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    Frédéric Nef, La connaissance mystique

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Date d'inscription : 12/08/2013
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    frédéric - Frédéric Nef, La connaissance mystique Empty Frédéric Nef, La connaissance mystique

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 6 Mar - 17:48



    "Cette étude est fondée sur l’affirmation selon laquelle la mystique occidentale comporte deux éléments fondamentaux : la théologie négative ou mystique pour le pôle « connaissance » et les techniques de contemplation pour le pôle « expérience ». Le premier de ces éléments exige une étude de la constitution d’une théologie ; le second de ces éléments implique la description des différents types de pratique. Cette étude se déploiera à un double niveau, celui de la connaissance, de l’épistémologie, et celui de la réalité mise en jeu dans la mystique, c’est-à-dire de sa métaphysique.

    La mystique est généralement considérée comme une expérience au-delà de toute expérience, comme une connaissance par-dessus toute connaissance – quand on accepte de distinguer expérience et connaissance et que l’on ne confonde pas les deux dans un brouillard dont on se plairait alors à croire que précisément il est « mystique ». Je montrerai qu’elle obéit aux normes habituelles de toute expérience, même si l’objet de cette expérience, l’union avec le divin, dépasse les horizons de l’expérience commune, tout en ne cessant jamais de la hanter. De plus, je ne refuserai pas d’appliquer a priori à la connaissance mystique les normes générales de la connaissance rationnelle, en ce qui concerne notamment la justification des croyances et le rôle premier de la perception. Cela va à contre-courant de la manière de concevoir la mystique comme le territoire perdu de l’ineffabilité et vise à rapatrier la connaissance mystique dans la recherche de la vérité, sous l’autorité rectrice de l’épistémologie, ce qui permet des comparaisons avec la science et la philosophie.

    La méthode que je choisis n’est pas fondamentalement comparative ; mon but est de dégager l’émergence de la mystique, en explorant ses frontières, afin de mettre à bas sa réduction à la littérature et à la psychanalyse. Fixer des frontières suppose que l’on détermine l’essence de ce qui est délimité. J’accepterai provisoirement la définition de la mystique comme expérience directe de Dieu ou de la Déité, union avec Dieu, même si cette définition est extrêmement large : je me réserve de la spécifier au fil de la plume.

    Avec la définition de la mystique se posent la question de son extension, et donc celle du choix de notre limitation à l’intérieur de cette extension, car il ne peut s’agir de couvrir toute cette étendue. Peut-on parler d’une mystique athée ? D’une mystique polythéiste ? D’une mystique purement philosophique (Plotin, Spinoza) ? Si nous acceptons, par provision, comme définition de la mystique l’expérience directe de Dieu, ou l’union avec Dieu, il existe deux possibilités pour trancher ce problème d’extension : accepter que l’union mystique existe dans un cadre polythéiste ou bien, comme la majorité des théologiens et des philosophes de la mystique, réduire celle-ci au monothéisme et distinguer alors trois formes de mystiques : juive, chrétienne et islamique. Dans les religions polythéistes, la mystique établit une relation avec un principe supérieur aux dieux comme le brahman, l’Un ou la deitas.

    Si on privilégie la terminologie de l’expérience spirituelle de l’islam et du judaïsme, on peut considérer trompeur et même impérialiste le vocabulaire chrétien où, à partir du vocabulaire des Mystères, le terme « mystique », prend son origine. Actuellement cependant, il est courant d’admettre qu’il existe une mystique islamique, et une « mystique » juive (mais c’est plus problématique), même si certains relativistes culturels veulent faire du terme « mystique » une étiquette occidentale. Si la mystique est conçue comme la science des choses cachées et secrètes, relatives à l’union avec Dieu, il est sans doute possible d’utiliser ce terme de manière étendue, mais du même coup nécessairement vague.

    Un obstacle à l’usage de ce terme dans le judaïsme est la pluralité des courants ou des écoles mystiques qui vont des Esséniens aux Hassidim en passant par le Zohar : il est difficile de parler de la mystique juive. De plus, certains comme Moshé Idel doutent que l’on puisse qualifier la cabale de globalement mystique. Il y a certes dans la cabale un élément mystique, auquel Scholem se montra toujours sensible, mais il y a aussi un élément théosophique et théurgique. L’élément mystique est lié au mécanisme métaphysique du retrait divin : quand l’infini, ou Dieu, crée ce qui existe il se retire pour laisser un espace à la création et faire de ce retrait un lieu possible pour la liberté de l’homme. En simplifiant, la cabale est une mystique de la liberté et de la création. On ne peut douter qu’il s’agisse réellement de mystique au sens de l’unio mystica, car selon la cabale l’homme est destiné à s’unir à la divinité et il existe des images et des modèles d’une telle union (en particulier l’union de deux moitiés d’un tout). De plus cette union est figurée par une scénographie sexuelle – comme on peut le lire par exemple chez Abraham Aboulafia8. C’est aussi une cosmogonie fondée à la fois sur l’abondance de la production, mais aussi sur la pauvreté essentielle suscitée en Dieu par le retrait. L’homme accomplit sa liberté en réponse à ce retrait, et l’union s’opère en fonction de cette situation à la fois existentielle et ontologique9. Idel montre cependant que la pensée cabalistique de l’union, ou de l’unition10, a au moins en partie une origine platonicienne ou néo-platonicienne – l’émanation n’est pas un retrait, il peut donc y avoir une tension entre deux paradigmes mystiques. Enfin, il existe une différence entre la mystique juive et les courants occidentaux : elle est étroitement liée à la prophétie.

    On entre ici dans le domaine de ce que l’on a appelé la mystique comparée, cette expression étant calquée quelque peu maladroitement sur celle de « linguistique comparée », la linguistique se trouvant devant le même dilemme face au langage – ce rapprochement étant limité par le fait que la linguistique comparée est régulée par l’hypothèse indo-européenne et qu’apparemment il n’y a pas d’équivalent d’une telle hypothèse pour la mystique : il faudrait reconstruire une Urmystik à partir des mystiques existantes, mystique originaire dont elles seraient des possibilités structurales, éventuellement combinatoires. C’est pour cette raison, l’absence de modèle, de mystique virtuelle, que l’on peut se refuser à adopter une démarche comparative.

    La position opposée est, par exemple, de forger l’expression de « mystique occidentale », que Dom Cuthbert Butle a utilisé. Cette expression, de manière commode, dissocie partiellement le champ d’étude choisi de champs immédiatement connexes comme la mystique orthodoxe ou de la tradition byzantine, et d’autre part des mystiques, gnoses, herméneutiques et théosophies juive15 et islamique16 dont il est difficile de se séparer complètement, même pour écarter le danger du syncrétisme et de la simplification."
    -Frédéric Nef, La connaissance mystique,




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