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    Bernard Lemenicier, En quoi la discimination est-elle un mal ? (#inégalités salariales hommes/femmes)

    Johnathan R. Razorback
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    Bernard Lemenicier, En quoi la discimination est-elle un mal ? (#inégalités salariales hommes/femmes) Empty Bernard Lemenicier, En quoi la discimination est-elle un mal ? (#inégalités salariales hommes/femmes)

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 21 Mar - 21:01

    http://lemennicier.bwm-mediasoft.com/displayArticle.php?articleId=198

    "Pour éliminer les effets consécutifs à la localisation, la profession ou à l'emploi, prenons un homme et une femme occupant un poste identique dans une même entreprise. Dans un tel cas, on a éliminé, par hypothèse, les différences de salaires que l'on pourrait attribuer à la localisation de l'emploi ou au poste occupé. Les seules différences de salaires qui nous intéressent sont celles associées aux caractéristiques individuelles.

    Le salaire horaire est au mieux égal à la valeur du service rendu par l'homme ou la femme sur le marché, grâce, par exemple, à une heure de travail. C'est le prix du service multiplié par la productivité de cette heure de travail. Comme le prix du produit est le même, que l'on utilise un homme ou une femme, les différences individuelles de salaires viennent de la productivité de l'homme ou de la femme. Les différences de salaires seront alors expliquées d'abord par une différence de productivité. L'âge, l'expérience et le niveau d'éducation ou le talent sont des facteurs essentiels dans les différences de productivité. Il faut donc comparer ce qui est comparable, et maintenir constante la productivité de l'homme et de la femme. Il faut comparer des individus de même âge, de même niveau d'éducation, etc.

    Imaginons que l'homme et la femme aient le même âge, le même niveau d'éducation et la même expérience. Admettons aussi que l'on observe encore une différence de salaire. Cette différence peut-elle être imputée à une discrimination ?

    Non, pas encore. Il y a à cela une raison : embaucher quelqu'un présente des coûts fixes. Il faut prospecter et trouver la personne, l'embaucher et la former au savoir-faire propre à l'entreprise. Embaucher un homme ou une femme, c'est finalement un investissement pour l'employeur. Il sacrifie des ressources pour embaucher et former ses employés, dans l'espoir d'en tirer un bénéfice plus tard. Ce qui compte pour l'employeur, c'est la valeur capitalisée de la productivité de l'homme et de la femme et non leur productivité courante.

    Or, si l'employeur anticipe que la femme va interrompre sa carrière professionnelle pour élever ses enfants, l'investissement qu'il a fait dans la femme, comparativement à l'homme, risque de ne pas être récupéré ou de ne pas être rentable. Pour éviter ce risque, il rémunère la femme à un salaire moindre. Ou, plus précisément, pour être embauchée, la femme devra accepter un salaire inférieur.

    Les femmes, mariées qui élèvent des enfants, même si elles travaillent, ont une double charge. Elles sont plus souvent absentes. L'employeur prend en compte, de la même manière, ces pertes de productivité et se couvre aussi contre ce risque. Cela est tellement vrai que les femmes célibataires d'un certain âge obtiennent un salaire comparable à celui des hommes célibataires du même âge.

    Le statut matrimonial joue un rôle très important, non seulement à l'égard de la productivité, mais aussi à l'égard de la mobilité. Une femme mariée n'est pas aussi mobile qu'une femme célibataire. Elle ne peut pas saisir toutes les possibilités offertes par le marché pour avoir un salaire identique à celui d'un homme dans la même position. En effet, si l'emploi comparable se trouve à 600 km de chez elle, accepter un tel emploi, c'est aussi se priver des joies familiales. L'épouse préfère un salaire moindre pour ne pas être séparée de son époux. L'époux aurait pu rechercher un emploi près de celui de sa femme. Mais on ne l'attend pas. L'entreprise similaire près de celle de son épouse n'offrira pas nécessairement un salaire identique à celui de l'emploi qu'il vient de quitter.

    Cette moindre mobilité, consécutive au fait d'être mariée, affecte le salaire. Par ailleurs il faut ajouter au salaire de la femme sur le marché du travail la rémunération qu'elle prélève sur les revenus de son époux pour les services qu'elle lui rends à domicile. Une fois pris en compte toutes ces variables, reste-t-il encore des différences de salaires ? Les tests empiriques faits par les économistes montrent que les variables liées à la productivité : expérience, âge, éducation, statut matrimonial, etc., expliquent au moins les deux tiers des différences observées. Comme on ne connaît pas la part de la rémunération du mari qui va à l'épouse, on surestime encore cette différence.

    Une fois éliminées les différences de productivité, de statu matrimonial et de mobilité, peut-on attribuer à 1a discrimination le tiers restant ? Non, une explication plus subtile peut rendre compte de ce résidu. L'employeur doit deviner la productivité potentielle de la personne qu'il veut embaucher, mais, si sa productivité n'est pas observable avant l'embauche, il prend un risque. S'il se trompe et doit licencier son employé, il va supporter des coûts de séparation. Or, ces coûts auraient pu être évités avec un peu plus de précaution, avant de conclure le contrat de travail.

    Les seules informations dont l'employeur dispose au moment de l'embauche sont constituées par des caractéristiques observables chez l'employé avant de contracter.

    L'employeur peut interpréter ces caractéristiques. Certaines d'entre elles sont vraisemblablement corrélées positivement avec la productivité. Ce peut être le sexe, la race, l'âge, etc.

    Cette information, facile à obtenir (il suffit d'une interview), est confrontée à l'expérience qu'ont les employeurs des individus déjà embauchés et présentant des caractéristiques semblables. Les employeurs se sont fait une idée approximative, bonne ou mauvaise, de la productivité de ceux qu'ils désirent employer, compte tenu de celle observée chez ceux qui ont déjà été embauchés. Le bouche à oreille fonctionne : si, en moyenne, un groupe d'individus se trouve être moins productif qu'un autre, les employeurs préféreront embaucher les personnes appartenant au groupe jugé, à tort ou à raison, comme étant plus productif que l'autre. Une stigmatisation ou une discrimination apparaît. En effet, si l'individu moyen du groupe est peu productif, un individu marginal appartenant à ce groupe peut, en revanche, être très productif. Mais, comme il en coûte à l'employeur de le trouver, cet individu subit un préjudice. Ce préjudice correspond aux dépenses supplémentaires que l'employé doit supporter pour signaler à l'employeur qu'il n'est pas comme les autres. Cette discrimination statistique, dont la théorie a été développée par le prix Nobel d'économie Arrow, n'est pas, à proprement parler, une discrimination. Elle ne correspond pas à une manifestation des préférences, mais à l'incertitude dans laquelle est l'employeur avant d'embaucher une personne qu'il ne connaît pas.

    On remarquera aussi que le préjudice supporté par l'employé, ici la femme, n'est pas le fait de l'employeur. Que les employeurs refusent d'embaucher des femmes mariées aux mêmes conditions qu'un homme, parce que celles-ci, en moyenne, interrompent leur carrière, est imputable au comportement des femmes mariées, pas à l'employeur.

    La femme mariée qui ne pense pas interrompre sa carrière professionnelle ne peut pas blâmer les autres femmes et doit payer un surcoût pour signaler aux employeurs qu'elle désire travailler comme un homme. Cette discrimination ou cette stigmatisation disparaîtra lorsque toutes les femmes mariées cesseront d'interrompre, d'une façon statistiquement significative, leur carrière professionnelle pour élever leurs enfants...ce qui ne va pas tarder avec les jeunes générations.

    On en a pour preuve qu'une telle discrimination ne s'observe pas dans les emplois temporaires, où la productivité est aisément observable et où les coûts d'embauche, comme les coûts de séparation, sont faibles. Dans un tel cas, l'employeur n'a pas à se protéger contre une erreur d'embauche, pour une raison simple : comme le contrat est temporaire, il n'a pas à investir dans l'employé !

    Là où cette productivité est aisément et directement observable avant de contracter, l'employeur n'a nul besoin de faire des estimations sur la productivité du groupe. C'est le cas des sportifs ou des universitaires ! On n'observe pas de différences de salaires liées au sexe, dans ces professions. Ce qui est vrai de cette caractéristique est vrai aussi de la race, ou de toute autre caractéristique observable et difficilement altérable par l'individu lui-même, avant de passer un contrat.

    On pourrait continuer et rechercher d'autres facteurs qui expliquent les différences de salaires autrement que par une différence de goût. Après avoir corrigé ces différences par les différences de productivité, de mobilité et de stigmatisation, on n'est même pas certain que la discrimination ait une importance statistiquement significative. A vrai dire, on ne sait même pas si le résidu résulte d'une révélation des préférences des employeurs à l'encontre de certains employés, parce que, par définition, le résidu est un résumé de notre ignorance !

    Admettons, cependant, qu'il existe une différence de salaires entre deux individus que l'on n'arrive pas à attribuer à autre chose qu'à des différences de goûts. Cela ne veut pas dire, pour autant, que cette discrimination soit le seul fait de l'employeur. C'est une chose que l'on oublie trop vite. Les clients peuvent vouloir être servis par des femmes (respectivement, des blancs) dans les établissements de plaisirs et non par des hommes (respectivement, des gens de couleur). Si les clients préfèrent être servis par des hommes (ou des blancs), les femmes qui sont employées dans cette entreprise recevront un salaire moindre ou devront être plus qualifiées que les hommes, parce qu'il en coûte au patron d'embaucher du personnel non désiré par ses clients !

    Non seulement des clients peuvent exprimer des préférences vis-à-vis de certains employés, mais les employés eux-mêmes peuvent préférer travailler avec des gens auxquels il ressemblent. Les hommes, dans la police ou l'armée, supportent mal d'être commandés par des femmes. Ce qui est vrai de ces professions est vrai de n'importe quelle profession où les hommes (ou les blancs) quittent leurs emplois, si leurs préférences pour travailler avec un tel ou un tel ne sont pas satisfaites. Les employeurs, s'ils doivent les retenir, sont incités à les payer davantage.

    Si la discrimination est une manifestation des préférences, il ne faut pas se tromper de cible. Qui discrimine qui? En réalité, la seule et véritable discrimination durable que l'on devrait observer est celle des clients, c'est-à-dire celle du consommateur qui exprime ses préférences ! Lorsque l'employeur discrimine sur la seule base des goûts, il se prive d'un profit. Et c'est bien parce qu'il se prive de revenu que la discrimination, si elle existe, ne peut pas être, à long terme, le fait de l'employeur. (Cela vaut aussi pour les employés.)
    ."
    -Bernard Lemenicier, "En quoi la discimination est-elle un mal ?",



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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