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    Guy Haarscher, L’Ontologie de Marx

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Marx - Guy Haarscher, L’Ontologie de Marx Empty Guy Haarscher, L’Ontologie de Marx

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 29 Jan - 23:15

    https://libgen.is/book/index.php?md5=E0F86BBF4DDF149F78AF800C96A12AC6

    "En 1845-46, le paysage théorique marxien se trouve bouleversé de fond en comble : la philosophie se voit rejetée, et à sa place vient au jour une sorte de discours ambigu, supposé cumuler les vertus de la « science » et de la politique, répondre à la fois aux exigences propres à la « description » et à la normativité éthique. Nous tâchons de suivre à la trace le parcours -devenu souterrain, puisque l'ontologie a été bannie- de la philosophie de l'activité dans les textes de maturité : nous montrons tout d'abord que le Capital eût pu, si Marx l'avait voulu -mais précisément, il s'en est défendu-, étayer de façon remarquablement « efficace » les positions du premier « versant » des Manuscrits de 1844 ; ensuite, nous reconnaissons dans le statut de l'étrange discours politico-« scientifique », censé se substituer à toute réflexion d'ordre philosophique, la raison d'un tel refus ; enfin, nous tentons de démontrer qu'en poursuivant jusqu'au bout la « logique » de ce nouveau discours, Marx réintroduit précisément la philosophie dont il avait cherché à se débarrasser. Nous pouvons alors mettre à jour l'ontologie de l'activité qui anime l'œuvre de maturité." (p.10)

    "Dès 1845, Marx rejette donc la philosophie. Si l'on parcourait l'œuvre de maturité en son entier, la conclusion suivante s'imposerait de la façon la plus nette : il ne s'y trouve aucune réflexion fondamentale concernant l'action humaine en tant que telle. Ainsi, deux obstacles décisifs semblent-ils fermer la voie à une tentative telle que la nôtre : la négation explicite de la philosophie par Marx et le caractère « scientifique » (économique, historique, sociologique) des textes de la maturité. Le marxisme orthodoxe a pu, sur de telles bases, suivre des années durant une voie scientiste, condamnant au passage avec une violence inouïe des tentatives telles que celles de Lukacs et de Korsch, qui visaient à rétablir la liaison rompue entre les énoncés « positifs » de la « science » historico-économique et la méditation philosophique qui, seule, eût pu les réanimer.

    Or la publication, au début des années trente, de certains manuscrits de Marx, bouleversa les perspectives. En 1932 parurent, dans le cadre de la Marx-Engels-Gesamt-Ausgabe (MEGA), deux textes en apparence fondamentalement antithétiques : tout d'abord les Manuscrits de 1844, lesquels, à n'en pas douter, constituent l'ouvrage le plus « philosophique » que Marx ait jamais rédigé ; ensuite l'Idéologie allemande de 1845-46, qui prend l'exact contre-pied de ce premier manuscrit en rejetant toute philosophie avec un schématisme et une brutalité .que l'on ne retrouve sans aucun doute nulle part ailleurs dans l'œuvre de maturité. Deux textes si opposés, et pourtant si proches, du moins selon la chronologie : un tel état de choses favorisait tout à la fois la « renaissance » philosophique et le durcissement de l'orthodoxie.

    Toujours est-il que la profondeur des Manuscrits de 1844 a ouvert des voies neuves au sein de l'univers sclérosé qui formait le « milieu » intellectuel du marxisme officiel : certes, la datation des textes plaidait en faveur de l'interprétation scientiste et anti-philosophique, le positivisme polémique de !'Idéologie allemande pouvant être compris, de ce point de vue, comme l'acte de renonciation aux tentatives « ontologiques » de 1844. Mais précisément, le caractère hâtif, et pour tout dire expéditif, des proclamations réitérées tout au long de l'interminable manuscrit de 1845-46, n'était aucunement susceptible de tempérer l'enthousiasme qu'avaient fait naître, chez nombre d'intellectuels, les pages denses -et souvent obscures- de l'ébauche économico-philosophique." (pp.13-14)

    "Il est important de noter - et peut-être est-ce paradoxal, étant donné l'importance des enjeux théoriques de l'entreprise - qu'Althusser a consacré fort peu de pages à l'explicitation de ce caractère "encore philosophique" des Manuscrits de 1844 : certes, une foule de notes éparses traitent de la question d'une manière pour ainsi dire latérale, mais jamais le texte même, dans la complexité de ses développements, n'est affronté dans le but de démontrer la thèse proposée. C'est un disciple qui, au sein de l' « école », s'est acquitté de la tâche, en cherchant à cerner le lien articulant, à travers l'ébauche de 1844, l'économie politique et la philosophie : ce lien, il l'a appelé « traduction ».

    C'est sur une telle lecture du manuscrit économico-philosophique que nous voudrions nous pencher tout d'abord: cette approche, dont l'intérêt relatif ne doit pas être négligé, ouvre à la compréhension de tout un « versant » des Manuscrits de 1844, par la mise en évidence d'un certain type de relations pouvant exister entre les dimensions respectivement économique et philosophique de cet ouvrage, problème central s'il en est.

    Nous tâcherons de donner tout son poids à une telle lecture, l'appliquant à des passages de l'ébauche économico-philosophique que Rancière n'a, semble-t-il, pas songé à utiliser, et qui, selon tout apparence, étayent sa thèse ; mais nous chercherons ce faisant à mettre à jour les limites. d'une telle interprétation, son caractère unilatéral, et pour tout dire appauvrissant : un second « versant » des Manuscrits de 1844 apparaîtra, dont nous tâcherons d'indiquer toute l'importance pour les problèmes qui nous occupent. C'est en effet de ce dernier point de vue que la philosophie de l'action telle que Marx la thématise en 44 apparaîtra : la question de la « traduction » nous aura alors permis tout à la fois de sauter l'obstacle althussérien, c'est-à-dire de mettre en cause la tentative visant à fonder théoriquement les proclamations antiphilosophiques dont Marx a parsemé l'idéologie allemande." (pp.14-15)
    -Guy Haarscher, L’Ontologie de Marx. Le problème de l'action, des textes de jeunesse à l'œuvre de maturité, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1980, 308 pages.




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