre forteresse parlementaire, l'Assemblée nationale, de tous ses moyens de défense contre l'exécutif. L'exécutif, en la personne de Louis Bonaparte, les chassa. Le fruit naturel de la république du « parti de l'ordre » fut le Second Empire.
    L'empire, avec le coup d'État pour acte de naissance, le suffrage universel pour visa et le sabre pour sceptre, prétendait s'appuyer sur la paysannerie, cette large masse de producteurs qui n'était pas directement engagée dans la lutte du capital et du travail. Il prétendait sauver la classe ouvrière en en finissant avec le parlementarisme, et par là avec la soumission non déguisée du gouvernement aux classes possédantes. Il prétendait sauver les classes possédantes en maintenant leur suprématie économique sur la classe ouvrière; et finalement il se targuait de faire l'unité de toutes les classes en faisant revivre pour tous l'illusion mensongère de la gloire nationale. En réalité, c'était la seule forme de gouvernement possible, à une époque où la bourgeoisie avait déjà perdu, - et la classe ouvrière n'avait pas encore acquis, - la capacité de gouverner la nation. Il fut acclamé dans le monde entier comme le sauveur de la société. Sous l'empire, la société bourgeoise libérée de tous soucis politiques atteignit un développement dont elle n'avait elle-même jamais eu idée. Son industrie et son commerce atteignirent des proportions colossales; la spéculation financière célébra des orgies cosmopolites; la misère des masses faisait un contraste criant avec l'étalage éhonté d'un luxe somptueux, factice et crapuleux. Le pouvoir d'État, qui semblait planer bien haut au-dessus de la société, était cependant lui-même le plus grand scandale de cette société et en même temps le foyer de toutes ses corruptions. Sa propre pourriture et celle de la société qu'il avait sauvée furent mises à nu par la baïonnette de la Prusse, elle-même avide de transférer le centre de gravité de ce régime de Paris à Berlin. Le régime impérial est la forme la plus prostituée et en même temps la forme ultime de ce pouvoir d'État, que la société bourgeoise naissante a fait naître, comme l'outil de sa propre émancipation du féodalisme, et que la société bourgeoise parvenue à son plein épanouissement avait finalement transformé en un moyen d'asservir le travail au capital.
    L'antithèse directe de l'Empire fut la Commune. Si le prolétariat de Paris avait fait la révolution de Février au cri de « Vive la République sociale », ce cri n'exprimait guère qu'une vague aspiration à une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même. La Commune fut la forme positive de cette république.
    Paris, siège central de l'ancien pouvoir gouvernemental, et, en même temps, forteresse sociale de la classe ouvrière française, avait pris les armes contre la tentative faite par Thiers et ses ruraux pour restaurer et perpétuer cet ancien pouvoir gouvernemental que leur avait légué l'empire. Paris pouvait seulement résister parce que, du fait du siège, il s'était débarrassé de l'armée et l'avait remplacée par une garde nationale, dont la masse était constituée par des ouvriers. C'est cet état de fait qu'il s'agissait maintenant de transformer en une institution durable. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l'armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes.
    La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d'être l'instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l'administration. Depuis les membres de la Commune jusqu'au bas de l'échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d'ouvrier. Les bénéfices d'usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l'État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d'être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l'administration municipale, mais toute l'initiative jusqu'alors exercée par l'État fut remise aux mains de la Commune.
    Une fois abolies l'armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l'ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l'outil spirituel de l'oppression, le pouvoir des prêtres; elle décréta la dissolution et l'expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l'instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d'instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l'Église et de l'État. Ainsi, non seulement l'instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l'avaient chargée.
    Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n'avait servi qu'à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables. »

    « Dans une brève esquisse d'organisation nationale que la Commune n'eut pas le temps de développer, il est dit expressément que la Commune devait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne et que dans les régions rurales l'armée permanente devait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrêmement court. Les communes rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu du département, et ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris; les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs. »
    « L'unité de la nation ne devait pas être brisée, mais au contraire organisée par la Constitution communale; elle devait devenir une réalité par la destruction du pouvoir d'État. »
    « La Constitution communale aurait restitué au corps social toutes les forces jusqu'alors absorbées par l'État parasite qui se nourrit sur la société et en paralyse le libre mouvement. »
    « L'existence même de la Commune impliquait, comme quelque chose d'évident, l'autonomie municipale; mais elle n'était plus dorénavant un contre-poids au pouvoir d'État, désormais superflu. »
    « La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qu'elle a exprimés montrent que c'était une forme politique tout à fait susceptible d'expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiellement répressives. »
    « Elle visait à l'expropriation des expropriateurs. Elle voulait faire de la propriété individuelle une réalité, en transformant les moyens de production, la terre et le capital, aujourd'hui essentiellement moyens d'asservissement et d'exploitation du travail, en simples instruments d'un travail libre et associé. »
    « Le vieux monde se tordit dans des convulsions de rage à la vue du drapeau rouge, symbole de la République du travail, flottant sur l'Hôtel de Ville. »
    « La Commune avait parfaitement raison en disant aux paysans : « Notre victoire est votre seule espérance ». De tous les mensonges enfantés à Versailles et repris par l'écho des glorieux journalistes d'Europe à un sou la ligne, un des plus monstrueux fut que les ruraux de l'Assemblée nationale représentaient la paysannerie française. Qu'on imagine un peu l'amour du paysan français pour les hommes auxquels après 1815 il avait dû payer l'indemnité d'un milliard. A ses yeux, l'existence même d'un grand propriétaire foncier est déjà en soi un empiètement sur ses conquêtes de 1789. La bourgeoisie, en 1848, avait grevé son lopin de terre de la taxe additionnelle de 45 centimes par franc [10]; mais elle l'avait fait au nom de la révolution; tandis que maintenant elle avait fomenté une guerre civile contre la révolution pour faire retomber sur les épaules du paysan le plus clair des cinq milliards d'indemnité à payer aux Prussiens. La Commune, par contre, dans une de ses premières proclamations, déclarait que les véritables auteurs de la guerre auraient aussi à en payer les frais. »
    « La Commune a admis tous les étrangers à l'honneur de mourir pour une cause immortelle. »
    « La Commune a fait d'un ouvrier allemand son ministre du Travail. »
    « La Commune a fait aux fils héroïques de la Pologne l'honneur de les placer à la tête des défenseurs de Paris. Et pour marquer hautement la nouvelle ère de l'histoire qu'elle avait conscience d'inaugurer, sous les yeux des Prussiens vainqueurs d'un côté, et de l'armée de Bonaparte, conduite par des généraux bonapartistes de l'autre la Commune jeta bas ce colossal symbole de la gloire guerrière, la colonne Vendôme.
    La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. »
    « La Commune ne prétendait pas à l'infaillibilité, ce que font sans exception tous les gouvernements du type ancien. Elle publiait tous ses actes et ses paroles, elle mettait le public au courant de, toutes ses imperfections. »
    « L'héroïque esprit de sacrifice avec lequel la population de Paris - hommes, femmes et enfants - combattit pendant huit jours après l'entrée des Versaillais, reflète aussi bien la grandeur de leur cause que les exploits infernaux de la soldatesque reflètent l'esprit inné de cette civilisation dont ils sont les mercenaires et les défenseurs. Glorieuse civilisation, certes, dont le grand problème est de savoir comment se débarrasser des monceaux de cadavres qu'elle a faits, une fois la bataille passée.
    Pour trouver un parallèle à la conduite de Thiers et de ses chiens, il nous faut remonter aux temps de Sylla et des deux triumvirats de Rome. Même carnage en masse, exécuté de sang-froid, même insouciance dans le massacre, de l'âge et du sexe; même système de torturer les prisonniers mêmes proscriptions, mais cette fois d'une classe entière même chasse sauvage aux chefs qui se cachent, de peur qu'un seul puisse échapper; mêmes dénonciations d'ennemis politiques et privés; même indifférence envers le carnage de gens entièrement étrangers à la lutte. Il n'y a que cette seule différence : les Romains n'avaient pas encore de mitrailleuses pour expédier en bloc les proscrits, et ils n'avaient pas « la loi à la main », ni, sur les lèvres, le mot d'ordre de « civilisation ». »
    « La Commune a employé le feu strictement comme moyen de défense. »
    « La Commune savait que ses adversaires n'avaient aucun souci de la vie du peuple de Paris, mais qu'ils avaient grandement souci de leurs immeubles. »
    « Le bourgeois de nos jours se considère comme le successeur légitime du seigneur de jadis, pour lequel toute arme dans sa propre main était juste contre le plébéien, alors qu'aux mains du plébéien la moindre arme constituait par elle-même un crime. »
    « Qu'après la plus terrible guerre des temps modernes, le vaincu et le vainqueur fraternisent pour massacrer en commun le prolétariat, cet événement inouï prouve, non pas comme Bismarck le pense, l'écrasement définitif d'une nouvelle société montante, mais la désagrégation complète de la vieille société bourgeoise. Le plus haut effort d'héroïsme dont la vieille société soit encore capable est une guerre nationale; et il est maintenant prouvé qu'elle est une pure mystification des gouvernements, destinée à retarder la lutte des classes, et on se débarrasse de cette mystification, aussitôt que cette lutte de classes éclate en guerre civile. La domination de classe ne peut plus se cacher sous un uniforme national, les gouvernements nationaux ne font qu'un contre le prolétariat ! »
    « La lutte reprendra sans cesse, avec une ampleur toujours croissante, et il ne peut y avoir de doute quant au vainqueur final - le petit nombre des accapareurs, ou l'immense majorité travailleuse. »
    « Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d'une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand coeur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l'histoire les a déjà cloués à un pilori éternel, et toutes les prières de leurs prêtres n'arriveront pas à les en libérer. »
    -Karl Marx, La guerre civile en France, 1871.


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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 15 Avr - 14:52

    "Dans un pays comme l'Allemagne où il ne se produit qu'un développement historique sordide..." (p.49)

    "[Feuerbach] ne voit pas que le monde sensible qui l'entoure n'est pas une chose donnée immédiatement de toute éternité, toujours identique à soi, mais le produit de l'industrie et de l'état de la société, et ce au sens où il est un produit historique, le résultat de l'activité de toute une série de générations, dont chacune se tient sur les épaules de la précédente, pousse plus avant la formation de son industrie et de son commerce, modifie son ordre social à mesure que les besoins changent. Même les objets de la "certitude sensible" la plus simple ne lui sont donnés que par le développement social, l'industrie et le commerce de négoce. On sait que le cerisier, comme presque tous les arbres fruitiers, a été transplanté dans notre zone par le négoce il y a seulement quelques siècles, et c'est pourquoi il n'a été donné à la "certitude sensible" de Feuerbach que par cette action d'une société déterminée en un temps déterminé." (p.53)

    "Cette nature qui précède l'histoire humaine [...] de nos jours, n'existe plus nulle part, excepté peut-être par endroits, sur de singulières îles de corail australiennes dont l'origine est récente." (p.57)

    "Il faut que les hommes soient en mesure de vivre pour pouvoir "faire l'histoire". Font partie de la vie surtout le fait de boire et de manger, le logement, les vêtements et quelques autres choses encore. Le premier acte historique est donc l'engendrement des moyens de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c'est là un acte historique, une condition fondamentale de toute histoire qui doit nécessairement être remplie aussi bien aujourd'hui qu'il y a des millénaires, chaque jour et à chaque heure, afin simplement de maintenir les hommes en vie. [...] Donc, la première chose dans toute conception historique, c'est d'observer ce fait fondamental dans toute son importance et toute son extension, et de lui faire droit." (p.61)

    "La production de la vie, aussi bien de sa propre vie dans le travail que celle d'un autre dans la procréation, apparaît donc déjà maintenant comme un rapport double -d'une part comme un rapport naturel, d'autre part comme un rapport social- social au sens où l'on comprend par là l'action collective de plusieurs individus, peu importe quelles en sont les conditions, le mode et la finalité. Il en résulte qu'un mode de production ou un stade industriel déterminés sont toujours unis à un mode d'action collective ou à un stade social déterminés, et que ce mode d'action collective est lui-même une "force productive" ; que la quantité des forces productives accessibles aux hommes conditionne l'état social et qu'il faut donc toujours étudier et élaborer "l'histoire de l'humanité" en connexion avec l'histoire de l'industrie et de l'échange. [...] Une conception matérialiste des hommes entre eux se fait jour, qui est conditionnée par les besoins et le mode de production, et qui est aussi vieille que les homme eux-mêmes- une conception qui prend sans cesse de nouvelles formes et qui présente donc une "histoire", même sans qu'existe quelque non-sens politique ou religieux que ce soit permettant de maintenir les hommes ensemble par surcroît." (p.65 et 67)

    "Le langage, comme la conscience, naît seulement du besoin, de la nécessité impérieuse d'avoir commerce avec d'autres hommes. La conscience est donc d'emblée déjà un produit social, et elle le reste aussi longtemps qu'il existe des hommes." (p.69)

    "La division du travail rend possible et même effectif le fait que l'activité intellectuelle et l'activité matérielle, que la jouissance et le travail, la production et la consommation échoient à des individus différents, et la possibilité que cette contradiction prenne fin ne réside que dans le fait d'abolir à nouveau la division du travail." (p.73)

    "Aussitôt que le travail commence à être réparti, chacun a un cercle d'activité exclusif et déterminé qui lui est imposé et dont il ne peut sortir ; il est chasseur, pêcheur ou berger, ou critique critique, et il doit nécessairement le rester s'il ne veut pas perdre les moyens qui lui permettent de vivre -tandis que dans la société communiste, où chacun n'a pas un cercle d'activité exclusif mais peut se former dans n'importe quelle branche, la société règle la production générale et, de fait, m'offre la possibilité de faire aujourd'hui ceci, demain cela, de chasser le matin, de pêcher l'après-midi, de pratiquer l'élevage le soir et de critiquer après le repas, exactement comme j'en ai envie, sans jamais devenir chasseur, pêcheur, berger ou critique. Cette autofixation de l'activité sociale, cette consolidation de notre propre produit en un pouvoir chosal au-dessus de nous, qui échappe à notre contrôle, contrarie nos attentes, réduit à néant nos calculs, est l'un des moments principaux du développement historique jusqu'à nos jours." (p.77 et 79)

    "Le communisme n'est pas pour nous un état qui doit être instauré, un idéal auquel la réalité effective a à se conformer. Nous nommons communisme le mouvement effectif qui abolit l'état actuel." (p.79)

    "Est absurde la conception de l'histoire qui néglige les rapports effectifs et se borne aux retentissantes affaires d'Etat." (p.85)

    "Dans le développement des forces productives, il arrive un stade où naissent des forces de production et des moyens de commerce qui, dans les rapports existants, n'entraînent que des dégâts et qui ne sont plus des forces de production mais des forces de destruction (machinerie et argent) -et, point qui est en connexion avec ce qui précède, il naît une classe qui doit porter toutes les charges de la société sans jouir de ses avantages, et qui, poussée en dehors de la société, se retrouve forcée de s'opposer de la manière la plus résolue à toutes les autres classes ; une classe constituée de la majorité des membres de la société et d'où provient la conscience de la nécessité d'une révolution fondamentale, la conscience communiste, laquelle peut naturellement se former aussi parmi les autres classes en vertu de l'intuition de la position de cette classe." (p.93)

    "A chaque stade, il se trouve déjà un résultat matériel, une somme de forces de production, un rapport à la nature historiquement créé ainsi qu'un rapport des individus entre eux que chaque génération reçoit de la précédente, une masse de forces productives, de capitaux et de circonstances qui, d'une part, est certes modifiée par la nouvelle génération mais qui, d'autre part, lui prescrit ses propres conditions de vie et lui donne un développement déterminé, un caractère spécial -que donc ce sont tout autant les circonstances qui font les hommes que les hommes qui font les circonstances. Cette somme de forces de production, de capitaux, et de formes sociales de commerce que chaque individu et chaque génération trouvent déjà là comme quelque chose de donné est le fondement réel de ce que les philosophes se sont représentés comme "substance" et "essence de l'homme", de ce dont ils on fait l'apothéose et de ce contre quoi ils ont lutté, un fondement réel qui n'est pas dérangé le moins du monde dans ses effets et ses influences sur le développement des hommes quand ces philosophes se rebellent contre lui en tant que "conscience de soi" et "Unique"." (p.101)

    "Ces gens [les hégéliens de gauche] ne nous livrent que l'histoire des représentations, détachée des faits et des développements pratiques qui sont à leur fondement." (p.111)

    "Les pensées de la classe dominante sont, à chaque époque, les pensées dominantes, c'est-à-dire que la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante de celle-ci. La classe qui a à sa disposition les moyens de la production matérielle, dispose par la même occasion des moyens de la production spirituelle, si bien qu'en moyenne les pensées de ceux à qui font défaut les moyens de la production spirituelle sont soumis à cette classe. Les pensées dominantes ne sont rien d'autre que l'expression idéelle des rapports matériels dominants, que les rapports matériels dominants saisis en tant que pensées ; donc l'expression des rapports qui font justement d'une classe la classe dominante, donc les pensées de sa domination. [...] P. ex. dans une période et dans un pays où la puissance royale, l'aristocratie et la bourgeoisie se disputent la domination, où donc la domination est partagée, c'est la doctrine de la séparation des pouvoirs qui s'avère la pensée dominante et qu'on énonce alors comme une "loi éternelle". [...] L'existence de pensées révolutionnaires à une époque déterminée présuppose déjà l'existence d'une classe révolutionnaire. [...]
    Si l'on sépare, lorsqu'on conçoit le cours de l'histoire, les pensées de la classe dominante de classe dominante, si on les autonomise, si l'on s'en tient au fait qu'à une époque ce sont telles et telles pensées qui ont dominé, sans se préoccuper, si donc on laisse de côté les individus et les états du monde qui se trouvent au fondement de ces pensées, alors on peut dire p.ex. que pendant le temps où dominait l'aristocratie, ce sont les concepts d'honneur, de fidélité, etc., qui dominaient, et que sous la domination de la bourgeoisie, c'étaient les concepts de liberté, d'égalité, etc. C'est ce que s'imagine la classe dominante elle-même en moyenne. Cette conception de l'histoire, qui est commune à tous ceux qui écrivent l'histoire, particulièrement depuis le dix-huitième siècle, se heurtera nécessairement au phénomène suivant: ce sont des pensées toujours plus abstraites qui dominent, c'est-à-dire des pensées qui prennent toujours la forme de l'universalité. En effet, chaque nouvelle classe qui prend la place d'une autre qui dominait avant elle doit nécessairement, ne serait-ce que pour arriver à ses fins, présenter son intérêt comme l'intérêt communautaire de tous les membres de la société, c'est-à-dire exprimé de façon idéelle: donner à ses pensées la forme de l'universalité, les présenter comme les uniques pensées rationnelles et universellement valables. D'emblée, la classe qui fait la révolution, ne serait-ce que parce qu'elle fait face à une classe, entre en scène non pas comme classe mais comme représentante de toute la société face à l'ancienne classe dominante. Elle le peut parce qu'au début son intérêt est effectivement encore davantage en connexion avec l'intérêt communautaire de toutes les autres classes non dominantes et que, sous la pression des rapports antérieurs, il n'a pas encore pu se développer comme intérêt particulier d'une classe particulière. De ce fait, sa victoire profite également à beaucoup d'individus des autres classes qui ne sont pas parvenues à la domination, mais seulement dans la mesure où elle met ces individus en état de s'élever à la classe dominante. Lorsque la bourgeoisie française a renversé la domination de l'aristocratie, elle a ce faisant rendu possible à de nombreux prolétaires de s'élever au-dessus du prolétariat, mais seulement en ceci qu'ils sont devenus des bourgeois. Chaque nouvelle classe ne parvient donc à établir sa domination que sur une base plus large que celle qui dominait précédemment, mais ensuite se développe également, avec d'autant plus d'acuité et de profondeur, l'opposition de la classe qui est à présent dominante. Ces deux éléments conditionnent le fait que la lutte à mener contre cette nouvelle classe dominante travaille à son tour à une négation plus résolue et plus radicale de l'état social antérieur que ce que toutes les classes précédentes qui aspiraient à la domination avaient pu faire
    ." (p.125-137)

    "Aussi longtemps qu'il n'existe pas encore de commerce qui aille au-delà du voisinage immédiat, chaque invention doit nécessairement être faite dans un cadre local et de manière particulière, et de simples hasards, comme l'irruption de peuples barbares ou même des guerres ordinaires, suffissent à faire qu'un pays dont les forces productives et les besoins sont développés soit contraint de repartir à zéro. Au commencement de l'histoire, il fallait refaire quotidiennement chaque invention, et ce de manière indépendante dans chaque cadre local. Les Phéniciens à quel point des forces productives dont la formation est avancée sont peu à l'abri de l'effondrement complet, eux dont les inventions ont été perdues pour la plus grande part en raison de l'éviction de cette nation hors du négoce, de la conquête d'Alexandre et de la décadence qui en résulta pour longtemps. De même au Moyen Age pour la peinture sur verre p. ex. Ce n'est que lorsque le commerce est devenu commerce mondial, lorsqu'il a pour base la grande industrie et que toutes les nations se retrouvent prises dans la lutte concurrentielle que la durée des forces productives acquises est assurée." (p.161 et 163)

    "La manufacture devint [...] un refuge pour les paysans contre les corporations qui les excluaient ou les payaient mal, comme auparavant les villes corporatives avaient servi de refuge aux paysans contre les propriétaires fonciers.
    Le commencement des manufactures fut en même temps une période de vagabondage, causée par la fin des suites féodales, le renvoi des armées qui avaient été levées au service des rois contre leurs vassaux, par l'amélioration de l'agriculture et la transformation de grandes bandes de terre arable en pâturages pour le bétail. Il en ressort déjà que ce vagabondage est précisément en connexion avec la dissolution de la féodalité. Déjà au treizième siècle, on trouve des époques singulières de ce type, mais ce n'est qu'à partir de la fin du XVe et du début du XVIe siècle que ce vagabondage se généralise et s'installe dans la durée. Quant à ces vagabonds, qui étaient si nombreux qu'Henri VIII d'Angleterre, entre autres, en fit pendre 72 000, ce n'est qu'avec les plus grandes difficultés, à cause de la misère la plus extrême, et après une longue répugnance qu'ils en vinrent à travailler. La floraison rapide des manufactures, notamment en Angleterre, les absorba peu à peu
    ." (p.167 et 169)

    "Au Moyen Age, dans chaque ville, les bourgeois étaient contraints de s'unir contre la noblesse rurale pour défendre leur peau ; l'extension du négoce, la mise en place des communications conduisit les villes singulières à entrer en contact avec d'autres villes qui avaient imposé les mêmes intérêts en luttant contre la même opposition. Ce n'est que très lentement que naquit la classe bourgeoise, issue des nombreuses bourgeoisies locales des villes singulières. En raison de l'opposition aux rapports existants ainsi que du type de travail que cette opposition conditionnait, les conditions de vie des bourgeois singuliers devinrent en même temps communes à tous et indépendantes de chaque individu singulier. Les bourgeois avaient crée ces conditions dans la mesure où ils s'étaient arrachés à l'association féodale et ils étaient crées par ces conditions dans la mesure où ils étaient conditionnés par leur opposition à cette féodalité qu'ils avaient trouvée déjà là avant eux. Les mêmes conditions, la même opposition, les mêmes intérêts ne pouvaient également grosso modo qu'entraîner partout les mêmes mœurs. La bourgeoisie elle-même ne se développe que petit à petit, avec ses conditions, se scinde à nouveau en différentes factions en fonction de la division du travail et absorbe enfin en elle toutes les classes possédantes trouvées déjà là, (tandis qu'elle entraîne le développement de la majorité des classes non possédantes trouvées déjà là, ainsi que d'une partie des classes antérieurement possédantes jusqu'à en faire une nouvelle classe, le prolétariat) dans la mesure où toute propriété trouvée déjà là se voit convertie en capital industriel ou commercial. Les individus singuliers ne forment une classe que dans la mesure où ils ont à mener une lutte commune contre une nouvelle classe ; pour le reste, ils se font à nouveau face comme des ennemis dans la concurrence." (p.191, 193 et 195)

    "Le communisme se distingue de tous les mouvements antérieurs par le fait qu'il bouleverse la base fondamentale de tous les rapports de production et de commerce antérieurs et qu'il est le premier à traiter en conscience de toutes les présuppositions naturelles-spontanées comme des créatures des hommes du passé, à les dévêtir de leur naturalité-spontanée et à les soumettre à la puissance des individus unifiés. De ce fait, son institution est essentiellement économique, la fabrication matérielle des conditions de cette unification ; elle fait des conditions présentes les conditions de l'unification." (p.209)

    "La conscience peut parfois paraître plus avancée que les rapports empiriques qui lui sont contemporains, si bien que, dans les luttes d'une époque ultérieure, on peut s'appuyer sur des théoriciens antérieurs en tant qu'autorités." (p.215 et 217)

    "Le fait de la conquête semble contredire toute cette conception de l'histoire. Jusqu'à présent, on a fait de la violence, de la guerre, du pillage, du brigandage meurtrier, etc. la force motrice de l'histoire. Ici, nous ne pouvons que nous borner aux points principaux et, de ce fait, nous ne prendrons que l'exemple le plus frappant: la destruction d'une ancienne civilisation par un peuple barbare et la formation conjointe d'une nouvelle articulation de la société, formation qui recommence à zéro. (Rome et les barbares, la féodalité et la Gaule, l'Empire romain d'Orient et les Turcs). Chez le peuple barbare conquérant, la guerre elle-même est encore, comme nous l'avons indiqué plus haut, une forme de commerce régulière, qui est exploitée avec d'autant plus de zèle que la croissance de la population crée davantage le besoin de nouveaux moyens de production sous le mode de production traditionnel brut, qui est l'unique mode de production possible pour cette population. En Italie, en revanche, en raison de la concentration de la propriété foncière (causée par l'accaparement et l'endettement mais aussi par l'héritage, dans la mesure où la grande dépravation et la rareté des mariages conduisaient petit à petit à l'extinction des vieilles lignées et où les biens qu'elles possédaient tombaient entre les mains d'un petit nombre) et de la transformation de cette propriété foncière en pâturages pour le bétail (qui, mises à part les causes économiques ordinaires encore en vigueur aujourd'hui, fut causée par l'importation de céréales pillées ou réclamées comme tribut et par le manque de consommateurs pour le grain italien qui en résulta), la population libre avait presque disparu, les esclaves eux-mêmes ne cessaient de mourir et il fallait sans cesse les remplacer. L'esclavage demeura la base de toute la production. Les plébéiens, qui se situaient entre les hommes libres et les esclaves, ne parvinrent jamais à être davantage qu'un lumpenprolétariat. De manière générale, Rome ne fut jamais davantage que la Ville et elle se trouvait dans une connexion avec la province qui était presque exclusivement politique, connexion politique qui, naturellement, pouvait aussi prendre fin en raison d'événements politiques.

    Il n'y a rien de plus ordinaire que la représentation selon laquelle la seule chose qui aurait été importante jusqu'ici, c'est le fait de prendre. Les Barbares prirent l'Empire romain et, avec le fait de prendre, on explique le passage de l'ancien monde à la féodalité. Mais dans la prise par les barbares, ce qui importe, c'est de savoir si la nation dont on s'empare a développé des forces productives industrielles comme c'est le cas chez les peuples modernes, ou si ses forces productives reposent principalement sur leur unification et sur la communauté. En outre, le fait de prendre est conditionné par l'objet qui est pris. Le patrimoine d'un banquier, lequel est constitué de papier, ne peut pas du tout être pris sans que celui qui le prend se soumette aux conditions de production et de commerce du pays qu'il prend. Il en va de même pour tout le capital industriel d'un pays industriel moderne. Et le fait de prendre fini très bientôt par trouver son terme partout, et quand il n'y a plus rien à prendre, il faut commencer à produire. Il résulte de cette très rapide entrée en scène de la nécessité de produire que la forme de communauté adoptée par les conquérants qui s'installent doit nécessairement correspondre au stade de développement des forces productives trouvées déjà là, ou bien, si ce n'est pas d'emblée le cas, il faut que cette forme change en fonction des forces productives. Cela explique également un fait qu'on croit avoir remarqué un peu partout à l'époque qui a suivi les grandes invasions, à savoir qu'en effet c'est le valet qui devint maître et que ce furent les conquérants qui adoptèrent très rapidement la langue, la culture et les mœurs de ceux qu'ils avaient conquis. - La féodalité ne fut nullement apportée toute prête d'Allemagne, mais elle eut son origine du côté des conquérants, dans l'organisation guerrière de l'armée pendant la conquête elle-même, et cette organisation ne se développa jusqu'à devenir la féodalité proprement dite qu'après la conquête, sous l'effet des forces productives trouvées déjà là dans les pays conquis. L'échec des tentatives faites pour imposer d'autres formes, issues de réminiscences de l'ancienne Rome (Charlemagne, etc.), montrent à quel point cette forme était conditionnée par les forces productives
    ." (p.219-223)

    "L'émancipation de la propriété privée à l'égard de la communauté a permis à l'Etat une existence particulière, à côté et en dehors de la société civile bourgeoise ; mais il n'est rien de plus que la forme de l'organisation que se donnent nécessairement les bourgeois, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur, afin de garantir réciproquement leur propriété et leurs intérêts." (p.239)

    "De nos jours, l'autonomie de l'Etat ne se trouve encore que dans des pays où les états ne se sont pas complètement développés jusqu'à devenir des classes, où les états, supprimés dans les pays qui ont connu le plus grand progrès, jouent encore un rôle et où existe un mélange dans lequel aucune partie de la population ne peut parvenir à la domination sur l'autre. C'est notamment le cas en Allemagne." (p.241)

    "L'Etat est la forme sous laquelle les individus d'une classe dominante font valoir leurs intérêts communs et sous laquelle se résume l'ensemble de la société civile d'une époque." (p.241)

    "Nous ne connaissons qu'une unique science, la science de l'histoire. On peut considérer l'histoire de deux côtés, elle peut être subdivisée en histoire de la nature et en histoire des hommes. Cependant, les deux côtés ne sont pas séparables ; tant que les hommes existent, l'histoire de la nature et l'histoire des hommes se conditionnent réciproquement. L'histoire de la nature, ce qu'on appelle la science de la nature, ne nous concerne pas ici ; cependant, nous aurons à aborder l'histoire des hommes, puisque presque toute l'idéologie se réduit soit à une conception déformée de cette histoire, soit à une abstraction complète opérée à partir d'elle. L'idéologie n'est elle-même qu'un des côtés de cette histoire." (p.271)

    "Les présuppositions par lesquelles nous débutons ne sont pas arbitraires, elles ne sont pas des dogmes mais des présuppositions effectives dont on ne peut faire abstraction que dans l'imagination. Ce sont les individus effectifs, leur action et leurs conditions de vie matérielles, aussi bien celles qu'ils trouvent déjà là que celles qu'ils engendrent par leur propre action. Ces présuppositions sont donc constatables par une voie purement empirique." (p.271)

    "La première présupposition de toute histoire humaine est naturellement l'existence d'individus humains vivants. Le premier état de fait à constater est donc l'organisation corporelle de ces individus ainsi que leur rapport, donné par là-même, au reste de la nature. Nous ne pouvons naturellement ici nous occuper ni de la constitution physique des hommes eux-mêmes, ni des conditions naturelles que les hommes trouvent là avant eux: les rapports géologiques, oro-hydrographiques, climatiques et autres. Pour écrire l'histoire, il faut nécessairement partir de ces bases fondamentales naturelles et de leur modification par l'action des hommes au cours de l'histoire.
    On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion, ou par tout ce qu'on veut d'autre ; eux-mêmes ne commencent à se distinguer des animaux qu'à partir du moment où ils commencent à
    produire leurs moyens de vivre, un pas en avant qui est conditionné par leur organisation corporelle. En produisant leurs moyens de vivre, c'est indirectement leur vie matérielle elle-même que les hommes produisent.
    Le mode sous lequel les hommes produisent leurs moyens de vivre dépend d'abord de la constitution même des moyens de vivre qu'ils trouvent là avant eux et qu'il leur faut reproduire. Ce mode de la production ne doit pas simplement être considéré du côté suivant, à savoir qu'il est la reproduction de l'existence physique des individus. Il est bien plutôt un type déterminé d'activité de ces individus, un type déterminé d'expression de leur vie, un
    mode de vie déterminé de ces individus. Les individus sont leur manière d'exprimer leur vie." (p.273)

    "Ce que sont les individus dépend des conditions matérielles de leur production." (p.275)

    "La division du travail à l'intérieur d'une nation entraîne d'abord la séparation entre, d'une part, le travail industriel et commercial et, d'autre part, le travail agricole, et de ce fait la séparation de la ville et de la campagne, ainsi que l'opposition de leurs intérêts respectifs." (p.283)

    "La concentration de la propriété privée [...] commença très tôt à Rome (preuve en est la loi agraire licinienne) à partir des guerres civiles et qui s'accéléra notamment sous l'Empire ; d'autre part, en connexion avec cette dernière, la transformation des petits paysans plébéiens en un prolétariat qui toutefois, en raison de sa position d'entre-deux vis-à-vis des citoyens possédants et des esclaves, ne connut aucun développement autonome." (p.287)

    "Les derniers siècles de déclin de l'Empire romain et la conquête par les barbares eux-mêmes détruisirent une masse de forces productives ; l'agriculture avait sombré, l'industrie avait décliné par manque de débouchés, le négoce était en sommeil ou avait été interrompu par la force, la population des villes et des campagnes avait diminué. Ces rapports trouvés déjà là et le mode d'organisation de la conquête, conditionné par eux, développèrent, sous l'influence de la constitution militaire germanique, la propriété féodale. Elle repose à son tour, comme la propriété tribale et la propriété communale, sur une communauté à laquelle font face non plus les esclaves comme dans la communauté antique, mais les petits paysans serfs en tant que classe immédiatement productive. En même temps que l'achèvement de la formation du féodalisme se fait également jour l'opposition aux villes." (p.289 et 291)

    "L'apogée du féodalisme ne donna lieu qu'à une faible division du travail." (p.291)

    "Le fait est donc le suivant: des individus déterminés, dont l'activité productive s'accomplit sur un mode déterminé entrent dans ces rapports sociaux et politiques déterminés. Dans chaque cas singulier, il faut que l'observation empirique montre de manière empirique et sans la moindre mystification ou spéculation la connexion qui existe entre l'articulation sociale et politique d'une part et la production d'autre part." (p.297)

    "La production des idées, des représentations, de la conscience est d'abord immédiatement enchevêtrée dans l'activité matérielle et le commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie effective. La représentation, la pensée, le commerce spirituel des hommes apparaissent encore ici comme une émanation directe des rapports matériels qu'ils entretiennent. Il en va de même pour la production spirituelle telle qu'elle se présente dans la langue de la politique, des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc., au sein d'un peuple. Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leurs représentations, de leurs idées, etc., mais les hommes affectifs, qui agissent, les hommes tels qu'ils sont conditionnés par un développement déterminé de leurs forces productives et du commerce qui leur correspond, et ce jusque dans les formations les plus amples qu'adopte ce dernier. La conscience ne peut jamais être autre chose que l'être conscient, et l'être des hommes est leur processus vital effectif. Si, dans toute l'idéologie, les hommes et leurs rapports apparaissent la tête en bas comme dans une camera obscura, ce phénomène résulte de leur processus vital historique, tout comme le retournement des objets sur la rétine résultat de leur processus vital immédiatement physique.
    Par opposition complète à la philosophie allemande qui descend du ciel vers la terre, ici on monte de la terre vers le ciel. C'est-à-dire qu'on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se représentent, qu'on ne part pas non plus de ce qu'on dit, de ce qu'on pense, de ce qu'on s'imagine, de ce qu'on se représente être les hommes pour en arriver aux hommes en chair et en os ; on part des hommes effectivement actifs, et à partir de leur processus vital effectif, on présente également le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital. Même les représentations nébuleuses qui se forment dans le cerveau des hommes sont des sublimés nécessaires de leur processus vital matériel, empiriquement constatable et rattaché à des présuppositions matérielles. Ce faisant, la morale, la religion, la métaphysique et le reste de l'idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, cessent de conserver l'apparence de l'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire, elles n'ont pas de développement, ce sont les hommes, en développant leur production matérielle et leur commerce matériel, qui changent également, en même temps que cette réalité effective qui est la leur, leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, c'est la vie qui détermine la conscience. Dans le premier mode de considération, on part de la conscience prise comme individu vivant, dans le second, qui correspond à la vie effective, on part des individus vivants effectifs eux-mêmes et on considère la conscience que comme leur conscience. [...]
    Dès que l'on représente ce processus vital actif, l'histoire cesse d'être une collection de faits morts comme chez les empiristes, qui sont eux-mêmes encore abstraits, ou une action imaginaire de sujets imaginaires comme chez les idéalistes.
    Là où cesse la spéculation, dans la vie effective, débute donc la science effective et positive, la présentation de l'activation pratique, du processus de développement pratique des hommes. Les formules concernant la conscience cessent, un savoir effectif doit nécessairement prendre leur place. Avec la présentation de la réalité effective, la philosophie autonome perd son milieu d'existence
    ." (p.229 et 301)

    "La philosophie hégélienne était présentée dans La Sainte Famille p.220 comme l'unité de Spinoza et de Fichte et on y soulignait en même temps la contradiction qu'elle renferme." (p.319)

    "Ce n'est que maintenant que la bourgeoisie allemande ressent le besoin effectif, engendré par des rapports économiques, d'accéder à la puissance politique [...] que le libéralisme a une existence pratique en Allemagne et, ce faisant, une chance de succès." (p.365)

    "[Napoléon] fut renversé lorsque l'un des partis, la bourgeoisie, fut devenu suffisamment puissant pour secouer le joug du conquérant qui le gênait." (p.395)
    -Karl Marx, Friedrich Engels & Joseph Weydemeyer, L'idéologie allemande, trad. Jean Quétier et Guillaume Fonde, Éditions sociales, GEME, 2014, 497 pages.

    "La philosophie est à l'étude du monde effectif ce que l'onanisme est à l'amour sexuel."
    -Karl Marx, Friedrich Engels & Joseph Weydemeyer, L'idéologie allemande, chapitre 3.


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Karl Marx, Œuvre  Empty Re: Karl Marx, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 1 Mai - 21:08

    « [Grundrisse] signifie à peu près : ébauche, esquisse globale, grandes lignes fondamentales. » (p.Cool
    -Jean-Pierre Lefebvre, Introduction à Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », Les éditions sociales, 2011 (1980 pour la première édition), 929 pages.

    [NdT p.25] « Le manuscrit intitulé par Marx postérieurement « Bastiat et Carey » a été redigé en juillet 1857. Il n’était pas destiné à la publication, et il semble que Marx l’ait interrompu plus tôt que prévu, estimant que la poursuite de cette critique était sans intérêt. Marx voyait en Bastiat l’archétype de l’imbécilité en même temps que le plus typique représentant de l’économie moderne. »
    « [Carey et Bastiat] ont bien compris que l’opposition à l’économie politique –le socialisme et le communisme- trouve sa présupposition théorique dans les œuvres de l’économie classique elle-même, et spécialement chez Ricardo qui doit être considéré comme son expression la plus achevée, ultime. C’est pourquoi tous deux éprouvent la nécessité d’attaquer et de dénoncer comme une interprétation erronée l’expression théorique acquise historiquement par la société bourgeoise dans l’économie moderne, et de démontrer le caractère harmonieux des rapports de production là où les économistes classiques avaient, dans leur naïveté, désigné leur caractère antagonique. » (p.26)
    « [L’Amérique du Nord] pays où la société bourgeoise ne s’est pas développée sur la base de la féodalité, mais a commencé à partir d’elle-même. » (p.26)
    « Dans l’histoire réelle, le travail salarié provient de la dissolution de l’esclavage et du servage –ou du déclin de la propriété communautaire, comme chez les peuples slaves et orientaux- et, sous sa forme adéquate, constitutive d’une époque historique et appréhendant le tout de l’existence sociale du travail, il provient du déclin de l’économie corporative, du système féodal des ordres, du travail et du revenu en nature ; de l’industrie pratiquée comme branche annexe des activités rurales, de la petite économie rurale encore féodale, etc. Dans toutes ces transitions réellement historiques, le travail salarié apparaît comme dissolution, comme destruction de rapports où le travail, sous tous ses aspects, était fixé, qu’il s’agisse de ses revenus, de son contenu, de sa localisation, de son ampleur, etc. C’est-à-dire comme négation de la fixité du travail et de sa rémunération. » (p.33)
    « Que disent les économistes : que dans le rapport du salaire au profit, du travail salarié au capital, le salaire aurait l’avantage de la fixité. Que dit M. Bastiat : que la fixité, i.e l’un des aspects dans le rapport du salaire au profit, constitue le fondement historique à partir duquel naît le salariat. » (p.34)
    « L’existence universelle du travail salarié présuppose un niveau de développement des forces productives supérieur à celui des stades antérieurs au travail salarié. » (p.35)
    « [Introduction dite de 1857] Le point de départ, évidemment, ce sont des individus produisant en société –donc une production des individus qui est socialement déterminée. Le chasseur et le pêcheur singulier et singularisé, par lequel commencent Smith et Ricardo, ressortit aux plates illusions des robinsonades du 18ème siècle, lesquelles n’expriment nullement, comme se l’imaginent certains historiens de la civilisation, une simple réaction contre des excès de raffinement et un retour à l’état de nature mal compris. Pas plus que le Contrat social de Rousseau, qui établit par contrat des rapports et des liens entre des sujets indépendants par nature, ne repose sur un tel naturalisme. C’est une apparence, la simple apparence esthétique des petites et grandes robinsonades. Il s’agit en réalité d’une anticipation de la « société civile-bourgeoise » qui se préparait depuis le 16ème siècle et qui, au 18ème, fit des pas de géant vers sa maturité. Dans cette société où règne la libre concurrence, l’individu apparaît détaché des liens naturels, etc, qui font de lui à des époques historiques antérieures un accessoire d’un conglomérat humain déterminé et délimité. Pour les prophètes du 18ème siècle –sur les épaules de qui reposent encore entièrement Smith et Ricardo- cet individu du 18ème siècle, produit, d’une part, de la décomposition des formes de sociétés féodales, d’autre part, des forces productives nouvelles qui se sont développées depuis le 16ème siècle, apparaît comme un idéal dont l’existence remonterait au passé non comme un résultat historique, mais comme le point de départ de l’histoire, parce qu’ils le considèrent comme un individu naturel, conforme à leur représentation de la nature humaine, qui n’aurait pas sa source dans l’histoire, mais qui serait posé par la nature. Cette illusion a été jusqu’à maintenant partagée par toute époque nouvelle. » (p.39-40)
    « Plus on remonte dans le cours de l’histoire, plus l’individu, et par suite l’individu producteur lui aussi, apparaît dans un état de dépendance, membre d’un ensemble plus grand : cet état se manifeste d’abord de façon tout à fait naturelle dans la famille, et dans la famille élargie à la tribu ; puis dans les différentes formes de la communauté issue de l’opposition et de la fusion des tribus. Ce n’est qu’au 18ème siècle, dans la « société civile-bourgeoise », que les différentes formes de l’interdépendance sociale se présentent à l’individu comme un simple moyen de réaliser ses buts particuliers, comme une nécessité extérieure. Mais l’époque qui engendre ce point de vue, celui de l’individu singulier singularisé, est précisément celle où les rapports sociaux (et, de ce point de vue, universels) ont atteint le plus grand développement qu’ils aient connu. » (p.40)
    « Si diverse que puisse être la distribution aux différents stades de la société, il doit être possible, tout aussi bien que pour la production, de dégager des caractères communs, et possible aussi d’effacer et de confondre toutes les différences historiques dans des lois s’appliquant à l’homme en général. Par exemple, l’esclave, le serf, le travailleur salarié reçoivent tous une quantité déterminée de nourriture qui leur permet de subsister en tant qu’esclave, serf, salarié. Qu’ils vivent du tribut, de l’impôt, de la rente foncière, de l’aumône ou de la dîme, le conquérant, le fonctionnaire, le propriétaire foncier, le moine ou le lévite reçoivent tous une quote-part de la production sociale qui est déterminée suivant d’autres lois que la quote-part des esclaves, etc. » (p.43)
    « Toute production est appropriation de la nature par l’individu dans le cadre et par l’intermédiaire d’une forme de société déterminée. » (p.43)
    « Dans la production, les membres de la société approprient (élaborent, façonnent) les produits de la nature aux besoins humains ; la distribution détermine la proportion dans laquelle l’individu singulier reçoit sa part de ces produits ; l’échange lui procure les produits particuliers en lesquels il veut convertir la quote-part qui lui est dévolue par la distribution ; dans la consommation enfin, les produits deviennent objets de jouissance, d’appropriation individuelle. La production crée les objets qui répondent aux besoins ; la distribution les répartit selon des lois sociales ; l’échange répartit de nouveau ce qui a déjà été réparti, mais selon les besoins individuels ; dans la consommation enfin, le produit s’évade de ce mouvement social, il devient directement objet et serviteur du besoin individuel et le satisfait dans la jouissance. La production apparaît ainsi comme le point de départ, la consommation comme le point final, la distribution et l’échange comme le moyen terme, lequel à son tour a un double caractère, la distribution étant le moment qui a sa source dans la société, et l’échange, le moment qui l’a dans l’individu. » (p.45)
    « Production, distribution, échange, consommation forment ainsi un syllogisme [hégélien] dans les règles ; la production constitue l’universalité, la distribution et l’échange, la particularité, la consommation, la singularité dans laquelle se conclut le tout. […] L’acte final de consommation, conçu non seulement comme dernier aboutissement mais fin dernière, est à vrai dire en dehors de l’économie, sauf dans la mesure où il réagit à son tour sur le point de départ, et relance tout le processus. » (p.46)
    « La production est aussi immédiatement consommation. Doublement consommation, subjective et objective : d’une part, l’individu qui développe ses facultés en produisant les dépenses également, les consomme dans l’acte de production, tout comme la procréation naturelle est consommation de forces vitales. Deuxièmement, consommation des moyens de production qu’on emploie, qui s’usent, et qui en partie (comme, par exemple, lors de la combustion) se dissolvent pour redevenir des éléments de l’univers. L’acte de production lui-même dans tous ses moments est donc également un acte de consommation. […] Cette identité de la production et de la consommation revient ni plus ni moins à la proposition de Spinoza : Determinatio est negatio [« Déterminer, c’est nier » : proposition reprise par Hegel dans la Science de la Logique]. » (p.46)
    « La consommation est de manière immédiate également production, de même que dans la nature la consommation des éléments et des substances chimiques est production de la plante. Il est évident que dans l’alimentation, par exemple, qui est une forme particulière de la consommation, l’homme produit son propre corps. Mais cela vaut également pour tout autre genre de consommation qui, d’une manière ou d’une autre, produit l’homme d’un certain point de vue. […] La production est donc immédiatement consommation, la consommation immédiatement production. Chacune est immédiatement son contraire. Mais il s’opère en même temps un mouvement médiateur entre les deux termes. La production est médiatrice de la consommation, dont elle crée le matériau et à qui, sans elle, manquerait son objet. Mais la consommation est aussi médiatrice de la production dans la mesure où c’est seulement elle qui procure aux produits le sujet pour lequel ils sont des produits. Le produit ne connaît son ultime achèvement que dans la consommation. Un chemin de fer sur lequel on ne roule pas, qu’on n’use donc pas, n’est pas consommé, n’est un chemin de fer que [en puissance] et non dans la réalité. Sans production, pas de consommation ; mais sans consommation, pas de production non plus, car la production serait alors sans but. » (p.47)
    « La faim est la faim, mais la faim qui se satisfait avec de la viande cuite, mangée avec fourchette et couteau, est une autre faim que celle qui avale de la chair crue à l’aide des mains, des ongles et des dents. Ce n’est pas seulement l’objet de la consommation, mais aussi le mode de consommation qui est produit par la production, et ceci non seulement d’une manière objective, mais aussi subjective. La production crée donc le consommateur. […] La production ne fournit donc pas seulement un matériau au besoin, elle fournit aussi un besoin à ce matériau. […] L’objet d’art –comme tout autre produit- crée un public apte à comprendre l’art et à jouir de la beauté. La production ne produit donc pas seulement un objet pour le sujet, mais aussi un sujet pour l’objet. » (p.48-49)
    « Que l’on considère la production et la consommation comme des activités d’un sujet ou d’individus singuliers, elles apparaissent en tout cas comme les moments d’un procès dans lequel la production est le point de départ effectif et par suite aussi le moment qui recouvre les autres. » (p.50)
    « Dans toutes les conquêtes, il y a trois possibilités. Le peuple conquérant impose au peuple conquis son propre mode de production (par exemple, les Anglais en Irlande au cours de ce siècle, partiellement aux Indes) ; ou bien il laisse subsister l’ancien mode de production et se contente de prélever un tribut (par exemple, les Turcs et les Romains) ; ou bien il se produit une action réciproque qui donne naissance à quelque chose de nouveau, à une synthèse. (Partiellement, dans les conquêtes germaniques). Dans tous les cas, le mode de production, que ce soit celui du peuple conquérant, celui du peuple conquis ou encore celui qui provient de la fusion des deux précédents, est déterminant pour la distribution nouvelle qui apparaît. […]
    Le type de pillage est lui-même à son tour déterminé par le type de production. » (p.54)
    « Il est […] absolument erroné de placer l’échange au centre des communautés en tant qu’élément constitutif à leur origine. Au début, il apparaît au contraire dans les relations des diverses communautés entre elles plutôt que dans les relations qu’ont entre eux les membres d’une seule et même communauté. » (p.59)
    « Pour l’art, on sait que des époques déterminées de floraison artistique ne sont nullement en rapport avec le développement général de la société, ni, par conséquent, avec celui de sa base matérielle, qui est pour ainsi dire l’ossature de son organisation. Par exemple, les Grecs comparés aux modernes ou encore Shakespeare. » (p.67)
    « Le charme qu’exerce sur nous leur art [aux Grecs] n’est pas en contradiction avec le stade social embryonnaire où il a poussé. Il en est au contraire le résultat, il est au contraire indissolublement lié au fait que les conditions sociales insuffisamment mûres où cet art est né, et où seulement il pouvait naître, ne pourront jamais revenir. » (p.68)
    -Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », Les éditions sociales, 2011 (1980 pour la première édition), 929 pages.


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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 23 Mai - 13:21

    "[La Contribution] est le résultat de 15 années de recherches, donc le fruit de la meilleure période de ma vie."
    -Karl Marx, lettre à Lassalle, 12 novembre 1858.

    "J'examine le système de l'économie bourgeoise dans l'ordre suivant: capital, propriété foncière, travail salarié ; Etat, commerce extérieur, marché mondial." (p.61)

    « Le résultat général auquel je parvins, et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur à mes études, peut-être brièvement formulé ainsi : dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent dans des rapports déterminés, nécessaires et indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un stade de développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être mais inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production présents, ou ce qui n’en est qu’une expression juridique, les rapports de propriété, à l’intérieur desquels elles s’étaient mues jusque-là. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports se changent en chaînes pour ces dernières. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. Avec la transformation de la base économique fondamentale se trouve bouleversée plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure.
    Quand on examine de tels bouleversements, il faut toujours distinguer le bouleversement matériel des conditions de production économiques, que l'on peut constater aussi rigoureusement que dans les sciences de la nature, des formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref des formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent à terme. Pas plus qu'on ne peut juger de ce qu'est un individu d'après l'image qu'il a de lui-même, on ne peut juger d'une telle époque de bouleversement d'après sa conscience ; il faut bien plutôt expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit existant entre les forces productives sociales et les rapports de production. Une formation sociale ne disparaît jamais avant que ne soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, et jamais de nouveaux rapports de production supérieurs ne la remplacent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports n'aient éclos au sein même de l'ancienne société. L'humanité ne s'assigne donc jamais que des tâches qu'elle peut résoudre car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours que la tâche ne naît elle-même que là où sont déjà présents soit les conditions matérielles de sa résolution, soit au moins le processus de leur devenir. A grands traits, on peut désigner comme époques progressives de la formation économique de la société les modes de production asiatique, antique, féodal et le mode de production bourgeois moderne. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme antagoniste du processus social de production, antagoniste non au sens d'un antagonisme individuel, mais au sens d'un antagonisme issu des conditions de vie sociales des individus ; cependant, les forces productives qui se développent au sein de la société civile bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles de la résolution de cet antagonisme. Avec cette formation sociale, c'est la préhistoire de la société humaine qui s'achève
    . » (p.63-64)

    "A première vue, la richesse bourgeoise apparaît comme un immense amas de marchandises, et la marchandise singulière comme son existence élémentaire. Chaque marchandise se présente cependant sous le double aspect de la valeur d'usage et de la valeur d'échange.
    La marchandise est tout d'abord, selon la façon de parler des économistes anglais, "toute chose nécessaire, utile ou agréable à la vie", objet de besoins humains, moyen de vivre au sens le plus large du terme. Cette existence de la marchandise en tant que valeur d'usage coïncide avec son existence naturelle et tangible. Le blé, par exemple, est une valeur d'usage particulière, distincte des valeurs d'usage coton, verre, papier, etc. La valeur d'usage n'a de valeur que pour l'usage et ne se réalise effectivement que dans le processus de la consommation. La même valeur d'usage peut être utilisée différemment. La somme de ses utilisations potentielles est cependant condensée dans son existence en tant que chose aux propriétés déterminées. De plus, la valeur d'usage n'est pas déterminée que qualitativement mais également quantitativement. Selon leurs particularités naturelles, des valeurs d'usage différentes possèdent des mesures différentes, par exemple un boisseau de blé, une main de papier, une aune de toile, etc.
    Quelle que soit la forme sociale de la richesse, des valeurs d'usage en constituent toujours le contenu, contenu tout d'abord indifférent à cette forme. On ne reconnaît pas au goût du blé celui qui l'a cultivé, serf russe, petit paysan français ou capitaliste anglais. Quoiqu'objet de besoins sociaux, et donc inscrite dans l'ensemble des relations sociales, la valeur d'usage n'exprime cependant aucun rapport social de production. Mettons que cette marchandise, en tant que valeur d'usage, soit p.ex. un diamant. On ne peut percevoir à même le diamant qu'il est marchandise. Là où il sert de valeur d'usage, d'une manière esthétique ou mécanique, sur le cou de la grisette ou dans les mains du polisseur de verres, il est diamant et non marchandise. Le fait d'être valeur d'usage apparaît comme une présupposition nécessaire pour la marchandise, mais celui d'être marchandise comme une détermination indifférente à la valeur d'usage. [...] [La valeur d'usage] est la basse matérielle sur laquelle se présente un rapport économique déterminé, la valeur d'échange.
    La valeur d'échange apparaît tout d'abord comme le rapport quantitatif sous lequel des valeurs d'usage sont échangeables les unes contre les autres. Sous un tel rapport, elles constituent la même grandeur d'échange. C'est ainsi qu'un volume de Properce et huit onces de tabac à priser peuvent avoir la même valeur d'échange malgré le caractère disparate des valeurs d'usage du tabac et de l'élégie. En tant que valeur échange, une valeur d'usage vaut exactement autant que l'autre, à partir du moment où elle présente dans la même proportion. La valeur d'échange d'un palais peut être exprimée en un nombre déterminé de boîtes de cirage. Inversement, des fabricants de cirage londoniens ont exprimé en palais la valeur d'échange de leurs multiples boîtes. De manière tout à fait indifférente à leur mode d'existence naturel, et sans égard pour la nature spécifique du besoin pour lequel elles sont valeurs d'usage, les marchandises coïncident dans des quantités déterminées, se substituent l'une à l'autre dans l'échange, comptent comme des équivalents et présentent ainsi, malgré leur apparence bigarrée, la même unité.
    Les valeurs d'usage sont immédiatement moyens de vivre. Mais, inversement, ces moyens de vivre sont eux-mêmes des produits de la vie sociale, le résultat d'une dépense de force vitale humaine, du travail objectivé. En tant que matérialisation du travail social, toutes les marchandises sont des cristallisations de la même unité. Il nous faut donc maintenant étudier le caractère déterminé de cette unité, c'est-à-dire du travail qui se présente dans la valeur d'échange.
    Soient une once d'or, 1 tonne de fer, 1 quarter de blé et 20 aunes de soi des valeurs d'échange de grandeur égale. En tant qu'équivalents où se trouve effacée la différence qualitative de leurs valeurs d'usage, elles présentent un volume identique du même travail. Le travail qui s'objective uniformément en elles doit nécessairement lui-même être du travail uniforme, indifférencié, simple, auquel il est tout à fait indifférent d'apparaître dans l'or, du fer, du blé ou de la soie, tout comme il est tout à fait indifférent à l'oxygène de se trouver dans la rouille, l'atmosphère, le jus de raisin ou le sang humain. Mais extraire de l'or, tirer du fer de la mine, cultiver du blé et tisser de la soie sont des types de travaux qualitativement différents les uns des autres. En effet, ce qui apparaît dans les choses comme différence des valeurs d'usage apparaît dans les processus comme différence dans l'activité qui engendre les valeurs d'usage. Indifférent à la matière particulière des valeurs d'usage, le travail qui pose de la valeur d'échange est donc indifférent à la forme particulière du travail lui-même. De plus, les différentes valeurs d'usage sont les produits de l'activité d'individus différents, et donc le résultat de travaux individuellement différents. En tant que valeurs d'échange, elles présentent cependant du travail identique, indifférencié, c'est-à-dire un travail dans lequel se trouve effacée l'individualité de ceux qui travaillent. Le travail qui pose de la valeur d'échange est donc du travail abstraitement universel.
    Si l'once d'or, 1 tonne de fer, 1 quarter de blé et 20 aunes de soie sont des valeurs d'échange de grandeur égale, ou équivalents, alors 1 once d'or, 1/2 tonne de fer, 3 boisseaux de blé et 5 aunes de soie sont des valeurs d'échange de grandeurs tout à fait différentes, et cette différence quantitative est la seule différence dont elles soient capables en tant que valeurs d'échange. En tant que valeurs d'échange de grandeurs différentes, elles présentent plus ou moins, des quanta plus ou moins grand, de ce travail simple, uniforme, abstraitement universel, qui constitue la substance de la valeur d'échange. Se pose alors la question de la mesure de ces quanta. Ou plutôt de l'existence quantitative de ce travail lui-même, puisque les différences de grandeur des marchandises en tant que valeurs d'échange ne sont que des différences de grandeur du travail objectivé en elle. Tout comme l'existence quantitative du mouvement est le temps, l'existence quantitative du travail est le temps de travail. La différence quand à sa propre durée est la seule distinction dont le travail soit capable, sa qualité étant présupposée comme donnée. En tant que temps de travail, il reçoit son échelle des mesures naturelles du temps: heure, jour, semaine, etc. Le temps de travail est l'existence vivante du travail, indifférente à sa forme, à son contenu, à son individualité ; c'est son existence vivante en tant qu'il est quantitatif et donné avec sa mesure immanente. Le temps de travail objectivé dans les valeurs d'usage des marchandises est à la fois la substance qui en fait des valeurs d'échange, et donc des marchandises, et ce qui mesure leur grandeur de valeur déterminée. Les quantités corrélatives des différentes valeurs d'usage dans lesquelles s'objective le même temps de travail sont des équivalents ; ou encore sont des équivalents toutes les valeurs d'usage dans les proportions dans lesquelles elles contiennent le même temps de travail mis en œuvre, objectivé. En tant que valeurs d'échange, toutes les marchandises ne sont que des mesures déterminées de travail coagulé.
    Pour comprendre la détermination de la valeur d'échange par le temps de travail, il faut bien retenir les considérations primordiales qui suivent: la réduction du travail à du travail simple, pour ainsi dire dénué de toute qualité ; la façon spécifique qu'a le travail qui pose de la valeur d'échange, et produit donc des marchandises, d'être du travail social ; et enfin la différence entre le travail en tant qu'il a pour résultat des valeurs d'usage et le travail en tant qu'il a pour résultat des valeurs d'échange.
    Pour mesurer les valeurs d'échange des marchandises au temps de travail contenu en elles, il faut que les différents travaux eux-mêmes soient réduits à du travail indifférencié, uniforme, simple, en bref à du travail qui est qualitativement le même et ne se différencie que quantitativement.
    Cette réduction apparaît comme une abstraction, mais c'est une abstraction à laquelle on procède quotidiennement dans le processus social de production. [...] Le travail ainsi mesuré par le temps n'apparaît pas en effet comme le travail de différents sujets ; ce sont les différents individus qui travaillent qui apparaissent au contraire comme de simples organes du travail. Ou encore le travail tel qu'il se présente dans la valeur d'échange pourrait être exprimé ainsi, travail universellement humain. Cette abstraction du travail universellement humain existe dans le travail moyen que peut accomplir tout individu moyen d'une société donnée, c'est-à-dire une dépense productive déterminée de muscles, de nerfs, de cerveau, etc., humains. C'est du travail simple, auquel peut être dressé tout individu moyen et qu'il lui faut accomplir sous une forme ou sous une autre. Le caractère de ce travail moyen diffère lui-même selon les différents pays et les différents époques de la civilisation mais apparaît donné dans telle ou telle société. Le travail simple constitue la masse de loin la plus grande de tout le travail de la société civile bourgeoise, comme on peut s'en convaincre grâce à n'importe quelle statistique. Que A produise du fer pendant 6 heures et de la laine pendant 6 heures pendant que B produit également du fer pendant 6 heures et de la laine pendant 6 heures, ou que A produise du fer pendant 12 heures pendant que B produit de la laine pendant 12 heures, cela apparaît de toute évidence comme une simple différence dans l'emploi du même temps de travail. Mais qu'en est-il du travail complexe, qui s'élève au-dessus du niveau moyen en tant qu'il est un travail plus vivace et le poids spécifique est plus grand ? Ce type de travail se dissout en un assemblage de travaux simples, en du travail simple élevé à la puissance supérieure, un jour de travail complexe étant par exemple égal à trois jours de travail simple. Le moment n'est pas encore venu d'étudier les lois qui régissent cette réduction. Il est clair cependant que cette réduction a lieu ; car, en tant que valeur d'échange, le produit du travail complexe est, dans des proportions déterminées, un équivalent du produit du travail moyen simple, et donc posé identique à un quantum déterminé de ce travail simple
    ." (p.71-75)
    -Karl Marx, Contribution à la critique de l'économie politique. Introduction aux Grundrisse dite "de 1857", trad. Guillaume Fondu et Jean Quétier, Éditions sociales, GEME, 2014 (1859 pour la première édition allemande), 280 pages.


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    Message par Johnathan R. Razorback Dim 29 Oct - 20:45



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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 18 Nov - 21:11



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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 20 Fév - 15:13

    « Pour l'ouvrier, la séparation du capital, de la rente foncière et du travail est mortelle. »
    « L'économiste nous dit que tout s'achète avec du travail et que le capital n'est que du travail accumulé. Mais il nous dit en même temps que l'ouvrier, loin de pouvoir tout acheter, est obligé de se vendre lui-même et de vendre sa qualité d'homme. »
    « Le capital est donc le pouvoir de gouverner le travail et ses produits. Le capitaliste pos­sède ce pouvoir, non pas en raison de ses qualités personnelles ou humaines, mais dans la mesure où il est propriétaire du capital. »
    « La concurrence entre les capitaux augmente l'accumulation des capitaux. L'accumulation qui, sous le régime de la propriété privée, est concentration du capital en peu de mains, est, d'une manière générale, une conséquence nécessaire, si les capitaux sont abandonnés à leur cours naturel, et c'est seulement la concurrence qui ouvre vraiment la voie à cette destination naturelle du capital. »
    « Le grand capitaliste achète toujours meilleur marché que le petit, puisqu'il achète par quantités plus grandes. Il peut donc sans dommage vendre meilleur marché. »
    « Dans cette concurrence, la baisse générale de la qualité des marchandises, la falsification, la contrefaçon, l'empoisonnement général tel qu'on le voit dans les grandes villes, sont alors les conséquences nécessaires. »
    « Partout, en économie, nous trouvons l'opposition ouverte des intérêts, la lutte, la guerre, reconnues comme le fondement de l'organisation sociale. »
    « Le résultat nécessaire de la concurrence est l'accumulation du capital en un petit nombre de mains, donc la restauration encore plus redoutable du monopole. »
    « L'aliénation de l'ouvrier dans son objet s'exprime selon les lois de l'économie de la façon suivante : plus l'ouvrier produit, moins il a à consommer; plus il crée de valeurs, plus il se déprécie et voit diminuer sa dignité; plus son produit a de forme, plus l'ouvrier est difforme; plus son objet est civilisé, plus l'ouvrier est barbare; plus le travail est puissant, plus l'ouvrier est impuissant; plus le travail s'est rempli d'esprit, plus l'ouvrier a été privé d'esprit et est devenu esclave de la nature.)
    L'économie politique cache l'aliénation dans l'essence du travail par le fait qu'elle ne considère pas le rapport direct entre l'ouvrier (le travail) et la production. Certes, le travail produit des merveilles pour les riches, mais il produit le dénuement pour l'ouvrier. Il produit des palais, mais des tanières pour l'ouvrier. Il produit la beauté, mais l'étiolement pour l'ouvrier. Il remplace le travail par des machines, mais il rejette une partie des ouvriers dans un travail barbare et fait de l'autre partie des machines. Il produit l'esprit, mais il produit l'imbécillité, le crétinisme pour l'ouvrier. »
    « Nous n'avons considéré jusqu'ici l'aliénation, le dessaisissement de l'ouvrier que sous un seul aspect, celui de son rapport aux produits de son travail. Mais l'aliénation n'apparaît pas seulement dans le résultat, mais dans l'acte de la production, à l'intérieur de l'activité productive elle-même. Comment l'ouvrier pourrait-il affronter en étranger le produit de son activité, si, dans l'acte de la production même, il ne devenait pas étranger à lui-même : le produit n'est, en fait, que le résumé de l'activité, de la production. Si donc le produit du travail est l'aliéna­tion, la production elle-même doit être l'aliénation en acte, l'aliénation de l'activité, l'activité de l'aliénation. L'aliénation de l'objet du travail n'est que le résumé de l'aliénation, du dessaisissement, dans l'activité du travail elle-même.
    Or, en quoi consiste l'aliénation du travail ?
    D'abord, dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, celui-ci ne s'affirme pas mais se nie, ne se sent pas à l'aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l'ouvrier n'a le sentiment d'être auprès de lui-même qu'en dehors du travail et, dans le travail, il se sent en dehors de soi. Il est comme chez lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas chez lui. Son travail n'est donc pas volontaire, mais contraint, c'est du travail forcé. Il n'est donc pas la satis­faction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extérieur, le travail dans lequel l'homme s'aliène, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin, le caractère extérieur à l'ouvrier du travail apparaît dans le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne lui appartient pas, que dans le travail l'ouvrier ne s'appartient pas lui-même, mais appartient à un autre. De même que, dans la religion, l'activité propre de l'imagination humaine, du cerveau humain et du cœur humain, agit sur l'individu indépen­dam­ment de lui, c'est-à-dire comme une activité étrangère divine ou diabolique, de même l'acti­vité de l'ouvrier n'est pas son activité propre. Elle appartient à un autre, elle est la perte de soi-même. »
    « L'homme vit de la nature signifie : la nature est son corps avec lequel il doit maintenir un processus constant pour ne pas mourir. Dire que la vie physique et intellectuelle de l'homme est indissolublement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissolublement liée avec elle-même, car l'homme est une partie de la nature. »
    « L’homme produit même libéré du besoin physique et ne produit vraiment que lorsqu'il en est libéré. […] il se contemple donc lui-même dans un monde qu'il a créé. »
    « Une conséquence immédiate du fait que l'homme est rendu étranger au produit de son travail, à son activité vitale, à son être générique, est celle-ci : l'homme est rendu étranger à l'homme. Lorsque l'homme est en face de lui-même, c'est l'autre qui lui fait face. Ce qui est vrai du rapport de l'homme à son travail, au produit de son travail et à lui-même, est vrai du rapport de l'homme à l'autre ainsi qu'au travail et à l'objet du travail de l'autre. »
    « L'être étranger auquel appartient le travail et le produit du travail, au service duquel se trouve le travail et à la jouissance duquel sert le produit du travail, ne peut être que l'homme lui-même.
    Si le produit du travail n'appartient pas à l'ouvrier, s'il est une puissance étrangère en face de lui, cela n'est possible que parce qu'il appartient à un autre homme en dehors de l'ouvrier. Si son activité lui est un tourment, elle doit être la jouissance d'un autre et la joie de vivre pour un autre. Ce ne sont pas les dieux, ce n'est pas la nature, qui peuvent être cette puissance étrangère sur l'homme, c'est seulement l'homme lui-même. »
    « Par le travail aliéné, l'homme n'engendre donc pas seulement son rapport avec l'objet et l'acte de production en tant que puissances étrangères et qui lui sont hostiles ; il engendre aussi le rapport dans lequel d'autres hommes se trouvent à l'égard de sa production et de son produit et le rapport dans lequel il se trouve avec ces autres hommes. »
    « Un relèvement du salaire par la force (abstraction faite de toutes les autres difficultés, abstraction faite de ce que, étant une anomalie, il ne pourrait être également maintenu que par la force) ne serait donc rien d'autre qu'une meilleure rétribution des esclaves et n'aurait conquis ni pour l'ouvrier ni pour le travail leur destination et leur dignité humaines.
    L'égalité du salaire elle-même, telle que la revendique Proudhon, ne fait que transformer le rapport de l'ouvrier actuel à son travail en le rapport de tous les hommes au travail. La société est alors conçue comme un capitaliste abstrait. »
    « Le salaire est une conséquence directe du travail aliéné et le travail aliéné est la cause directe de la propriété privée. En conséquence la disparition d'un des termes entraîne aussi celle de l'autre. »
    « Tout l'asservissement de l'homme est impliqué dans le rapport de l'ouvrier à la production et que tous les rapports de servitude ne sont que des variantes et des conséquences de ce rapport. »
    « Lorsqu’on parle de la propriété privée, on pense avoir affaire à une chose extérieure à l'homme. Et lorsqu'on parle du travail, on a directement affaire à l'homme lui-même. Cette nouvelle façon de poser la question implique déjà sa solution. »
    « Il convient d'abord de remarquer que ce qui apparaît chez l'ouvrier comme activité de dessaisissement, d'aliénation, apparaît chez le non-ouvrier comme état de dessaisissement, d'aliénation. »
    « Note 119 : L'ouvrier, le producteur, s'aliène par son activité sa nature d'homme qui lui devient étrangère. Le non-ouvrier par contre, le capitaliste, qui ne travaille, ne produit pas, est de ce fait même étranger à la nature de l'homme qui est précisément de produire. »
    « En la personne de l'ouvrier se réalise donc subjectivement le fait que le capital est l'homme qui s'est complètement perdu lui-même, comme dans le capital se réalise objectivement le fait que le travail est l'homme qui s'est complètement perdu lui-même. Mais l'ouvrier a le malheur d'être un capital vivant, qui a donc des besoins, et qui, à chaque instant où il ne travaille pas, perd ses intérêts et de ce fait son existence. En tant que capital, la valeur de l'ouvrier monte selon l'offre et la demande et même physiquement on a connu son existence, sa vie, et on la connaît comme une offre de marchandise analogue à celle de toute autre marchandise. L'ouvrier produit le capital, le capital le produit ; il se produit donc lui-même, et l'homme, en, tant qu'ouvrier, en tant que marchandise, est le produit de l'ensemble du mouvement. »
    « L'ouvrier n'existe en tant qu'ouvrier que dès qu'il existe pour soi en tant que capital et il n'existe en tant que capital que dès qu'un capital existe pour lui. L'existence du capital est son existence, sa vie, et celui-ci détermine le contenu de sa vie d'une manière qui lui est indifférente. L'éco­no­mie politique ne connaît donc pas l'ouvrier non-occupé, l'homme du travail, dans la mesure où il se trouve en dehors de cette sphère des rapports de travail. Le coquin, l'escroc, le mendiant, le travailleur qui chôme, qui meurt de faim, qui est misérable et criminel, sont des figu­res qui n'existent pas pour elle, mais seulement pour d'autres yeux, pour ceux du médecin, du juge, du fossoyeur et du prévôt des mendiants, etc. ; ils sont des fantômes hors de son domaine. Les besoins de l'ouvrier ne sont donc pour elle que le besoin de l'entretenir pendant le travail, et de l'entretenir seulement de façon à empêcher que la race des ouvriers ne s'éteigne. Le salaire a donc tout à fait la même signification que l'entretien, le maintien en ordre de marche de tout autre instrument productif, que la consommation du capital en général, dont celui-ci a besoin pour se reproduire avec intérêts, que l'huile que l'on met sur les rouages pour les maintenir en mouvement. Le salaire fait donc partie des frais nécessaires du capital et du capitaliste et ne doit pas dépasser les limites de cette nécessité. »
    « Le propriétaire foncier met l'accent sur la noblesse de naissance de sa propriété, les souvenirs féodaux, les réminiscences, la poésie du souvenir, sa nature enthousiaste, son importance politique, etc., et, dans le langage de l'économie, cela s'ex­pri­­me ainsi : l'agriculture est seule productive. En même temps il décrit son adversaire com­­­me un coquin d'argent sans honneur, sans principes, sans poésie, sans substance, sans rien ; un rusé, faisant commerce de tout, dénigrant tout, trompant, avide et vénal ; un homme porté à la rébellion, qui n'a ni esprit ni cœur, qui est devenu étranger à la communauté et en fait trafic, un usurier, un entremetteur, un esclave, souple, habile à faire le beau, et à berner, un homme sec, qui est à l'origine de la concurrence et par suite du paupérisme et du crime, un homme qui provoque, nourrit et flatte la dissolution de tous les liens sociaux. »
    « La propriété mobilière de son côté montre les merveilles de l'industrie et du mouvement. Elle est l'enfant de l'époque moderne et sa fille légitime ; elle plaint son adversaire comme un esprit faible qui n'est pas éclairé sur sa propre nature (et c'est tout à fait juste), qui voudrait remplacer le capital moral et le travail libre par la violence brutale et immorale et le servage. Elle le décrit comme un Don Quichotte qui, sous l'apparence de la droiture, de l'honnêteté, de l'intérêt général, de la permanence, cache son impossibilité à se mouvoir, son désir cupide du plaisir, l'égocentrisme, l'intérêt particulier, la mauvaise intention. Elle déclare qu'il est un monopoliste rusé ; ses réminiscences, sa poésie, son enthousiasme elle les estompe sous une énumération historique et sarcastique de l'abjection, de la cruauté, de l'avilissement, de la prostitution, de l'infamie, de l'anarchie, de la révolte, dont les châteaux romantiques étaient les officines. »
    « La propriété mobilière aurait donné aux peuples la liberté politique, délié les liens de la société civile, réuni les mondes entre eux, créé le commerce ami de l'homme, la morale pure, la culture pleine d'agrément; au lieu de ses besoins grossiers, elle aurait donné au peuple des besoins civilisés et les moyens de les satisfaire, tandis que le propriétaire foncier - cet accapareur de blé, oisif et seulement gênant - hausserait les prix des moyens de subsistan­ce élémentaire du peuple, obligeant par là le capitaliste à élever le salaire sans pouvoir élever la puissance de production ; il mettrait ainsi obstacle au revenu annuel de la nation, à l'accumulation des capitaux, donc à la possibilité de procurer du travail au peuple et de la richesse au pays pour, en fin de compte, les supprimer complètement; il amènerait un déclin général et exploiterait en usurier tous les avantages de la civilisation moderne sans faire la moindre chose pour elle et même sans rien céder de ses préjugés féodaux. Enfin, - lui chez qui l'agriculture et la terre elle-même n'exis­tent que comme une source d'argent qu'il a reçue en cadeau, - il n'aurait qu'à regarder son fermier et il devrait dire s'il n'est pas un honnête coquin roué et plein d'imagination qui, dans son cœur et dans la réalité, appartient depuis longtemps à l'industrie libre et au commerce aimable, quoiqu'il y répugne tant et qu'il fasse grand état de souvenirs historiques et de fins morales ou politiques. Tout ce qu'il alléguerait réellement en sa faveur ne serait vrai que pour l'agriculteur (le capitaliste et les journaliers), dont l'ennemi serait bien plutôt le propriétaire foncier; il apporterait donc des preuves contre lui-même. Sans capital, la propriété foncière serait de la matière inerte et sans valeur. La victoire du capital, victoire digne de la civilisa­tion, serait précisément d'avoir, à la place de la chose morte, découvert et créé le travail humain comme source de la richesse. »
    « La propriété foncière, à la différence du capital, est la propriété privée, le capital entaché encore de préjugés locaux et politiques, le capital encore non-achevé qui ne s'est pas encore dégagé entièrement de son enchevêtrement avec le monde pour arriver à lui-même. Au cours de son développement universel, il doit arriver à son expression abstraite, c'est-à-dire pure. »
    « Le salaire est un sacrifice du capital. »
    «La religion, la famille, l'État, le droit, la morale, la science, l'art, etc., ne sont que des modes particuliers de la production et tombent sous sa loi générale. L'abolition positive de la propriété privée, l'appropriation de la vie humaine, signifie donc la suppression positive de toute aliénation, par conséquent le retour de l'homme hors de la religion, de la famille, de l'État, etc., à son existence humaine, c'est-à-dire sociale. L'aliénation religieuse en tant que telle ne se passe que dans le domaine de la conscience, du for intérieur de l'homme, mais l'aliénation économique est celle de la vie réelle - sa suppression embrasse donc l'un et l'autre aspect.»
    « Le communisme commence immédiatement (Owen) avec l'athéisme. »
    « Pour l'homme qui meurt de faim, la forme humaine de l'aliment n'existe pas, mais seulement son existence abstraite en tant qu'aliment; il pourrait tout aussi bien se trouver sous sa forme la plus grossière et on ne peut dire en quoi cette activité nutritive se distinguerait de l'activité nutritive animale. L'homme qui est dans le souci et le besoin n'a pas de sens pour le plus beau spectacle ; celui qui fait commerce de minéraux ne voit que la valeur mercantile, mais non la beauté ou la nature propre du minéral ; il n'a pas le sens minéralogique. Donc l'objectivation de l'essence humaine, tant au point de vue théorique que pratique, est nécessaire aussi bien pour rendre humain le sens de l'homme que pour créer le sens humain qui correspond à toute la richesse de l'essence de l'homme et de la nature. […]
    On voit comment le subjectivisme et l'objectivisme, le spiritualisme et le matérialisme, l'activité et la passivité ne perdent leur opposition, et par suite leur existence en tant que contraires de ce genre, que dans l'état de société.
    On voit comment la solution des oppositions théoriques elles-mêmes n'est possible que d'une manière pratique, par l'énergie pratique des hommes, et que leur solution n'est donc aucunement la tâche de la seule connaissance, mais une tâche vitale réelle que la philosophie n'a pu résoudre parce qu'elle l'a précisément conçue comme une tâche seulement théorique... »
    « Avec la masse des objets augmente donc l'empire des êtres étrangers auquel l'homme est soumis et tout produit nouveau renforce encore la tromperie réciproque et le pillage mutuel. L'homme devient d'autant plus pauvre en tant qu'homme, il a d'autant plus besoin d'argent pour se rendre maître de l'être hostile, et la puissance de son argent tombe exactement en raison inverse du volume de la production, c'est-à-dire que son indigence augmente à mesure que croît la puissance de l'argent. - Le besoin d'argent est donc le vrai besoin produit par l'économie politique et l'unique besoin qu'elle produit. »
    « Même le besoin de grand air cesse d'être un besoin pour l'ouvrier; l'homme retourne à sa tanière, mais elle est maintenant empestée par le souffle pestilentiel et méphitique de la civilisation et il ne l'habite plus que d'une façon précaire, comme une puissance étrangère qui peut chaque jour se dérober à lui, dont il peut chaque jour être expulsé s'il ne paie pas. Cette maison de mort, il faut qu'il la paie. »
    « L'économie politique, cette science de la richesse, est donc en même temps la science du renoncement, des privations, de l'épargne, et elle en arrive réellement à épargner à l'homme même le besoin d'air pur ou de mouvement physique. Cette science de la merveilleuse industrie est aussi la science de l'ascétisme et son véritable idéal est l'avare ascétique, mais usurier, et l'esclave ascétique, mais producteur. Son idéal moral est l'ouvrier qui porte à la Caisse d'Épargne une partie de son salaire et, pour cette lubie favorite qui est la sienne, elle a même trouvé un art servile. On a porté cela avec beaucoup de sentiment au théâtre. Elle est donc - malgré son aspect profane et voluptueux - une science morale réelle, la plus morale des sciences. Le renoncement à soi-même, le renoncement à la vie et à tous les besoins humains est sa thèse principale. Moins tu manges, tu bois, tu achètes des livres, moins tu vas au théâtre, au bal, au cabaret, moins tu penses, tu aimes, tu fais de la théorie, moins tu chantes, tu parles, tu fais de l'escrime, etc., plus tu épargnes, plus tu augmentes ton trésor que ne mangeront ni les mites ni la poussière, ton capital. Moins tu es, moins tu manifestes ta vie, plus tu possèdes, plus ta vie aliénée grandit, plus tu accumules de ton être aliéné. Tout ce que l'économiste te prend de vie et d'humanité, il te le remplace en argent et en richesse et tout ce que tu ne peux pas, ton argent le peut : il peut manger, boire, aller au bal, au théâtre ; il connaît l'art, l'érudition, les curiosités historiques, la puis­san­ce politique; il peut voyager ; il peut t'attribuer tout cela ; il peut ache­ter tout cela ; il est la vraie capacité. Mais lui qui est tout cela, il n'a d'autre possibilité que de se créer lui-même, de s'acheter lui-même, car tout le reste est son valet et si je possède l'homme, je possède aussi le valet et je n'ai pas besoin de son valet. Toutes les passions et toute activité doivent donc sombrer dans la soif de richesse. L'ouvrier doit avoir juste assez pour vouloir vivre et ne doit vouloir vivre que pour posséder. »
    « Ils [Say, Ricardo] oublient que sans consommation on ne produirait pas. »
    « Définition de la richesse inactive, dissipatrice adonnée seulement à la jouissance : d'une part, celui qui en jouit se conduit, certes, comme un individu seulement éphémère, se passant des lubies inconsistantes, et il considère également le travail d'esclave d'autrui, la sueur de sang de l'homme, comme la proie de son désir; c'est pourquoi il connaît l'homme lui-même, donc se connaît lui-même, comme un être sacrifié et nul (cependant son mépris des hommes apparaît comme superbe, comme gaspillage de tout ce qui peut prolonger cent vies humaines ou bien comme l'illusion infâme que sa prodigalité effrénée et sa consommation impétueuse et improductive conditionnent le travail et par suite la subsistance d'autrui) ; la réalisation des forces essentielles de l'homme, il ne la connaît que comme la réalisation de sa monstruosité, de son caprice et de ses lubies arbitraires et bizarres. »
    « Ce qui grâce à l'argent est pour moi, ce que je peux payer, c'est-à-dire ce que l'argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le possesseur de l'argent. Ma force est tout aussi grande qu'est la force de l'argent. Les qualités de l'argent sont mes qualités et mes forces essentielles - à moi son possesseur. Ce que je suis et ce que je peux n'est donc nullement déterminé par mon individualité. Je suis laid, mais je peux m'acheter la plus belle femme. Donc je ne suis pas laid, car l'effet de la laideur, sa force repoussante, est anéanti par l'argent. De par mon individualité, je suis perclus, mais l'argent me procure vingt-quatre pattes ; je ne suis donc pas perclus; je suis un homme mauvais, malhonnête, sans conscience, sans esprit, mais l'argent est vénéré, donc aussi son possesseur, l'argent est le bien suprême, donc son possesseur est bon, l'argent m'évite en outre la peine d'être malhonnête ; on me présume donc honnête; je suis sans esprit, mais l'argent est l'esprit réel de toutes choses, comment son possesseur pourrait-il ne pas avoir d'esprit ? De plus, il peut acheter les gens spirituels et celui qui possède la puissance sur les gens d'esprit n'est-il pas plus spirituel que l'homme d'esprit? Moi qui par l'argent peux tout ce à quoi aspire un cœur humain, est-ce que je ne possède pas tous les pouvoirs humaine ? Donc mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ? »
    « La demande existe bien aussi pour celui qui n'a pas d'argent, mais sa demande est un pur être de la représentation qui sur moi, sur un tiers, sur les autres n'a pas d'effet, n'a pas d'existence, donc reste pour moi-même irréel, sans objet. La différence entre la demande effective, basée sur l'argent, et la demande sans effet, basée sur mon besoin, ma passion, mon désir, etc., est la différence entre l’Être et la Pensée, entre la simple représentation existant en moi et la représentation telle qu'elle est pour moi en dehors de moi en tant qu'objet réel. »
    « [L’argent] est donc la perversion générale des individualités, qui les change en leur contraire et leur donne des qualités qui contredisent leurs qualités propres. […] il est la fraternisation des impossibilités. »
    « Si tu supposes l'homme en tant qu'homme et son rapport au monde comme un rapport humain, tu ne peux échanger que l'amour contre l'amour, la confiance contre la confiance, etc. Si tu veux jouir de l'art, il faut que tu sois un homme ayant une culture artistique; si tu veux exercer de l'influence sur d'autres hommes, il faut que tu sois un homme qui ait une action réellement animatrice et stimulante sur les autres hommes. Chacun de tes rapports à l'homme - et à la nature -doit être une manifestation déterminée, répondant à l'objet de ta volonté, de ta vie individuelle réelle. Si tu aimes sans provoquer d'amour réciproque, c'est-à-dire si ton amour, en tant qu'amour, ne provoque pas l'amour réciproque, si par ta manifestation vitale en tant qu'homme aimant tu ne te transformes pas en homme aimé, ton amour est impuissant et c'est un malheur. »
    -Karl Marx, Manuscrits de 1844.
    « La Commune, notamment, a démontré que la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l'Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte. »
    « L'ouvrier devient d'autant plus pauvre qu'il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume. L'ouvrier devient une marchandise d'autant plus vile qu'il crée plus de marchandises. La dépréciation du monde des hommes augmente en raison directe de la mise en valeur du monde des choses. Le travail ne produit pas que des marchandises; il se produit lui-même et produit l'ouvrier en tant que marchandise, et cela dans la mesure où il produit des marchandises en général.
    Ce fait n'exprime rien d'autre que ceci : l'objet que le travail produit, son produit, l'affronte comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s'est fixé, concrétisé dans un objet, il est l'objectivation du travail. L'actualisation du travail est son objectivation. Au stade de l'économie, cette actualisation du travail apparaît comme la perte pour l'ouvrier de sa réalité, l'objectivation comme la perte de l'objet ou l'asservissement à celui-ci, l'appropriation comme l'aliénation, le dessaisissement.
    La réalisation du travail se révèle être à tel point une perte de réalité que l'ouvrier perd sa réalité jusqu'à en mourir de faim. L'objectivation se révèle à tel point être la perte de l'objet, que l'ouvrier est spolié non seulement des objets les plus nécessaires à la vie, mais encore des objets du travail. Oui, le travail lui-même devient un objet dont il ne peut s'emparer qu'en faisant le plus grand effort et avec les interruptions les plus irrégulières. L'appropriation de l'objet se révèle à tel point être une aliénation que plus l'ouvrier produit d'objets, moins il peut posséder et plus il tombe sous la domination de son produit, le capital.
    Toutes ces conséquences se trouvent dans cette détermination l'ouvrier est à l'égard du produit de son travail dam le même rapport qu'à l'égard d'un objet étranger. Car ceci est évident par hypothèse : plus l'ouvrier s'extériorise dans son travail, plus le monde étranger, objectif, qu'il crée en face de lui, devient puissant, plus il s'appauvrit lui-même et plus son monde intérieur devient pauvre, moins il possède en propre. Il en va de même dans la religion. Plus l'homme met de choses en Dieu, moins il en garde en lui-même. L'ouvrier met sa vie dans l'objet. Mais alors celle-ci ne lui appartient plus, elle appartient à l'objet. Donc plus cette activité est grande, plus l'ouvrier est sans objet. Il n'est pas ce qu'est le produit de son travail. Donc plus ce produit est grand, moins il est lui-même. L'aliénation de l'ouvrier dans son produit signifie non seulement que son travail devient un objet, une existence extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui, indépendamment de lui, étranger à lui, et devient une puissance autonome vis-à-vis de lui, que la vie qu'il a prêtée à l'objet s'oppose à lui, hostile et étrangère. »
    -Karl Marx, préface de 1872 au Manifeste Communiste.




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Dim 3 Oct - 16:35

    https://fr.book4you.org/book/5872000/476b93

    "Les écrits de Marx jusqu'à la veille des révolutions de 1848 – il a alors trente ans – ressortissent clairement à la philosophie, de sa Critique du droit politique hégélien (1843) aux Manuscrits de 1844, à La Sainte Famille (1844-1845, en collaboration avec Friedrich Engels), aux Thèses sur Feuerbach et à L'Idéologie allemande (1845-1846, cette dernière œuvre en collaboration aussi avec Engels). On dira donc qu'il y a en tout cas chez Marx une œuvre philosophique de jeunesse dont l'importance n'est plus à souligner.
    Mais L'Idéologie allemande a tout l'air d'y mettre un point final."

    "Althusser n'a jamais lu les Grundrisse – il me l'a confirmé lorsque je lui apportai en 1984 les deux volumes de la traduction de J.-P. Lefebvre –, mais son jugement cité plus haut selon lequel « Marx ne se libéra jamais complètement de Hegel » dit assez qu'il n'aurait pas contredit à ce qui est devenu en la matière l'orthodoxie universitaire."

    "Dans un manuel longtemps utilisé, La Logique et son histoire d'Aristote à Russell, de Robert Blanché (Colin, 1970), sur trois cent cinquante pages, dix-sept lignes sont réservées à Hegel, pour dire que « les historiens de la logique, lorsqu'ils ne préfèrent pas la passer complètement sous silence, jugent sévèrement cette déviation de la logique » (p. 248) – et cela alors qu'à prendre le mot « logique » au seul sens décrété licite par l'auteur, La Science de la logique hégélienne consacre deux cents pages au concept, au jugement et au syllogisme. Pareille censure, toujours pratiquée, oblige à s'interroger sur le sens du monopole de légitimité que s'est arrogé la logique formelle."

    "Hegel n'accorde d'histoire qu'à l'Esprit et la refuse à la Nature."
    -Avant propos de Lucien Sève à Karl Marx, Écrits philosophiques, Flammarion, 2011, traduction de Lucien Sève.

    -Karl Marx, Écrits philosophiques, Flammarion, 2011, traduction de Lucien Sève,

    https://fr.book4you.org/book/2381250/83ab40

    "
    -Karl Marx & Friedrich Engels, Correspondance, tome 1: 1835-1848,

    https://fr.book4you.org/book/2485160/d68a56

    "
    -Karl Marx & Friedrich Engels, Correspondance, tome 11: 1870-1871




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    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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