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    Philippe Fabry, La déclaration des droits de l’homme de 1789, chef-d’œuvre libéral

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Philippe Fabry, La déclaration des droits de l’homme de 1789, chef-d’œuvre libéral Empty Philippe Fabry, La déclaration des droits de l’homme de 1789, chef-d’œuvre libéral

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 16 Avr - 8:35

    http://www.contrepoints.org/2014/12/03/190166-la-declaration-des-droits-de-lhomme-de-1789-chef-doeuvre-liberal


    En France, de manière très paradoxale, c’est probablement chez les libéraux que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 a la plus mauvaise réputation. Damien Theillier, à la suite de Jacques de Guenin, résumait tantôt quelques griefs dans un article au sein de ces colonnes. D’autres voient carrément dans le texte la source de tous les collectivismes pseudo-démocratiques.
    Globalement, les critiques se résument à un point fondamental : la DDHC donnerait un trop grand rôle à la Loi, « expression de la volonté générale ». Elle mettrait donc les droits naturels, spécialement la liberté et la propriété, à la merci de la majorité démocratique ; la DDHC non seulement ne garantirait donc aucun droit, mais serait même nuisible, un danger pour l’État de droit et la liberté.
    La conséquence naturelle et évidente de ce regard porté par les libéraux sur la DDHC est qu’ils évitent soigneusement d’y avoir recours dans le débat public. Or en France cette déclaration jouit toujours d’un prestige culturel important, et ses interprétations tordues et contraires au droit sont d’autant plus favorisées que les libéraux ont renoncé, pour les raisons ci-dessus évoquées, à défendre une lecture authentiquement libérale qui leur semble impossible. Ce faisant, ils se privent d’une arme politique de premier ordre pour la promotion du libéralisme, tout en permettant de triompher à des interprétations complètement absurdes de ce texte qui est, nous l’affirmons, un chef-d’œuvre libéral.
    La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est principalement abordée sous un angle philosophique ou historique. Elle est pourtant un texte dont le Droit est l’objet. Il est excessivement rare, au regard de la célébrité du texte et de son caractère juridique, de trouver le texte abordé sous l’angle du Droit. Or l’Assemblée Nationale qui rédigea ce texte était en grande partie composée sinon de professionnels du droit, du moins d’individus qui avaient fait des études de droit. La Déclaration de 1789 est donc largement l’œuvre de juristes, et l’on prend le risque de nombreux contresens à ne pas la lire suivant les méthodes normales d’interprétation des textes juridiques, c’est-à-dire d’une part en lisant le texte comme un tout, spécifiquement en subordonnant la lecture des articles à tout ce qui les précède, et qui leur impose un sens (et nous allons voir qu’en procédant ainsi, l’idée que la loi se définit comme « l’expression de la volonté générale » est un contresens complet) ; et d’autre part en prenant la peine de dégager les définitions des termes telles qu’elles se dégagent du texte lui-même – puisqu’il se veut un texte de principe, non subordonné à un autre.
    Lire le texte comme un tout
    Le raisonnement suivi par les adversaires libéraux de la Déclaration est le suivant :
    Majeure : Une bonne déclaration de défense des droits naturels ne peut être contraire au Droit naturel.
    Mineure : Je connais une interprétation de tel ou tel article de la déclaration 1789 qui est contraire au droit naturel.
    Conclusion erronée : la DDHC est contraire au Droit naturel elle est donc une mauvaise déclaration.
    Alors qu’un raisonnement (juridique) rigoureux conduit nécessairement à la conclusion suivante :
    « L’interprétation de la DDHC 1789 qui est contraire au Droit naturel est une mauvaise interprétation ».
    La raison qui conduit à privilégier cette conclusion plutôt que tout autre se trouve dans le préambule même de la déclaration « Les Représentants du Peuple Français (…) ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme ». La déclaration, de par l’intention même des rédacteurs, ne peut produire de Droit contraire au Droit naturel.
    Cette volonté se retrouve dans le corps du texte qui, contrairement aux apparences et à ce que l’on dit souvent, porte une très forte cohérence interne. Un premier regard laisse souvent penser qu’il s’agit seulement d’une suite d’articles posant autant d’axiomes politiques dont on espèrerait, très naïvement, qu’en les appliquant tous en même temps ils aboutiraient à un beau résultat. C’est tout de même faire insulte aux députés du Tiers État de 1789 qui étaient tous des gens instruits, et intellectuellement bien formés, et pour une bonne partie rompus à la rédaction d’actes juridiques complexes tels que les contrats.
    En réalité la DDHC n’est pas une simple liste. Elle a un plan qui est le suivant :
    – Les articles 1 à 3 définissent les droits naturels, la citoyenneté et la société politique
    L’article 1 définit la citoyenneté
    L’article 2 définit la société politique, et les droits naturels
    L’article 3 les articule
    – Les articles 4 à 6 définissent l’instrument de l’articulation des droits individuels au sein de la société politique, qui est la Loi
    L’article 4 définit la fonction de la Loi
    L’article 5 énonce les limites du champ d’action la Loi
    L’article 6 expose les règles d’adoption de la Loi
    – Les articles 7 à 9 énoncent la force obligatoire de la Loi pénale et ses limites
    – Les articles 10 et 11 énoncent les libertés « mineures » s’exerçant sur l’espace public
    – Les articles 12 à 16 prévoient la mise sur pied de la force publique nécessaire à la mise en œuvre de la Loi
    L’article 12 définit la force publique et son objectif
    L’article 13 prévoit son financement
    L’article 14 prévoit le contrôle de ses ressources
    L’article 15 prévoit le contrôle de son exercice
    L’article 16 précise la nécessité d’organiser le contrôle
    – L’article 17 réaffirme l’importance du droit de propriété en conditionnant l’expropriation par son dédommagement.
    On voit donc bien que le propos est tout sauf désordonné. Les idées découlent les unes des autres et sont hiérarchisées. En particulier, il faut noter que :
    – les Droits naturels sont définis dans l’article qui définit la Société pour la raison logique qu’hors de la société, il n’y a pas de droit. La liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ne se considèrent qu’en présence d’une pluralité de personnes. Robinson Crusoé n’est pas propriétaire de son île, puisque la propriété est une borne qui distingue le « tien » du « mien » et du « sien ». Le droit est lié à la société comme le dit l’adage ubi societas, ibi ius.
    – La Loi ne se définit pas comme « l’expression de la volonté générale », contrairement à ce que l’on dit souvent. Il ne s’agit là que du troisième article relatif à la Loi, qui vient uniquement énoncer ses modalités d’adoption ; il ne s’agit que d’une qualité formelle, quand les qualités substantielles en sont énoncées par les deux articles précédents (cf. plus bas la définition synthétique).
    – La force publique n’a d’autre fonction que de faire respecter la Loi, c’est-à-dire de faire respecter la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression.
    – Les libertés d’opinion, d’expression et de presse sont exprimées à part non, comme on le dit souvent, comme une sorte de liste complémentaire des droits individuels, mais au contraire parce que les rédacteurs de la DDHC ont eu l’intelligence de comprendre qu’elles ne sont pas des libertés de même nature. Deux siècles avant Hans-Hermann Hoppe, les révolutionnaires français comprenaient que ces deux libertés publiques étaient très différentes des libertés fondamentales de l’article 2, et astreintes au respect de ces libertés supérieures. Croire que ces libertés publiques sont spécifiquement défendues et avec une préférence sur le droit de propriété est un contresens majeur. L’idée selon laquelle un propriétaire peut refuser toute liberté d’expression sur sa propriété est en réalité défendue par la DDHC, pour laquelle les libertés d’expression et d’opinion sont des libertés mineures et secondaires, par opposition aux libertés majeures et primordiales que sont la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression.
    Tous ces points font généralement l’objet d’absolus contresens, et ce en raison d’une lecture faussée du texte. La DDHC, insistons sur ce point, est un texte juridique. On ne doit pas la lire comme le Coran dont les derniers versets abrogent les plus anciens. On doit lire tout nouvel article comme subordonné aux précédents.
    Et pour bien comprendre l’esprit de la DDHC, il est utile de comprendre, en suivant cette lecture hiérarchique des articles, le sens exact de chaque mot employé.
    Les définitions de la DDHC : Société, Droits naturels, Loi, Citoyen, Constitution
    La DDHC ne saurait se concevoir autrement que comme ce que l’on peut appeler un « texte premier », un texte fondateur au sens strict du terme. En effet, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’est pas simplement inspirée des théories du contrat social, elle est le Contrat social rédigé par les révolutionnaires. À aucun moment il n’est question d’État dans la DDHC, seulement d’association politique et de société d’hommes libres. La DDHC, ce sont les statuts de cette association politique. En tant que telle, elle est un texte primordial, dont le sens des grands mots qu’il utilise : Société, Droits naturels, Loi, Citoyen, Constitution ne saurait être cherché ailleurs que dans le texte lui-même, qui les définit, leur donne un sens univoque. Et pour synthétiser ces définitions, il suffit de lire le texte.
    La Société et les Droits naturels
    Le premier de ces grands mots est le mot « Société ».
    Nombre de libéraux frémissent à la lecture de ce mot et de sa signification collectiviste. Le réflexe (salutaire) usuel est l’exclamation thatchérienne : « There’s no such thing as Society », la société n’existe pas. Néanmoins, aux termes de la Déclaration, la Société n’est pas une sorte d’entité floue. Elle est définie, dès l’article 2, comme une « association politique » dont le but est « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». La Société, dans la DDHC, doit donc se définir ainsi : « association politique ayant pour but la conservation de la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». C’est une définition extrêmement restrictive et qui, dès l’article 2, limite le rôle de toute structure politique : il s’agit d’une association d’autodéfense d’hommes libres, comme la concevait dans ses écrits Frédéric Bastiat. Aucune mission ne lui est donné au-delà, et tout le reste de la Déclaration doit être lu en mettant cette définition, et uniquement celle-ci, sous le mot « société ».
    Une remarque à ce propos : le grand public croit souvent que la Terreur a été commise par des gens qui respectaient la DDHC de 1789. C’est faux : après le tournant de 1792, la Commune insurrectionnelle de Paris et la confiscation de la Révolution par les montagnards, fut rédigée une autre Déclaration, celle du 24 juin 1793 (à lire ici). Cette deuxième déclaration est un monstre. Toute l’élégance de la première a disparu, et si certains articles sont conservés, leur ordre est chamboulé, brisant le plan, sa cohérence logique et sa signification ; et surtout des articles éminemment collectivistes sont ajoutés, comme l’article 21 : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler » et l’article 22 : « L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens. » Cette Déclaration perd toute la rigueur juridique de la première, en ne définissant pas ses termes : utilité publique, société y sont par conséquent des termes flous.
    Bien au contraire, les définitions de la DDHC de 1789, ciselées et précises, rendent parfaitement univoques ses énonciations. Ainsi, en définissant la « société » comme « association politique ayant pour but la conservation de la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression » une logique en cascade permet de comprendre que lorsque la Déclaration évoque « l’utilité commune » ou « l’avantage de tous », ces expressions signifient exclusivement « la conservation de la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». La Société politique, dans la Déclaration, est fondée sur, et a pour objectif unique de, protéger les droits naturels qui sont définis comme « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».
    En sont exclus ces droits potentiellement contradictoires que sont la liberté d’opinion et d’expression, relégués bien plus loin dans la DDHC, ainsi qu’on l’a noté, non par commodité mais de manière très signifiante, parce qu’ils ne sont pas des droits naturels. La DDHC porte donc l’idée d’Ayn Rand suivant laquelle il n’existe pas d’autre droit que le droit de propriété. Ce droit de propriété, décliné en sûreté et en résistance à l’oppression, implique bien sûr le droit d’être armé, ce qui ne faisait aucun doute pour les révolutionnaires, au point qu’ils estimaient que cela n’avait même pas à être précisé !
    Et il faut noter, sur ce point, que la DDHC est bien supérieure à la Déclaration des Droits américaine, dont le premier amendement porte sur la liberté d’expression, de culte et de presse, alors qu’en bonne philosophie libérale ces droits ne sont pas primordiaux, mais découlent de la propriété, ce que nos rédacteurs de 1789 avaient compris.
    La Loi
    L’autre grand mot qui donne des sueurs froides aux libéraux, c’est le mot « Loi », tant la pratique législative nous a habitués à l’idée que c’est souvent la loi qui opprime. En outre, les détracteurs libéraux de la DDHC se font de la Loi l’idée qu’elle serait « l’expression de la volonté générale », principe démocratique liberticide soumettant potentiellement l’individu à l’oppression de la majorité. Or ce n’est pas, mais pas du tout, ce que dit la DDHC.
    La Loi fait l’objet de trois articles : 4, 5 et 6. C’est l’article 6 qui énonce que « La Loi est l’expression de la volonté générale ». Mais ceci n’est pas une définition ; pour croire que c’en est une, il faut avoir sauté les deux précédents.
    Celui qui définit ce qu’est la Loi, c’est l’article 4. Il énonce : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. » Faut-il vraiment reformuler pour que les choses soient claires ? Faisons-le tout de même : La Loi est ce qui détermine les bornes à l’exercice des droits naturels et ces bornes sont ni plus ni moins que les droits naturels des autres. Ainsi avez-vous le droit de porter une arme et d’en faire ce que vous voulez, puisque c’est votre propriété, mais vous n’avez pas le droit de vous en servir pour tuer votre voisin, car cela va contre son droit de sûreté ; cela à condition bien sûr que votre voisin n’ait pas lui-même violé votre droit de propriété en vous volant votre bien. Lorsqu’il est dit que ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi, ce n’est pas un obstacle aux libres conventions, puisque les conventions sont un exercice du droit de propriété et de la liberté qui ne nuisent pas aux contractants.
    Cet article 4 est fondamental. Il définit l’unique objet de la Loi, qui est exclusivement la protection de la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. De ce point de vue, au sein de la société politique telle que définie plus haut, la Loi doit disposer le Droit objectif, c’est-à-dire les règles générales applicables à tous (exemple : Le meurtre commis avec préméditation constitue un assassinat. Il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité ; article 221-3 du Code pénal) permettant l’articulation juste et en toute égalité des droits subjectifs, c’est-à-dire des droits que les individus peuvent faire valoir aux autres membres de la société (exemple : Pierre a le droit de détenir une arme et de s’en servir, mais j’ai le droit de vivre en sûreté, de ne pas faire l’objet d’une tentative d’assassinat), que sont les droits naturels.
    Après cette définition de la Loi, l’article 5 vient immédiatement limiter son champ d’action : « La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » Là encore, il faut se souvenir de ce que signifie « société » et comprendre que la Loi n’a donc le droit de défendre que les actions nuisibles à la liberté, la propriété, la sûreté. Il n’est aucunement question d’organiser la société, de déshabiller Pierre pour habiller Paul : de telles prétentions légales sont rigoureusement écartées. Des commentateurs reprochent à la DDHC de 1789 de ne pas énoncer, comme l’United States Bill of Rights, « Le Congrès ne pourra faire aucune loi… ». Mais une bonne lecture de la DDHC rend une telle formule parfaitement inutile, puisque la définition même de la Loi telle que donnée par la Déclaration exclut tout empiètement sur les droits naturels, qu’il ne s’agit jamais – c’est exclu – de limiter en soi, mais d’articuler – et d’articuler dans l’égalité (cf. article 1), donc sans pouvoir privilégier l’un au détriment de l’autre. Certes, la Loi doit poser des bornes à l’exercice des droits naturels, mais il faut bien voir que de chaque côté de la borne de la Loi, il y a un droit naturel subjectif, celui de Pierre et celui de Paul, et que la Loi évite seulement que l’un n’empiète sur l’autre. La Loi n’est pas là pour instaurer un royaume de l’État entre les droits de Pierre et de Paul ; elle doit tracer une ligne, pas conquérir un espace. Bref ce que la Loi, au sens de la DDHC de 1789, est censée mettre en œuvre, c’est tout bonnement le principe de non-agression.
    Et nous en arrivons au fameux article 6 : « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Point de principe démocratique ici, point de possibilité pour le vote majoritaire d’écraser les individus : cet article est tout simplement une règle organique. La Loi a déjà été définie, on sait à quoi elle est exclusivement ordonnée et comment elle peut le faire, il n’est plus question de cela, mais seulement de préciser comment on adopte la Loi. Et l’on adopte un vieux principe : quod omnes tangit ab omnibus approbari debet, ce qui touche tous doit être approuvé par tous. Pas un seul instant il ne s’agit de pouvoir décider qui a droit à quoi : l’égalité est réaffirmée.
    Désigner cet article comme un danger démocratique menaçant la liberté, la propriété, droits affirmés dès l’article 2, est donc un non-sens. L’article 6 n’a absolument pas cette signification. Il ne l’a tellement pas que les vrais fous de la législation, les constructivistes jacobins, en avaient parfaitement conscience et, dans leur déclaration de 1793, ont remonté « la Loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale » dans un article 4 in limine, faisant ainsi de son mode d’adoption la définition-même de la Loi, ce qui n’était nullement le cas dans la DDHC de 1789.
    Le citoyen et la Constitution
    Terminons plus brièvement avec deux mots qui ont aussi leur importance.
    La Constitution est mentionnée dès le Préambule qui s’achève ainsi : « afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. » Ce terme de « Constitution » est quant à lui défini à l’article 16 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » Il faut donc définir la Constitution comme « la garantie des droits et la séparation des pouvoirs ».
    Le citoyen est quant à lui défini conjointement par les deux premiers articles : il s’agit d’un homme, libre et égal en droit avec les autres membres de la même société, c’est-à-dire association politique ayant pour but la conservation de ses droits.
    Notons, enfin, que dans la DDHC les termes de « corps social » (Préambule) et de « Nation » (article 3) doivent en fait être vus comme l’ensemble des citoyens, et donc se confondent avec l’idée définie plus haut de Société. Ainsi donc l’article 3, qui fait résider dans la Nation toute souveraineté, le fait-il essentiellement pour nier l’existence de toute autre autorité que celle de la libre association politique définie à l’article 2.
    En conclusion, il faut donc souligner la profonde cohérence de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, sa précision et sa rigueur intellectuelle. Osons le dire franchement : intellectuellement, elle est très supérieure aux déclarations anglo-américaines. D’abord, elle est un texte bien mieux ordonné, bien mieux ciselé : ses articles successifs ne sont pas une simple série, une liste, mais découlent les uns les autres, se hiérarchisent et se fournissent des définitions précises, comme un système d’équations mathématiques. Ensuite, elle ne donne pas plus qu’elles de pouvoir à l’État, contrairement à une idée venant d’une mauvaise lecture que de trop nombreux libéraux continuent de relayer.
    Enfin, la théorie libérale qu’elle porte est bien plus juste : elle place comme fondement de l’ordre social le droit de propriété et son respect, et relègue au second rang les libertés d’opinion et d’expression, comme il se doit en bonne logique libérale, quand la Déclaration des Droits américaine place ces libertés en tête. Des libéraux dénoncent souvent les articles 10 et 11 qui mettent ces libertés publiques à la merci de la Loi, oubliant en chemin que la Loi n’a d’autre but que de protéger la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression. La logique de la DDHC permet donc d’interdire (éventuellement) l’expression publique de certaines idées, mais ces idées sont exclusivement les idées… collectivistes et redistributrices, celles contraire aux droits naturels de l’article 2. La DDHC de 1789 est donc plus conforme à la pensée libertarienne d’un Hans-Hermann Hoppe que le Bill of Rights américain !
    Elle l’est d’autant plus que le Droit naturel, comme tout système juridique, est fondé sur des principes dont il découle entièrement, en une démarche logique que la structure de la DDHC restitue pleinement, quand les listes anglo-américaines excluent largement toute hiérarchie des concepts. La DDHC, en obéissant à cette logique, évite d’énumérer les droits et pose d’une manière dynamique les fondements d’un ordre vraiment libéral, en donnant non seulement quelques principes, mais leur sens d’interprétation. En choisissant de poser non seulement quelques points mais la logique-même du Droit naturel comme principe fondateur de la société politique, la déclaration française préserve du risque de voir une expression du droit naturel bafouée du seul fait qu’elle serait absente de la liste. Et elle s’immunise aussi contre l’objection de certains adversaires des armes aux États-Unis qui utilisent l’absence initiale de référence à l’esclavage, à la liberté naturelle dans la Déclaration américaine et la Constitution pour relativiser leur légitimité et fonder leur propre souhait de choisir les bons et les mauvais amendements.
    Le seul reproche que l’on peut vraiment faire à la DDHC, par rapport à ses « homologues » anglo-américaines, quoique qualitativement inférieures, c’est qu’elle est très « française » ; précise sur les termes, logique sur les idées, d’une rigueur toute juridique, et par conséquent un peu trop intellectuelle pour l’usage auquel elle est destinée. Mais cette forte cohérence interne est aussi sa grande force, si les libéraux se décident enfin à la lire correctement.
    La DDHC peut être, si les libéraux français font cet effort, une arme politique imparable. Les Français y sont sentimentalement attachés, et l’on aurait tout à gagner à leur montrer pourquoi il faut y être intellectuellement attaché, faisant ainsi rentrer les Français dans la logique du Droit naturel et d’un libéralisme très profond, très radical.
    La logique interne qui est la sienne empêche qu’elle soit conciliée avec d’autres textes, notamment le très marxiste préambule de 46, ce qui permettrait de comprendre que toute la jurisprudence du Conseil Constitutionnel est inepte, en ce qu’elle tente de raccommoder les deux. Les Français doivent comprendre qu’il doivent choisir entre les droits naturels et la déclaration de 1789 d’une part et les droits créances prévus par le préambule de 1946 auquel la constitution de la V° République donne, contre toute logique, valeur constitutionnelle équivalente.
    Les libéraux français peuvent être fiers de leurs aînés de 1789. Il serait temps qu’ils s’en rendent compte.

    -Philippe Fabry et Julien Lalanne, "La déclaration des droits de l’homme de 1789, chef-d’œuvre libéral", 3 décembre 2014: https://www.contrepoints.org/2014/12/03/190166-la-declaration-des-droits-de-lhomme-de-1789-chef-doeuvre-liberal



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    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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